Les Sarcleuses, Camille Pisarro, collection privée
La Suisse est un pays doté de quatre langues officielles : l'allemand (parlé par 65% de la population), le français (25%), l'italien (8%) et le romanche (une sympathique langue ladine parlée par une toute petite minorité dans les Grisons).
Compte tenu de ces données, nous sommes tous tenus de parler (ou du moins de comprendre) une autre langue que la nôtre. Quand R. assistait à des colloques nationaux, souvent il était plus simple pour les représentants des quatre communautés de s'entendre en anglais, une cinquième langue en train de s'imposer, surtout dans les grandes places d'affaires.
Berne, notre capitale, à 40 kilomètres d'ici, est une ville germanophone et je m'y rends régulièrement. Comme j'y demande mon kilo de carottes en français et qu'on me rend la monnaie en allemand, j'essaie de tenir plus ou moins à jour mes connaissances de la langue de Goethe. Pour rafraîchir mon vocabulaire courant, le moyen le plus simple consiste à suivre quelques blogs sans prises de tête.
J'ai donc cherché il y a quelques années des sites allemands traitant de vie quotidienne et suis tombée par hasard sur un réseau de blogueuses s'adonnant à divers bricolages, dessin, couture, photographie, des personnes en activité professionnelle, mais pas seulement. Il est amusant de constater à quel point les membres de ces blogo-réseaux s'en tiennent toutes aux mêmes patterns (pour parler en bon français). Elles publient en fin de semaines et rendent toutes compte de :
1/ ce qu'elles ont mangé, avec photographies de petits-déjeuners et déjeuners 2/ des balades qu'elles ont faites (avec images d'arbres, de fleurs et d'attendrissants moutons) 3/ des goûters qu'elles ont pris en ville ou en excursion avec une amie dans des coffee shops décontractés 4/ de leurs activités créatrices (pullovers, peintures, poteries ou couvertures en tissus bariolés) 5/ occasionnellement de lectures appréciées. Il y a dans le groupe des personnes extrêmement douées, d'autres qui s'efforcent de les imiter.
Pour les participantes, il s'agit d'écrire leurs billets en s'alignant le plus possibles sur des règles implicites. Les thèmes traités, ainsi que les modalités de présentation sont étrangement similaires (sans doute en va-t-il ainsi de toute appartenance à un groupe humain). L'autre jour, une femme s'est permis d'émettre un avis sur la politique de son gouvernement en matière de soutien à l'OTAN. Elle se disait ulcérée par l'attitude de celui qu'elle nommait "le tsar W." Le jour même elle s'est vue commentée de manière légèrement réprobatrice : on ne parle pas de politique sur ces réseaux (les balades et les écharpes, les ânes et les arcs-en-ciels, quoi qu'il arrive s'en tenir à du consensuel).
Ainsi, il arrive souvent en parcourant ces blogs de se retrouver face à des séries de photos qui paraissent dupliquées : des cappuccinos accompagnés de tranches de gâteau, des chaussettes habilement ajourées, des vélos prêts pour une randonnée, rosiers en pot, bols de céréales saupoudrés de myrtilles. Des tranches de vie arrivées tout droit de Bavière, du Brandebourg ou de Rhénanie.
Quant à moi, lire deux ou trois de ces blogs tous les samedis matin avant de partir pour la Suisse alémanique faire une virée me repose et me fait voyager. Enrichir mon lexique est devenu un phénomène distrayant, bien éloigné des fastidieux cours d'allemand, avec leurs genres, leurs déclinaisons de verbes barbants et toutes sortes de cas déconcertants.