Portrait de la soeur de l'artiste / W. Hammershoï / SMK / Copenhague
Elle paraît de prime abord un peu étrange. Elle est très pâle et peu souriante. Vraiment pas engageante. On s'adresse à elle et c'est comme si ce qu'on lui dit mettait un temps infini à lui parvenir. On a l'impression qu'on la dérange. Ses mots sont des monosyllabes qui se font attendre. Ce n'est que vers la fin, quand elle plie avec soin notre chemise, qu'elle se tourne vers notre chien et dit que le sien lui ressemble... sauf que son chien a un flanc blessé. Il a été gravement brûlé. Une conversation s'engage. Elle a le regard vague, tâtonnant mais elle répond à nos questions. Son chien se trouve... au Mozambique. Un pays où elle est née et qu'elle a quitté enfant. Elle ne peut plus y retourner. Sa dernière visite date d'il y a huit ans.
Depuis... il y a eu la guerre - à vrai dire : des guerres interminables - les troupes Wagner, des désordres politiques et des ouragans. Dernièrement : le cyclone Chido et ses vents violents. Elle parle de leur grande maison au bord de la plage comme si elle l'avait quittée hier. Elle dit nous, mais quand elle mentionne son père, c'est toujours à l'imparfait. Elle reparle du chaos là-bas, les paysans, le puits d'eau potable détruit par l'ouragan, la misère, la guerre civile, les djihadistes, les intérêts énergétiques. Et à nouveau, son père, conjugué au passé, un Suédois parti en Afrique pour aider les gens à irriguer.
On comprend alors sa peau blanche, ses yeux hagards, perdus entre deux univers, et son comportement devient soudain tellement évident, reflet de ce monde laissé là-bas et pourtant si présent. Comment vivre entre ici et là-bas, sans tangages ? Avant de s'en aller, on lui demande ce qu'on peut lui souhaiter pour cette année qui commence : la paix. Elle répète la paix. On la rejoint dans ce souhait (mon dieu, qu'est-ce qu'on donnerait pour que le monde s'arrange, au moins un peu, au moins pour l'eau, la nourriture et un toit). On gagne la sortie et on ne voudrait pas la laisser là. On se retourne, mais son regard est déjà reparti ailleurs. Dans un lointain univers que les gens d'ici ne comprennent pas.