jeudi 31 octobre 2019

Regarder / Vivre : la fille au ballon


Joueuse de football américain / 1972 / Abigail Heyman / Arles 2019

Cette photographie, je pourrais la regarder indéfiniment. Il se dégage de ce portrait une impression extraordinaire de force, de santé et d'équilibre. Peut-être que cela tient au regard de la jeune sportive, à ses mèches rebelles, à ses lèvres contractées par la détermination, à la manière qu'ont ses mains de serrer le ballon. Il est ainsi des images qui vous envoient de stimulants messages. Cette femme joue franc jeu, c'est évident, et c'est sans doute ce qui a retenu l'attention d'Abigail Heyman, alors qu'elle réalisait son reportage Growing Up Female,  dans les années 1970, une vaste enquête sur la situation de la femme aux États-Unis.
Son propos était ouvertement militant et elle en a rapporté des clichés édifiants, amers et drôles tout à la fois.

Supermarché / 1971
Athlète. Course de haie / 1978

La photographe a accompli une longue recherche, féministe et didactique. Ces témoignages sont importants. Il était probablement nécessaire de faire œuvre de démonstration. Pourtant, quand la photo est bonne, ne dit-elle pas tout, sans autre forme de discours ? Il n'y a rien à démontrer, il y a seulement à être et à se battre, dit la fille au ballon, et son regard résolu vaut toutes les dissertations.

mercredi 30 octobre 2019

Vivre : noblesse


Portrait d'Henriette-Louise-Charlotte Béguelin /1780-1790 / J.H. Schröder / Collection privée

Après notre échange, je suis restée encore un bref instant à regarder la femme s'éloigner sur le trottoir, elle que la vie n'a pas épargnée, lui imposant des tourments qu'elle affronte depuis des années. J'ai pensé à l'élégance superbe de ces personnes qui gardent le cap et ne se permettraient jamais de faire peser sur les autres le poids de leurs frustrations ou de leur affliction. Qui se réjouissent même pour les autres de joies qui leur sont niées. Il y a ainsi des héros ordinaires, qui acceptent et avancent, et qui ne comprendraient pas, mais vraiment pas pourquoi, on aurait envie de leur dire "chapeau bas".


mardi 29 octobre 2019

Vivre : aterrissages



Plaisir d'automne :
voir les brumes se lever
en écoutant une à une
les feuilles dégringoler.

lundi 28 octobre 2019

Vivre : le coeur chagrin


Annonciation (détail) / Ambrogio Lorenzetti / Pincothèque / Sienne

Le Tako-Tsubo, je n'en avais jamais entendu parler, je l'ai découvert l'autre jour lors d'une émission des Pieds sur terre. Ce terme japonais signifie "piège à poulpe" et il désigne une affection cardiaque peu connue : le ventricule gauche, sous l'effet d'un énorme stress, se gonfle et prend la forme d'un piège à poulpe (d'où le terme). Les symptômes sont les mêmes que ceux d'un infarctus, si ce n'est qu'il n'y a pas de caillot sanguin.

Les deux personnes qui témoignaient à l'antenne, malades de situations professionnelles malsaines, se sont retrouvées aux urgences, avec tous les signes d'une crise cardiaque, à tel point qu'elles croyaient être en train de mourir. Heureusement, une fois le mal identifié, le malade est rassuré, renvoyé à son domicile et les choses - du moins sur le plan somatique - retrouvent leur fonctionnement normal.

La journaliste Danièle Laufer, qui en a été affectée, a écrit un livre fouillé sur le sujet. Elle explique ce qui se passe quand le stress devient si important que le cœur est poussé à un burn-out. Sa propre histoire est douloureuse, mais malheureusement de plus en plus banale : le tako-tsubo s'est déclaré alors qu'elle travaillait depuis neuf ans dans une boîte où elle avait été reclassée, mais où on ne l'a jamais intégrée, jamais reconnue, jamais valorisée. Elle raconte les collègues qui s'en vont déjeuner ensemble sans proposer de les accompagner, la cheffe qui n'appuie jamais les demandes de promotion tout en admettant que les objectifs sont dépassés, les diverses attitudes hostiles à son égard. Jusqu'au jour où une collègue s'emporte contre elle sans raison, lui hurle des choses qu'elle ne comprend pas, déverse sur elle une rage qui ne se justifie pas. Le lendemain, son cœur a lâché.

Après un congé maladie de quelques semaines, Danièle Laufer a remis sa démission. Suite à cette épreuve affligeante, elle a fini par reprendre le dessus. Mais elle précise que le seul fait d'évoquer cette traversée fait encore battre la chamade à son cœur. Elle se demande si la maladie peut être vraiment bénigne, car elle doute qu'une telle expérience puisse ne laisser aucune trace dans l'organisme.

A-t-on toujours autant souffert du travail ? Ou bien la souffrance est-elle plus violente aujourd'hui ? En parle-t-on davantage, est-ce que le discours se libère sur ces maltraitances de la vie ? A écouter, on éprouve du chagrin pour tous ceux qui souffrent là où ils sont censés œuvrer. On leur souhaite de pouvoir trouver des présences attentives à leurs côtés, et on s'interroge encore et encore sur cette société qui provoque tant de tensions, particulièrement chez ceux qui aiment profondément leur métier.

dimanche 27 octobre 2019

Lire : reconnaissances


Sans titre / 1982 /  Tal Coat / Musée Granet / Aix-en-Pce

Tout compte fait, si je devais rendre grâce ce serait à des riens.

C'est un recueil qui commence ainsi et que j'ai acheté comme ça : à l'aveugle. Envoyez-moi un livre, ai-je écrit à l'éditeur. Il m'en a proposé trois, j'ai choisi celui-là. Dès que j'ai lu la quatrième de couverture, je me suis sentie happée par une écriture simple, limpide, dense, bourrée de tendresse, mais non dénuée de revendication. Je me suis sentie avancer en terre amie. Comme une impression d'avoir trouvé un compagnon, un frère dans cette poésie:
Je rends grâce au poète en nous qu'une simple vague fascine,
à cette part résiduelle qui nous ressemble encore au bout de nos fatigues et des journées perdues,
à cette part que nous voudrions croire aussi irréductible qu'elle est rebelle aux injonctions des modes,
rétive aux rêves qu'on affrète pour nous perdre
et qui nous fait chercher des mots pour tenter dans la foule
d'aller réveiller en chacun le poète qui s'est tu.

Me renseignant sur l'auteur, Michel Baglin, poète, romancier, journaliste, j'apprends qu'il vient de décéder en juillet dernier. Merde alors, à peine connu, le poète a donc disparu ! Ce livre, L'alcool des vents, paru en 2004 au Cherche-Midi, a été réédité par les éditions Rhubarbe à deux reprises, en 2010 et en 2019. Autre page :

Je ne rends pas grâce à la peur qui arme nos fragilités de mauvais alibis.
Mais à l'inquiétude, oui. Aux oreilles dressées, aux cœurs battants. 
Aux paupières qui ne se ferment pas docilement avec la nuit.
Aux aguets. Aux alertes qui nous valent de ne pouvoir consentir tout à fait au sommeil des justes
alors que des hommes dehors n'ont que des remparts de carton à dresser contre le froid
et que la paix n'est plus que le fruit blet des combats perdus.

Le poète de Toulouse s'est donc tu. Mais le petit bouquin restera longtemps à portée de main. Sa poésie lui survit et vient exprimer avec justesse la noblesse exquise de ces riens qui font le sel de la vie. 


samedi 26 octobre 2019

vendredi 25 octobre 2019

Vivre : la seule façon de vivre


Suzanne au bain (détail) / Jacopo da Empoli / KHM / Vienne

Faire circuler les énergies : un réflexe pas toujours présent. Malheureusement.
(ces jours navrants où l'on n'est que rétention, crispé sur le seul besoin d'obtention)
Puis, arrivent ces matins lumineux, où l'on ouvre et l'on s'élance, porté par le don.
On dispense des pièces et des sourires francs, on veut offrir à toutes sortes de gens.
On s'avance, on jubile, on tournoie, désinvolte, on virevolte, le cœur carillonnant.
 

jeudi 24 octobre 2019

Regarder : l'ange dissipé


La Vierge adorant l'enfant Jésus (détail) / Antonio Rimpatta da Bologna / début XVIème / Musée Granet / Aix-en-Pce

Cet ange penché, d'une absolue modernité, peint en raccourci, se tenant par-dessus l'épaule de Marie,
souriant, absorbé, rempli de radieuse curiosité, il s'attendrit devant Jésus, plantureux petit Bouddha.
C'est à des détails minuscules, secondaires, que se reconnaissent les peintres et leur savoir-faire. 

Tout, dans le tableau pourrait être figé, empreint de dignité, s'il n'y avait cet ange, badin, coquin,
qui insuffle à la scène une touche de vivacité, quelque chose de ludique et de léger.
Le tableau devient animé et Marie, sérieuse autorité, semble à deux doigts de tancer.


 La Vierge adorant l'enfant Jésus (détail) / Antonio Rimpatta da Bologna / début XVIème / Musée Granet / Aix-en-Pce

Cette photo est tirée de Wikimedia Commons

mercredi 23 octobre 2019

Vivre : peines de coeur


La Sybille de Cumes / Domenichino / Galerie Borghese / Rome

Avec cette amie éplorée, plusieurs questions décortiquées :
Cet amour qui a cessé, quand a-t-il commencé ? De quoi s'est-il alimenté ?
Qu'est-ce qui lui a permis d'exister ? Qu'est-ce qui l'a amené à s'effilocher ? 
Précises dissections qui mènent à deux essentielles interrogations :
Qu'est-ce donc que nous appelons amour ? Et que dit-on quand on dit je t'aime ?


 

mardi 22 octobre 2019

Vivre : 50 nuances de gris




Il ne s'agit pas d'être dans le bleu, non. Ni de broyer du noir, certes pas. Il n'est nullement question d'en voir de toutes les couleurs, ni d'avoir du plomb dans l'aile. Mais concevoir la vie en rose, en mode baroque, en mode fantasque, serait excentrique. Les jours gris sourient peut-être, mais le Jura et le ciel, bien que grisés, se sont barrés. Alors on reste assis, on laisse le tableau anthracite envahir la vie, loin des signes et des graffitis.

lundi 21 octobre 2019

Vivre : le mystère


Portrait anonyme / provenant de Venise / Musée du Petit-Palais / Avignon

Après tant d'années, tant de regards échangés, tant de temps passé à le voir marcher sur tant de chemins, à le retrouver, à lui faire face, à le dévisager, à suivre le tracé de ses traits, tirés ou préoccupés ou subjugués, il m'arrive encore régulièrement de me sentir devant lui comme devant un mystère infini.

dimanche 20 octobre 2019

Vivre : séparer, distinguer


 Tombe de l'empereur Henri II et de Cunégonde du Luxembourg (détail) / Cathédrale / Bamberg

Difficulté de très haut degré : 
savoir séparer ce qui est à soi 
de ce qui ne nous appartient pas
(naturellement sans culpabilité) 
 

samedi 19 octobre 2019

Vivre : les clefs


Nativité (détail) / Giovanni di Paolo / Musée du Petit-Palais / Avignon

Les intuitions : venues d'on ne sait où, on ne sait comment, on ne sait pourquoi, et pourtant, la solution est là.

vendredi 18 octobre 2019

Vivre : extérieur / intérieur

Wall of Light cubed / 2007 / Sean Scully/ Château Lacoste / Le Puy-Sainte-Réparade

Les nuages se pressent. Le silence progresse.
Le ciel se rembrunit. Voici l'humeur qui suit. 
Des indices de tristesse, juste avant la pluie.

jeudi 17 octobre 2019

Regarder : le Trône de Sagesse

Je prenais mon petit crayon, je griffonnais, et alors là, il souriait tout seul, il disait :

 "Ferme ce cahier et laisse toi pénétrer par ce paysage que tu as devant toi, ou ce caillou, ou peu importe"

 Et un jour, dans ton atelier, ce moment d'émotion là te reviendra et c'est là que la poésie, peut-être surgira de ton pinceau.

Et il m'a fallu des années pour être à l'écoute, et pour être un peu plus réceptive

Retourner voir l'exposition consacrée à Fabienne Verdier. Y retourner, si cela était possible, encore et encore, car, dans son travail, il y a toujours quelque chose à voir, à découvrir, à comprendre, qu'on ne voyait pas, qu'on n'avait pas découvert, qu'on n'avait pas compris avant.
L'art, on peut simplement se poser devant pour observer, entrer en dialogue avec les couleurs et les formes. Établir une connexion, faire circuler les émotions.
Mais l'art renferme aussi toute une trajectoire, suivie par celui ou celle qui tient le pinceau. Comment l'artiste a-t-elle pu effectuer la transition entre ce retable de Jan van Eyck : 


et les deux toiles ci-dessous :

 Sedes Sapientiae I (Trône de Sagesse I)

 Sedes Sapientiae II (Trône de Sagesse II)

Une esquisse de réponse se trouve ICI.  Mais sans doute, pour s'imprégner de toute la démarche, s'agit-il d'exercer son regard, de regarder obstinément, loin du mental, loin des raisonnements. A travers un trait de pinceau, parvenir à déceler la puissance de ce lumineux cheminement.

 
Images : captures d'écran et toiles de F.V. / exposition "Sur les terres de Cézanne" / Musée Granet / Aix-en-Pce
retable "La Vierge au chanoine Van der Paele / Jan van Eyck / Musée Groeninge / Bruges (photo tirée du net)

mercredi 16 octobre 2019

Voyager : traverser l'Isère


Jeune chasseur au faucon / Maître du Jugement de Pâris du Bargello / Musée du Petit-Palais / Avignon

A la place du passager, impossible de s'ennuyer :

au bord de l'autoroute, au beau milieu d'un pré isolé, une table couverte d'une nappe à carreaux rouges, dressée dans la lumière ambrée, un panier ouvert, deux couples s'apprêtant à déjeuner (à dîner?), levant leur verre en riant, conversant de manière parfaitement décontractée.

dans un immense champ à peine fauché, blondi par le soleil d'octobre, parmi les tracés parallèles, une jeune femme tout droit sortie d'un Degas (tresses blondes nattées rassemblées sur la nuque, corsage vert et jupon grenat), penchée par-dessus son panier, captivée, toute à son occupation impossible à identifier (ne pouvait pas être en train de cueillir des champignons, non? ni de ramasser du pissenlit, si ?)

au cœur d'une prairie vert foncé, un cheval blanc, galopant, trottant, charmant, en toute liberté, ignorant les passages, les moteurs, les klaxons, mais nullement isolé, bien encadré : chaperonné par un mouton en mal d'autonomie et une aigrette alerte aux allures de starlette.

Sur la crête d'une colline, un homme chapeauté, enfourchant son vélo déglingué, équilibriste inspiré, dansant, pédalant penché sur son guidon suivant le fil indigo de l'horizon.

Décidément, à la place du passager, impossible de s'ennuyer.

mardi 15 octobre 2019

Vivre : crépuscule à Lauris





Automne, saison du fléchissement,
languissante, aspirant à expirer.
Tout a été offert. Tout. Absolument.
L'heure lasse est venue d'écouter,
les étourneaux, les glapissements,
les coups, les cloches, les aboiements,
les fontaines tenaces, les cris tournoyants,
les soupirs laminés de ceux qui ont assez
- probablement un peu trop - donné.

lundi 14 octobre 2019

Vivre : complètement accro


Soir d'été à sur la plage de Skagen (détail) /Peder Severin Kroyer / Hirschsprung collection / CPH

En ce moment, il dévore Hérodote.
Je peux comprendre cet appétit de culture.
J'aurais toutefois aimé lire Kapuscinski avant
... qu'il n'y plante ses crocs puissants.

dimanche 13 octobre 2019

Vivre : ici, la nuit


Glaeming Lights of the Souls / Yayoi Kusama / Louisiana Museum / Humlebaek

Ici, la nuit, tout luit.
Le lac : un tarmac.
Les agglomérations :
une pluie de lampions.
La maison : un avion.

samedi 12 octobre 2019

Vivre : ô rage, ô désespoir


Retour aux sources vives / Fabienne Verdier / 2009 / Musée Granet / Aix-en-pce / 2019



Cette colère qui te prend, parfois, qui te transporte hors de toi :
entre exploser en mille éclats et contenir ce flot bouillant,
comment gérer l'espace-temps, pénible, long et lent
qui va de la reconnaissance au juste comportement ?

vendredi 11 octobre 2019

Regarder : les enfances d'Helen

v
Helen Levitt / New York / années 1970-80 / présenté aux Rencontres d'Arles 2019






A partir des années 1960, Helen Levitt passe à la couleur et ses photographies, souvent attachées à l'enfance, prennent une autre tournure, n'ont plus besoin de raconter une époque, de camper des personnages. Aucun cadrage, aucune mise en scène, aucune composition apparente ni anecdote particulière, elle semble capter ce qui est, dans l'instant : les vibrations de la vie saisie sur le vif.
Des photographies d'où émergent des cris, des chuchotements, des éraflures, des souffles coupés, des robes déchirées, des secrets retenus qui ne peuvent s'avouer.
A nous, spectateurs, d'inventer, d’échafauder des bribes de narration, de solliciter notre mémoire, car c'est de notre enfance, et de notre enfance seulement, qu'arriveront les plus belles histoires.

jeudi 10 octobre 2019

Vivre : les besoins insatiables


L'impératrice Sabine / Musée romain / Vaison la Romaine

Que cherches-tu donc ailleurs, plus avant, plus loin,
que tu ne tiennes pas déjà entre tes mains ?

mercredi 9 octobre 2019

Vivre : la réincarnation



Équipage de bœufs charriant des engrais (détail) / René Princeteau / Mba / Bordeaux

Il y a quelques années déjà, un soir d'automne, le long de l'enceinte des ruines de Pompéi, j'ai fait une rencontre fulgurante. Je regagnais l'hôtel miteux où nous avions fini par dégoter de justesse une chambre, quand j'ai été approchée par un chien. Un de ces chiens à demi-sauvages qui vagabondent parmi les pierres, se nourrissant de restes et de générosités passagères.
Les rencontres se valent toutes à mes yeux. Pas question de catégoriser le vivant : un arbre vaut un animal, qui vaut un enfant, qui vaut un paysage. Les rencontres ont ceci en commun qu'elles vous font et vous marquent infiniment.
Donc, ce chien, plutôt grand, au poil dru, portant sur le corps des signes de luttes carnassières, s'est approché de moi, m'a fait un bout de chemin. Dans son regard, j'ai lu : "adopte-moi, emmène-moi, j'en ai assez, je t'ai choisie pour changer de vie". Évidemment, je le trouvais noble et intelligent et profondément attachant. J'aurais bien voulu l'emmener, l'embarquer, lui trouver une place dans l'avion qui m'attendait le lendemain.
Hélas, j'ai dû lui dire : "C'est impossible, tu le sais bien. Là où je vais, la vie est trop normée. Tu te heurterais à trop d'incompréhensions, tu ne trouverais personne pour comprendre tes vadrouilles, tes coups de gueule, tes hurlements, tes besoins d'évasion. Là-bas, on voudrait te bâillonner  et te bâillonner  finirait par te tuer."
Le chien a compris. Il s'est éloigné sur la chaussée, s'est perdu dans le chaos de la circulation. Je ne l'ai jamais oublié.

Il m'arrive parfois de repenser au chien des ruines, quand je considère P., habitué aux routes et à la survie, préférant boire dans les flaques qu'à son écuelle, prêt à dévorer n'importe quelle rognure, prêt à endurer n'importe quelle douleur. P., chien malmené durant sa jeune vie, me semble réincarner la créature de Pompéi. Je me dis, absurde pensée, qu'à travers lui, c'est un peu ce fier molosse que j'ai ramené vivre ici.

mardi 8 octobre 2019

Vivre : en cuisine


La laitière / Johannes Vermeer / Rijksmuseum /Amsterdam

Cuisiner : s'affairer (se retrouver constamment au four et au moulin, suivre son instinct), amalgamer, épicer (ne pas y aller avec le dos de la cuiller), dévier (rajouter son grain de sel, quitte à se prendre une gamelle), rectifier, inventer (et se retrouver toujours étonnée, parfois un peu nouille, parfois épâtée), régaler, déguster, jouer (comme au temps des couettes, devant sa fabuleuse dinette), partager, bref : donner et se donner et, au final, s'éclater.