samedi 31 octobre 2020

vendredi 30 octobre 2020

Regarder : trier les photographies

 

Ce matin-là, nous avions décidé de faire un crochet jusqu'à Monforte où se tenait une exposition d'art contemporain. Le village avait un charme certain, le soleil avait refait son apparition après deux jours de pluie battante, nous étions donc bien disposés. Pourtant je n'ai ramené aucune image des œuvres prometteuses que le dépliant nous avait vantées.




jeudi 29 octobre 2020

Vivre : emmener vers demain

 
Comédien et enfant / Pablo Picasso /The National Museum of Art / Osaka
 
Ai tendu l'oreille l'autre jour à l'émission "Les pieds sur terre" intitulée "Un prof pour la vie". Des gens y parlaient des enseignants qui avaient eu une influence décisive sur leur existence, qui non seulement avaient su les aider, mais les avaient véritablement sauvés en leur permettant de prendre confiance en leur pas.
Tandis que j'écoutais, deux ou trois personnalités lumineuses se sont imposées à ma mémoire, dont la plus marquante était Mme G. Mme G. avec sa mise en pli et son visage ridé. Mme G. proche de la retraite. Mme G. terriblement sévère. Mme G. qui n'hésitait pas à me sanctionner quand mon comportement laissait à désirer (je devais être je crois un peu rebelle parce que, durant les deux années où elle a été ma maîtresse, Mme G. n'a jamais eu l'occasion de me mettre une bonne note en conduite, avec une petite étoile collée juste à côté. Je suis allée relire les livrets : "babil" "ne doit pas dire" ou "doit apprendre à respecter"). Mme G. ne plaisantait pas avec la discipline (et probablement qu'avec moi, elle a eu un peu de fil à retordre). Mais il faut mettre au crédit de Mme G. qu'elle n'avait aucun chouchou. Ce n'était pas une maîtresse à bouquets de fleurs, à risettes ou à révérences.
Mme G. m'a appris à être intransigeante avec moi-même, à respecter les règles (du moins celles qui concernaient la grammaire et l'orthographe), à penser droit, à aimer lire tous les livres qu'elle disposait au fond de la classe pour que nous puissions les emprunter. Elle ne voulait pas savoir si je faisais partie des enfants de migrants, si ma maison était isolée loin, très loin du quartier, si mes parents étaient quasi analphabètes ou si je n'avais pas d'appui pour mes devoirs. Elle voulait seulement que je ne fasse pas de fautes. Elle exigeait de moi ce qu'elle exigeait de tous les enfants, sans faire de différences, et ça m'a sauvé la mise.
Un jour, ma mère est allée la voir. Elle était inquiète car deux mamans du quartier l'avaient apostrophée : "Votre fille, c'est pas normal. Elle est trop intelligente. Vous devriez l'emmener voir un psychologue." Mme G. a réglé la question d'un mot. Elle a prononcé "Sottises!" d'un ton sec. "Votre fille travaille bien et il faut qu'elle continue de travailler." Point.
Ma pauvre mère était très jeune. Et très démunie. Elle ne trouvait pas ses mots en français. Elle craignait toujours de se tromper, de faire des faux pas dans ce pays d'accueil pas vraiment accueillant.  Elle ne pouvait pas s'imaginer (même si elle en faisait tous les jours l'amère expérience) l'étendue de la xénophobie dans ce quartier populaire en marge duquel nous vivions. Un quartier où l'on votait massivement en faveur de partis prônant "la régulation de la main-d’œuvre étrangère" et pour lesquels un bon étranger laisse au pays femme et enfants. Qu'une fille d'immigrés, censés faire le ménage ou travailler sur des chantiers, obtienne des "zéro faute" en dictée ou reçoive la meilleure note en composition, ça devait probablement les faire rager, les dames en question. Ça n'était pas normal, ça sortait de leur cadre. Du coup, effectivement, l'enfant concerné devait aller consulter. Heureusement, le cadre de Mme G. prévoyait bien des punitions et des remontrances, mais certainement pas l'exclusion des capacités et des compétences. 
Mme G. doit avoir quitté ce monde depuis fort longtemps. En regardant le ciel (très souvent dégagé ici) il me semble certaines nuits percevoir une étoile, émettant une lumière constante et ciblée, et qui luit de manière désapprobatrice, naturellement, quand elle me voit traiter avec désinvolture les accords de mes participes passés.

 

 

mercredi 28 octobre 2020

Vivre : tableaux d'une exposition

 

Tous les matins le ciel nous accueille et c'est peu dire qu'il se montre versatile, fantasque, indécis,
imprévisible, timoré, excentrique, romantique, déconcertant, bref, souvent il varie, bien fol est qui s'y fie.
Certains jours nous croyons nous fondre dans le sublime : un tableau de Friedrich ou une toile de Turner,
nous nous imaginons suspendus, dûment étiquetés, face au va-et-vient des curieux et des visiteurs.

 


mardi 27 octobre 2020

Vivre : Still life / 93

 

Peu portée sur ces objets qu'on appelle "souvenirs", magnets et autres gadgets, qui se vendent un peu partout et sont censés vous rappeler des lieux où vous êtes allé (ou censés rappeler à d'autres que vous avez pensé à eux pendant votre absence). Tous ces attrape-poussière me semblent ne faire qu'encombrer (de plus, la plupart du temps, je les trouve laids à pleurer). Mal désignés, impropres à convoquer l'émotion, j'aime mieux m'en passer.
Mes souvenirs, c'est dans ma mémoire qu'ils prennent place, et, comme ma mémoire peut faillir, ils se réfugient souvent dans mes photographies. Ou bien encore dans des objets quotidiens qui se sont trouvés sur mon chemin : un sachet de sucre me rappelant un moment passé en terrasse, un billet d'entrée dans un minuscule musée, un joli cabas en papier, ou encore un chemisier pied-de-poule bleu et noir (dont j'apprécie ces jours-ci la chaleur, mais dont l'achat à Sienne par 33° m'a paru sur le coup relever d'une phénoménale erreur). Bref, mes souvenirs ne sont jamais des objets qui se nomment tels.
Quant à ceux que je ramène pour les êtres qui me sont chers, j'aime les savoir utiles ou goûteux. Ce dimanche matin-là, nous avions pris notre petit-déjeuner à l'Officina del Gusto : café, orange pressée et brioches (ces croissants sucrés que les Italiens aiment fourrer de crème pâtissière ou de confiture). La route allait être longue et, n'ayant pas l'intention de faire la moindre halte, nous avions demandé à la jeune serveuse de nous préparer des sandwiches avec du jambon cru, de la mozzarella, des artichauts et des tomates séchées. Les panini réalisés par la demoiselle, dodus comme des ballons, nous ont calés jusqu'à la frontière.
En quittant cet endroit animé, où j'avais été si heureuse en sirotant tous les jours mon Americano (une hérésie qui heureusement me fut pardonnée) j'ai regardé pensivement les petits pots alignés sur le comptoir : miel (produit par les abeilles de Salvatore, le barman), confitures de tomates, d'oignons et de poivrons (provenant d'une exploitation tout à côté). J'ai songé à ZB, à sa gourmandise, à ses longues journées, et, ni une ni deux, j'ai embarqué trois jolis bocaux.
Maintenant, quand je lis un livre, c'est le récapitulatif de ce moment que je glisse entre les pages en guise de signet. Je repense à ce dimanche, à ce lieu géré par des jeunes dégourdis et solaires, à la remontée si calme ce jour-là, à nos échanges apaisés. Je nourris l'espoir insensé de garder encore longtemps cette bande de papier comme précieux colifichet.

lundi 26 octobre 2020

Vivre : les pastels de l'automne

 
L'atelier, rue de Crussol, avec boîtes de pastels / Sam Szafran / collection privée
 
Dans le gris mi-taupe mi-tourterelle du matin, discerner un diamant, étendard de liberté d'un impétueux voilier 
puis des bandes striées de mauve et d'émeraude, qu'un fougueux Joran a peintes et qui viennent lécher les quais
et, ondulant sur la forêt, l'éclat soudain du soleil lui donnant des allures d'arc-en-ciel, semblable à ceux de l'été
enfin, stupéfiante, sous une envolée de délirants nuages déroulant à profusion le rouge le saumon l'ocre l'orangé
enfin, la feuille dorée qui voltige, seule, qui scintille, seule, miracle dansant, suspendu au linon d'une araignée


dimanche 25 octobre 2020

Vivre : indélicatesses

 Portrait d'une femme / Christophe Amberger / KHM / Vienne
 
Les années passent et S. continue à poser sur les gens un regard compatissant de dame patronnesse. En trois phrases, elle décrit les faiblesses et les difficultés de personnes dont la santé physique et morale ne paraît être aucunement en danger. Elle semble toujours encline à incliner vaguement la tête de côté quand elle pose ses questions, soucieuse des soucis qu'on voudra bien lui confier, fourbissant ses armes préférées : le diagnostic et la pitié. Il y a des gens ainsi  : les problèmes des autres les intéressent (sans qu'ils n'aient jamais un geste pour les aider). Il y a des gens ainsi qui ont constamment besoin de se rassurer. Derrière toutes ces barrières, quelle détresse à masquer ? quelle confirmation à rechercher ?

samedi 24 octobre 2020

Vivre : un air de liberté

 

C'est en marchant (certes, masquée, certes, attendue, certes, soumise à la pression horaire) c'est en marchant seule, dans la rue peu fréquentée, un pas après l'autre, détendue, sans personne sur qui veiller, personne à qui parler, que j'ai retrouvé ce qu'est l'incomparable sentiment de liberté.

vendredi 23 octobre 2020

Vivre : au fond du terrier

 
Chambre des Époux (détail) / Andrea Mantegna / Palais ducal / Mantoue
 
Tellement acharné, parfois, tellement décidé à en découdre, que je ne serais pas étonnée 
de recevoir un jour un appel d'Australie m'informant que cet affreux jojo y a été retrouvé.

 

 

jeudi 22 octobre 2020

Vivre : le consentement

 

 
 Portrait d'une jeune femme en Portia Catonis / Santi di Tito / SMK /Copenhague

Tous ces refus, au fond de nous, ces obstacles, ces encombrements, 
batailles cachées en rangs serrés, 
quand il suffirait d'accueillir ce qui ne peut être changé.
 

mercredi 21 octobre 2020

Vivre : je grinche, tu grinches, il grinche...

 

Dans le métro new-yorkais / 1978 / Helen Lewitt 

La crise du Covid a vu émerger un nouveau type de grincheux : le râleurus hystericus. Une forme perfectionnée, due à une mutation encore mal expliquée. Son pendant féminin, la ronchonna hysterica, n'a rien à envier à la version masculine. Facilement identifiable, malgré son masque, à ses petits yeux courroucés, qui pourraient vous fusiller sans sommation, sitôt que vous êtes assimilé à un potentiel danger, le râleurus hystericus sait mieux que quiconque comment se comporter face à la pandémie. C'est bien simple : tout le monde fait faux. Sauf lui. Il fulmine dès qu'il se sent en danger (et il se sent très souvent menacé). 
On voudrait gentiment l'inviter à faire un pas de côté, esquiver les heures de pointe et les lieux fréquentés, aller se balader en plein air, dialoguer avec les arbres, admirer les vols émouvants des oiseaux migrateurs ou... rester chez lui faire des mots croisés. On voudrait lui suggérer d'écouter quelques mesures de la Passacaglia en do mineur de Jean-Sébastien. Mais... le râleurus tient à faire comme il l'entend et comme tout le monde ne l'entend pas de son oreille, il s'énerve, il s'agite, il crie. Il est au centre de son monde, et pas question pour lui de se décentrer. Son souci en do majeur, c'est lui.
Inenvisageable en ce qui le concerne de concevoir que cet homme pressé puisse craindre de se faire licencier. Ou que cet enfant turbulent doive composer chaque soir avec le stress de ses parents. Le ton monte (il peut monter très fort dans les aigus). Pour un oui, pour un non, pour un décimètre négligé, pour une quinte non réprimée, pour un chien s'approchant redoutablement du sien. 
Mieux vaut donc éviter de s'y frotter : à peine le râleurus identifié, la solution la plus sage est de s'en tenir éloigné. Notre grincheux fait ainsi le vide autour de lui. Il en déprime, c'est désolant, et ça le fait encore plus enrager. Mais au moins se met-il ainsi, il faut l'espérer, à l'abri de la pandémie...
 


mardi 20 octobre 2020

Lire : d'un café à l'autre

 

C'est parce qu'elles ne font que passer qu'elles sont tellement "Choses précieuses". Et qu'il importe d'en rendre compte, de trouver un moyen, aussi ténu et fragile soit-il, de les fixer, dans le souffle de leur passage - dans sa déchirante beauté. p.16


Cet été, j'avais brièvement évoqué le dernier livre de Chantal Thomas ICI . "Café Vivre. Chroniques en passant" se parcourt de manière ludique et aisée. Il peut se découvrir par diverses entrées et en pièces détachées, puisqu'il est constitué de 48 chroniques livrées au journal Sud-Ouest entre 2014 et 2018. Elles ont toutes la même longueur : trois pages, à une ou deux lignes près. Le lecteur peut donc circuler en toute liberté dans cet ouvrage où se déploie la grande érudition de l'auteure.

Les sujet sont variés, et le plus souvent sans rapport direct avec l'actualité. La lecture en est à la fois fluide et très instructive. On y apprend une multitude de choses : sur Richelieu (le maréchal, pas le cardinal), sur la relation (malheureuse s'il en est) entre Descartes et Christine de Suède, sur les maisons d'écrivains, et surtout Malagar. On y croise des poètes et des artistes, vivants ou décédés, entre autres David Hockney, Patti Smith, Hugo Pratt ou l'incontournable Nicolas Bouvier. Sans oublier la figure tutélaire de Roland Barthes très présent, tellement présent qu'on le croirait encore vivant. Où qu'elle se trouve, l'écrivaine et philosophe a un fort sens de l'observation et elle est admirablement douée pour la description. Elle sait rendre intéressants tous les lieux, les personnages, les atmosphères qu'elle est amenée à fréquenter Avec elle, on voyage, on voyage vraiment. Elle pourrait donner à toute personne qui n'en serait pas pourvue le goût de l'aventure. Une aventure qui, si elle nous entraîne souvent à New-York (une ville que l'auteure semble chérir entre toutes) et au Japon, peut aussi se trouver au coin de la rue, à Paris ou Arcachon, bord de mer tendrement décrit.

Le livre parle donc de voyages, au sens large, à savoir : la faculté de bouger, dans sa tête, dans l'espace, dans le monde de la culture. Il répond à un besoin impérieux en ces temps tourmentés : celui d'élargir sa pensée et de faire place aux découvertes. Il nous aide à ouvrir les yeux, nous invite à devenir curieux.

Cet ouvrage nécessaire a cependant quelques défauts : la longueur imposée des chroniques donne parfois le mal de mer, car les chapitres peuvent s'achever de manière quelque peu abrupte. On sent que l'écrivaine s'efforce parfois de se formater aux besoins du journal qui l'a mandatée et à ses abonnés (certains billets sont un rien consensuels). Qu'importe ! Une fois le livre librement parcouru (j'ai réalisé à la fin que j'avais lu trois fois la chronique "Café Nerval" et que j'avais escamoté celle de "Sade irréductible"), on se sent des envies d'approfondir certaines invitations et d'aller défricher à loisir au pays de la connaissance.
 
Pour conclure, deux extraits concernant ce que représente la lecture en matière de voyage intérieur:
 
... tout notre mode de vie (le rythme pressé et chaotique, la domination de l'image, l'obsession du téléphone mobile avec son registre incessant d'interruptions et de distractions) est ennemi de la lecture et va à l'encontre de ce temps illimité, rêveur, de cet étrange voyage immobile auquel elle invite. Par un déclic magique, celui ou celle qui lit échappe au contexte immédiat, se soustrait à l'emprise du dehors, de la réponse exigée, de l'obligation soi-disant urgente, et même peut réussir à s'abstraire de l'angoisse d'une attente ou de la prison de la douleur. Quelques mots, quelques phrases et, si le charme opère, le lecteur se trouve transporté ailleurs - qu'il s'agisse d'un univers romanesque, de la plongée dans un monde différent, ou de l'approche intellectuelle de nouvelles idées et de la chance d'enrichir sa vision. Un des traits du charme opéré par le livre est qu'il agit secrètement, loin du bruit. p.80
 
Nos livres ou nos auteurs d'élection ont la particularité de posséder une richesse qui grandit avec nos propres expériences. A propos de Middelmarch (autre roman de George Eliot) Mona Ozouf écrit qu'il est devenu un de ses livres de chevet, "un de ceux qui se tiennent à portée de main de l'insomnie et dont les pages s'ouvrent toutes seules sur les mots réparateurs". Tel est peut-être le secret du charme qui nous lie pour la vie à nos livres fétiches et à nos livres de chevet : qu'ils nous incitent à tout briser ou bien à approfondir un sens de la continuité, ils détiennent les mots qui nous sauvent. pp. 185-186
 



lundi 19 octobre 2020

Vivre : résolutions

 

Jeune homme présenté par Vénus? ou Minerve ? aux 7 Arts Libéraux (détail) / Sandro Botticelli / Le Louvre / Paris
 
La différence entre une bonne et une mauvaise question ?
La première s'impose avec simplicité, crée une ouverture (elle est ouverte par essence). Une fois posée, on voit l'horizon se dégager.
Après la seconde, en revanche, les perspectives se font de plus en plus bouchées. La question revient et devient lassante à force de se répéter.
 

dimanche 18 octobre 2020

Vivre : visions du réel

 

Photos prises à quelques secondes d'intervalle avec un smartphone LG.
 
Que les matins se suivent et qu'aucun ne se ressemble, on le savait bien. Par les facéties du numérique, il arrive même qu'aucun moment, du même endroit, du même matin ne ressemble à son voisin. Ce qui mène à chaque fois inévitablement à ce constat : c'est toujours toujours la même chose. Mais autrement.

samedi 17 octobre 2020

Vivre : le goût du bonheur

 

Nature morte à Ménerbes / Nicolas de Stael / collection privée
 
 Des journées qui commencent avec un seul mot : oui.
 

vendredi 16 octobre 2020

Vivre : journées d'octobre

 

Scruter le ciel face aux chevaux lève-tôt et se demander de quelle tonalité sera faite la journée.
Dialoguer avec la forêt, babiller avec les feuillages, écouter les chants raréfiés des oiseaux de passage.
Faire claquer entre le pouce et l'index des Balsamines de Balfour et, comme à six ans, s'en amuser.
Suivre la danse lente d'une feuille hésitant dans la lumière ambrée.
Regarder le chien, assoiffé de conquêtes, s'ébattre et mettre à sac la plage désertée.
Observer le soleil dans sa bataille contre le brouillard. Constater son écrasante victoire sur le coup de dix heures.
Déposer deux pièces dans la crousille et se choisir la courge la plus jolie.
Rouler le long d'une allée incendiée. Chanter à tue-tête un air de Verdi (personne pour entendre dieu merci).
Se servir du four que les grandes chaleurs avaient banni.
Mordre à pleines dents dans une tarte poire/cannelle/amande saupoudrée de sucre vanillé. 
Considérer rêveusement la pile de livres sur le point de s'écrouler.
Allumer le braséro, déguster un Campari devant le Jura embrasé. Enfiler un chandail.
Écouter le Printemps de Vivaldi. Se remémorer les escapades estivales. 
Réciter Les Colchiques d'Apollinaire. Relire (c'est incorrigible) encore une fois Venise en hiver.
S'attendrir devant le lac à qui les nuages en font voir de toutes les couleurs.
Frissonner de bon cœur. Dévorer des assiettes aux coloris bigarrés. 
Se glisser de bonne heure dans des draps frais que la bise a taquinés.
Sourire aux anges. S'endormir d'un coup au milieu d'une histoire. Rêver.




jeudi 15 octobre 2020

Voyager : balade en Padanie

 

Là-bas, miroirs des façades alanguies, les cours d'eau traînaient leur mélancolie, faisaient un bout de route à des routes désemparées qui semblaient n'avoir nulle part où aller, dessinaient de vagues destins à des paysages un peu éteints, prenaient la fuite à travers champs, effleuraient de pauvres arbres affligés que le soleil peinait à consoler.
Là-bas, le temps semblait s'être arrêté. On entendait vaguement le rire d'enfants démasqués. On percevait des silhouettes qui s'éloignaient, des bicyclettes qui hésitaient. Le jour tardait à se lever, le soir s'attardait sans se presser. 
Là-bas, quand approchait la nuit, on rejoignait la noble demeure sur laquelle veillaient des oies (et un molosse plutôt bonasse). Les parquets craquaient, les portes grinçaient. Sur les fresques, les arabesques dansaient. On retrouvait l'odeur du bois à peine allumé, des lueurs qui tremblaient, le goût d'un pain très ancien, et cette magie, quand on est loin de chez soi, de savoir qu'un lieu vous abritera.


mercredi 14 octobre 2020

Vivre : à la conquête des espaces

 

Sigismond Gonzague (détail Chambre des Époux) / Andrea Mantegna / Palais ducal / Mantoue
 
La petite, haute comme trois pommes, s'est échappée, a grimpé jusqu'à l'entrée de l'établissement, puis s'est tournée vers ses parents : Je vais juste voir s'il y a quelque chose de bon à manger, leur a-t-elle lancé avec aplomb.
Puis elle est ressortie : Venez, venez, y a des brioches à la confiture, y a tout plein de bonnes choses là-dedans.
Merveilleux enfants, qui s'élancent en toute confiance. Merveilleux parents, qui savent la donner, cette confiance. Qui permettent de lâcher leur main, et de la reprendre au besoin, sans humilier, sans réprimer. Qui cultivent l'assurance qu'on peut oser, explorer, s'aventurer.
 


mardi 13 octobre 2020

Voyager : l'art de rompre

 


 La montagne aspirait à retrouver son intimité, délivrait ses derniers laisser-passer. Quelques soupirs glacés pour se quitter. Quelques flocons en guise d'ultime baiser. La montagne implorait : L'hiver arrive, l'hiver est là, et je suis lasse : laissez-moi. Les derniers vacanciers fuyaient vers d'hypothétiques attraits. Les ruisseaux se hâtaient de ruisseler, bondissant ça et là, juste pour ne pas mourir de froid. Le brouillard se hâtait d'envelopper cette altière beauté et le regard embrassait encore un peu, encore une fois les cimes qui se dérobaient... se dérobaient pour de longs mois...

lundi 12 octobre 2020

Vivre / voyager : futur antérieur

 

Bambina con cane / Federica Marangoni / Biennale Light art 2020 / Mantova
 
 
Le sens de ce voyage, comme de bien d'autres, aura été de me reconduire, par tous les sens, en enfance.

samedi 10 octobre 2020

Vivre : les petites fugues

 

 
Parfois la routine, pour exister, a besoin de quelques échappées.
Parfois, pour retrouver son quotidien avec joie, il faut savoir le quitter.


vendredi 9 octobre 2020

Vivre : dans le mouvement

 
  Photographie prise à l'intérieur de Monumenta 2011 / Grand-Palais / A. Kapoor / Paris

 Cambia lo superficial
Cambia también lo profundo
Cambia el modo de pensar
Cambia todo en este mundo

Cambia el clima con los años
Cambia el pastor su rebaño
Y así como todo cambia
Que yo cambie no es extraño
....

Ces derniers temps, en illustration sonore de deux émissions écoutées en podcast, j'ai entendu la chanson "Todo cambia" ("Tout change"). J'ai tendu l'oreille. La voix féminine intense, les paroles d'une poignante simplicité, la musique entraînante m'ont immobilisée l'espace d'un moment.

J'ai cru qu'une jeune et talentueuse chanteuse avait repris ce refrain latino-américain pour le remettre au goût du jour. Mais, vérification faite, non : c'était bien Mercedes Sosa, dite "La Negra", qui chantait, c'était bien sa version, que les programmateurs avaient choisi de proposer. 
 
La chanson diffusée se trouve ICI. Elle a été composée en 1982, par Julio Numhauser, un des membres fondateurs du groupe chilien Quilapayùn, qui était alors réfugié en Suède. Elle parle de changements, les changements qui s'opèrent dans le monde et à l'intérieur de soi. Si elle a connu un tel succès au moment de sa création, c'est qu'elle évoquait pour des milliers de gens persécutés ou contraints à l'exil l'espoir de récupérer la démocratie et la liberté. La roue tourne, disait-elle en substance, elle continuera à tourner encore et encore, la seule chose qui ne changera pas, c'est la force du sentiment malgré l'éloignement.

Une chanson plus que jamais de circonstance, qui n'a pas été choisie par hasard. A l'écouter, quarante ans plus tard, on se dit qu'elle pourrait avoir été écrite aujourd'hui, en cette période où tout semble bouger avec une particulière intensité, impactant nos vies personnelles et nos structures sociales.

Regardant autour de soi, comment ne pas se sentir touché par cette chanson de courage et de détermination ? Cette affirmation d'ouverture face à l'inévitable, ce souffle de mélancolie pour ce qui se perd ? Ce chant où s'entremêlent l'intime et le sociétal ? Cette déclaration de solidarité et d'amour envers ce qui est lointain, mais reste proche grâce à d'indéfectibles liens ?

 Ce qui est superficiel change
Ce qui est profond aussi
La mode de pensée change
Tout change en ce monde
 
Le climat change avec les années
Le berger change son troupeau
Et ainsi, comme tout change,
Il n'est pas étrange que je change aussi
 
Intégralité de la traduction française : ICI 


 

jeudi 8 octobre 2020

Vivre : le soir, la lumière

 


Comme il fait bon le soir voir tomber la lumière. L'oiseau se penche pensivement puis repart. 
Le chien oublie de quémander et s'endort. Comme fait bon le soir voir s'assembler les espoirs. 
Comme elles sont douces les journées qui commencent le soir.

mercredi 7 octobre 2020

Vivre : ouvertures

 

 
Une période où l'on expérimente la restriction des possibles. De tous les possibles. Où, plus que jamais, l'attention doit être présente pour saisir tout ce qui est en train de nous échapper, tout ce dont nous sommes susceptibles d'être privés.
Une période où tout doit être tourné vers l'ouverture : les regards, les projets, les modalités. Envisager de nouvelles recettes, de nouveaux trajets, de nouvelles stratégies pour rendre aux possibles leurs possibilités.
Une période où l'on doit à la fois se rendre conscients de ce que l'on est en train de perdre et tendus dans l'effort pour regagner.
 

mardi 6 octobre 2020

Vivre : les catégories

  
Nature morte (détail) / Pieter Claesz / Rijksmuseum / Amsterdam

Comment leur expliquer, à tous ces gens qui hiérarchisent et qui cloisonnent, que nettoyer avec soin les carrelages de sa salle de bain, ou réaliser un gâteau hollandais, avec des pommes soigneusement choisies au marché, ou écrire un texte, ou sortir brusquement de sa voiture dans le vent glacé pour photographier, ou préparer un voyage, ou lire un ouvrage réputé, ou regarder un ver de terre, observer une lumière, écouter intensément une émission (ou quelqu'un), ou méditer, ou discuter, ou négocier, ou accompagner, ou gagner de l'argent ou patienter sur un quai de gare, ou coordonner, gérer, ou simplement préparer le riz du déjeuner, que tout cela est profondément relié et que rien n'est plus important, ou plus élégant, et que rien n'est misérable, ou méprisable, ou inutile et que, oui, on estime autant le geste de briquer que celui de composer, dans la suite des jours, et des heures, et qu'il n'y a pas d'activités vaines ou d'heures creuses dans cette vie qui va, comment leur expliquer ?

lundi 5 octobre 2020

Vivre : le transitoire

 


 

C'est ici où je peux le mieux réaliser que tout (absolument tout) n'est que passager.  


dimanche 4 octobre 2020

Vivre : faux départ

 
Autoportrait / E. Delacroix / Musée des Beaux-Arts / Rouen
 
Il dit : On va faire avec. Y a pas mort d'homme. Il dit qu'il est fatigué, que ce voyage, il en avait grand besoin. Il dit d'un air découragé qu'il n'a plus envie de rien. Il dit qu'il s'est beaucoup donné, ces dernières semaines, ces derniers mois. Il dit qu'il aurait bien aimé retourner quelques jours là-bas.
La vie, c'est parfois comme on veut, c'est souvent comme on ne voudrait pas. Les pandémies, les intempéries, les routes coupées, les sens interdits. La vie, c'est parfois contrariant, c'est parfois du soleil ailleurs que là où l'on va, c'est comme un voile, gris et sale, qui empêche de voir tout ce qui marche autour de soi. 
Il se sent démuni, et même trahi. Il soupire, il raccroche. Demain, il suffira d'un rayon, d'un projet, d'une sollicitation, pour qu'il recommence de sourire à la vie. 
Parce que nous pouvons momentanément contrôler les choses, nous finissons subtilement par nous raconter des histoires sur la façon dont elles sont censées se passer. Les avions sont censés décoller et atterrir à l'heure, et mon vol n'est pas censé être annulé puisqu'il faut que je me rende là où je suis censé me trouver pour telle ou telle raison à un horaire précis (percevez-vous l'empressement et l'égocentrisme que traduit cette façon de penser ?). Les gens sont censés être fiables et respecter leur parole, en particulier avec moi. Les investissements sont censés être rentables. Les enfants sont censés être en sécurité. Nos corps sont censé rester en bonne santé si nous mangeons sainement et que nous faisons de l'exercice.
Plus les choses vont dans "notre sens", plus nous sommes enclins à penser que c'est le sens dans lequel elles sont censées aller. Et, quand elles ne vont pas dans "notre sens", ce qui arrive tôt ou tard, nous nous mettons en colère, nous sommes déçus, déprimés, anéantis, tout en oubliant qu'il n'était pas "censé" y avoir de sens du tout. Notre vie ne se déploie quasiment jamais exactement comme nous le pensons, le prévoyons ou le désirons.        John Kabat-Zinn, L'Eveil des Sens, p. 412



samedi 3 octobre 2020

Vivre : des murmures dans la nuit

 

 Quand les derniers feux s'éteignent là :

d'autres grésillent ailleurs...



notre conversation se consume lentement
laissant place à de rares mots susurrés,
des secrets que les arbres ont promis de garder...



vendredi 2 octobre 2020

Vivre : clairs-obscurs

 





 
Soudain, au matin, le vent turbulent qui avait sévi depuis la veille s'assagit, comme par magie, 
laissant place à un soleil frétillant, on aurait dit le printemps, et, chose curieuse,
 le réverbère se mit alors à projeter de l'ombre sur la façade de la noble demeure,
fort bien conservée malgré le poids des années, que nous nous apprêtions à visiter.
 
 
A l'intérieur, ô surprise, nous fumes accueillis par le soleil, plaisantin, bout-en-train, 
lequel, nous voyant un brin décontenancés, s'est montré tout prêt à nous éclairer...

 .  


jeudi 1 octobre 2020

Vivre : les affinités relatives

 

L'épouse de Jörg Fischer / Hans Holbein le Vieux / KHM / Bâle
 
La femme allait et venait, entre formules toutes faites et passages obligés, épandait des propos vains, dispersait son glucose à tout va. Regardant cette serial shoppeuse chercher à faire du chiffre avec du matériel humain, s'attirant des amitiés factices, recherchant des affections de façade, on se demandait quels fondamentaux besoins elle cherchait à combler. On visualisait un gouffre, un cratère immense. On ne pouvait s'empêcher d'imaginer la tristesse de ses couchers.