mercredi 31 octobre 2018

Voir : plongée, contre-plongée


J.L. Anglade, M. Amalric, G. Canet, B. Poelvoorde, Ph. Kathrine (image extraite de la B.A.)


En ce dimanche venteux, j’avais besoin de soutien pour affronter les intempéries trop soudaines. Tant qu’à être trempée, Le grand bain m’a semblé la meilleure manière de terminer la journée. La bande annonce m'avait amusée. Je m’attendais à rire, et la salle archicomble grouillant de popcorn et de doudounes froissées promettait une séance sans prises de tête. 

Cependant, durant la séance, si les réparties drôles fusaient, je me suis souvent retrouvée la gorge nouée devant ces trajectoires, racontées sans artifices, sans rien de superflu. Venue pour me distraire de la pluie, je me suis trouvée émue aux larmes face à toutes ces ecchymoses de la vie : le burn out, l’alcoolisme, les couples qui se délitent, leurs ados implacables, les rêves mités, les dîners en famille tournant en vrille. Des personnages attachants, écorchés, malmenés, mais qu'on n'a nulle envie de considérer comme des loosers. Non : des gens dignes, des gens vrais. Des gens comme on en croise tous les jours.

Gilles Lellouche filme avec autant de réalisme que d'empathie, sans une once de méchanceté. Comme disent tour à tour les membres de l'équipe masculine pendant leur sauna : ici, on ne critique pas. 

Mis à part quelques longueurs durant la deuxième partie (et la crainte d'un happy end trop sirupeux et improbable) le résultat est de très bonne tenue. Le scénario se révèle invraisemblable en soi, mais l'histoire, elle, on y croit. On plonge volontiers dedans, sans doute par la grâce des comédiens, complices, au meilleur de leur forme. A la sortie, les spectateurs se racontaient quelques bonnes répliques, mais les yeux étaient songeurs, presque graves. Un film grand public, pour rire et pour pleurer. A propos de gens comme on en croise tous les jours. Des gens comme vous, comme moi. 

mardi 30 octobre 2018

Vivre : à cœur perdu



Automne, saison de détachements, saison de voltiges infinies.
Le silence se sature de gémissements et de cris.
Parmi des milliers d’étincelles, tout tremble, tout bat de l’aile.
Comme une feuille de trop, le message est tombé.
Le jeune W. disait vrai : il était destiné à ne pas revoir un été.


lundi 29 octobre 2018

Vivre : (se) passer de mode


Fresques / Knossos / Crète


A propos de fast-fashion, l‘émission Du Grain à moudre révèle que nous achetons 60% de vêtements de plus qu’il y a 15 ans et que nous les conservons la moitié moins longtemps. Il me semble… il me semble que mes jeans et moi faisons dangereusement baisser ces statistiques...

Faut-il ralentir la mode pour sauver le monde ? Du Grain à moudre / France culture / 22.10.2018

dimanche 28 octobre 2018

Vivre : roulez jeunesse!



Appelant pour un devis un jeune carrossier de la région
j’ai pu constater qu’à force de sillonner en mode peinard le canton
ma bonne vieille Volvo rouge était connue comme le loup blanc.



samedi 27 octobre 2018

Habiter : bruits magiques



Ici, dans la nuit,
les arbres bredouillent éblouis,
les bambous babillent,
une ombre passe et glapit.

vendredi 26 octobre 2018

Vivre : à la pointe du jour



Les matins de pleine lune...
Cueillir du regard cette perle lointaine,
présent éphémère déposé par la nuit.

jeudi 25 octobre 2018

Vivre : les imperfections du quotidien



Il faut l'admettre : aujourd'hui tout était raté. 
Il y a eu des oublis, des taches et des nouvelles pas belles.
Des factures, un rappel et trop de publicité.
Un pneu dégonflé, un manque déplorable de sérénité.
Mais le lac, lui, le lac dans son rôle de lac
s'est superbement distingué. 

mercredi 24 octobre 2018

Regarder : sans légende



Le travail du photographe Matthias Bruggmann (né en 1978) porte sur les conflits du monde contemporain. L'artiste s'est vu décerner le prix Elysée l'an dernier pour son travail tendant à susciter chez le spectateur "une compréhension viscérale de la violence intangible qui sous-tend tout conflit". Le musée présente jusqu'au 27 janvier une série de 33 tirages, provenant du travail consacré par M. Bruggmann au conflit syrien pendant près de six ans.
Une exposition coup de poing, car les photographies sont présentées au visiteur sans titre, ni contextualisation (les légendes ajoutées ici sont tirées d'un dépliant annexé). A regarder ces images, en face à face, en silence, on comprend combien les informations provenant des médias, encadrées, commentées, tendent à banaliser la réalité, à nous la rendre dans une certaine mesure "acceptable".



SHINSHIRAH, REEF IDLIB, 19 MAI 2014. Fillette d'une famille déplacée au milieu des ruine d'une ville byzantine abandonnée. Les familles vivaient sous terre dans des caveaux funéraires dans l'espoir d'être ainsi protégées des bombardements.


QAZZAZ, DAMAS, 10 mai 2012. Des employés inspectent les décombres d'un bâtiment après un attentat visant la branche 235 (dite "Palestine") de la sécurité militaire. La branche Palestine est, dans l'horreur, l'une des pires et, avant la guerre civile, le savoir-faire en matière de torture de ses employés a été utilisé notamment par le Canada et les Etats-Unis pour "interroger" des suspects.


ISH AL-WARWAR, DAMAS, 5 MAI 2012. Un homme observe les combats à Barzeh, en contrebas. Beaucoup d'employés des forces de sécurité vivaient à Ish al-Wawar, leurs enfants allaient à l'école avec les enfants des manifestants de Barzeh. Au-delà de la question confessionnelle, la rixe est devenue communautaire. Sur le plan socio-économique, Barzeh et Ish al-Warwar avaient en tout en commun, mais parce que de nombreux hommes d'Ish al Warwar travaillaient pour les forces de sécurité, les deux quartiers s'affrontèrent rapidement.

Mathias Brugmann / Un acte d'une violence indicible / Musée de l'Elysée / Lausanne

mardi 23 octobre 2018

Regarder : percevoir l'invisible


Hiding in the city / Le villa de Suojia 2 / 2005
L'humanité est engagée dans un processus de développement que l'on qualifie de progrès. Or, finalement, tous les problèmes actuels de la société sont la conséquence de cette évolution. Il y a un lien de cause à effet et une contradiction dont il me semble nécessaire de prendre conscience : plus on se développe, plus il y a un impact sur notre développement, et plus, en réalité, celui-ci se dégrade. Les symptômes ne sont pas circonscrits à la Chine, ils sont communs au monde entier. Liu Bolin
Depuis 2005, date à laquelle son atelier a été détruit pour permettre officiellement l'extension du futur village olympique, l'artiste Liu Bolin, qui vit et travaille à Pékin, a décidé de disparaître dans ses photographies afin de rendre visibles les horreurs et les destructions massives impliquées par le prétendu progrès.

Nous voici confrontés à toute la violence de notre époque par la simple disparition de l'être humain dans un contexte déshumanisé. L'artiste travaille en collaboration avec une équipe d'artistes peintres, ce qui lui permet de se fondre dans le décor d'une manière fascinante, horrifiante et parfois non dénuée de poésie.


Légumes verts / Hiding in the city / 2011










Hiding in the city / In the woods / 2005

17 octobre 2018 -27 janvier 2019 / Musée de l'Elysée  / Lausanne

lundi 22 octobre 2018

Vivre : court circuit


Gleaming Lights of the Souls / Yayoi Kusama / Musée Louisiana / 2017


Ces derniers matins, la nuit m’ennuie.
Tout autour les étoiles brillent.
Mais tant de nuit me nuit.
Au sol, le papillon vacille.
Le jour peine et me trahit.
A peine décline-t-il que la revoici :
La nuit. Profonde et pesante nuit
Qui m'ennuite et me tire vers mon lit.
Vivement Noël que l'importune plie.

dimanche 21 octobre 2018

Voyager : le Panier, des hauts, des bas








Il y a plus de vingt ans, un reportage télévisé avait relaté ce fait : les habitants du Panier, à Marseille, lassés de devenir des bêtes curieuses, avaient attaqué à grand renfort de sacs de farine le petit train de touristes qui sillonnait leur quartier. Je me souviens des images : les touristes comme des fantômes tout médusés.
Aujourd'hui, le quartier s'est assagi. Il accueille une kyrielle de boutiques et de logements airbnb. Il s'est ripoliné, cultive un genre apte à plaire de manière consensuelle. C'est joli. C'est mimi. Y a-t-il seulement une épicerie ?
Il y a vingt ans, je n'osais pas sortir mon appareil, j'essayais de me faire aussi anonyme que possible. En ce dimanche matin, les ruelles se font coquettes, photogéniques. Alors... je photographie. Non sans une certaine nostalgie...

samedi 20 octobre 2018

Vivre : la Traversée de l'hiver / 26




C'est connu : les trios sont presque toujours à l'origine d'imbroglios. Une riche source d'inspiration pour des œuvres d'art : que de Jules et Jim, que de tourments relationnels, que de jeux et de manipulations destinés à finir mal, en général...

Depuis toujours, tu t’es coulée dans l’identité d’une victime. Une victime, maltraitante certes, mais une victime intronisée, et par conséquent aucunement responsable. Je me souviens, enfant, t’avoir entendue parler de toutes tes avanies, toutes tes injustices subies, dans ta famille, au sein de ta fratrie. Cinquième roue du carrosse était une expression qui revenait en boucle quand tu te racontais. Très tôt, tu as connu l’émigration, la dure, la pénible émigration. Enfin, il y a eu ta vie conjugale. Dans ton profond isolement, tu n’avais que moi pour t’écouter, alors tu t’épanchais, tu racontais tes souffrances. Par la suite, sont arrivées d’autres pertes, d'autres épreuves, le deuil de celui que tu avais choisi pour la vie. Car cette vie, cette vie profondément cruelle, t’a pris très tôt ton mari.

Nous nous sommes retrouvées à trois, toi jeune veuve, avec tes deux filles : E. et moi. 

Ma petite sœur s'est empressée d’assumer le rôle de la sauveuse, un rôle qui allait comme un gant à sa personnalité désireuse de plaire, de pacifier, de ne jamais se compromettre. Elle a accompli à merveille sa mission, se mettant en quatre - que dis-je en quatre ? en seize, en trente-deux - pour te rassurer et te satisfaire. Il m’était difficile d’entrer en compétition pour ce rôle-là. J’étais peu douée pour ça, et pas vraiment convaincue : la position de victime me semblait par trop limitée et limitante. Il ne me semblait pas sain de la conforter.

Je t'invitais donc à te prendre en charge, à oser davantage, à assumer quelques risques. Mais il suffisait que je te pousse vers plus d’autonomie pour que toutes les loupiotes rouges s’activent en mode alerte. Je devenais celle qui ne comprenait pas, qui ne soutenait pas, qui te refusait son aide (et ce, jusque dans de touts petits détails : pour autant que je m'en souvienne, dans un restaurant, je ne t'ai jamais entendue exprimer ta commande : systématiquement, tu te tournais vers quelqu’un pour qu’il s'adresse au serveur et demande ce que tu désirais, commander un steak était chose trop difficile pour toi). Tu avais deux filles, tu exigeais deux béquilles.

Un jour, une collègue formée en psychiatrie à qui je parlais de toi m'a demandé abruptement : n'est-elle pas intellectuellement limitée? En toute franchise, je n'ai pas su que répondre. Je crois que l'angoisse est en mesure d'anesthésier l'intelligence. Je crois aussi qu'il existe des êtres que la vie, pour de multiples raisons, laisse inachevés, qui réclament constamment d'être complétés. Au fond de toi, les pertes creusaient des trous toujours plus profonds et tu n'as jamais su faire le deuil de quoi que ce soit. Toute séparation te paraissait définitive et dangereuse. Naturellement, il n'était pas question que tu demandes à être soignée : tu étais censée aller très bien. Pour peu que chacun assure son rôle à tes côtés.

(essayez donc, dans une famille où quelqu'un s'est emparé du rôle de victime, de refuser le rôle qu’on vous assigne, essayez de rester dans le système avec un rôle dont vous ne voulez pas).

A présent, te voici entièrement dépendante, prise en charge au fond de ton lit comme un vieux bébé asséché. E. s’épuise à te maintenir en vie alors que tu t’es mise aux abonnés absents depuis longtemps. Elle se plaint d'être à bout de forces. Elle a les traits émaciés et parle du médecin qu'elle a dû se résoudre à aller consulter. Elle cherche des responsables à sa fatigue et à son découragement. Elle ne sait pas comment continuer, elle ne sait pas abandonner (craindrait-elle sa  propre mort si elle te laissait t'en aller?) Elle oppose un profond silence aux limites que je me suis posées. Elle me tend le vieux rôle élimé de l'"ingrate", l'"insensible", la "distante" et voudrait sans doute que je le porte. Encore une fois. 

(essayez donc, dans un système, de composer avec des victimes et des sauveurs qui s'accrochent à leurs rôles et sont terrorisés par la mort, essayez de leur parler, de les rassurer, essayez d'être écoutée en suggérant une autre voie)

Je me tourne vers la forêt voisine où chaque jour des êtres, des plantes vivent, naissent et meurent. Je me tourne vers ce microcosme maître ès sciences de la vie. Je pense à ce vieux triangle, à ce triangle déglingué. Je regarde ces vieux rôles familiaux qu’il faudrait encore une fois endosser. Devrait-on donc encore une fois les enfiler, ces vieux rôles usés, trop étriqués ? 

vendredi 19 octobre 2018

Regarder : un couteau népalais


couteau à légumes / Himalaya / Népal


Le Museum der Kulturen de Bâle fête ses 125 ans cette année.
Il a invité des citoyens intéressés à pénétrer dans ses réserves
et à élire chacun une pièce lui plaisant particulièrement.
De cette première sélection ont été finalement retenus 125 objets,
provenant du monde entier, qui constituent l'expo :  "Wünsch dir was*"
Parmi ces merveilles touchantes, amusantes, plus ou moins anciennes,
j'ai fait mon choix sans hésiter, éblouie par son élégance épurée :
un couteau à légumes vertical provenant du Népal.

* Fais un vœu

jeudi 18 octobre 2018

Regarder : l'exemple d'Alberto


 L'Homme qui marche / A. Giacometti / Museum Louisiana 

Au cours d'un Grand Atelier consacré à Christian Boltanski, celui-ci a eu un échange avec Catherine Grenier, directrice de la Fondation Giacometti, à propos de cet artiste extraordinaire :

C. B. : Il a eu une vie exemplaire... il y a une sorte de modestie dans le lieu où il travaillait, une petite chambre où il travaillait tout seul, et puis modestie aussi dans le fait où il emmerdait, je crois, tout le monde en disant "j'ai encore raté, il faut que je recommence".

C.G. : Giacometti est quelqu’un qui a toujours pensé qu’il fallait faire mieux, qui n’était jamais sûr de lui. Il était sûr de sa trajectoire, c’est ce qui l’incite à continuer tout seul dans la solitude de son atelier, c'est ce qui l'incite à travailler hors des courants.[...]
Mais par contre dans l'exécution du portrait, puisqu'il travaille la figure humaine, eh bien, il n'est jamais satisfait.
Il dit que l'échec, non seulement est constitutif de l'art, du processus de création, mais que c'est ce qui le ramène tous les jours à l'atelier. Puisqu'il doit toujours faire mieux.[...]
Il a eu une reconnaissance tardive, tout d'abord aux Etats Unis, mais en France à sa mort (il avait 65 ans), hormis les quelques expositions à la galerie Maeght, sa galerie marchande, il n'a jamais eu d'exposition dans une musée ou une institution officielle et cela ne le troublait pas du tout. Le fait qu'il n'ait pas cette reconnaissance institutionnelle n'avait pas d'importance pour lui. L'argent qu'il a gagné vers la fin de sa vie n'avait absolument aucune importance. Il n'a jamais souhaité changer de train de vie, de cadre de vie. La seule chose qui comptait, c'était de pouvoir retourner chaque jour à son atelier, parce que chaque jour il estimait qu'il avait raté et qu'il allait faire mieux.

Exigence, humilité, obstination d'un homme qui marche, seul, sans se soucier des signes de reconnaissance, et sans vraiment les rechercher.


Le Grand Atelier / 9 septembre 2018 / France Inter
(où l'on apprend que pour visiter la reconstitution de l'atelier G. il suffit d'appeler pour réserver à l'avance et l'on est assuré d'entrer à l'heure prévue, sans faire de file)

mercredi 17 octobre 2018

Vivre : rentrer du Sud





Le dimanche soir, à la gare de G., je suis entrée dans une brasserie attendre ma correspondance, prise par ce mélange de mélancolie et d'impatience lasse qui marque la fin de tous les voyages. J'ai repensé à cette chambre au Sud, donnant sur une rue trop empruntée, cette chambre bleue et or qui m'avait protégée le temps d'une escapade. J'ai repensé à tous les SDF allongés, dans leurs lofts à ciel ouvert, à tous les visages, à tous les marchés, aux couverts en argent qu'on avait failli acheter et à toutes les épices dont on ne s'était pas privés. J'ai repensé à cette ville classieuse et encrassée, ouverte sur toutes les turbulences de la Méditerranée. Ces magasins de téléphonie, ces épiceries, avec leur tas de chaussures couvrant leur devanture, et dedans les hommes en prière, entassés, absorbés (bien sûr, on était vendredi, on avait oublié). Cette vieille algérienne perdue, pâle qui avalait en automate ses merguez au fond de la Goulette bondée. Les tables si différentes auxquelles on s'était rassasiés. Cet air qui sentait fort la mer et ces rues qui sentaient les monoxydes à plein nez. J'ai failli m'endormir dans ce flot de souvenirs.

Dans le train, enfin, comme à chaque retour, mon regard s'est reposé sur les crêtes du Jura, cramoisies, qui défiaient splendidement la nuit. J'ai profondément expiré et puis j'ai senti monter la joie. Oui, cette joie intense qui me prend toujours à l'idée de rentrer me lover dans ce nid pépère où les colverts aiment hiberner.

mardi 16 octobre 2018

Manger : à l'école


Stèle égyptienne (détail) / MAM / Marseille


Après cette matinée passée face aux étals du Vieux-Port, nous savions (presque) lever des filets, (quasiment) réaliser une bouillabaisse, (à peu près) nettoyer des encornets et (pratiquement) les farcir dans les règles. La sempiternelle dame qui remet le chef en questions était présente, et aussi une jeune femme enceinte (accompagnée de son frère cadet). Le papa arrivé en avance de Saint-Raphaël était fier du cadeau de son fiston. Quant à l'oncologue très concentré, il s'était tellement emporté en parlant de son métier qu'il n'avait probablement pas savouré les amuse-bouche à sa portée.

Le repas (plus ou moins) élaboré par nos soins fut arrosé d'accent chantant et d'un blanc sympathiquement fruité. Étonnamment, le groupe était plutôt jeune et masculin, et le dynamique maître des lieux plutôt bienveillant. Encore une matinée comme celle-là, et on aurait commencé à se faire tout plein de copains. A la sortie, nous attendaient un soleil insolent, deux manifestations vociférant de curieuses sonorités et les incontournables splendeurs de l'Empereur.

lundi 15 octobre 2018

Vivre : still life / 53




Tous les mois, éviter de penser corbeilles, déchiqueteuses et conteneurs.
Tous les mois, imprimer, signer et envoyer.
Penser à tous ces gens, ces inconnus, si proches, si lointains.
Penser à leur sort, espérer qu'un jour il devienne meilleur.
Penser à ce que disait Mirna de sa geôle chilienne :
savoir qu'on te connaissait, qu'on ne t'oubliait pas, ça t'aidait à tenir.
Alors, tous le mois poster contre l'oubli, poster et espérer qu'ils tiennent.

vendredi 12 octobre 2018

Voyager : quand la mer manque


Au large de Maratea / Baie de Sapri / 2015

Bien sûr, il y a le lac, et ses reflets changeants.
Le lac, qui sait être argenté, qui sait se faire doré.
Mais j'aspire certains jours à quelque chose de plus grand.
J'aspire à respirer des possibles en inspirant les embruns.

jeudi 11 octobre 2018

Vivre : la leçon du Qi-gong


Statue antique / MNN / Naples

F. s’est approchée. Elle a saisi délicatement mon bras fléchi. M’a priée le lui confier.
Le bras s’est laissé faire avec légèreté. Comme suspendu dans l’air quand sa main l’a lâché.
A terre, mes pieds, ancrés, enracinés, ne se laissaient pas ébranler.
F. a dit : la détente dans la stabilité. Quelle meilleure posture adopter ?

mercredi 10 octobre 2018

Vivre : tableau d'une ex





Elle n’avait pas trente ans. Elle nouait ses cheveux en queue de cheval, tirés vers l’arrière. On la voyait souvent prise de soudaines rougeurs, sur le visage, sur le cou : c’est ainsi qu’elle exprimait les colères et les contrariétés qui l’agitaient.

Dans ce centre perdu dans une province reculée, où les collaboratrices – rien que des femmes, toutes engagées à temps partiel – n’avaient aucune autre option pour gagner de quoi subvenir à leurs besoins, elle avait acquis un pouvoir certain. 

Elle faisait presque peine, quand on la savait première arrivée le matin, quand on la voyait rester encore tard le soir, fatiguée, prenant du poids, ses jeans devenant toujours plus larges et ses pas toujours plus lourds. Mais elle tenait à se montrer présente, à être celle qui était toujours là. Là, quand la responsable, bien trop heureuse de pouvoir se débiner, bien trop heureuse d'assumer les avantages de sa fonction moyennant délégation, était partie depuis longtemps. Oui : elle tenait à faire démonstration de force quitte à en payer le prix fort.

Une seule adresse, dans la même morne vallée. Une seule culture : celles des fêtes qui scandaient l’année. Un seul village, quitté juste le temps d’une formation. Une seule formation, celle de sa mère : infirmière. Une seule institution, celle où sa marraine avait gravi tous les échelons.

Dans ce petit univers professionnel, toutes avaient compris qu’elle seule pouvait distribuer les bons points : jours de congé, vacances, aménagement d'horaires, évaluations. Toutes se taisaient, baissaient la tête, entraient dans le jeu de la délation, acceptaient ses énoncés comme de sacro-saintes vérités.
Elles savaient toutes que, protégées, leurs erreurs pouvaient être effacées ou que, pointées, elles seraient inexorablement dénoncées. Dans cet univers clos et consanguin, chacune s’efforçait de sourire, de courber l’échine, de faire amie-amie.

Elle faisait presque peine (un compagnon sans cesse arrêté, pour accident ou pour maladie, une jeunesse crispée sur un seul but, une seule obsession). Elle aurait presque suscité de la peine, n’eût été son obstination contre tout ce qui pouvait remettre un tant soit peu en question les rails de ses convictions.

Elle aurait pu provoquer de la peine, si elle ne s’était acharnée à détruire celles qui n'étaient pas portées à plier (cette jeune et belle femme, bonne cavalière, qui avait été prise de tics et s’était mise à bégayer au bout de quelques mois, au bout de quelques taclées ; cette infirmière française sans doute trop portée à analyser, poussée au burn-out et revenue les cils tremblants, les yeux effarouchés face aux autres qui se taisaient de peur de devenir à leur tour des pestiférées).

Elle m’avait presque fait rire, quand, le lendemain d’une altercation banale (à mes yeux du moins), arrivant le matin, j’avais trouvé la porte de mon petit bureau inhabituellement fermée, et à l’intérieur, une chaleur d’enfer. J’avais ouvert grand la fenêtre, car le chauffage avait été poussé à fond depuis plusieurs heures. Elle m’avait presque fait rire, mais c’était sa manière à elle de dire que la guerre était déclarée.

Elle ne connaissait rien d’autre que son univers bien clôturé. Elle utilisait les moyens à sa portée. Elle harcelait comme dans une cour de récré. Elle détestait plus que tout : la créativité, les changements non programmés, les différences d'opinion, les questionnements, les improvisations. Tout ce qui échappait à son contrôle, ce qui sortait de son rayon d’action.

Je l’ai aperçue l’été dernier. C’était un dimanche, c’était une belle matinée. Sur le quai de la gare, le soleil dardait de doux rayons. Elle attendait le train qui l’emmènerait vers l'aéroport. Elle aimait réserver dans des hôtels all inclusive, pourvus de 400 chambres, offrant pension complète et piscine intégrée. Et des lits en plastique blancs sur lesquels elle pouvait s'étendre et tenter sans doute de déposer l'espace d'un moment ce pouvoir qu’elle tenait tant à assumer. Sur le quai, elle fumait. Et, une fois sa cigarette achevée, alors qu’on avait déjà annoncé le train, elle faisait déjà le geste d’en tirer encore une pour l’allumer.

Il y a parfois des hiérarchies qui vous ôtent le goût d’œuvrer, qui ont vraiment de quoi peiner. 


mardi 9 octobre 2018

Vivre : let it be / 16


Saint Sebastien / Raphael / Accademia Carrara / Bergamo

Ces trajets où, prise d'un besoin pressant, on se dépêche. 
 On passe devant une affichette indiquant "défectueux",
alors, on court, on court plus loin, et on se retrouve finalement
devant une porte fermée et là, on attend. On attend. On frappe.
On attend. On refrappe et on attend en commençant à trépigner.
Enfin, au bout d'un long très long moment, on voit sortir calmement
une donzelle, l’œil étonné, très bien maquillé. 

lundi 8 octobre 2018

Vivre : gravir les marches


Une ruelle à Deià / Mallorca

Parfois, on avance, on aspire à la montée,
mais cela n'est pas si évident.
Parfois, les marches existent, nous portent en avant.
Absorbés par notre effort, le nez penché à terre,
on ne perçoit pas notre ascension,
on ne réalise pas la progression. 
C'est là que les autres sont importants :
ces précieux qui nous voient grimper, de loin
et savent nous le dire et savent nous encourager.

dimanche 7 octobre 2018

Vivre : l'arrosage


Visitation / XIIème s. /Musée d'Aquitaine / Bordeaux

Il verse tous les matins sur la lève-tôt que je suis une averse de baisers, avant de se retourner.


samedi 6 octobre 2018

Habiter : raisons et déraison


Retable de San Nicolas, San Antonio y Santa Clara / différentes attributions l / Museo de Mallorca / Palma

Ayant écouté les deux hallucinants documentaires
dédiées aux conflits de voisinage par Les pieds sur terre,
terriblement banals, banalement terribles,
(un florilège de Clochemerles affligeants)
on en vient à penser qu'on a beau avoir ses raisons,
toutes les raisons du monde, de bonnes, de moins bonnes,
la seule raison qui vaille est celle de la vie,
une vie qu'on empoisonne, qu'on perd, qu'on gaspille
à vouloir obstinément gagner dans un conflit. 
Tristesse profonde à voir pris en otage de pauvres arbres,
de malheureux thuyas, des herbes un peu folles,
qui ne font que suivre leur nature : pousser, s'aventurer,
mais qu'on n'hésite pas à saccager pour gagner la partie.



Les pieds sur terre / France Culture / 18 et 27 septembre 2018

vendredi 5 octobre 2018

Vivre : au cœur des choses



Réaliser avec stupéfaction 
que la beauté des jours, la force, 
la stabilité, les impulsions
ne s'appuient sur aucune attente,
ni bonne nouvelle, ni déclaration,
aucune stimulation venant de l'extérieur.
Réaliser qu'elles émanent tout simplement
de ce pivot en soi, du centre, du cœur.

jeudi 4 octobre 2018

Vivre : Dom et les poissons



Dom n'aurait jamais pu devenir une amie.
On sent ça au premier regard, aux premiers mots.
On sent très vite que tout pourrait aisément basculer,
devenir difficile, compliqué, exiger mille explications.
Dès le premier soir, Dom m'avait paru un peu désaxée
(et j'ai appris à me méfier de ma première impression :
comme disait je ne sais plus qui, c'est souvent la bonne)
Mais Dom restera toujours pour moi la personne qui,
tôt le matin, se tenait longuement penchée sur les poissons,
avec son jet, pour qu'ils prennent leur pied (eh oui)
et frétillent de plaisir dans les tourbillons.

mercredi 3 octobre 2018

Habiter : ce qu'on tient pour acquis








Tous les matins, vivre ce miracle :
passer de la nuit abreuvée d'étoiles
à l'innocence d'une image pastel.
Tous les soirs, basculer inversement.
Et tous les jours, et sans la moindre défaillance.
Parfois, réaliser vraiment l'aspect ébouriffant
de ce miracle renouvelé incessamment.

mardi 2 octobre 2018

Habiter : la lumière et le silence





Dynamique, par moments.
Efficace, oui, certainement.
Mais tellement douée de m'adonner
à la contemplation d'un tableau animé:
la danse lente du soleil venu s'échouer
et soupirer dans ma maison.

lundi 1 octobre 2018

Vivre : sans rancune


Lorenzo Veneziano / Gallerie Accademia / Venezia

Apprendre incidemment qu'une personne fort ambitieuse n'ayant eu aucun scrupule un jour à me moucher, gratuitement, juste pour se gausser, pour se placer, s'est vue empêtrée dans un poste pourri, en a souffert jusqu'à la maladie, se retrouve aujourd'hui dans un job à la con... et ... ne pas m'en réjouir, ne pas même en sourire. Lui souhaiter un meilleur à venir.