mardi 31 décembre 2019

Regarder / Lire : les mots de l'indicible


Presque tout ce qui arrive est inexprimable et s'accomplit dans une région que jamais parole n'a foulée. Et plus inexprimables que tout sont les œuvres d'art, ces être secrets dont la vie ne finit pas et que côtoie la nôtre qui passe.
R.M. Rilke / Lettre à un jeune poète / 17.02.1903

Impossible de terminer l'année sans lire quelques passages de Rilke. Hors du temps et des modes, il sait dire à la fois la douleur ET la douceur des choses. Mais il y a un temps pour tout et il y a un temps pour Rilke : celui des heures qui s'écoulent tandis que l'année tire paisiblement vers sa fin.


Voyager : affluences et divergences



Photographies sur le site des Usines Fagor / Biennale Lyon 2019

Grisailles et fureurs, hurlements et moteurs. Lacérée par des routes implacables, saturée de contrastes et manquant cruellement de grâce, la métropole semble malade de décembre. Des signes indécents de richesse côtoient la misère lasse de ceux qui font tache. Des urbains chics croisent les chiens rageurs des débarqués de la croissance. Les sièges classieux des multinationales s'exhibent pile en face des autos dortoir et des caravanes crasses. Les vigiles harnachés assument des allures de chiens policiers. Perturbations atmosphériques, trafics incessants, instabilités électriques. Sous l'A7, l'attente misérable de deux filles en latex, glacées de froid, peut-être d'effroi. Sur les trottoirs, des rendez-vous de covoiturage, des prénoms pour un moment de partage, des sacs Tati transvasés, des canettes abandonnées. Un homme pisse contre une porte blindée. Une péniche garde les marques de festivités branchées.
Le Rhône rattrape l'autoroute, il se dépêche. La Saone le rejoint en charriant ses eaux beigeasses. Indifférent à tout ce tintamarre, le musée s'élève, clinquant, domine cette confluence, lieu de toutes les divergences. C'est dimanche, c'est jour de croisements et de terne effervescence. Les voitures déchirent incessamment l'espace où la culture tient à prendre sa place. Imaginer Picasso à la Sucrière, quitter sa zone de confort pour atteindre les friches des Usines Fagor. Ne pas se prendre à rêver à un monde meilleur, plus tendre envers tous ses habitants. Ne pas s'attarder, avancer vers la biennale, aller voir comment les artistes conviés reflèteront toute cette pagaille.


lundi 30 décembre 2019

Voyager : une madone, un chat, des pas




Dans l'église de Pérouges, un chat, entre le bœuf et l'âne, se délectait à jouer les Jésus vivants.
Les pas se faisaient lents, entre deux chuchotements. On entendait crisser la poussière du silence.
Dehors, circulait un rare apaisement. Tout le monde - pas grand monde en fait - allait lentement,
allait de pierre en pierre, suivant ses repères, suivant son fragile bonheur, imperturbablement.



dimanche 29 décembre 2019

Vivre / regarder : paysages choraux



La balade est toujours la même, c'est l'humeur des nuages, ou la mienne, qui varient de fois en fois. Aujourd'hui, impossible de ne pas penser à ce peintre d'une sublime humilité, un type qui ne devait pas beaucoup se pousser du col et qui suivait sa route, indépendamment des modes et des sillons que d'autres se traçaient vers leur impressionniste renommée : mon vénérable, mon très estimable Corot.

Une matinée. La danse des nymphes / J-B C Corot / Musée d'Orsay / exposition Corot au musée Marmottan en 2018

samedi 28 décembre 2019

Vivre : les désirs sont des messagers


David Leeuw et sa famille (détail) / Abraham van den Tempel  / Rijksmuseum / Amsterdam

Ne jamais prendre ses désirs pour des banalités!

 

vendredi 27 décembre 2019

Vivre : se dessiner un lendemain






Balade à Berne. Sur les pavés, voici qu'on croise :  
Un individu portant anorak et chevelure turquoise.
Un attroupement nippon fixant la tour de l'horloge.
Des piaillements impertinents dans les branchages. 
Des enfants récalcitrants autour des boules rouges.

Assis sous les arcades, fusain à la main : un homme.

Penché, absorbé, il dessine. Indifférent aux vitrines,
aux espoirs désenchantés d'un Noël trop claironné,
trop vite évaporé, il se trace des courbes placides.
Il observe et il esquisse, loin des soupirs inutiles,
la rue qui serpente vers des possibilités uniques.

jeudi 26 décembre 2019

Vivre : des anges à ma table


Archange Baraquiel (détail) / Bartolomé Romàn / Dépôt du Musée Prado / Museu de Mallorca /  Majorque

Il m'arrive parfois de penser à cet ange fabuleux, qui veille depuis si longtemps à mes côtés, avec brio et ténacité, qui cette année encore m'a permis de me tirer de pas mal d'affaires. J'ai longtemps cru que je ne croyais pas aux anges, mais je sais que cet être-là, cette réalité-là, que je ne saurais nommer autrement, a droit à mes sincères remerciements. Tous les jours des gens partent, des espoirs se fracassent, des arbres pleurent. L'ange a permis à l'enfant de six ans que j'étais de rester bien vivante. Ce n'est pas rien, de garder en soi, toujours vivant, un enfant de six ans.
Accompagnée d'un ange gardien qui ne ménage pas sa peine, aller de l'avant, pour explorer encore et encore, la vie et ses étonnements.
Et puis, penser aussi à ces êtres merveilleux, anges bien tangibles, que votre trajectoire vous permet de croiser, certains matins, ou certaines nuits noires. Ils sont là, ils répondent présent et quand ils s'en vont, ils laissent dans leur sillage un parfum  de confiance et de réassurance.
A tous les anges, ma profonde reconnaissance.

mercredi 25 décembre 2019

Lire : vers chez soi




Qui a dit que les livres pour enfants étaient réservés aux personnes âgées entre deux et douze ans ? Dans une librairie - à plus forte raison chez Pangea - je ne manque jamais de faire un crochet au rayon des vérités essentielles et joliment dessinées.
Akiko Miyakoshi est une jeune dessinatrice japonaise d'une grande finesse, qui a déjà été abondamment primée. Dans son album "Yoru no kaerimichi"**, elle esquisse avec une exquise délicatesse le retour à la maison d'un petit enfant fatigué par sa longue journée. Dans les bras de sa maman, il observe les maisons en passant. A travers leurs fenêtres, les voisins vaquent à diverses activités liées à la vie quotidienne.
Le dessin est sombre, gris foncé tirant sur le noir. Mais curieusement cela n'a aucun effet effrayant. Au contraire, cette nuit qui tombe est porteuse de promesses : parcourir une rue où vivent paisiblement d'autres gens, retrouver son chez soi, un lit où il fera bon fermer les yeux pour s'endormir heureux. Une invitation à ne rien craindre du noir.
Inutile de dire que quand, le soir, on parcourt le livre en se couchant, on dort comme un tout petit enfant.


** en français : Quand il fait nuit / éditions  Syros
** en italien : La strada verso casa /  Salani Editore

mardi 24 décembre 2019

Voyager : sous bonne escorte



Tout le long de la route, les Alpes nous ont accompagnés. Par moments, fantomatiques présences émergeant du brouillard et finissant par louvoyer dans un ciel de cendre, griffes happées par le néant. Par moments, partitions esquissées à l'infini, délicates dentelles de l'horizon, exquises harmonies. A l'aller comme au retour, fils d'Ariane ou filles de l'air, sous un ciel lacté ou tempétueux, toujours présentes pour indiquer le Sud, ou ne pas perdre le Nord.
Entre deux, il y eut Giotto, Giusto et Altichiero. Il y eut des trombes féroces et un arc-en-ciel candide qui laissa la moitié de la ville bouche bée. Il y eut cette artisane sur le marché qui déclamait à tue-tête  "La morosité ne passera pas : nous avons de la grappa !". Il y eut des guides opiniâtres : celui qui ne quittait pas des yeux mon Canon banni, celui qui tint à me faire savoir preuves à l'appui que d'infâmes plagiaires osaient sévir à la Renaissance déjà, celui qui me fournit un bulletin météo précis sur les calamités survenues en Ligurie et celles qui ne manqueraient pas de nous débouler dessus dès l'après-midi .
Et des repas à l'incontournable Pago pago, toujours aussi kitsch, toujours aussi bruyant, toujours aussi accueillant et généreux avec ses nombreuses familles d'habitués, servant de divines pizzas et une non moins divine pasta. Et le marché historique Sotto il Salone, ses stands de victuailles à se damner, où P. fut nourri, félicité, caressé par une multitude de grands-mamans attendries (à tel point que je n'osais ensuite le laisser seul devant un magasin de crainte qu'on me le vole). Il y eut l'accueillante librairie Pangea où l'on ne manque jamais de dénicher quelques pépites et qui distille toujours en sourdine de belles musiques ethniques.
Et les petits déjeuners chics au caffè storico Pedrocchi. Et, sous des bâches gorgées d'eau, la mauvaise humeur de vendeurs que la météo lunatique ne portait pas à faire des affaires. Et les verres de Campari, dans l'obscurité saturée de lumières (ainsi que l'étrange phénomène qui me permettait de m'orienter sans problème de l'appartement jusqu'à la terrasse bénie et m'empêchait de repérer plus tard le même chemin pour regagner mon lit).
Il y eut des chants, des chansons, des chorales, des sérénades dans la nuit. Il y eut des étudiants délivrés, des musiciens et des mendiants. Et il y eut aussi cet homme, au visage émacié, assis dans un coin, digne, trempé, qui a décliné sobrement notre offre d'un café.
Il y a eu des lévriers vêtus de manteaux Burberry double-face, des toutous qui tenaient dans un sac, des énormes clébards prêts à l'attaque que leurs maîtres devaient retenir fermement au collier (et qui ont laissé P. pensif : ces chiens n'étaient vraiment pas sa tasse de thé). Et finalement, il y a eu Zeus : trois mois et trente centimètres au garrot, craquant et farceur labrador marron.
Et puis peu à peu, la ville s'est vidée, a semblé désertée par ses nantis, abandonnée à ses vieux, à ses esseulés, à ses laissés-pour-compte. Peu à peu est arrivé le moment de charger l'auto, de saluer les coupoles et de retrouver au loin les Alpes. Sublimes, ensoleillées, enneigées, elles semblaient nous avoir attendus, comme des nuées de colombes dispersées, pour nous faire route à coups d'ailes vaporeuses, douces compagnes du chemin à rebours.


vendredi 20 décembre 2019

Voyager : jeter quelques affaires...







Jeter quelques affaires au fond d'un sac. Éteindre les lumières. Tirer la porte derrière soi. Embarquer chien et compagnon. Ne pas oublier la liste où sont tracés au crayon les indispensables : chocolat de Modica, farine de manitoba, pâte d'anchois, etc etc. Traverser les Alpes. Prendre le large, reprendre souffle. S'arrêter parmi les sapins pour faire courir le chien.
A l'est, rien de nouveau. Retrouver ma terre natale, ses sonorités, ses odeurs, ses fresques, ses saveurs.
Une fois arrivée dans la ville débordante de chahutages estudiantins, grimper les escaliers, rejoindre ce minuscule appartement, loin de la foule et près des étoiles. Par-dessus les tuiles et les clochers, entendre les ruelles palpiter. Descendre enfin regagner ces places où l'apéro se boit debout, ces librairies ouvertes sur des terres étrangères, ces vitrines encombrées de douceurs. Marcher, marcher, battre joyeusement les malheureux pavés jusqu'à nuit avancée. Parmi les cris et les chants, pénétrer la mystérieuse atmosphère de Noël à travers ses envoûtantes lumières. Manger, déguster, dévorer, trinquer, oublier et oublier d'avoir des choses à oublier. Me contenter de poser mes pas dans le présent et finir par m'effondrer comme un enfant.

jeudi 19 décembre 2019

Vivre : perdre / retrouver




Une fois la perte pleinement reconnue, éprouvée,
sentir l'émergence en soi d'une autre possibilité
- semblable à une île, une esquisse, une mélopée -
inhabituelle, et qui se révèle au moins aussi belle.


mercredi 18 décembre 2019

Vivre : les doutes



Autoportrait 1966 / Andy Warhol / Musée d'art contemporain de Saint-Etienne Métropole

Revenir mentalement sur ses pas.
Se repasser le film plusieurs fois.
Envisager la question et les enjeux.
Échafauder une hypothèse ou deux.  
Hésiter, réfléchir, hésiter encore un peu.
Hésiter, et, enfin, sans hésiter : trancher.

mardi 17 décembre 2019

Vivre : le chicaneur


Portrait d'un noble avec faucon (détail) / Hans Holbein / Mauristhuis / La Haye

C'est devant sa dernière vilénie que j'ai enfin compris :
toute son agressivité est vouée à masquer sa tristesse infinie.

lundi 16 décembre 2019

Vivre : de marché en marché



Le week-end dernier, il y a eu deux marchés : celui du samedi se déroulait dans un parc de la capitale, à deux pas du Palais fédéral. Au milieu des arbres, dispersées sur la pelouse, il y avait d'immenses étoiles et des enfants qui se coursaient entre les bancs. Des odeurs de cuisine qui invitaient au voyage sur fond de musique ethnique. Pour la première fois, j'ai goûté des momos tibétains. Ils étaient tellement bons qu'il m'a absolument fallu récidiver, avant  de partager un cornet de frites décadent avec mes compagnons. Dans cette ambiance bon enfant, les vestes étaient colorées, parfois démodées, toujours décontractées. J'ai vu un chien qui portait un collier de perles assez inspirant. Des artisans présentaient des sacoches et des gants en matériaux de récupération. J'ai failli craquer pour un porte-monnaie réalisé dans un beau cuir jaune intense, et puis j'ai visualisé la quantité non négligeable de porte-monnaies qui m'attendaient au fond d'un tiroir, à la maison, et je me suis tournée vers des HLM pour abeilles et des emballages de savons.
Les stands ressemblaient à de petits chalets, espacés, de formes variées, certains invitaient à s'asseoir pour une pause bien méritée. Comme le parc s'adossait à une colline, on avait un peu l'impression de se balader à la montagne. Dans des cabines téléphériques posées à terre, il y avait quatre places pour boire sa bière. Des chaises avaient été disposées ça et là, accompagnées de plots de bois. On sentait circuler une belle énergie. Des inconnus faisaient connaissance. On s'embrassait, on rigolait. On a quitté le marché repus, ravis, tandis que la lumière commençait à se tamiser et que la silhouette du Palais fédéral devenait noire sous les premières étoiles. En quittant ce lieu simple et magique, comme savent l'être tous les lieux qui permettent d'être heureux, j'ai ressenti un pincement de regret. Je me suis retournée pour regarder une dernière fois ce "Park der kleine Schanze" ludique, dégageant un je-ne-sais quoi d'unique.



Le lendemain, dans les ruelles d'une élégante bourgade lémanique, la foule se pressait. Il était près de midi et une chorale allait entamer des chants sous un sapin géant. Les vêtements étaient ici bien coupés, les enfants bien élevés et les chiens particulièrement stylés. Il y avait pas mal de collaborateurs de fameuses multinationales, il y avait pas mal d'expats. On y trouvait aussi des notables, des personnes qui échangeaient de manière affable. On y allait manifestement pour voir et pour être vu, pour retrouver des connaissances. Dans la rue centrale, les étals se succédaient, tenus par les vignerons des environs, des associations de charité, quelques artisanes présentant comme chaque année les mêmes sacs bariolés. Le passage n'était pas bien large, les échoppes y occupaient une large place. Sur les pavés, on se pressait, on se serrait, on se rencontrait, on s'exclamait, ce qui générait des bouchons et une certaine tension. Arrivés au dernier stand, on ressentait un réel soulagement quand, débouchant enfin face au lac, on découvrait au loin la mirobolante chaîne des Alpes, cadeau offert par l'horizon.


J'ai aussi traversé ces derniers jours des marchés sur lesquels j'ai évité de m'attarder. Ceux qu'on installe devant les centre commerciaux, sur des parkings, ou devant des gares. Ceux qui n'ont de Noël que le nom : un longue et désolante bande de cabanons, tous alignés, dupliqués, des supermarchés transitoires, qui proposent des produits made in China, un peu clinquants, un peu vulgaires, cornaqués par une musique glucose déversant une affreuse mélancolie sur les badauds invités à dépenser.

Les marchés, ceux de Noël, ceux des quatre saisons, ceux des brocantes, racontent des tas d'histoires.  Joyeux ou scintillants, vulgaires ou bruyants, classiques ou chics, ils disent la vie, ils disent les gens. Ils parlent des lieux et de leurs habitants. Ils expriment la vie sociale en mille déclinaisons, infaillibles miroirs du monde dans lequel nous évoluons.

dimanche 15 décembre 2019

Regarder / Ecouter : la danse de la lumière


Noir, c'est noir ? Les Outrenoirs de Pierre Soulages / exposé à l'espace Artlab / EPFL / Lausanne-Dorigny / 2017
Je crois que c'est aussi inépuisable que la lumière l'est. Puisque c'est une réflexion de la lumière. Ce qui d'ailleurs entraîne des conséquences importantes. Si j'appelle ça "Outrenoir", ce n'est pas pour le plaisir d'écrire un mot nouveau. C'est pour désigner autre chose que le phénomène optique que désignerait "noir lumière", qui tend à faire voir ces toiles-là comme simplement un  phénomène optique.
"Outrenoir", j'ai voulu désigner par ce mot un champ mental autre que celui touché par le simple noir.
Pierre Soulages / au micro de Pierre Assouline / 2000 / France Culture
Le musée du Louvre consacre depuis mercredi une exposition à Pierre Soulages. L'artiste, bientôt centenaire et suprêmement coté, a de quoi attirer : des collectionneurs, des présidents, des éditeurs, des hagiographes. Nul doute que l'événement sera un franc succès.
Indépendamment des modes et des battages médiatiques, face à toutes ces grandes expositions, rétrospectives, mises en valeur, je m'interroge toujours : vaut-il la peine de s'y rendre ? vaut-il la peine de se presser pour tout voir ? J'ai de plus en plus de peine avec la foule dans les musées. Le temps chronométré, les bousculades, les œuvres présentées en enfilade me semblent difficilement compatibles avec le fait de regarder, vraiment, de se laisser absorber, vraiment, par le cheminement de l'artiste présenté. 

Être soumis à des conditions qui peuvent se révéler stressantes, est-ce la bonne manière d'appréhender une œuvre ? Ce sont les questions qui se posent à chaque grande exposition. Après moult expériences, j'ai résolu de ne me déplacer que pour un artiste cher à mon cœur (en veillant à bien choisir le jour et le créneau horaire). Connaissant la démarche et son contexte, je me sens plus à même d'apprécier l'ensemble des tableaux en face à face. Me retrouvant libre avec mes émotions et perceptions, la visite devient alors une rencontre, une étape finale de la découverte.

En ce qui concerne le travail de Soulages, pour saisir les subtilités de l'Outrenoir, une seule toile (ou deux peut-être) en prenant tout son temps ne suffiraient-elles pas pour observer, expérimenter, ressentir ? Se placer devant, bouger lentement, observer les sensations, saisir les modifications d'instant en instant. Une méditation sur les jeux de la lumière et ses passages sur la matière. Une réflexion sur les points de vue et leur réalité éphémère. Ce que j'éprouve devant ces grands tableaux, c'est un intense apaisement, un appel à la présence, similaire à ce que je peux ressentir devant une toile de Rothko ou une fresque de Fra Angelico.

Cependant, je ne vois chez ce peintre rien qui ait révolutionné l'histoire de la peinture. Question de goût sans doute : il ne m'apparaît pas aussi innovateur qu'on veut bien le présenter. Le spectaculaire chez lui me semble tenir davantage à sa forte médiatisation, à sa reconnaissance sur le marché de l'art. Ainsi, alors que je donnerais cher pour aller admirer la danse de la lumière dans les toiles de Vermeer, je ne ferai pas le voyage pour cette rétrospective des œuvres de ... Pierre.


A lire : Pierre, / Christian Bobin / éd. Gallimard / 2019
A écouter : l'émission Par les temps qui courent du 07.11.2019 (où est passé l'extrait ci-dessus)


samedi 14 décembre 2019

Vivre : souffles



La respiration magique d'un être unique.
Des rives effleurées, bercées avec constance.
L'inspir qui se pose, repose, avant de s'évanouir.
Des brises sereines qui s'évaporent et reprennent.
Un murmure qui bruisse, qui vacille, qui grésille.
Un ronronnement rassérénant. Un frémissement.
L'espace infime entre cet instant et celui d'avant.
La vie qui palpite au dehors, en dedans. 

vendredi 13 décembre 2019

Vivre : portrait d'un homme allemand


Portrait de gentilhomme / Michelangelo Anselmi / Museo Capodimonte / Napoli


Je me souviens avoir lu il y a très très longtemps un roman d'Alain de Botton qui s'intitulait "Portrait d'une jeune fille anglaise" dans lequel il s'appliquait à dépeindre une fille de vingt-cinq ans, avec laquelle il entretenait une relation qu'il espérait destinée à durer. Ce qui m'avait frappée alors, c'était sa faculté d'observer un sujet tout à fait ordinaire pour en faire un livre qui, dans mes souvenirs, tenait assez bien la route, dans le sens où le lecteur finissait par s'intéresser vraiment à cette jeune femme sans qualités particulières (il m'est impossible de vérifier, de savoir ce que je penserais maintenant du livre, car il a un jour inopinément pris l'eau et, s'il se trouve encore dans ma cave, il doit être tout gondolé).
Je n'ai jamais oublié ce bouquin : il me paraît extraordinaire qu'on puisse s'intéresser à une personne à tel point qu'on en arrive à observer ses faits et gestes les plus ordinaires et qu'on réussisse à en faire toute une histoire .
Parfois, quand je regarde R., je me dis que j'aimerais avoir le talent de ce philosophe écrivain, pour parvenir à transformer l'homme qui partage mon quotidien en héros d'un roman. Ce serait le roman d'un homme né à Berlin, qui raffole du chocolat noir mais picore ses légumes (particulièrement les épinards), qui se montre à la fois fasciné et préoccupé par tous les fascismes passés ou en potentielle montée, à qui il arrive souvent de pleurer au cinéma (alors, sa main se tend dans le noir pour quémander un mouchoir) et qui est porté à surprotéger ceux qu'il aime. Un homme bourré de qualités et pourvu de quelques défauts : entre autres, une déplorable tendance à quitter des pièces en oubliant des lumières allumées. Régulièrement, dans la rue, des gens s'arrêtent pour le saluer, lui demandent comment il va et il échange avec eux quelques propos souriants. Une fois qu'il les a quittés, il me confie : "J'ai mis un bon moment avant de trouver où j'avais bien pu le rencontrer..."
Faute d'avoir le talent d'Alain de Botton, je ne ferai jamais de R. le protagoniste d'un roman. Mais je lui attribue chaque jour un rôle somme toute important, que lui seul est en mesure de tenir aussi vaillamment : être mon compagnon de route et de vie depuis près de trente ans.

jeudi 12 décembre 2019

Vivre : libre d'être soi

Madonna del Parto (détail ange) / Piero della Francesca / Monterchi

Les compliments sont-ils pour soi ?
Les critiques sont-elles pour soi ?
Quels que soient les critiques et les compliments,
ressentir le droit d'être - simplement - soi.

mercredi 11 décembre 2019

Vivre : les défaillances de l'amitié


Étude pour Sif dans le "Banquet d'Aegir" / Constantin Hansen / Glyptothek / Copenhague

C'est en regardant son train quitter le quai que j'ai réalisé qu'on venait de se louper, malgré toutes les minutes, tous les moments que nous venions de passer ensemble. Nous avions parlé, beaucoup parlé, mais nous ne nous étions rien dit.
Je m'en suis voulue. Je m'en suis voulue de n'avoir pas été suffisamment présente. D'avoir pris pour de l'indifférence son regard distrait sur le lac majestueusement illuminé, pour de la négligence sa manière de ranger les douceurs que je lui avais apportées, pour  un manque d'enthousiasme ses commentaires plats concernant l'enfant annoncé pour février.
Peut-être que toute sa gestuelle, toutes ses précautions, toutes les phrases qu'elle parvenait difficilement à terminer exprimaient sa fatigue. Sans doute, se sentait-elle épuisée à l'idée de devoir rentrer, de devoir retourner discuter et se confronter encore et encore à cette situation pourrie qui ne cessait de la miner.
Elle avait tourné autour du pot. Elle avait parlé de son fils qui allait devenir père. Elle avait parlé de sa tante qui serait bientôt centenaire. Elle avait parlé des films qu'elle était allée voir. Mais elle n'avait rien dit de l'essentiel, de ce qui la tourmentait, ce qui la vissait au sol, l'empêchait de voler, l'empêchait de créer : elle n'avait pas parlé de cet homme avec lequel elle continuait de vivre, qu'elle semblait ne plus aimer et qui apparemment n'éprouvait plus d'amour pour elle depuis des années. Sur lui, aucun mot n'avait été prononé. Oui, elle avait tourné autour du pot et je l'avais laissée faire. 
En regardant le train s'éloigner, je me suis surprise faillible (pour tout dire : faible) en matière d'amitié. J'aurais voulu la rattraper et lui demander de me raconter. Non pas me raconter sa relation  à cet homme, que je n'ai jamais vraiment comprise, une relation complexe, lourde, emberlificotée, mais simplement lui demander et l'écouter répondre à ces questions : lui arrivait-il encore de peindre et de dessiner ? réalisait-elle encore ses grands collages pastels ? quelles étaient actuellement ses techniques préférées ? quelles étaient les couleurs qui la tentaient ? 
Oui, tandis que le soleil se couchait, dans la froidure du quai, j'ai réalisé que je l'avais laissée partir sans avoir su prononcer les questions qui comptaient.
 

mardi 10 décembre 2019

lundi 9 décembre 2019

Vivre : blues d'automne



Hermaphrodite endormi (détail) / galerie des Offices / Florence

ces jours inconsolables 
que seul un acte de créativité
- un mot, une solution, un trait -
est en mesure de consoler.

dimanche 8 décembre 2019

Vivre : des lumières dans le silence



Tous les matins
sur l'étendue immense
en planque, en permanence,
parfois tout en transparence,
ils assurent une présence
lumineuse, miraculeuse
les pêcheurs.

samedi 7 décembre 2019

Vivre : les auto-goals


Les héros grecs tirant au sort les captifs faits à Troie (détail) / Paulin Duqueylard / Musée Granet / Aix-en-Pce

Se victimiser : un des plus sûrs moyens de se saboter.

vendredi 6 décembre 2019

Vivre : moment carillonnant


Déploration sur le Christ mort (détail) / Bronzino / Mbaa / Besançon

La branche aux bambous agitée par le vent.
Son museau à l'écoute, mes yeux le suivant.
Tout deux suspendus, captivés par ce chant.