samedi 31 décembre 2022

Vivre : comme un roseau sur le rivage

 

Elle a dit : si peu de choses se passent comme on l'avait planifié...
Du coup, la seule perspective et le seul souhait c'était : la flexibilité.

 

Vivre : en admirant Morandi

 
Nature morte / Giorgio Morandi / Musée Granet (dépôt Musée d'Orsay) / Aix-en-Pce
 
Comment dire ? Il n'y avait rien à dire. Loin des bimbeloteries en tous genres, 
les paillettes, les vernis, on préférait la vie. 
Alors, simplement, sans plus d'explications, on s'est dirigée vers la sortie.

mercredi 28 décembre 2022

Regarder : l'avenir du passé

 
Hercule et Omphale / Maison du Prince de Montenegro / Pompei / 1er s. après J.-C.
 
Notre halte était minutée. Arrivés à Bologne (trafic intense, pluie menaçante, artères aveuglantes) nous avons miraculeusement trouvé une place à l'extérieur des murs, nous nous sommes enfilés sous la porte Castiglione et empressés de parcourir les longues arcades qui allaient nous mener à notre but. La ville n'a pas tardé à nous emporter dans ce tourbillon qu'elle seule sait impulser. Lumières, décorations, livraisons, cabanes de marchés, tout semblait nous happer, mais stoïquement, nous avons filé droit. Nous savions qu'elles nous attendaient, ces exquises présences de l'Antiquité, elles nous attendaient au moins aussi intensément que nous les avions espérées. Rendez-vous avait été pris, nous avions traversé les Alpes, elles s'étaient déplacées depuis la Campanie et il s'agissait de ne pas nous manquer.
 
Admète et Alceste / Maison du Poète tragique / Pompéi / 1er s. apr. J.-C.
 
Ce genre de situation implique toujours un moment précis qu'il faut rapidement identifier : celui où l'on opère un changement intérieur, quittant le stress visant l'efficacité pour céder au relâchement permettant de converser. Trouver le bon ancrage intérieur, la manière adéquate de dialoguer. Quelques explorations sont nécessaires dans la pénombre, quelques pas et quelques accommodations, avant de parvenir à focaliser.
 
Maison de l'Eros puni / paroi Nord / Pompéi / 1er s. apr. J.-C.
 
Il y a dans la peinture de Pompei quelque chose qu'il trouve infiniment attristant. Quelque chose de perdu, qui n'existera plus. Ces espaces, ces figures le laissent à la fois attendri et démuni. Pour moi, ce n'est pas tout à fait la même chose. Ces fresques relèvent certes d'une évidente mélancolie, une nostalgie de quelque chose que seuls les rêves peuvent venir nous rappeler, mais je ne ressens nullement un sentiment de perte, rien de définitif, ni de brisé. C'est comme si ces dessins, dans leur délicatesse, venaient me parler de quelque chose qui a été, et qui, malgré les apparences, reste encore bien ancré quelque part en moi. Quelque chose que la mémoire, l'imaginaire peuvent encore me rendre.
Les noms mêmes me laissent pensive : la domus du Poète tragique, la maison du Bracelet d'or, ou celle de l'Amour puni ou encore celle des chastes Amants... Il y a dans la manière de restituer la perspective, les incarnats et les drapés un je ne sais quoi que l'inconscient rattache à des expériences passées. Ce que la raison pure qualifierait de maladresses vient nous parler d'une autre réalité, évanescente, immémoriale. On bascule dans une dimension différente, où un autre monde a ses raisons.

 Maison de l'Eros puni (détail servante) / paroi Sud / Pompéi / 1er s. apr. J.-C.
 
La fin de cette année approchait. Dans les rues et dans notre programme, tout nous appelait à la stimulation et, d'une certaine manière, à l'extériorité. Mais les peintures qui précédaient l'an 79 apr. J.-C. n'avaient-elles pas fait le voyage pour nous livrer ce simple message : peut-on se projeter dans l'avenir sans être en paix avec son passé ?


I pittori di Pompei / Museo archeologico / Bologna jusqu'au 19 mars 2023

mardi 27 décembre 2022

Vivre : la valeur des choses

 
Annonciation (détail) / Sandro Botticelli / Uffizi / Firenze
 
 
Cesse de dire : de rien quand on te dit : merci
Ne dévalorise ni ton bienfait ni celui qui le reçoit.
 
 

lundi 26 décembre 2022

Vivre : l'extraordinaire de l'ordinaire

 
 Beim Frühstück / Carl Moll / Wienmuseum / Vienne
 
 
Longtemps, quand j'entrais dans un magasin et que je savais avoir dans mon portemonnaie suffisamment d'argent pour me procurer de quoi me nourrir, je me suis sentie nantie. Quand je racontais cela, les gens autour de moi prêtaient distraitement l'oreille. C'était si normal, somme toute, les rayonnages remplis (et les plaintes si l'approvisionnement connaissait le moindre retard).
Longtemps, et bien avant que j'avais décidé d'entreprendre un travail sur l'habitat pleinement ressenti, je m'exclamais : "Quel privilège d'avoir un toit !". On écoutait poliment, mais souvent l'insatisfaction pointait. Certains auraient voulu obtenir quelque chose de plus grand, un autre quartier, des pièces plus ensoleillées.

Cette année, et de manière particulière, j'ai savouré comme jamais le pain, le goût incomparable du pain qui sait rassasier et le privilège de n'avoir à sauter aucun repas. Cette année, plus que jamais, j'ai connu la joie d'avoir un toit pour protéger mon quotidien (R. ajoute à chaque fois : et des espaces chauffés, n'oublie pas). Cette année, des fragilités en tous genres sont venues nous dire que rien n'est normal, rien n'est banal, que l'habituel n'est pas le dû et qu'il y a du miraculeux dans ce que l'on a toujours tenu pour acquis.

dimanche 25 décembre 2022

Vivre : laisser tourner

 
Olafur Eliasson, Firefly double-polyhedron sphere experiment, 2020, Palazzo Strozzi, Florence

 
Cesse de vouloir que le monde réponde à tes besoins.
Prends-le comme il est, dans tous ses états, prends ou laisse,
avec toutes ses fêlures et ses facettes. Peut-être : son éclat.


samedi 24 décembre 2022

Vivre : Still life / 125

 
 
 
Aimer la pluie - mis à part les orages qui surviennent en pleine canicule - peut relever parfois d'un exploit. Aimer la pluie de novembre, les longues série de journées assombries. Aimer les averses qui plongent sur nos nouvelles ballerines et nous laissent démunie, sans parapluie. Aimer le crachin glacé de janvier, quand pleuvent les factures en même temps que les intempéries. Aimer la pluie peut se révéler un sacré défi.
Durant ce dernier séjour florentin, il a plu quasiment sans arrêt. Le réceptionniste nous a confié que cette météo s'était installée depuis quinze jours au moins. Les bus étaient remplis de gens aux visages graves et aux vêtements dégoulinants. Les regards étaient pensifs et c'était impressionnant de constater la détermination de ces silhouettes à se rendre là où on les attendait. Il y avait dans ces présences quelque chose de noble et de valeureux que rien ne pouvait liquéfier.
En longeant l'Arno, on pouvait observer de rares touristes déconcertés. Plus leur hôtel était étoilé et plus certaines dames derrière les vitrages affichaient des mines contrariées. Elles semblaient considérer les averses comme une offense personnelle. Tellement déçues de leur séjour gâché! 
Nous, la pluviométrie, on s'en accommodait, on prenait la ville telle quelle, avec ses rigoles et ses attraits. Les baleines de mon parapluie, lassées, se gondolaient et semblaient aspirer à une totale autonomie, elles s'étaient mises à danser comme Gene Kelly. En réalité, l'essentiel était à mes pieds : ces bottines magiques trouvées à Venise (une ville qui s'y connaît en humidité). Les pieds au sec, tel est le secret, insensible aux flaques, aux éclaboussures et à la boue, on considère la pluie pour ce qu'elle est : une opportunité de remplir nos nappes phréatiques bien éprouvées l'été dernier, de combler la nature qui nous comble de ses bienfaits, de découvrir la cité des Médicis sous d'autres aspects.
 

vendredi 23 décembre 2022

Lire : la fillette qui voulait tout recoller

 


Il n'est pas nécessaire de comprendre à fond la vie, mais il est indispensable de rencontrer la tendresse. Elle vous pénètre et vous traverse, vous fait vous mouvoir, vous guide. Comme dans le jeu du Mikado, un individu en sauve un autre. Un par un. Un par un. Et nous ne nous retournons pas sur les personnes que nous avons sauvées, car, c'est bien connu, cela porte malheur. Nous regardons toujours vers l'avant, vers la prochaine. [p.172]
 
Avec ce livre, la poétesse Alba Donati a-t-elle voulu écrire un récit autobiographique ou un roman ? Difficile de savoir, de distinguer ce qu'elle raconte de ce qui a véritablement été. Les noms sont véridiques, véridiques les titres cités, et véridiques les faits (ouverture d'une librairie de campagne dans les collines du Nord de la Toscane en pleine période de Covid et de confinement), mais les dates, comme l'indique l'autrice en exergue, sont inexactes et il y a du romanesque dans la manière dont les différents chapitres sont déroulés.
Un jour de décembre 2019, après trois décennies consacrées à travailler dans le monde de l'édition, Alba a décidé de réaliser un vieux rêve : ouvrir un lieu consacré aux livres qu'elle aime et qu'elle entend faire aimer depuis son village d'origine, Lucignana (un petit bled au nord de Lucques comptant quelques 180 habitants et dont plusieurs maisons commencent à être rachetées par des étrangers aisés).
La thématique du bouquin porterait naturellement à rêver : qui ne souhaiterait changer de vie et de métier, partager ses passions et se réconcilier avec son passé ? En entamant la lecture on craint de tomber sur le énième livre feel good traitant de libraires téméraires et passionnés ayant réussi leur virage à 180 degrés. Mais...
C'est compter sans le pouvoir de fascination de l'autrice, sa capacité à dérouler un récit avec poésie, son aptitude à porter des projets, son extraordinaire potentiel de connexion et sa faculté de relier non seulement les êtres avec les livres qui leur sont destinés, mais aussi de les rassembler entre eux par affinités.
Alba parle d'elle, de ses chagrins d'enfance (qui lui ont valu douze années de divan), de sa famille de sang et de sa famille de cœur. Elle sait évoquer sans décrire, exprimer des souffrances fondamentales tout en respectant son entourage, utiliser des métaphores (comme la maison de son enfance) pour évoquer ses détresses de fillette abandonnée. Elle a été une petite fille pauvre, élevée à la campagne dans un cadre fracturé, qui a dû se faire une place au soleil à force de travail, d'obstination et de créativité. A n'en pas douter, sous des dehors doux, presque angéliques, c'est une bosseuse tenace et une solide communicatrice.
Il ne faut pas se leurrer : Alba Donati n'est pas partie comme une bleue dans son aventure de libraire. Elle avait auparavant ouvert avec son compagnon à Florence (le chef-lieu de la Toscane, la grande ville située à 100 kilomètres de là, autant dire : l'autre bout de la terre!) Fenisya, un centre de formation à la traduction et à la rédaction littéraire. Elle bénéficie d'un carnet d'adresses bien fourni, constitué d'écrivains et d'éditeurs confirmés et de tous les liens personnels tissés dans sa région natale. De plus, elle use avec dextérité des réseaux sociaux et connaît bien les ficelles de l'événementiel.
Le livre est construit comme un journal. Il démarre au début de l'alerte pandémique, peu après l'inauguration de la minuscule librairie. Chaque jour apporte son lot de contrariétés, mais aussi de souvenirs et de satisfactions. A la fin de la journée, l'autrice énumère les commandes reçues et certains titres inconnus peuvent être très inspirants (d'autres par contre semblent rappeler trop souvent des noms d'auteurs amis jusqu'à en devenir un peu lassants). On apprend une infinité de choses en faisant des recherches à propos de certains écrivains (précisons : surtout des écrivaines).
La narration n'est jamais linéaire. Certaines phrases laissent planer un mystère sur le passé, sur la famille. Elles seront éclairées quelques pages plus loin, sous une autre focale. Tout le charme de l'écriture tient dans cette faculté de passer du présent au passé, de l'intime au social et de l'émotionnel au factuel. Une lecture très accessible, un vrai bouquin à déguster par un jour de pluie en sirotant une tasse de thé. Mais il ne faut pas confondre facile et futile. Ce petit ouvrage met en relief le rôle primordial des livres dans notre vie : en nous permettant de nous comprendre, ils nous tendent la main et peuvent nous sauver en nous reliant par-delà les territoires et les âges à la grande chaîne de l'humanité. 
La librairie sur la colline vient rappeler une vérité dont nous avons grand besoin : la vie n'est pas rose, les caves y sont anxiogènes et les escaliers durs à monter, rien n'est donné, mais on peut s'en sortir grâce aux efforts que l'on déploie et à une croyance forte dans les trésors de la solidarité.

Pour avoir une idée de l'esprit des lieux, on trouvera des photographies suggestives sur le blog diariodiunlettoresquattrinato : ICI.
La librairie sur la colline, Alba Donati,  édité en français chez Globe, 2022
 

jeudi 22 décembre 2022

Vivre : futur antérieur

 
Buste de Plautilla (?) / art romain du IIIe s. / pinacothèque / Casale Mto

Hier, solstice d'hiver. Grosse coulée de fatigue comme si tous les efforts de l'année venaient échouer sur cette plage de fin décembre. Je me force, je coche des listes, j'emmène le chien en longues balades, je prépare repas et cadeaux. Tout doit être prêt comme prévu et même les paires de bottes alignées ont été soigneusement cirées. Mais en vérité quelque chose au fond de moi aspire à l'hibernation. Je pourrais passer mes journées au fond d'un fauteuil à rêvasser, lançant de temps à autre un coup d'œil aux mésanges se délectant sur la terrasse, m'emparant par moments d'un livre, et n'hésitant pas à le reposer. Bref, glander à la façon d'un ursidé, pratiquer l'art sublime de la non-activité.
Toutefois, c'est l'option petit soldat qui prend le dessus. Il s'agit malgré tout de rester dans la course, de finir ce qui doit être achevé. Réflexions, bilans et perspectives, prise de recul pour mieux avancer. Collages, dessins, textes, planification de délais, tout ce qui pourra servir à me repérer. Je me demande : pourquoi absolument maintenant, pourquoi ne pas me montrer créative, décaler et accomplir ces tâches à fin janvier ? Parce que sans doute quelque chose d'animal en nous a besoin de suivre le parcours des astres et le rythme des saisons, parce que le plein hiver - précisément maintenant, quoi qu'en dise notre calendrier - est le moment idéal pour se retrouver, se rassembler. Parce que nous en avons besoin pour affronter un futur voilé. Parce que la traversée de la grisaille et l'épuisement sont les premiers pas de la mue à laquelle nous aspirons.

mercredi 21 décembre 2022

Vivre : comment vivons-nous ensemble ?

 
Just before now / Olafur Eliasson / Nel tuo tempo / Palazzo Strozzi / Florence
 
Devant la billetterie, entre deux colonnes de la sobre cour rectangulaire, l'homme et ses trois camarades nous avaient hélés : voulions-nous deux entrées gratuites pour le musée ? Deux de leurs collègues étaient restés endormis après une soirée copieusement arrosée. Deux laissez-passer pour les Offices, on n'allait pas refuser. On les a chaleureusement remerciés. Un peu plus loin, nous les avons retrouvés aux portiques de sécurité. L'homme a dit : je devrais donner plus souvent. On a approuvé. Aujourd'hui, c'était lui qui nous faisait un cadeau substantiel, devenant une sorte de Père-Noël, mais qui sait ? Demain, ce serait lui qui recevrait. Le Père-Noël existe, revêt toutes sortes de panoplies, ça peut être nous, ça peut être quelqu'un d'autre, un inconnu, un étranger. 
L'essentiel est de donner. L'essentiel est d'oser distribuer et d'apprendre à recevoir aussi (une sacrée difficulté, un sacré défi). Se lancer dans une ronde où il n'y aurait que des gagnants-gagnants, où l'on ne retiendrait pas nos possessions, où l'on ne serait pas des constipés de la distribution, des asséchés du cœur, crispés sur leurs avoirs, effrayés à l'idée de manquer, ceux qui tiennent une comptabilité et dont les comptes ne sont jamais équilibrés.
Plus tard, dans la journée, ce phénomène du don et du contre-don n'a cessé de se manifester. On reçoit rarement en retour de celui à qui on a donné, mais on se fait plaisir en sachant prodiguer. Il est donné de recevoir autre chose que ce qu'on a cédé. Un chien m'a prise par la manche et m'a tirée vers ses maîtres qui la faisaient. Une pièce, deux euros, des heureux. En y regardant de près, les dons ne cessent de pleuvoir : un café, une marque d'attention, un travail bien fait, un ticket de parcage, un sourire sincère.
Dans le bus, une femme s'est élancée vers le conducteur qui démarrait. Il devait s'arrêter : deux migrantes avaient oublié leur parapluie et l'orage menaçait. Elle l'a contraint à rouvrir les portes. Devant le palazzo Strozzi, une jeune mère s'est penchée sur un mendiant et lui a parlé d'un ton préoccupé. Elle insistait pour savoir comment il allait.
Donner et ne rien attendre en retour, et surtout rien d'une personne en particulier. Donner par pur élan, par simple générosité. Donner et laisser venir ce que la vie décidera de distribuer.

mardi 20 décembre 2022

Vivre / Voyager : wonderful world

 

Buste reliquaire de Sainte-Cécile (détail) /Mariano di Agnolo Romanelli / Musée Santa Maria Novella / Florence
 
En ce matin de décembre, l'intérieur de la basilique bruissait de dizaines de présences. Quelques classes en visite plus ou moins disciplinée. Un groupe de jeunes Juifs français auxquels leur enseignant lisait un guide plutôt bien rédigé. Quelques bâillements. Plus loin, une poussette suivie par un jeune bambin. Des chuchotements. Un homme en béquilles et fauteuil roulant. Deux élégantes en pause shopping, un aristocratique étudiant très absorbé. Trois femmes d'un certain âge échangeant à voix basse les informations qu'elles avaient glanées. Une équipe de Canadiens pourvus de sacs à dos et gros souliers. Des gens qui allaient et venaient... De quelles provenances ?... Vers quelles destinations ?... Tous si différents et pourtant en ce lieu rassemblés.
Soudain une trentaine de pré-ados ont déboulé et se sont dirigés vers l'autel, accompagnés d'une organiste et d'un violoncelle. Installés en contre-bas de la chapelle Tornabuoni, ils ont commencé par s'adonner à quelques vocalises. Dès les premières notes, quelque chose dans l'atmosphère s'est modifié : avec quelques discordances que l'orgue tentait tant bien que mal de rassembler, ces jeunes voix maladroites attendrissaient. On eut dit que les sons propulsaient dans l'espace des pastilles de lumière. Puis les enfants se sont mis à chanter, un peu poussivement d'abord, comme pris par une sorte de timidité. I see trees of green... Red roses too... I see them bloom... For me and you... Leur enseignante, une quinqua bien en chair, s'agitait dans tous les sens pour les coordonner. Enfin, musiciens et chanteurs ont trouvé les bons accords et le bon tempo. 
Une mère debout qui les regardait depuis l'allée centrale souriait et peinait à retenir ses larmes. Un calme imposant s'est installé peu à peu. Les notes paraissaient s'envoler jusqu'au Crucifix peint par Giotto. Elles se sont échappées sur un bas-côté pour aller effleurer la Trinité de Masaccio. Elles faisaient des loopings, se sont élevées, ont tournoyé, touchant les toiles et les âmes et les personnages figés. 
Tout à coup, un miracle s'est produit. Soudain, toutes les pesanteurs de cette année affligeante ont laissé place à ce qui avait été égaré, à ce qui aurait pu être, à ce que chacun aurait voulu recréer. On eut dit que la musique générait une immense bulle, un monde où tout être avait sa place et où l'amour pouvait circuler. Les poitrines des visiteurs se sont mises à gonfler. And I think to myself... What a wonderful world... Là, sans crier gare, la magie de Noël était arrivée : un sentiment de paix qui venait rappeler la partie belle de l'humanité. Celle dont on rêvait, celle que l'on n'osait espérer.
On est sortis à pas lents et légers, tout légers. Dehors la ville pulsait. Il y avait des chiens, et des mendiants solitaires, et des gens attendus qui couraient à leurs rendez-vous, d'autres qui s'enlaçaient, des lumières qui s'allumaient, des sourires, des ambulances stridentes et des coups de klaxon. Le monde qui se déployait sous nos yeux se révélait dans toutes les facettes de sa merveilleuse réalité... Le cadeau de Noël était là, dans cette vision de la condition humaine, cette option acceptable à laquelle on pouvait croire et vers laquelle on pouvait se diriger. 
 

jeudi 15 décembre 2022

Voyager : soleil ou pluie, qu'importe

 

Dire que cette ville grisaillée par l'hiver va m'en faire en voir de toutes les couleurs...

mercredi 14 décembre 2022

Vivre : photo de groupe sur tapis blanc

 

Les arbres, en hiver, on dirait qu'ils prennent la pose comme jamais
et nous, subjugués, on est toujours prêts à leur tirer le portrait.


mardi 13 décembre 2022

Voir : n'importe qui n'importe quel jour

 
Affiche du film Any Day Now
 
Une histoire tristement banale, comme il en existe des milliers un peu partout en Europe en ce moment. Une famille iranienne un brin fantasque, développant des trésors d'énergie et d'adaptation, se voit refuser sa demande d'asile dans un coin perdu de la Finlande. Comment montrer les espoirs déçus et l'injustice, la violence et l'insécurité face au lendemain ? Hamy Ramezan raconte tout cela avec fraîcheur et sensibilité à travers l'expérience d'un jeune garçon de treize ans en train de vivre un été qui pourrait être insouciant. Point besoin de tout dire. Point besoin de tout montrer. La force de l'art tient dans la capacité à solliciter les émotions et l'empathie chez le récepteur. Le résultat : une œuvre tendre et attendrissante pour dire le vécu de ceux qui fuient la misère et les persécutions à la recherche d'un lieu stable où s'enraciner. Le film s'achève sur leur réveil après une dernière nuit dans un dortoir dépouillé d'aéroport.

On visionne ce long-métrage juste après avoir appris le dernier épisode du Qacargate et cette affaire de corruption n'a sans doute rien à voir. Sacs débordants de fric et blanchiment organisé, cartes de crédit illimité et avantages divers (entre autres : une promesse d'achat de chalet pour un syndicaliste bien sous tout rapport). Alors que certains êtres sont renvoyés dans leur pays comme personnes non gratae, on se demande qui sont les vrais indésirables. On se dit qu'on pourrait aussi en expédier certains autres au Qatar. Pourquoi ne pas les envoyer là-bas trimer sur des chantiers, puisque ce pays est apparemment "un précurseur en matière de droit du travail" et "un garant des libertés" ? En cette fin d'année où de plus en plus de gens ont de la peine à s'en sortir dans tous les pays (tant de gens en passe de basculer ou qui ont déjà basculé dans la précarité) ce scandale de trop a de quoi donner une sacrée nausée.
 

lundi 12 décembre 2022

Vivre : s.o.s. décembre

 Venezia / Torre dell'Orologio / Piazza San Marco

Certains jours, au secours, le ciel est particulièrement bas, les matins particulièrement gris. Les infos indiquent une hausse exponentielle des taux de consultations psy et des arrêts maladie. On veut bien le croire. La vie semble se faire de jour en jour plus tendue. La lumière diminue. L'insécurité grandit, les sourires se raréfient. Chacun doit compter avec sa liste de contrariétés. Mais pour certains aux égos bien dimensionnés il n'y a pas plus malheureux qu'eux et c'est autour de leurs douleurs que le monde doit tourner. 
Pourquoi se le cacher ? Le monde apparaît comme agité, la plupart du temps. Incohérent, souvent. Et même hallucinant, beaucoup trop fréquemment.
On dégaine quand même quelques trucs de sa besace : On lève les yeux en inspirant. On observe alors les arbres, les envols élégants et, tiens, là-haut, un nuage rosi par on ne sait quel rayon. On dirige ensuite le regard à l'horizontale. Sur le chemin : un cycliste heureux de pédaler, un gendarme pas vraiment doué pour gendarmer, le voisin toujours prêt à dépanner. Dès lors, arrivent à la chaîne : la découpe des branchages, les danses des nuages, la séance attendue impatiemment, le parfum des pâtisseries maison, et... deux miraculeuses cicatrices en voie de guérison.

dimanche 11 décembre 2022

Vivre : l'impatience des oiseaux



 Tapis blanc sur la terrasse.
 Titinements voraces.
Les pieds nus laissent six traces.


samedi 10 décembre 2022

Vivre : deux hivers

 

 
Il a enfin neigé. Entre ici et là-bas, il existe un fossé, deux manières de penser l'hiver, de le vivre, de l'appréhender. 
 
Là-bas, les flocons détrempés, les flaques mauvaises aux souliers, les parapluies ouverts, les parapluies fermés, l'attention portée à ne pas s'étaler. Et les pauvres vitrines grimées cherchant à racoler, à transformer les passants en badauds, les badauds en clients à plumer. Parmi les êtres transis : ceux qui avaient de quoi se laisser délester - dorures, logos clinquants, effets brillants, prix cassés, immenses sacs baladés - et ceux qui n'avaient que des gamelles à ramasser (ou à éviter de ramasser). Là-bas aussi, d'une rue à l'autre les fossés se creusaient. La neige était cruelle à certains qui râlaient, transportant des paquets, promenant leurs balais. Noël bling-bling, t'as pas l’œil pour admirer, t'as pas envie de te marrer. Coups de klaxon si t'as le malheur de te prendre à rêver dans cet univers tout grisé.
 
Ici, la vie au ralenti, une campagne endormie, les pas nonchalants des promeneurs, des facteurs, des livreurs alanguis. La blancheur adhère et chacun adhère aussi à un autre rythme, tempère ses envies, temporise pour parvenir au soir, heure après heure, petit à petit, aspirant en ce flegmatique vendredi à finir par retrouver son lit (et son week-end aussi). Rien de trop, rien d'exagéré, et pourtant en fin de journée le travail sera fait comme promis. Dans les champs, la neige tient sous les pas des chevreuils et des chiens. Dans les rues, les enfants traînent leurs luges, les gens se saluent en rapportant leur pain. Dans les arbres, les corneilles immobiles restent au aguets, les moineaux habiles décorent les branches épurées. Tout a changé. Rien n'a changé. C'est juste l'hiver qui se fait. C'est juste le paysage qui a blanchi.

vendredi 9 décembre 2022

Vivre : être là

 

On a beau savoir. On avait négligé - depuis quand? - la noblesse des rayons qui balaient d'heure en heure la maison. Et le chien qui réclame son content de caresses le long de son poitrail blondi par la danse des bougies. Et le son rassurant des voix aimées. Et les notes de Fauré comme une pluie d'étoiles oubliées, dispersées sur la plage solitaire des matins d'hiver.  

Réaliser encore et encore, de plus en plus souvent, combien il est vital d'être présente à tout ce qui frémit et palpite. L'absolue priorité de l'attention au vivant. On a beau connaître depuis longtemps l'exigence d'être toute à l'instant. Savoir observer les détails apparemment insignifiants qui en disent mille fois plus que les boursoufflures et les postures et les pompeuses explications.  
 
Ne pas se laisser distraire par les inconsistances et les apparences. Rester chez soi, demeurer en soi. Refuser d'accorder des égards à ce qui n'en mérite pas. Vivre. Rien que cela.

jeudi 8 décembre 2022

Vivre : des sons et des nageurs

 

 
Avec le temps,  parvenir à distinguer le plouf d'une poule d'eau avec le plongeon d'un castor importuné.
 
 

mercredi 7 décembre 2022

Vivre : une question d'équilibre

 
Relatum / Lee Ufan / Arles
 
Face à tous les malheurs de novembre (qui se poursuivent en décembre, sans parler de janvier)
pouvoir faire face avec élégance, un brin d'humour, un soupçon de légèreté, beaucoup d'habileté.
Être présente, toujours, et toujours manifester sa solidarité, mais surtout ne pas se laisser plomber.

mardi 6 décembre 2022

Vivre : les valeurs refuge

 
La couturière / Camille Pisarro / The Art Institute of Chicago
 
 
Relire des livres lus des dizaines de fois. Se lover dans le doux plaid à motif cachemire rouge grenat. Réécouter encore et encore Francesco de Gregori et Lucio Dalla. Enfiler de bons vieux jeans tout râpés, effilochés par endroits. Revoir des histoires qui font tambouriner le cœur. Besoin d'échos, de musiques et de valeurs sures. Besoin de chaleur, de repères, de ces refuges qui sont comme des phares. Rien de nouveau, de grâce, rien d'extraordinaire : juste regagner son propre univers comme une tanière. Un poste sûr d'où observer l'hiver.

lundi 5 décembre 2022

Vivre : still life / 124

 

Les calendriers de l'Avent. Il y a ceux que l'on prépare et ceux qu'on se fait offrir. Cette année, des lièvres et des perdrix se sont invités devant un paysage enneigé. De l'autre côté de la vitre, sur la terrasse, voltigent les moineaux, les mésanges et les merles affamés, tandis qu'un couple de corneilles veillant aux grains observe leurs va-et-vient depuis le châtaigner. 
Tous les jours émergent du calendrier de nouveaux personnages. Cœur battant, c'est la surprise du matin. Mais, au moment d'ouvrir la fenêtre, c'est surtout un bout d'enfance qui revient. Un souvenir remonte, d'une précision sans faille, serti d'odeurs et de couleurs, arrivé de lointains hivers dont il était resté prisonnier. Senteurs d'épices et boules de verre, tensions et chamailles, catalogues compulsés et index pointés, langueurs et attentes, buées du soir, peur du noir, amour perdu, éperdu, recherché, assiette boudée, menaces de fessée, chocolat chaud et marrons glacés. La ritournelle s'égraine tandis que dehors la valse hivernale tourbillonne sans discontinuer.



samedi 3 décembre 2022

Vivre : distinction

 
 
Rien de mièvre ou de galvaudé :
être capable de rêver. 
Pas gober. Pas somnoler : rêver. 
 

 


Regarder : des bêtes et des hommes

 
Thomas Rousset / Prabérians / Françoise et son busard / The Guardian / 29.11.2022

L'autre jour, suis tombée sur le travail de Thomas Rousset, un photographe isérois, diplômé de l'Ecole Cantonale d'Art de Lausanne en 2009 et qui vit et travaille actuellement dans cette ville.
C'est un artiste qui commence à acquérir une certaine reconnaissance. Ses recherches photographiques prennent naissance à Prabert, un village au nord-est de Grenoble dont il est originaire. Ses images à la fois ancrées dans la ruralité et empreintes de surnaturel impressionnent par leur profondeur et leur originalité. Chacune d'entre elles raconte une histoire hors du commun, que le spectateur peut interpréter en toute liberté. Le reportage qui lui était consacré sur le site du Guardian (ICI) cette semaine est très évocateur. Apparemment, il s'agit d'un travail de longue haleine, mené sur une durée de quatre ans et qui se base sur son projet de fin d'études de Bachelor en communication visuelle et photographie.
Il a entre autres représenté Françoise, une paysanne du coin, qui a établi au fil du temps une relation de confiance avec un busard et a fini par cohabiter avec lui. 
De tous les oiseaux de notre région, les busards sont les plus attachants. Il y en a une multitude qui volent autour de la maison et veillent sur nos promenades. Ils ont quelque chose d'impressionnant (des rapaces, tout de même) et en même temps, ils paraissent si proches, un peu farouches, empreints d'une grande noblesse sans être vraiment intimidants, se faisant souvent harceler par les corbeaux, plus petits, mais nettement plus agressifs. Ce qui frappe dans ce portrait proposé par Thomas Rousset, c'est le lien horizontal entre ces deux habitants de la montagne, leur partage de l'espace intérieur, l'effacement des frontières entre humain et volatile. 
Des images terre-à-terre un peu décalées, un peu oniriques, hors des clichés bucoliques. Loin de toute mièvrerie, une invitation à porter un autre regard sur les territoires alpins et les êtres qui en sont natifs.
 

vendredi 2 décembre 2022

Vivre : la nuit éclaire...

 

L'obscurité - c'est bien connu - n'existe pas.
Pourquoi dès lors se laisser impressionner ?
Pourquoi ne pas apprendre à apprivoiser ? 
Le ciel et ses lumières. Les rais timides. Les arcs limpides.
Aller au-devant des gris et des verts. Oser explorer
tout un monde de splendeur : la nuit éclaire.

jeudi 1 décembre 2022

Vivre : apprivoiser la peur

 
 Werken / Bernardo Oyarzun / Biennale Venise / 2017
 
Hier soir, longues et lassantes plages publicitaires au cinéma. Tout à coup, l'une d'elles me frappe, peut-être parce qu'elle présente une classe d'adolescents en plein cours, qui n'agitent pas de boissons sucrées ni d'abonnements à prix massacrés, qui ne sont pas près de se mettre à chahuter. Non. Ils travaillent. Au bout de quelques plans, la caméra se centre sur un jeune au visage pâle. On le voit en proie à un curieux malaise. Il s'agite et se penche sur son cahier. Incapable de se concentrer, il gribouille une boule noire dans une colonne. Il n'entend plus ce qui se dit autour de lui. Il est effrayé quand le professeur s'approche pour l'interroger. Bonjour l'angoisse. Sauf que lui, l'angoisse, il ne sait apparemment pas ce que c'est. Pour le savoir, il devrait pouvoir la nommer. Et pour pouvoir la nommer, il devrait être en mesure de prendre un peu de distance, être capable de l'identifier. Or, il est précipité dans sa férocité. Il en a peu à peu des hallucinations, il halète, une tache noire se forme et s'étend sur sa poitrine. Il finit par sortir et fonce dans les toilettes pour s'asperger d'eau.
Après quelques instants surgit un de ses proches camarades, qui l'invite à respirer. Le clip s'achève par une injonction : l'angoisse peut arriver n'importe quand. Ne reste pas seul. Parle-en. 
Ce message, en contraste total avec toutes sortes d'appels à consommer, avait quelque chose d'étonnant. Aurait-on parlé de l'angoisse ainsi avant ? Avant quoi, exactement ? Avant la pandémie, la guerre, les différentes crises qui plongent dans l'incertitude la population (et surtout les jeunes censés se préparer au monde des grands, le monde pour de vrai, le monde sans les parents). 
Libérer la parole. Ne pas se croire seul. Savoir que d'autres vivent dans leur chair ce genre d'expérience : Sans doute les premiers étapes pour s'en sortir quand on se sent décalé, qu'on se retrouve traumatisé, totalement terrifié. Comme dans une rivière, les premières brasses pour apprendre à nager.

 

mercredi 30 novembre 2022

Vivre : la vie devant soi

 
 
 Double igloo de Porto (1998) / Mario Merz / Cour d'honneur / Venaria Reale / Turin
 
Certains se plaignent de l'ennui qui se présente à eux
- tant de propos, de gens, de sujets assommants... -
ils oublient que la plupart du temps l'ennui est un produit du dedans. 
  

mardi 29 novembre 2022

Vivre : il fait soleil dès le matin

 
 
Le silence uni de l'hiver
est remplacé dans l'air
par un silence à ramage ;
chaque voix qui accourt
y ajoute un contour,
y parfait une image.
Et tout cela n'est que le fond
de ce qui serait l'action
de notre cœur qui surpasse
le multiple dessin
de ce silence plein
d'inexprimable audace.


Des biches à nos fenêtres quêtant de quoi déjeuner, 
des corbeaux sur la terrasse semblant nous interroger, 
le Jura en traits surlignés : l'hiver a pris ses nouveaux quartiers. 
Et Rilke, naturellement, Rilke.
 
Vergers / poèmes en français / n°47

lundi 28 novembre 2022

Regarder : le vaste monde de Constable

 
 
Il disait : Le monde est vaste; il n'y a pas deux jours pareils, ni même deux heures.
(il n'a jamais vraiment quitté l'endroit où il est né, et, s'il lui est arrivé de faire une incursion
dans la région des Lacs, au Nord-Ouest de l'Angleterre, il n'y a pas réalisé de peinture : cela l'angoissait)
Dans ses tableaux, il s'agit de se pencher, pour parvenir à observer, 
trouver tous les détails qu'il s'est appliqué à dessiner.
 
Fen Lane / East Bergholt / 1817
 
 
Il disait :  Le ciel est ´source de lumière' dans la Nature et gouverne toute chose.
Sa peinture, au premier regard, peut paraître classique, une brin convenue, presque ennuyeuse.
On serait tenté de lui préférer son contemporain Turner, capable d'excès et de grandes envolées,
 tellement plus audacieux, plus moderne, mais...
 
 Étude de nuages / 1822

La mer près de Brighton / 1826 / Tate / UK
 
Il faisait siens ces propos de son collègue Benjamin West : Souvenez-vous, monsieur, que les lumières et les ombres ne sont jamais immobiles. 
 
Amoureux de la nature (une nature accueillante et bienveillante, éloignée des grands effets du "sublime"), il peignait en plein air. On peut le définir comme un peintre romantique, ou affirmer qu'il est un précurseur des Impressionnistes. On peut. Mais on est aussi libre, sans l'étiqueter, de prêter à ses toiles toute l'attention qu'elles méritent, de porter son regard sur les mille finesses qui constituent l'ensemble de ses toiles. Ainsi, cette vue de Brighton :
 
 Chain Pier / Brighton / 1826-27 / Tate / UK / 1270 × 1829 mm
 
 


Plus on s'approche et plus on y distingue des choses. C'est fascinant. Tout un univers s'ouvre à nous. Constable nous apprend qu'il n'y a rien de banal, que tout mérite qu'on s'attache à scruter. 
 
Certains peintres font des recherches à l'horizontale, explorent, changent, évoluent. Certains autres, creusent, reviennent sur le motif, trouvent toujours matière à expérimenter, à revoir, à percevoir encore et encore cent raisons de s'extasier. 
 
 John Constable. Paesaggi dell'anima, Venaria Reale, Torino, jusqu'au 5 février 2023.
 

dimanche 27 novembre 2022

Vivre : noir et blanc

 
 
Tandis que je parcourais les vastes couloirs désertés, je me rappelai soudain qu'on était le Black Friday, lequel serait suivi par le Black Saturday, tous deux faisant partie de la Black Week, et songeant à tant de noirceur annoncée, je profitai de la lumière et de l'espace qui m'étaient proposés.

samedi 26 novembre 2022

Vivre : l'attente


 

Pas fan de Noël, absolument pas. Je n'aime ni les magasins bondés, ni les cadeaux trop vite et trop mal castés, ni les dépenses inconsidérées (ces festivités à la chaîne tellement anticipées, qu'on finit par s'en lasser avant de les avoir savourées). Ni les familles tout sourires qui font tout bien dans la tradition (images d’Épinal, dinde aux marrons, bûche et enfants blonds), ni le fait que des tas de gens vont se sentir exclus (qui vont penser à tout ce qu'ils n'ont jamais eu ou à ce qu'ils n'auront plus). Quant au sens profond de la Fête, cet espoir de renaissance qu'on nous refourgue chaque année, il sent de plus en plus le réchauffé.

Pas fan de Noël, mais l'idée que ce sera juste dans un mois me met dans un étrange état. C'est peut-être une piqûre de rappel, l'enfance qui remonte par bribes et se réveille. C'est peut-être la nuit qui tombe beaucoup trop vite sur un trop-plein de lumières. C'est un bizarre magma :  une douleur lancinante rappelant les hivers d'autrefois, l'illusion qui pulse au risque d'être déçue, le rappel d'un bonheur perdu. C'est ce temps suspendu, c'est une pause attendue, l'audace d'espérer quelque chose de fou, c'est la possibilité d'un rêve. Oui, c'est peut-être simplement cela : le symbole du Père Noël quand on s'aperçoit qu'on n'a jamais cessé d'y croire, dur comme fer, qu'on veut lui écrire et que cette année encore on scrutera le ciel pour ne pas le manquer quand il se présentera.

vendredi 25 novembre 2022

Vivre : stress de novembre

 
 Fabienne Verdier / Les énergies blanches / Nuit fluide / 2018

Petite entaille au pouce en ouvrant l'emballage de café. Trébuchement sur un vêtement mal rangé. Branches hostiles dans la forêt. Oubli du sel dans la brioche beurrée. Ces petits riens, ces trois fois rien sont des messagers. Le corps et les choses viennent nous parler : recentre-toi, apaise-toi, prends le temps d'être là, dans ta vie et de regarder le ciel qui flamboie.

jeudi 24 novembre 2022

Vivre : yoga matinal

 

Le Jura étire ses bancs au réveil  
ne manque jamais de saluer le soleil

mercredi 23 novembre 2022

Vivre : still life / 123

 

Novembre : généreux en pluviométrie, avare en éclaircies, longue traversée de la nuit. Or, il se trouve que cette année P. a décidé de faire l'impasse sur l'heure d'hiver, par on ne sait quelle lubie. En pleine forme dès cinq heures et demie, il tient à nous en informer, montant et descendant les escaliers, agitant ses médailles, secouant allégrement ses membres engourdis.
Hum. On a beau tenter d'ignorer, se retourner, et feindre de dormir : rien n'y fait. On finit par se mettre en chemin sous les étoiles (ou les nuages, ou la pluie) rejoindre les rives et leurs tranquilles clapotis. Mais pas question de négliger l'indispensable torche, car si, sur notre trajet, une souche ou une branche peuvent être traitresses, un conducteur trop pressé pourrait aisément nous précipiter dans un fossé. Voir et être vus en ce mois scélérat est une règle absolue.

Pas après pas, la contrariété cède peu à peu face à la beauté des lieux. L'heure bruisse d'ombres, de souffles et de cris. Nous atteignons la plage et ses flots aux tremblements argentés. On dirait que la lune s'y est dissoute en descendant s'y baigner. Ça et là, une fenêtre éclaire un jardin, branches flottantes, brumailles dansant dans le vent du matin. Au fond de leur cuisine, quelques vagues silhouettes encore prises par leurs rêves chancellent vers leurs cafetières. L'autoroute au loin ressemble à un long collier dont le lac se serait paré. Les poules d'eau poussent de grands cris à notre passage, toute la colonie se met sur le qui-vive, nous voici transformés en génies patibulaires, en potentiels envahisseurs et nous nous hâtons de disparaître dans la cariçaie. 
 
Il y a quelque chose de magique dans le jour qui s'efforce de percer, des lueurs qui glissent, remplies de promesses, des prémices qui passent, qui poussent, se font peu à peu place pour nous signifier que la noirceur n'existe pas.
A la fin de notre balade, un voile se soulève : nous rentrons avec la certitude que la journée est prête à commencer. La nuit sur le point de faiblir, se rend et accepte enfin de laisser la lumière survenir. Oui, nous rentrons réconfortés : le noir n'existe pas, ne peut pas exister et les arcs-en-ciels ne vont pas tarder à nous le prouver.

mardi 22 novembre 2022

lundi 21 novembre 2022

Vivre : keep cool

 
Femme au divan / Henri Matisse / Kunstmuseum / Bâle
 
Paradoxe qui ne cessera jamais de surprendre :
la rapidité avec laquelle on exécute des tâches entamées avec lenteur, ou avec désinvolture,
tandis que les efforts pressés et saccadés ne portent qu'à maints déboires et contrariétés.