lundi 31 août 2020

Vivre : élagages



Dans  les gestes, dans les mots
dans la suite des heures et des jours
bannir les excès, tendre vers l'épure

dimanche 30 août 2020

Vivre : miracles et déceptions

Psyché tourmentée / Artiste inconnu / Galerie des Offices / Florence


A force d'y avoir beaucoup pensé, à force d'avoir beaucoup craint et beaucoup espéré, à force de m'y être préparée, à force de ruminations et de planifications, à force d'attentes et de temporisations, j'ai fini par comprendre que les choses ne se passent jamais - admettons : quasiment jamais - comme on les avait imaginées.
 

samedi 29 août 2020

Vivre : jours de blancheur


 

On les attendait comme une menace, à force on n'y croyait plus, et les voici qui nous agressent, qui s'invitent comme des malotrus. Branle-bas le combat dans les armoires. Désarroi des déprimés. Retours intempestifs de promenade. Écoliers tout trempés. Les voici donc, ces jours qui nous disent : l'été est effacé. On a beau le savoir : l'automne, ses paysages enflammés, ses myriades d'émotions, ses étonnants frissons, on les espère, on y aspire. Mais les voici, les jours de transition, les jours de trahison, qu'il faut bien vivre, en regardant le ciel goutter, en écoutant les arbres soulagés.

vendredi 28 août 2020

Vivre / Lire : retrouvailles


Captured On Paper_Eye / Sonja Gangl / Albertina / Vienne

 Je l'ai retrouvée par hasard, avec plaisir, presque avec soulagement, comme on retrouve un être cher perdu de vue depuis trop longtemps. Je ne sais par quel instinct l'autre jour je suis retournée sur son site. Pour y découvrir qu'elle venait de reprendre son monologue, soudainement interrompu, aisément récupéré. Depuis quatre ans, je pensais régulièrement à elle, ses mots me manquaient. Pendant près d'une décennie, j'avais aimé nos rendez-vous quotidiens et, s'il m'arrivait de la trouver parfois snob, élitaire ou énigmatique, s'il m'arrivait parfois de me dire que jamais jamais je ne pourrais me lier d'amitié avec elle dans la "vraie" vie, j'adorais la lire, tenter de comprendre les méandres de ses écrits, me cultiver à son contact. Elle me permettait de voir le monde de manière plus large, m'ouvrait des portes, m'invitait à une culture qui n'était pas la mienne. 
(L'émotion, quand je songe aux dernières années, quand le travail devenu absurde m'enserrait comme un étau et que je trouvais dans ses billets quelque chose d'aérien et d'essentiel qui m'inspirait) 
(C'était - et je pense qu'elle l'est toujours - quelqu'un qui pouvait passer des heures attablée à une terrasse, à lire ou à croquer)
(C'était - et je ne vois pas pourquoi elle aurait changé - quelqu'un qui n'avait pas une once de sentimentalisme ou d'opportunisme)
Elle a donc repris le fil, pratiquement là où elle l'avait laissé... (elle reprend toujours, je crois qu'elle a absolument besoin de s'exprimer à travers ce journal virtuel et que cette manière de partager à grande distance lui convient à merveille). Elle montre à présent les choses sous un autre angle, elle utilise de nouveaux médiums. Cependant elle est toujours la même : originale, créative, ludique, imprévisible (jusqu'à frôler l'insupportable). N'attendant rien, donnant ce qu'elle veut bien donner. 
Elle ne me connait pas (à peine avons-nous échangé quelques mots il y a fort longtemps) et je ne la rencontrerai jamais. S'il nous arrivait de nous croiser dans la rue, nous le ferions probablement l'une et l'autre dans la plus totale indifférence. Mais... quel bonheur de découvrir à nouveau des réalités à travers son regard décalé, quel bonheur de la rejoindre dans son monde si particulier, elle : ma blogueuse préférée. 

jeudi 27 août 2020

Vivre : des journées comme ça





Ces journées bleues, presque grises, nébuleuses, pas forcément atroces ni insignifiantes, 
qu'un souffle puissant suffirait à dégager, qu'un seul vent, un brutal Joran, pourrait gâcher.

mercredi 26 août 2020

Lire : deux voies



Tête de Diego /L'homme qui chavire / Portrait d'Annette / Alberto Giacometti / Musée Granet / Aix-en-Pce

Il s'était dit pour la centième fois depuis le départ d'Hélène que lui aussi aurait pu partir. Mais Sébastien pouvait toujours décider de prendre le large, il serait inévitablement rattrapé par une voix, celle des infos, celle de la fureur du monde, celle qui lui soufflait tout ce qu'on devait écrire ou dire mais jamais la réalité de ce qui arrivait vraiment. L'information quotidienne, c'était le grand voile noir posé sur ce qu'on ne doit pas savoir. Il l'avait intégré petit à petit. L'information ne racontait rien de profond, seulement les choses qui étaient arrivées mais presque jamais pourquoi, comment et par qui elles arrivaient réellement. L'information ne servait qu'à déclencher des réactions en chaîne et en masse, la peur, l'indignation, le détournement d'autres intérêts, l'enthousiasme démesuré... Rien n'était neutre.

La rage de devenir quelqu'un a obscurci mes aspirations à être. J'ai quitté l'imaginaire pour me conformer au prévisible. Car vivre dans la pensée commune, l'ambition sociale, ce n'est plus inventer. C'est inverser les codes magnifiques et lumineux pour verrouiller ce coffre dont on a refermé les portes de l'intérieur. La porte a claqué. Sommes-nous nombreux là-dedans ? J'étouffe mais "ils" ont déclaré qu'être semblable aux autres sauve. J'y crois ferme et ça n'a pas l'air si terrible. On ne voit pas ce que ça donne de l'extérieur. Seuls les êtres libres voient les autres, enfermés. Les êtres empêchés ne voient pas les êtres libres tant ils se croient libérés. Ils entendent seulement leur différence, ils les détestent d'emblée et cette haine viscérale les soulage un peu, mais ils ne savent pas pourquoi. L'obligation sociale de l'ascenseur, de l'évaluation, entamée dès la maternelle a bâillonné les mots qui jaillissaient pour tracer leur chemin de lumière. J'ai brisé dans une sorte de cave personnelle la clarté intense qui m'enivrait. J'ai écrit dans l'ombre, j'ai passé les mots sous silence et j'ai disparu à l'intérieur du désarroi de ce qui naissait avec tant de désinvolture
.
 
C'est un journal à deux voix. Il y a lui et il y a elle. C'est un couple séparé. Pas au sens juridique du terme. Au sens réel. Elle part pour dix jours sans dire où, avec qui ni pourquoi. Il reste avec leurs deux enfants. Elle exprime ses raisons. Il parle des siennes. Ils semblent parcourir chacun un chemin totalement opposé, celui de la femme voué à comprendre sa réalité intérieure, ses aspirations, sa créativité brimée, celui de l'homme orienté à investiguer le réel pour trouver du sens à son histoire et à celle de la société où il évolue. Elle entreprend une retraite méditative qui la contraint au silence, à l'introspection et ... à des douleurs dorsales. Il s'attache à faire au mieux son travail de journaliste et rendre compte de ce qui est en train de se passer dans le monde (le récit commence le 6 septembre 2001 et prend fin quelques jours après les attentats).

Ce premier livre emprunté après le déconfinement, je me suis hâtée de me le procurer en librairie afin de pouvoir le relire à mon rythme. Frédérique Deghelt, dont je n'avais pas particulièrement apprécié quelques précédents livres, les trouvant convenus et trop lisses, a écrit celui-ci de manière tout à la fois limpide et ciselée. Elle excelle dans le rendu des mouvements intérieurs, de l'homme, de la femme, entrelacs d'expériences et de sentiments décrits sans (trop) prendre parti. On se reconnaît en elle. On se retrouve souvent en lui. On y trouve certes quelques lieux communs, quelques facilités, mais dans l'ensemble, c'est un roman qui nous interroge incessamment, nous qui sommes à la fois des êtres adaptés, intégrés à la société (ayant dû faire bon nombre de concessions pour y trouver notre place) et des êtres d'aspiration, voués à créer, à conquérir, à étendre le champ de nos possibles.

Ces deux-là vont-ils se retrouver ? Ce n'est pas à l'écrivaine de nous le dire. Il ne s'agit pas d'un livre doté d'un happy end, mais il est porteur d'invitations à nous  interroger. En particulier sur les compromis nécessaires et ceux que l'épreuve du temps finit par rendre superflus. Il sollicite notre attention sur la place que nous accordons à notre vie sociale et sur celle que nous entendons préserver à notre individualité. Dans le fond, le plus important n'est pas qu'à la fin on sache notre héros et notre héroïne réconciliés. Le plus important est de comprendre si nous, lecteurs, qui avons fait avec eux le voyage, qui avons accepté d'être interpelés, pouvons nous sentir réconciliés avec nous-mêmes. Un roman d'été qui offre une palette de remises en question, auxquelles on réfléchira encore longtemps après la fin de la saison.


 

mardi 25 août 2020

Vivre : d'une pierre blanche

Saint franciscain / Bartolomeo Bellano / Exposition "A nostra Immagine 2020 / Vicence

Il y a des journées qui n'ont rien de remarquable. Pas de grain de sable dans les rouages, pas d'anicroche d'aucune sorte. Rien de bien folichon, ni de marquant.
Si ce n'est... si ce n'est qu'aujourd'hui, après quoi ? trois ou quatre ans peut-être, l'homme, le père, le monsieur d'un certain âge, sec comme une branche du Sud, rigide comme un i, l'homme qui ne répond jamais, qui répond à peine, qui passe tout droit, qui promène tous les jours et toujours seul son fils dans son fauteuil, son fils adulte aussi rond qu'il est lui-même maigre, son fils rougeaud, courtaud, privé de jambes et de paroles, son fils qui crie parfois tandis qu'il traverse le village, aujourd'hui, alors que je l'ai croisé, l'homme a esquissé un sourire et m'a saluée en retour. 

lundi 24 août 2020

Vivre : l'art de la joie


La fille de Jephté  / Joseph-Hugues Fabisch / Musée Granet / Aix-en-Pce

La fille, pas particulièrement belle, ni particulièrement laide, banale (très) mais sûre de son bon droit,  seule derrière son guichet, paraissait jouir de son pouvoir : celui de dire non. Non, elle ne pouvait pas (tout en exigeant d'emblée ma carte et une pièce d'identité). Elle n'avait qu'une manipulation à faire pour me renseigner (sa souriante collègue le faisait spontanément). Personne devant moi, personne derrière. Mais juste ce besoin obstiné de refuser, en proie sans doute en ce lundi matin à on ne sait quelle frustration ou contrariété. 
Le problème, ce n'était pas la fille. Des personnes comme ça et des interactions comme ça, il y en a des tas. Le problème, c'est qu'il m'a fallu quelques minutes pour réaliser qu'il n'y avait pas de problème. Qu'il faisait beau, que mon chien m'attendait dehors, et que la vie était toute prête à me dire oui, à m'accorder du soleil et de la joie. Tout plein de choses que la fille derrière son ordinateur, manifestement, ne percevait pas.

samedi 22 août 2020

Vivre : la chanteuse

La joueuse de Luth / Hendrick Terbrugghen / KHM / Vienne

Quelque chose dans sa voix, grave, presque rauque, m'a fait frissonner. Je pouvais sentir sur ma peau les souvenirs qu'elle faisait vibrer.
Quand la chanteuse a entamé sa deuxième chanson, j'en ai été estomaquée. Elle avait trouvé les mots : les chemins d'émotions que je m'étais longtemps crue seule à éprouver. Du coup, je me suis sentie reliée. Un mur s'est écroulé. Du coup, je me suis mise à pleurer.

vendredi 21 août 2020

Vivre : en partance






L'été a des langueurs d'accouchée et des grâces d'amoureuse sur le point de quitter. La traîtresse s'en va en catimini, au petit matin, sans rien vouloir révéler. Dans quelques heures, le soleil sera furieux, insolent, insistant, mais... les feuilles rouges à terre, les champs pillés, quelque chose dans la lumière l'ont balancée : l'heure du grand départ a sonné. 

jeudi 20 août 2020

Lire / Regarder : la fille, l'absence


Visiter un pays du Sud en plein été relève de la témérité (voire de la plus pure inconscience). A l'heure où toute personne normalement constituée se replie chez elle, à portée de douche ou de climatiseur, on se retrouve à traverser des rues désertes, à heurter contre des portes inexplicablement closes, avec un masque faisant office de rideau de douche, accompagnée d'un chien exténué à deux doigts de vous lâcher (malgré sa vocation à la loyauté) et sentant peu à peu en soi le désir de découvertes se liquéfier.
En ces moments-là, les librairies, les rares librairies ouvertes, offrent aux touristes insensés le seul salut possible : un peu de culture et de fraîcheur.

PENSE de manière erronée SI TU LE VEUX, mais dans tous les cas, PENSE avec ta tête. Doris Lessing

Malgré la buée sur mes lunettes et une respiration quelque peu saccadée, j'ai fait quelques intéressantes trouvailles chez Feltrinelli, parmi lesquelles le roman fleuve d'un jeune auteur qu'on commence à traduire en français. Giorgio Fontana, lauréat du prix Campiello 2014 (équivalent italien du Goncourt, ayant la particularité d'être décerné par un jury populaire de 300 personnes) vient de sortir une vaste épopée courant sur tout le XXe siècle. Suivant le parcours d'une famille d'origine paysanne, il retrace des trajectoires individuelles sur quatre générations. On y passe du travail des champs aux transactions au sein d'une multinationale. Des grandes espérances aux désillusions progressives. De l'humiliation stimulant le courage à divers désenchantements. Du lourd, du solide.
Avant d'entamer ma lecture, mon attention a longuement été happée par la couverture du livre. Elle contient la reproduction d'une toile réalisée par une peintre canadienne qui m'était inconnue : Christine Cousineau.


J'avoue n'être guère attirée par la peinture figurative contemporaine. Elle me semble flirter trop souvent avec le kitsch et l'inanité. Mais celle-ci m'a fascinée.

Reproduction trouvée sur le site de l'artiste / voir plus bas.

Dans cette toile appartenant à une série dédiée au thème de l'absence, l'artiste dépeint son sujet de manière à la fois juste et paradoxale : l'absence y est parfaitement illustrée par la présence intense du seul personnage. Une femme lovée au fond d'un fauteuil, les genoux repliés, est plongée dans la lecture d'une lettre. Elle n'a guère pris le temps de soigner sa mise, ses cheveux sont vaguement rassemblés en un chignon déstructuré. Le réalisme de la représentation surprend : on a quasiment l'impression de voir les paupières bouger, de gauche à droite, suivant le fil du message parcouru. Et la main droite, tenant le papier, montre des tendons, des phalanges, des jointures, qu'on devinerait presque affectées par un tremblement. La femme paraît mince jusqu'à la maigreur, on l'imagine sensible et tourmentée.

Il n'y a rien de trop dans ce tableau. La scène a lieu dans le coin d'une pièce claire et épurée. Le sentiment du manque imprègne l'atmosphère. Le mystère entourant le contenu de la lettre demeure intact (ce n'est certes pas un décompte bancaire ou un rappel administratif que la femme est en train de découvrir avec une belle gravité). On saisit l'intensité des émotions éprouvées. On se dit qu'on pourrait passer bien du temps à présumer les raisons de ces émois. On y trouverait sans doute matière à écrire un roman. Mais ce n'est pas le plus important : l'essence du tableau tient à la description de l'instant, vécu avec densité, et rendu avec une grâce rare.

Après un long, un très long moment, j'ai abandonné un peu à regret la jeune femme à sa lecture pour me lancer dans celle de mon pavé. Autour de moi chantaient les criquets et, à perte de vue, on ne voyait que des champs de maïs. Ils m'invitaient à entrer dans une histoire commençant au Frioul, terre de pauvreté destinant au déracinement. Une histoire qui me parlait, elle aussi, profondément. Mais ça, ça, c'est une autre histoire...


Que justice soit rendue, Giorgio Fontana, édition du Seuil, 2013
Mort d'un homme heureux, Giorgio Fontana, édition du Seuil, 2016 (Prix Campiello 2014)
Prima di noi, Giorgio Fontana, edizioni Sellerio, 2020


https://www.christinecousineau.com/


mercredi 19 août 2020

Vivre : jour de fête


Portrait / Peintre non identifié / Musei civici / Padova

Il est né le jour de l'Assomption. Cela lui vaut d'entendre à chacun de ses anniversaires les cloches sonner à toute volée et de voir (en pays catholique) les magasins fermés pour cause de jour férié. Afin de ramener les choses à leurs justes proportions, nous lui avons rapporté de notre première balade un petit bouquet de fleurs des champs délicatement rassemblées.

mardi 18 août 2020

Regarder : des murailles et du silence

Vue de Montagnana (?) avec berger / Giorgione / musée Boijmans Van Beuningen / Rotterdam (photo Wikipedia)

Est-ce bien Montagnana, que Giorgione a représentée dans un dessin à la sanguine à la toute fin du XVe siècle ? C'est en tous cas ce qu'affirment les habitants de la ville, fiers de voir leurs murailles immortalisées. Ce n'est nullement l'avis des habitants de Castelfranco, où le peintre est né, ou de ceux de Citadella, distante d'à peine quelques kilomètres. Cela étant précisé, on trouve encore dans le Veneto quelques beau exemples de villes fortifiées, érigées par les Scaligeri, seigneurs de Vérone, et le dessin de Giorgione, précieux et délicat, a le mérite de montrer combien elles sont encore merveilleusement conservées.

A l'intérieur de la petite ville assommée de chaleur, se déploie un ordonnancement rigoureux de rues, scandées des rideaux de fer baissés : pas un chat pour les animer. Les habitants l'ont désertée. Ils sont partis vers les plages et toutes sortes de distractions, oubliant leurs vieux dont on perçoit quelques hésitantes silhouettes sur les places ou les rares terrasses ouvertes. Une femme ridée sort mortifiée de la cathédrale dont elle s'est fait chasser par un prêtre qui ne plaisante pas avec les consignes: pas de mascherina, pas d'entrée. Pourtant, personne, à part elle, pour éprouver l'aspiration à prier.

Il n'est pas dix heures et Montagnana transpire déjà. Ses pavés semblent s'évaporer. Ici, rien ne semble jamais devoir changer. Il y a des villes comme ça où le temps semble s'être arrêté.  Si Giorgione était présent, aujourd'hui, à peine devrait-il rajouter un masque à son personnage, petit berger privé de troupeau, couché pour l'éternité.



Murailles de la ville // Judith, attribuée à Giorgione (avec dessin de la ville en arrière-fond)  dans le duomo de Santa Maria Assunta

lundi 17 août 2020

Vivre : leçon d'humilité


Dans une rue de Padoue
 
Devant l'entrée du théâtre olympique à Vicence, un jeune homme souriant plante les freins, pose le pied à terre, s'adresse à moi avec une émouvante requête.
Entrant dans un restaurant, un homme d'une stupéfiante beauté, la quarantaine, élégamment habillé, se tourne dans ma direction et s'exclame : Oh! Amore!
Sur un trottoir, un retraité bien mis, très digne,se penche, implore humblement le droit à une caresse (il sera snobbé).
Il en va de même pour des femmes, de tous âges et de tous milieux.
Tout ce petit monde succomberait-il à mon charme ? Aurais-je lieu de booster ma vanité ? Eh non,  hélas, non ...
C'est mon chien, P., étonnant et sublime croisé, avec des yeux et une silhouette à craquer, qui attire toutes ces attentions (et des faveurs par milliers).

dimanche 16 août 2020

Voyager : eau, ciel et terre



Le soir, quand le dernier des rares baigneurs la quittait, 
la piscine, loin de se sentir abandonnée, 
entamait un dialogue avec les arbres et la lavande
dont les brins délicats la parfumaient.




 Le ciel venait mettre son grain de sel.
Les branchages, curieux, renchérissaient.


Quels propos ce petit monde tenait-il ? qui le sait ?
Toujours est-il que le nuage, en s'éloignant, rosissait...





samedi 15 août 2020

Regarder : des lumières quelque part






Je sais : c'est lassant. Mais, les orages, un peu comme Rothko ou Monet, je ne m'en lasserais jamais.

vendredi 14 août 2020

Vivre : oser, risquer

Sculpture (titre inconnu) / Carole Feuerman / Biennale Venise 2017

J'ai regardé la femme s'éloigner en pensant à ces enfants qui s'appliquent à faire tout juste, à ne pas déborder en coloriant leur album. Plaire à tous, c'est-à-dire à aucun, mais surtout que personne ne puisse jamais prendre ombrage de quoi que ce soit. Rester dans les tracés, toujours appliquée, toujours adaptée. Surtout, ne jamais rien risquer (ne jamais s'aventurer à envisager la possibilité d'oser).

jeudi 13 août 2020

Vivre : les intersections


Incontro alla porta aurea / Domenico Beccafiumi / Cappella del Manto / Sta Maria della Scala / Siena

Ainsi donc, il s'agirait de vivre, intensément conscient de sa propre histoire, toujours éveillé à ses besoins, suffisamment perspicace, de telle sorte que, se retournant sur son passé, à quelque moment que ce soit, nulle autoflagellation, nul regret, nul reproche, ne puissent être légitimés à émerger. 
 

mercredi 12 août 2020

Vivre : se faire des montagnes



Méditation en cobalt / Fabienne Verdier / Musée Cernuschi / Paris

Si facile parfois de se mettre à fabriquer.
Créer des problèmes, entrevoir des complications
(une suite de possibles impossibilités)
Si facile... si facile... alors qu'il suffit d'attendre 
et de laisser les choses - simplement - arriver. 

mardi 11 août 2020

Vivre : les indispensables


Buste de Melchior Wyrch à l'antique / Luc Breton / MBAA / Besançon

Il y a des gens, on les rencontre, on les écoute, et on se sent plus grand, plus intelligent. On se découvre des envies d'écrire, on se rue sur un cahier, on cherche de quoi griffonner. Il y a des gens, de vrais appels à la vie, ils réveillent notre créativité, qu'on avait, comme une belle endormie dans un conte de fée, oubliée couchée, sans raison, par une effroyable et impardonnable négligence. Il y a des gens électrisants, des prises de courant. Ils vous rappellent qu'il n'y a pas une minute à perdre, que la vie, c'est là, maintenant

lundi 10 août 2020

Lire : délicatesses


On prétend qu'offrir un parfum est chose terriblement risquée, une senteur portée relevant d'un choix très personnel. Que je connaisse bien le destinataire du présent ou pas, j'ai quasiment la même appréhension en offrant un livre. Va-t-il plaire ? Saura-t-il surprendre, captiver ? Trouver le chemin du cœur et de l'émotion ?
En remettant Hôzuki (Physalis) à mon amie A. je me demandais si elle n'allait pas le trouver trop léger. N'allait-elle pas l'estimer inconsistant ? Mais elle m'a adressé un message dans les deux jours, se disant emballée : "un livre émouvant, à différents niveaux……tu ne m’avais pas dit qu’il fallait avoir une qualité de mouchoirs à côté de soi, ni que ce récit se laissait lire d'une traite..."
Aki Shimazaki est née au Japon et a émigré toute jeune au Canada où elle a appris le français. C'est dans sa langue d'adoption qu'elle écrit à présent, mais elle garde toujours une relation étroite avec son pays et sa culture d'origine. Ses œuvres se présentent par corpus de cinq livres, pouvant être lus de manière indépendante et sans ordre chronologique, mais constituant une unité, par leur thématique et par leurs personnages qui tour à tour deviennent protagonistes ou revêtent seulement des rôles secondaires.
"Hôzuki" est le deuxième titre de la pentalogie intitulée "L'ombre du chardon", qui s'est achevée en 2018. Auparavant, l'auteure avait publié "Le poids des Secrets" et " Au cœur du Yamoto". L'œuvre de Shimazaki a un petit côté Légo, un je-ne-sais-quoi de ludique. Le lecteur y entre en toute liberté et se construit un ensemble original, selon ses cheminements et ses interprétations.
Dans ce roman, Mitsuko, l'héroïne, est une jeune femme indépendante, qui tient une librairie d'occasion, spécialisée en philosophie. Elle complète ses revenus en travaillant comme entraîneuse une nuit par semaine. Elle a un fils sourd-muet, intelligent et subtil, dont on apprend rapidement qu'il a été adopté. Mitsuko est soutenue par sa mère, qui vit avec elle et l'aide à assumer ses différentes charges.
L'histoire commence quand une jeune femme bien élevée et émotive franchit le pas de la boutique avec sa petite fille pour commander un certain nombre d'ouvrages philosophiques destinés à son mari. La femme s'apprête à quitter le Japon pour le rejoindre en Allemagne. Elle n'est censée faire qu'un passage éclair dans la vie de Mitsuko, acheter quelques étuis, quelques signets pour les offrir à ses futures connaissances européennes. Mais... la vie est pleine de mystères et le premier tient à l'attraction inexplicable qui lie les deux enfants dès qu'ils se rencontrent...
Par touches successives, la narration prend place, entremêlant légèreté et profondeur, emportant le lecteur dans un voyage qui a tout le charme des meilleurs mangas.
L'écriture est simple, pudique, épurée. Elle ne comporte aucun aspect psychologique. C'est au lecteur de colorier d'émotions l'aventure dans laquelle il est entraîné.
Hôzuki parle de filiation, de famille, de liens du cœur et du sang, de hasards qui n'existent pas. C'est un petit bouquin délicat d'à peine 130 pages qui se révèle finalement moins léger qu'il n'y paraît.

dimanche 9 août 2020

Vivre : chez soi


Îles singulières / J.M. Othonière / Château La Coste / Le Puy-Sainte-Réparade

Parfois, heurtés un peu, beaucoup, profondément, il arrive que nous atteignions nos limites. Alors, sans tenter d'être gentil à tout prix, sans chantage ni manipulation, indiquer fermement à l'Autre l'option à sa disposition : si nos limites sont à nouveau malmenées, plus de laisser-passer. Soit il comprend, soit il tourne les talons. 

Ayant éprouvé nos limites et les ayant exprimées, il arrive de voir l'Autre s'éloigner (vexé, courroucé...). Mais, parfois, ayant éprouvé
nos limites et les ayant exprimées, nous constatons avec soulagement que l'Autre a compris et saisi le net avantage d'une saine réciprocité.

Nos limites signalent nos faiblesses, mais elles sont aussi des richesses qui nous définissent. Avec elles, on respire, on expire, on redécouvre son chez-soi (cet espace estimable qu'on voudrait voir estimé). Et si importuns il y a (quels qu'ils soient) qu'ils veuillent bien rester sur leur quant-à-soi (s'occuper de leurs propres besoins, pourquoi pas ?) 

samedi 8 août 2020

Vivre : la leçon du mûrier


Héroïne / Castello della Manta / Saluzzo

Rien ne sert d'insister.
Attendre que le fruit effleuré
vienne de lui-même en invité.

vendredi 7 août 2020

Vivre : méli-mélo



Les grands ciels tout bleus sont des versions minimales et le ciel d'ici le sait bien, qui n'aime guère paresser et s'en voudrait d'ennuyer. Alors, on se retrouve toujours à chercher, avec un brin d'émotion et de perplexité. On cherche, on trie, on assemble des pièces, on emboîte des bouts de nuages, de ciel et de Jura, on reconstitue patiemment le puzzle à chaque fois.

jeudi 6 août 2020

Vivre : la plage


C'est une plage, il faut y arriver avant que le majestueux Général Guisan ne soit passé et il faut s'être jeté à l'eau quand le légendaire Vevey, avec sa belle roue à aube, lance son avertissement tonitruant en abordant le quai. On se laisse alors bercer dans les vagues comme un bébé. Un, puis deux paddles passent et, selon l'expérience du rameur, il revêt l'élégance d'un gondolier ou l'allure saccadée d'un patineur en réelle difficulté. Les pêcheurs alternent leurs expéditions. A chaque fois que le propriétaire du Cambronne rejoint sa place d'amarrage il fait un signe de la main, histoire de vous signifier que vous ne risquez rien, même si vous êtes largement au-delà des bouées. Il est suivi par une flopée de goélands gourmands et attendu sur le toit de sa maison par des hérons très très stoïques et persévérants.
C'est une plage, on se dit bonjour et on se demande elle est bonne? Ceux qui sortent de l'eau répondent toujours oui d'un air triomphant. Ceux qui se dorent au soleil assument un air sceptique, voire dégouté. Des grands-mères donnent ici rendez-vous pour le petit-déjeuner et accueillent leurs invitées avec thermos et porcelaines vert empire (des tasses de bistrot qui font rêver, des confitures qui font baver). Des enfants dociles se laissent enmanchonner. Des ados boutonneux s'adonnent à d'interminables compétitions de ping-pong et de plongeons. La dame qui possède un terrain ensauvagé juste à côté vient puiser dans le lac pour arroser (elle refuse obstinément d'être aidée). Vu le prix des constructions qui s'érigent comme des forteresses dans les environs, si elle est réellement la propriétaire du lieu, elle pourrait être une potentielle millionnaire, mais elle tient mordicus à arroser seule. On la laisse faire.
C'est une plage, on la quitte toujours à regret. On sait qu'on a suffisamment nagé, qu'on a des trucs à faire, que trop de gens sont en train d'arriver. On dit au revoir à la ronde, on secoue ses souliers, on rappelle le chien en train de batifoler. On se retourne, pour voir si on n'a rien oublié. On ne peut pas s'empêcher d'envier ceux qui sont encore en train de crawler.

mercredi 5 août 2020

Vivre : décrochages


Détail fresques / Salle baronniale / Château de la Manta

Où que l'on aille, partout, on se retrouve face à la beauté des gens. Des gens qui bossent dur, qui mettent toute leur compétence pour faire beau, pour faire bien. Pour donner au monde le meilleur, tendre vers la lumière (on ne dira jamais assez la lumière des gens).
Curieux contraste, pourtant, entre les apports des uns et des autres, ces courants vers une vie fertile, cohérente et l'état du monde, ses défaites alarmantes, son chaos incessant. A se demander d'où vient la fêlure.
Tout bien considéré, elle est encore plus belle, dans sa fragilité, la beauté des gens, une bulle, un cristal, un faon, qu'un rien peut briser, qu'un rien suffit à apeurer.

mardi 4 août 2020

Voyager : des oliviers et des hommes


Dans cette terre bénie des dieux, où tout paraissait naître pour combler les humains, nous avons découvert un cochon heureux - véritablement heureux - de vivre sa vie de cochon, et qui tournoyait dans son jardin, nous avons goûté à des plats généreux au fond de trattorie où s'activaient des équipes jeunes et motivées, nous avons rencontré trois héros pas vraiment ordinaires, entraînés aux avalanches et aux tremblements de terre, qui avaient déjà plusieurs sauvetages à leur actif, trois malinois belges de toute beauté.
C'était un coin où les gens s'activent sans se la péter, se donnent sans la ramener. Il faisait bon y fréquenter toutes sortes de marchés (et on ne s'en est pas privés).
Le deuxième jour, l'homme a simplement dit : Il y a des années comme ça. Parmi tous les produits qu'il proposait, nous étions particulièrement intéressés par son huile, splendide. Tandis qu'il nous présentait son précieux or vert, une merveille de douceur, il nous a raconté que l'année précédente un gel printanier avait détruit toute la floraison de ses oliviers. Une mesure pour rien, une année qui n'avait rien donné. 
Les leçons de vie se transmettent au travers de phrases toutes simples. Dans l'attitude de l'homme face à l'adversité, il n'y avait aucune résignation, aucune passivité. Il y avait seulement la conscience de devoir prendre ce qui vient et de continuer. Sans se lamenter, sans revendiquer. Juste : assumer, avancer et, naturellement, travailler. Nous lui avons acheté quelques merveilles : du miel couleur blé mûr, de larges biscuits de maïs, des galettes de riz avec au centre un joli sceau estampillé, plus une bière dantesque. Nous étions trop heureux de le soutenir en nous faisant plaisir et en nous réjouissant de réjouir ceux à qui ces victuailles étaient destinées.
Oui : Il y a des années comme ça. Des années où tout se ralentit, tout se ferme, tout se suspend. Des années où l'arc monumental d'une ville idéale s'illumine chaque soir à nuit tombée. L'arc, érigé en 1647 pour marquer la fin d'une terrible peste, affiche aujourd'hui en couleurs la conviction que tutto andrà bene. Tout ira bien. Il y a des années comme ça. Tout finira par s'arranger. Alors que tant de voyants clignotent en rouge, il s'agit d'y croire, en vert et contre tout.



lundi 3 août 2020

Vivre : midi tapant





Église de San Giovanni / Saluzzo

délaisser la rumeur oublier la touffeur
traverser l'ombre démasquer la lumière