jeudi 20 février 2020

Lire : mettre ses pas dans le présent


Stanze cinesi / tapisserie (détail) / château de Govone / Piémont

"Vous les Occidentaux, m'a dit Daikô M., vous mettez toujours l'accent sur le but, la motivation. Quand vous tirez à l'arc, c'est pour atteindre la cible. Pour vous, les choses sont toujours ailleurs. Pour nous, elles sont uniquement ici. Toucher la cible n'est rien. Simple manifestation secondaire indiquant que vous avez atteint l'élévation d'esprit nécessaire. Aucune récompense ne viendra après. Tout a lieu maintenant."

 "Ichigo-ichie", dit-il citant une formule zen célèbre : "un moment, une rencontre" Chaque rencontre est unique, aucun instant écoulé ne se renouvellera jamais à l'identique.

"Demeurer véritablement dans le présent, ou du moins s'y efforcer, implique une qualité d'attention et de respect de l'autre sans équivalent. Car quand bien même je reprendrais demain le thé dans la même pièce, face à la même personne, lui comme moi aurions changé, le décor ne sera plus tout à fait semblable, ni la lumière, ni notre état d'esprit. Prendre pleinement conscience de cela, c'est se délivrer de cette hâte angoissée qui nous précipite sans cesse vers l'instant suivant, vers la pensée suivante, vers un futur par essence hypothétique..."

J'ai recommencé de lire "Un Automne à Kyoto". J'en avais grand besoin, surtout en fin de journée, quand, assise face à la forêt, je contemplais dans la lumière douce du soir les allées et venues des oiseaux, le passage du renard en lisière, renard qui semble boiter ces derniers jours (une voiture ? une vilaine branche ?). On pourrait croire que c'est une lecture tout à fait inappropriée (fine observatrice, l'auteure  y trace le parcours qui mène de l'été jusqu'au seuil de l'hiver, tandis que nous sommes en train de vivre ici un cheminement inverse, quittant les frimas pour rejoindre la période des douceurs). Mais, justement, il est toujours question de transitions, de passages d'un état à un autre. Ces derniers temps, il s'agit d'être pleinement présents à tout ce qui se passe (des changements de saison, plusieurs durant la journée, des envies de Sud, des besoins de chandails, en alternance, continuellement). 

Ce livre est devenu un indispensable rendez-vous. Après quelques pages, la respiration devient plus lente, le regard sur les arbres s'affûte, le cœur bat comme une aile apaisée, et surtout : l'aptitude à la joie éclot comme la primevère, là dans le pré.

Un Automne à Kyôto / Corinne Atlan / éd. Albin Michel / Paris / 2018 

6 commentaires:

  1. Lorsque le temps le permet, en fin de matinée, je prends le thé sur ma terrasse abritée des vents. Juste en limite de celle-ci il y a un forsythia. Chaque jour je l'observe. Ses branches dénudées et quelques centaines de petites pointes d'avenir qui chaque jour font leur chemin vers le printemps.
    Mon forsythia m'apprend la vertu de la patience qui espère. Son ascèse aussi, car la présence à cet immobilisme naturel est totalement nécessaire pour comprendre l'intensité de vie dissimulée.

    Je suis allé lire sur le net un extrait de « automne à Kyoto ». J'ai ainsi découvert que l'auteur était la traductrice de Haruki Murakacami, écrivain que j'apprécie énormément.

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    1. C.A. connaît très bien le Japon et sa culture. C'est une personne très cultivée,traductrice émérite, qui manie excellemment le français et saisit toutes les finesses du japonais. Elle éprouve une grande tendresse pour son pays d'adoption, tout en n'étant guère dupe de ses dysfonctionnements. Le livre est une balade érudite, mais jamais prétentieuse, dans une ville qui mérite d'être découverte avec un regard attentif qui sait prendre son temps.
      Ce que tu dis à propos de ton forsythia est de toute beauté... en parfait accord avec l'esprit du livre.

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    2. Figure-toi qu'en publiant ce commentaire je me suis dit que le paragraphe sur le forsythia, écrit spontanément, n'était pas si mal. J'avais décidé de le garder par-devers moi. Ta réponse m'incite à en faire un court billet sur mon blog ! Avec une petite photo de l'arbuste.
      J'en citerai l'origine bien entendu.

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    3. Juste avant de partir pour la journée : cher Alain, je t'en prie, aucun besoin d'en citer l'origine, car l'élégance de ton écriture t'appartient en intégralité. Toute la beauté de la pensée, de l'émotion et de l'expression te reviennent entièrement. Tes phrases ont fleuri ici, mais le terreau est tien!

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  2. Bonjour. J'ai passé deux jours à Kyoto il y a quelques années en route vers Naoshima. J'ai visité quelques temples, parmi les plus connus. Très touristiques. La ville mériterait une visite plus longue, j'aimerais y retourner. En emportant le livre que vous citez avec moi. Merci pour cette invitation à savoir vivre au présent. Meilleurs salutations. Gaspard

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    1. Je comprends votre désir de retourner à Kyoto. Le livre vous accompagnerait très bien, car il peut faire office de guide pour un touriste désireux de quitter les sentiers battus et en quête d'authenticité. Merci de votre passage.

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