vendredi 31 mai 2019

Ecouter : la bébête notion de résilience


Sans Titre (Amour envahi par une armée) / Antoni Miralda / Es Baluard / Palma de Mallorca

L'autre jour, au Grand Atelier, Boris Cyrulnik :

Il n'y a pas plus bébête que la définition de résilience :
vous êtes traumatisé, votre cerveau arrête de fonctionner. Vous ne comprenez pas ce qui se passe. Vous êtes éteint, KO. Qu'est-ce que vous faites ? Ou bien vous restez prisonnier du passé, vous souffrez, c'est le syndrome psycho-traumatique, ou bien vous cherchez à reprendre un bon développement, le meilleur possible. C'est la résilience, la reprise d'un autre bon développement.

C'est un processus constant. La résilience marche tant que marche la vie. Je pense que ça devient moins efficace après l'âge de cent-vingt ans (pour le moment). Mais jusqu'à cent-vingt ans, on peut y travailler.

Une personne sur deux vit ou a vécu un traumatisme dans sa vie, ça semble énorme.
C'est énorme, ce sont les chiffres de l'OMS - l'Organisation mondiale de la Santé - La vie n'est pas facile. Les discours qui nous font croire qu'on peut accéder au paradis sur terre sont des leurres. La vie est pleine d'épreuves et parfois de traumatismes. L'éducation, la solidarité, la mentalisation, l'écriture, ça consiste essentiellement à affronter, à faire quelque chose de son malheur. 

Parce que le malheur arrive. Si on ne fait rien, le malheur arrive, alors que le bonheur il faut aller le chercher avec les dents et avec la plume. 

Ce important regard : éviter la victimisation, ne pas se sentir seul dans sa galère - une galère qui peut toucher tout individu à tout moment - faire le choix de la vie et, notion indispensable, créer. Par tous les moyens, créer, incessamment, jusqu'à l'âge d'au moins cent-vingt ans.
 

jeudi 30 mai 2019

Voyager : corps et biens


Autoportrait avec portfolio / Jens Juel / SMK / Copenhague

Les pas. La démarche. La manière de se mouvoir, de déambuler, ce sont aussi des manières de voyager. En disponibilité, le corps peut retrouver son rythme, son assise, ses droits. Le corps peut dire : voilà ce que je suis, au fond de moi. Je ne suis pas seulement ce corps asservi, qui se dépêche tous les matins dans les transports en commun, les magasins. Je ne suis pas seulement ce corps qui s'agite, qui s'excite, qui s'énerve à propos de tout et pour trois fois rien. Je suis aussi ce corps qui apprécie de s'asseoir et de regarder les gens passer. Je suis ce corps qui se retrouve dans une belle stabilité (ou dans l'inactivité).
Mais, même partis en vacances, tous les corps ne sont pas des vacanciers. Ainsi, à l'aéroport, dans le hall du retour, cet homme, jeune, irrité par le retard annoncé, qui réagit au quart de tour, tapote pour tenir qui de droit informé, promet à ses enfants un MacDo, part en se dépêchant, revient en courant, s'enquiert : des nuggets ? et la sauce avec les nuggets?, disparaît, réapparaît, agite ses trouvailles sous le nez de sa famille, renverse son coca, salit, se fout de salir, se fout de la corbeille juste à côté, il n'a pas ingurgité la dernière bouchée qu'il est déjà en train de vitupérer pour exiger son droit à la priorité, cet homme, abandonnant sous son siège trainées de ketchup et sacs déchirés, cet homme, qui brandit sa Breitling comme un trophée, cet homme, son corps, où donc l'a-t-il oublié ? combien de temps encore avant que son corps le blâme, se fâche et le lâche ?



 

mercredi 29 mai 2019

Vivre : still life / 73



Jamais de sucre dans mes boissons, mais toujours dans ma besace.
De retour, les sachets me font faire à rebours le voyage.
En les ouvrant, je redécouvre. Les souvenirs abondent.
Je saupoudre mes tartes de paysages, de résonances et de terrasses.

mardi 28 mai 2019

Voyager : le temps qu'il faut


Façade / Valdemossa

Tous les matins, sur la terrasse du petit-déjeuner, les deux jeunes cyclistes allemands scrutaient le ciel en échangeant quelques mots avec leurs compatriotes randonneurs. Allait-il vraiment encore pleuvoir ? Incroyable, mais, à Cologne à l'instant même il faisait meilleur. Vraiment pas de chance avec cette météo bizarre.
Dans les rues de Palma, les parapluies fleurissaient comme des roses trémières sous les averses, puis disparaissaient aux premiers rayons. Les vendeuses alternaient vivement devant leurs boutiques paniers d'imperméables plastifiés et tongs colorés. Le ciel, comme les godasses, se gondolait, riait aux larmes, pleurait de rire.
Dans le Diario, les prévisions avaient tout compris, qui dessinaient des nuages, avec du soleil, avec des orages, avec de la pluie.
Dans les prés jaunis par un hiver sans poigne, les troupeaux se moquaient de ce crachin, laissaient aller et venir les ondées, laissaient leurs sonnailles tintinnabuler, ravis qu'une chose put encore échapper à l'homme dans son monstrueux désir de tout bétonner. 

lundi 27 mai 2019

Vivre : les chants du matin


Cathédrale / Palma de Majorque

Ce n'est pas lutter de toutes tes forces
contre tes faiblesses qui fera ta force.
C'est de les accepter les incorporer
totalement, inconditionnellement. 

jeudi 23 mai 2019

Voyager : en manque




Me manque l'air du large. Me manquent le chant du coq et les bêlements entremêlés. Me manquent les routes qui surplombent les rochers turquoise. Me manquent ces bières avalées d'un trait au bord de routes trop fréquentées. Me manquent les soirées chaperonnées par des félins borgnes. Me manque le sel sur mes lèvres gercées. Me manquent des rires en langues étrangères. Me manquent les départs, les retards, les bifurcations foireuses, les parcages approximatifs. Me manquent les sonorités catalanes, me manquent les palmiers, me manquent les prénoms Jaume, Jordi, Javier, Fina, Marga, Mercè. Me manquent les patronymes Alcover, March, Castanyer, Bonet. Me manquent les mélopées du soir et les ritournelles du matin. Il me faut mordre dans ces instants-là, j'ai besoin de retourner là-bas.

mercredi 22 mai 2019

Voir : palme ou pas



Antonio Banderas

Dans "Dolor y Gloria", Pedro Almodovar raconte le passage à vide d'un sexagénaire, une descente dans les tourments de l'âme et de la maladie, accompagnée d'héroïne et d'alcool et de réminiscences.
Dans "Dolor y Gloria", il brosse le portrait de trois hommes magnifiques (et magnifiquement interprétés) et c'est heureux qu'enfin, lui qui a si bien su parler des femmes, se penche sur l'inestimable beauté des hommes. Dans "Dolor y Gloria", il y a des larmes dans les yeux de Banderas, qu'on voudrait essuyer, et des tonalités d'enfant perdu dans sa voix, quand il évoque les brisures du passé. Dans "Dolor y Gloria", Asier Etxeandia se lance dans une danse magistrale avant d'entamer un monologue poignant sur les limites de l'amour. Dans "Dolor y Gloria", le cinéma sent la pisse et le jasmin et une fièvre fulgurante terrasse les premiers émois d'un gamin.
Peut-être pas le plus magistral, peut-être pas le plus émouvant, peut-être pas le plus distinguable, mais un film à voir, qu'il me faut revoir absolument. Puisque - avant-dernière réplique - peu importe tout ce qu'on ne saura jamais, peu importent les chemins et leurs mystères, l'essentiel est que les messages parviennent à leur destinataire.

mardi 21 mai 2019

Vivre : nos pas lents dans le silence


Monastère  royal de Brou

Le grésillement d'une bougie.
Deux anges se penchent, sourient.
Dehors, des crissements.
Un battement d'aile dans la nuit.

lundi 20 mai 2019

Vivre : intelligences


Portrait d'un inconnu / Vénétie / Pinacothèque / Padoue

Parfois, ils s'échangent sans que personne n'y voie rien,
en une fraction de fraction de fraction de seconde,
ces regards qui scellent notre insondable connivence.

dimanche 19 mai 2019

Regarder : donnant-donnant


 



Captures d'écran / Arte / Le cinéma dans l'oeil de Magnum
 
C'était une âme blessée qui se cognait n'importe où en cherchant dieu sait quoi.
 Dennis Stock, photographe à Magnum depuis 1951, à propos de James Dean
 
Dans un passionnant documentaire consacré aux collaborations de l'agence Magnum avec le cinéma - une belle leçon de photographie - on réalise le lien étroit qui existe entre celui qui regarde et celui qui est regardé. Rien à voir avec le paparazzisme. Personne ne vole rien à personne. Comme le dit la photographe Eve Arnold à propos de Marilyn Monroe : On l'a tous utilisée, ça ne fait aucun doute. Quand on est photographe, on doit accepter le fait qu'on a besoin de l'image des autres. Bien sûr, sans la photographie, Marilyn n'aurait jamais été Marilyn. Car c'est ainsi que beaucoup de gens l'ont découverte. C'est un cercle vicieux. Tout le monde utilise tout le monde. Elle m'a utilisée pour aller là où elle voulait aller, comme tant d'autres. Je n'étais unique que parce qu'elle me faisait totalement confiance.
Explorant ce lien donnant-donnant, on découvre quelque chose de frappant : l'aspect visionnaire de ces concentrés de regard. L'avenir du passé est contenu dans les clichés. On observe. On scrute. On se dit qu'un bon portrait contient la vérité des êtres et, sans doute aussi, quelque chose de leur destin.

Le cinéma dans l’œil de Magnum / Arte / rediffusion le 22.05.19  

samedi 18 mai 2019

Vivre : en terre étrangère


Le couronnement de la Vierge avec Sainte Catherine et Sainte Barbe (détail) / 
Heinrick Creeft / Musée des Beaux-Arts /Nîmes

Le passé est une terre étrangère... où l'on agit tout autrement.*

Rangeant mes livres, j'ai retrouvé sur la carte oubliée
des mots tracés évoquant tendresse et complicité.
Parcourant l'encre et ses méandres, je me suis étonnée :
c'était donc là que mes émotions d'antan venaient se faner ?



*Début du livre et du film Le Messager / Leslie Poles Hartley et Joseph Losey


 

vendredi 17 mai 2019

Vivre : sauvetages


Lettre "S" / enlumineur siennois / Mindful hands /  Fondazione Cini / Venise / 2017


Quand, après la pluie, le vent souffle et menace de les dessécher sur la chaussée, je me penche, les saisis et les repose entre deux touffes d'herbe sur le bas-côté. J'aime me dire que, s'ils sont encore en vie, ils pourront continuer de faire œuvre utile.
Certains me regardent dégoutés - beurk : un ver de terre! - qui n'auraient jamais le même rejet envers un trader, ou un imprudent manager, ou un mec s'adonnant à la spéculation immobilière. A chacun ses valeurs, le lombric a mes faveurs.