vendredi 31 mars 2023

Vivre : des fourmis et des hommes

 
Allégorie de l'Astronomie / Tombe de Fabrizio Ottaviano Mussotto / Giovanni Duprè / Camposanto / Pisa


Sur le quai de la gare, elle observait les gens, montant, descendant, faisant les cent pas, courant pour attraper leur correspondance, se bousculant, se remerciant, confus, pour un parapluie oublié et miraculeusement tendu, adoptant des mimiques irritées quand d'autres voyageurs se mettait en travers de leur chemin, ressemblant à ces fourmis sillonnant le monticule de leur fourmilière qu'elle aimait tant, enfant, observer durant des après-midis entières, tarabuster parfois à l'aide d'une brindille, fascinée par leurs trajectoires survoltées, organisées mais si aisément agitées. 
Puis, quand son train arrivait, elle estimait en avoir assez vu et tirait un livre de sa poche, bien décidée à ne rien perdre du voyage, à ne parcourir qu'une ligne à la fois, sans sauter ni esquiver ni changer de voie, absorbée par le discours, décidée à rester sur les rails qui gentiment la berceraient jusqu'à la fin du trajet.
 
 

jeudi 30 mars 2023

Vivre : ouvrir des portes

 

Ce matin-là, bien décidée à dénicher des espaces propices à la création, 
oubliant le fleuve et ses rives prodigues en remous, négatives en ions
je levais le nez vers les façades, les frontons et les encorbellements, 
je découvrais nombre d'entrouvertures sous les arcades élégantes.
Le monde semblait m'avoir comprise et vouloir me tendre mille invitations.

mercredi 29 mars 2023

Vivre : en bonne compagnie

 
Oiseaux (des perdrix?) / Détail Madonna dell'Arancio / Cima da Conegliano / Accademia / Venezia
 
 Ils prennent du service à cinq heure trente-six
(entendre leurs premiers couplets me réjouit et me tire du lit)
Ils sont encore sur le pont à 20 heures vingt-huit
(lancent leurs odes à la lumière qui lèche les rives et s'évanouit)
D'un bout à l'autre du jour, ils bercent nos oreilles ravies :
les merles.

mardi 28 mars 2023

Vivre : la suiviste

 
Madonna con bambino tra due sante (dett.) / Giovanni Bellini / Gallerie Accademia / Venezia
 
Elle tenait ce matin-là un tout autre discours que la veille. Quel besoin d'approbation, de reconnaissance et d'appartenance la faisait-il à ce point plier, approuver, admettre (et renier), quel besoin qui à force finissait par la rendre mièvre, une personne qui jamais ne dérangerait, dont peut-être personne ne se souviendrait ?
 

lundi 27 mars 2023

Regarder : le retour de Fiamma

 
Fiamma / 1941
 
Le 24 janvier dernier, à la veille du jour de la Mémoire, s'est ouverte au Palazzo Pitti, à Florence, une exposition consacrée à l'artiste allemand Rudolf Levy.

"Rudolf Levy (1875-1944). L'opera e l'esilio" est la première exposition monographique consacrée à ce peintre et se tiendra jusqu'au 30 avril 2023. Elle a été préparée en collaboration avec le Museo e Centro di Documentazione della Deportazione e Resistenza di Prato. Elle offre non seulement l'opportunité d'admirer un travail artistique trop longtemps méconnu (on trouvera un aperçu de certaines toiles ICI) mais aussi de se pencher sur la trajectoire passablement tourmentée de cet homme né à Stettin, en Poméranie, et probablement décédé durant sa déportation à Auschwitz en janvier 1944.

L'an dernier, le directeur des Offices, Eike Schmidt, avait annoncé l'acquisition d'un tableau du peintre, Fiamma, lequel se trouve actuellement en bonne place dans la Galleria Palatina du Palazzo Pitti. Rudolf Levy – avait expliqué Eike Schmidt – était l'un des plus importants artistes juifs en exil à Florence durant la seconde Guerre Mondiale. Ses œuvres, inspirées par Matisse, furent mises à l'index par les nazis en tant qu'«art dégénéré ». Bon nombre d'entre elles ont été détruites en Allemagne.
 
A propos de Fiamma, le tableau a été exposé à Tel Aviv en 1968, ainsi qu'à Milan et à Berlin en 1995. Le monde académique italien l'a eu sous les yeux depuis l'année 2000, puisqu'elle apparaissait en couverture d'un livre consacré aux Juifs sous l'Italie fasciste. La maison Pandolfini, qui s'est chargée de la vente aux enchères du tableau, fournit ces renseignements sur son site ICI.
 
Pourquoi cet achat des Offices et pourquoi cette exposition en Toscane, précisément à Florence ? Levy a passé dans la capitale toscane les trois dernières années de sa vie. Il y a vécu et travaillé jusqu'au 12 décembre 1943, date à laquelle il fut arrêté, emprisonné, détenu à Milan et finalement déporté. Les conditions de son arrestation furent particulièrement tragiques : il tomba dans un guet-apens tendu par des agents de la Gestapo, qui s'étaient fait passer pour des collectionneurs intéressés par son travail et qui souhaitaient le rencontrer.

Toutefois, l'exil tourmenté du peintre avait commencé bien des années auparavant, en 1933 lorsque les persécutions nazies l'obligèrent à fuir l'Allemagne pour trouver refuge d'abord à Rapallo, en Ligurie, puis à Majorque. Le déclenchement de la guerre civile espagnole le contraignit ensuite à partir momentanément à New-York, avant de revenir en Italie, entre autres à Ischia, où vivait une petite communauté d'exilés allemands. Lors de la déclaration de la Guerre, en 1939, son permis de séjour ne fut pas renouvelé et une tentative de repartir pour New-York échoua à cause de son manque de moyens financiers. Il rejoignit alors clandestinement Florence, puis vécu caché dans la campagne des environs. 

Il est intéressant de noter qu'à Florence, il séjourna à la pensione Bandini, intégrée au palais Guadagni, donnant sur la piazza Santo Spirito, à quelques centaines de mètres du Palazzo Pitti. C'est durant cette dernière période que date le tableau "Fiamma", réalisé en 1941. Ainsi, le portrait de la jolie et mélancolique jeune femme attend ces jours-ci ses admirateurs pratiquement là où il a vu le jour, il y a près de quatre-vingt ans.
.
 

dimanche 26 mars 2023

Vivre : courir avec les escargots

 
Blub / Street Art / Venezia
 
Ces "il faut" et ces "j'aimerais, mais", ces to-do-lists et ces piles qui s'empilent,
ce qui nous presse de peur qu'on ne régresse, ces craintes de se voir en perte de vitesse,
 tout ce qui nous saoule, nous bassine, tout ce qui nous ferait perdre pied : ras le bol ! 
ras le bol de tous les ordres dans le désordre, envie d'atteindre le pur accessible.
 

samedi 25 mars 2023

Vivre / Lire : adulte ? jamais

 
Ragazze a Nervi / Felice Casorati / Ca' Rezzonico / Venezia
 
Quoi que vous fassiez, que vous le fassiez seule ou non, à quelque moment que vous le fassiez, de quelque façon que vous le fassiez, pour quelque raison que vous le fassiez, quelque mystérieux que soit le but dans lequel vous le fassiez, n’oubliez jamais que sur l’autre plateau de la balance il y a toujours le néant, la mort, l’oubli. Que c’est vous contre l’oubli. Confessions d'un gang de filles / Joyce Carol Oates
 
Récemment, au micro de l'Embellie, Lola Lafon a présenté cette citation à propos de l'écriture. Tellement juste, ce petit texte qu'elle a adopté depuis longtemps, et applicable quand on y pense à toute activité dont la reconnaissance est incertaine.
 
Pendant l'émission, L.L. a beaucoup parlé de jeunes filles et de vieilles dames, de l'attention que l'on doit aux unes et aux autres et c'est marrant parce que quand on la regarde on est surpris par son apparence : une allure d'adolescente angélique et déterminée, et un visage de femme âgée, marquée par toutes sortes d'expériences. On l'observe et on dirait qu'elle a décidé de zapper la case "adulte", passant sans transition de la prime jeunesse à la vieillesse. Ou peut-être ayant tous les âges à la fois.
 
Par association, comme cela arrive souvent quand un artiste en rappelle un autre de manière aléatoire, j'ai repensé à Adulte ? jamais de Pier-Paolo Pasolini. C'est le titre d'un poème écrit à Rome en 1950 et aussi celui d'un recueil de divers poèmes composés entre 1941 et 1953, que René de Ceccaty a sélectionnés et traduits  :
 
Adulte ? Jamais. Jamais : comme l’existence
Qui ne mûrit pas, reste toujours verte,
De jour splendide en jour splendide.
Je ne peux que rester fidèle
À la merveilleuse monotonie du mystère.
Voilà pourquoi, dans le bonheur,
Je ne me suis jamais abandonné. Voilà
Pourquoi dans l’angoisse de mes fautes
Je n’ai jamais atteint un remords véritable.
Égal, toujours égal à l’inexprimé,
À l’origine de ce que je suis.
(Ed. Points, 1995, 2013)

✴✴✴✴

Adulto? Mai—mai, come l’esistenza
che non matura—resta sempre acerba,
di splendido giorno in splendido giorno—
io non posso che restare fedele
alla stupenda monotonia del mistero.
Ecco perché, nella felicità,
non mi sono abbandonato—ecco
perché, nell’ansia delle mie colpe
non ho mai toccato un rimorso vero.
Pari, sempre pari con l’inespresso,
all’origine di quello che io sono.

vendredi 24 mars 2023

Vivre : réveils

 
Le sous-bois / Hans Emmenegger / collection l'Hermitage / Lausanne 
 
au matin, partir vite vite, quitter les draps pour effleurer des ailes, 
deviner un museau, percevoir des courses lentes et des yeux candides
 venus comme nous  en curieux assister à l'embrasement des arbres 
 

jeudi 23 mars 2023

Lire : tikkun olam, le monde sera sauvé

 
 

Les historiens sont rarement allés dans les tranchées qu'ils ont décrites.[p.382]
 
Ce roman, quelle dextérité dans la rédaction, quel souffle dans l’invention ! Un livre de quelques 600 pages, érudit, triste et superbe, qui peut être lu comme un roman familial, une saga retraçant l’histoire de Georg Kempf, un « Volksdeutscher » né en Slavonie en 1919, enrôlé de force dans la Waffen-SS en 1943 et amené à traverser la Pologne durant les pires pages de la seconde Guerre mondiale, avant de rentrer pour tenter de trouver une place dans son pays natal en pleine réorganisation. On trouvera un résumé et l'accès aux premières pages sur le site de l'éditeur (ICI).

Étant donné son cadre historique et militaire, l’œuvre pourrait être conçue plus largement comme un livre d’histoire contemporaine et faire partie des programmes académiques focalisés non sur la « grande » Histoire, mais plutôt sur la microhistoire, celle des hommes et des femmes impliqués dans des conflits qu’ils n’ont ni voulus, ni compris, ni approuvés et qui ont dû se démener pour pouvoir faire face aux tempêtes et aux horreurs (pour survivre peut-être, dans certains cas). 

Avec ses nombreuses facettes, le livre est tant de choses encore : un texte sur les difficultés de l’ex-Yougoslavie à se créer, un prodrome de son échec à rester confédérée et des conflits à venir. Il se présente comme une immense fresque, contenant la somme de tous les savoirs de Slobodan Šnajder, lequel a mis à l’œuvre toutes ses compétences de chercheur pour apporter un éclairage sur les ravages des nationalismes et des fanatismes de tous genres. Ainsi, à travers de grands mouvements collectifs et des destins individuels, on y trouve exposées les idées de l'auteur concernant son pays, la situation des Balkans et plus largement sur le monde contemporain. 
 
 

Pour ma part (cela relève de l’hypothèse, mais l’interprétation est fondée) j’ai vu dans ce livre une recherche largement (auto)biographique, un hommage que l'auteur a voulu rendre "aux siens", à ses origines, à son père et à sa mère, comme pour réparer des liens effrités et trop d'occasions manquées (rappelons en passant que Šnajder peut être une "croatisation" du patronyme allemand Schneider).
 
Cet homme, mon père biologique, était à un certain moment sorti, de ma vie en claquant la porte, pour y revenir à une époque où j'en avais bien moins besoin. Aussi avons-nous toujours parlé comme deux intellectuels et non comme un père et un fils. [p.584]
La maison de retraite où j'ai jeté ma mère comme un rebut (jamais je ne me le suis pardonné) (...) je reconnais que mon cœur se serrait toutes les fois que je montais l'escalier jusqu'à la porte avec l'écriteau Ouvert de 6 heures à 23 heures.[p.592]
 
Dès le début, on sent à travers moult indices l'auteur très proche du narrateur, comme s'il s'était inspiré de la vie de ses parents (surtout de son père) non seulement pour raconter des histoires individuelles, mais aussi, à travers celles-c,i décrire les méfaits subis par l'Humanité au nom des notions de Peuple, de patriotisme et de diverses idéologies.
 

 
Le texte ne ménage pas ses lecteurs et présente par moments des pages d’indicible cruauté (par exemple, un bambin étouffé à cause de ses pauvres et coupables vagissements au fond d'une ziemianka où un groupe de Juifs s'est caché, ou une créature ayant eu le malheur de vouloir se présenter au monde au moment même où sa mère franchit le seuil d’une chambre à gaz). 
Mais le récit présente aussi des passages d’une superbe humanité. L’amitié et l'amour, le désir, l'aspiration à la beauté et à la poésie, la relation confiante à la nature, tout ce qui constitue l'existence d’un être humain sensible, intelligent, futé et généreux se retrouvant dans l'obligation de traverser les désastres du XXème siècle sont présentés avec une écriture formidablement maîtrisée.
 
A un moment donné, Georg (ou Djuka ou Jurek ou Youri selon les territoires et les situations) découvre un chien tombé dans un lac gelé et s'agitant désespérément. Des relents de chair brûlée tournoient dans l'air (on est à 25 kilomètres de Treblinka). Ce qui peut sembler dérisoire devient d'une importance vitale pour le protagoniste : il faut sauver le chien. C'est peut-être la seule chose sur laquelle Georg peut avoir prise, la seule chose humainement possible au milieu de tout ce bourbier, et il parvient à motiver le groupe d'hommes qui l'entoure avec l'énergie du désespoir :

Jurek montre le ciel, il invoque Dieu auquel ils croient tous parce qu'ils croient en sa bonté, car aimer Dieu, c'est aimer tout ce qu'il a créé, comme lui-même aime sa créature, et même lorsqu'il s'agit d'un minable chien menacé d'une terrible et injuste mort par congélation, sinon tout de suite, dès que le soleil commencera à se cacher derrière les nuages, au plus tard vers le crépuscule, il restera gelé dans le lac comme ces si nombreux soldats du front qui ne sont pas tombés sous les balles mais ont été fauchés par cette mort dont on dit qu'elle est blanche ... et qu'est-ce que ça fait, s'il n'a pas d'âme, ou n'a pas une âme complète, qu'est-ce que ça fait s'il n'a pas été baptisé, il a certainement quelque chose comme une âme, car il souffre, en général les âmes sont là pour souffrir, même si elles sont éternelles, alors sauvons ce chien par la réunion de nos forces (...) [p.349]

Et le chien sera sauvé dans un élan collectif. Et il fournira à Georg l'occasion de se lier d'amitié avec un commissaire russe apte à lui sauver la vie. 


Impossible de résumer ici tout le livre et, du reste, résumer une telle épopée équivaudrait à l'anémier cruellement. Il s'agit plutôt d'inviter à se lancer, à se laisser emporter par le récit et accepter de se voir confronté aux questions qu'il pose (des questions universelles, d'une grande actualité). Relevons toutefois que ce livre exigeant demande par moments à être quitté pour reprendre souffle ou pour aller rechercher des informations sur divers points de géopolitique et d’histoire. Mais, si l’on accepte ces contraintes, il donne lieu à un voyage intellectuel et personnel particulièrement stimulant. 

Soulignons en outre combien S. Šnajder est un écrivain expérimenté. Doté d'une immense culture, il fait montre d'une étourdissante créativité littéraire, par la vivacité de son style, par une capacité descriptive phénoménale, parfois picaresque, parfois poétique, parfois philosophique. L'originalité de son écriture tient aussi aux diverses voix qui portent le récit. Ainsi, il recourt à différents registres qui s'alternent et s'entremêlent : des scènes théâtrales, des tableaux, des dialogues, des poèmes, des narrations de rêves.
 
Le  récit comporte une infinité de détails. Ça et là, des phrases émergeant comme des aphorismes : "La misère n'a pas d'amis" ou "Il n'y a pas d'adresse sûre en ce monde". Parfois, en parallèle d'une narration à la troisième personne surgissent des pronoms tels que "je" ou "nous", qui font émerger une nouvelle voix narratrice. Le lecteur désarçonné se demande qui est en train de parler. Est-ce Georg, est-ce son fils adulte qui interviennent ainsi pour rendre la narration plus vivante ? Et puis, et surtout, il y a la place laissée à la voix d'un enfant non-né, futur fils du Volksdeutscher, exprimée en parallèle du texte dans des passages grisés, une voix émergeant des Limbes où elle observe et attend son heure, qui ne sait pas encore si elle pourra naître et qui sait pourtant commenter avec sagesse tout ce qui est en train de se passer et se passera.

Une nouvelle fois, je termine un livre centré sur la Seconde Guerre mondiale et sur ses conséquences en me demandant avec une infinie tristesse si quelque chose a véritablement changé en quatre-vingt ans. Longtemps pourtant, durant les dernières décennies du XXème siècle, on aurait pu croire avoir tiré les leçons de cet immense désastre. Mais on en arrive de plus en plus à douter : « Seconde » ou « Deuxième » Guerre mondiale ? La réparation du monde, objet de conversations sensibles entre Georg et le juif Leon Mordekaï, un croyant convaincu du sauvetage à venir, la réparation du monde est-elle possible ? Georg le pragmatique, le sceptique, en doute fort. Il est probable que S. Šnajder aussi. Quant aux lecteurs...
 
Ils se querellaient autour de la question de Dieu. On aurait pu penser que leur premier souci aurait dû être de se trouver un abri ou quelque chose à se mettre sous la dent, ne fut-ce que l'écorce d'un arbre ou des baies que l'on trouvait en cette saison en abondance dans les forêts polonaise; leur premier souci aurait dû être leur survie. Mais eux discutaient de la question de savoir s'il existait un Dieu vivant ou s'il n'était qu'un spectre mort pour les morts. Deux morts débattaient sur le Dieu vivant. Ils commencèrent à se donner l'un à l'autre du "collègue". [p.315]

En reposant ce livre remarquable, on sait qu'on va le reprendre bientôt. Ce n'est pas un livre qui se laisse cerner en une seule lecture. Il s'agit de le lire et de le relire autant qu'il le mérite. Bref, un livre stimulant. Plus : fondamentalement attachant.
 
Mes remerciements au blog « Passage à l’Est ! » pour l’avoir proposé en guise de lecture commune.


mercredi 22 mars 2023

Vivre : au-delà des apparences

 
La Vista XXVI / 1974 / Fernando Zobel /Fundaciòn Juan March / Mallorca

Parfois, déchirer ce brouillard - les mots, les fatras en tous genres -
parvenir comme à un sommet aux joies de la clairvoyance.

mardi 21 mars 2023

Vivre : ce trésor entre nos mains

 



 
A la boutique du Complesso Santa Maria della Scala, il y avait tant de livres que j'aurais pu emporter.
Des catalogues, en particulier, qui insufflaient l'envie de repartir plus loin, monter dans le premier train
rejoindre divers points de la Péninsule, débarquer à Rome ou à Milan, (re)découvrir des artistes passionnants. 
Il y avait entre autres la couverture jaune de Take your time. Une injonction pressante? Une invitation stimulante? 
Prendre son temps, effectivement, quoi de plus urgent ? Prendre. Prendre ce qui nous appartient. 
Ne pas laisser ce présent reçu en viatique s'échapper, ne pas se laisser déposséder. Réaliser combien 
est vital le temps que l'on sent dans le sablier de nos mains, que l'on savoure en accord avec notre quotidien. 
 

lundi 20 mars 2023

Voyager : d'une ville à l'autre

 
Casato di Sotto / Siena
 
ce besoin de mettre nos pas dans le silence
- nullement une absence de bruit, juste : du silence -

deux villes comme des cousines, même accents, mêmes origines,
 pourtant si opposées par leurs caractères, tumultueuse la première,
trop agitée, livrée en pâture à trop d'étrangers. Nous l'avons quittée.

 Via Banchi di Sopra
 
Ainsi... dans la seconde cité, racée, animée, vaguement décentrée,
nous avons trouvé la joie sans les cris, l'énergie sans la frénésie

 
Tête d'homme au bonnet phrygien / Museo archeologico / Siena
 
les rythmes et les allures se mettaient naturellement au ralenti
- pourtant, on aurait juré que tout allait se faire, comme promis -


 Casato di Sotto
 
les linges au soir rejoindraient leurs armoires pliés, parfumés,
les enfants retrouveraient leurs rêves après avoir longtemps joué
 
portrait d'un bijoutier (détail) / Maître flamand / collection Spannocchi / Santa Maria della Scala / Siena
 
 les trésors de la petite ville tenaient dans ce pudique secret :
savoir simplement être sans craindre de perdre ou de disparaître


mardi 14 mars 2023

Vivre : une halte all'Antico Fattore

 

 
A deux pas du fleuve, je me pencherai sur la carte, hésitant entre panzanella, ribollita, pappa al pomodoro, tous ces plats du pauvre qui savent réconforter sans rien gaspiller, j'étendrai sous la table mes mollets donnant quelques signes de contrariété je passera en revue sur les parois quelques photos attestant d'un valeureux pédigrée, je tirerai d'un sachet un ou deux bouquins, des noms aux sonorités étrangères, des titres en italien, je laisserai un air doux entrer par la porte régulièrement ouverte et mal refermée, un air qui viendra parler de renaissance à cette ville qui l'a vue naître et ne cesse de l'encenser. Malgré moi, je me mettrai à attendre l'été.

lundi 13 mars 2023

Vivre : andrà tutto bene

 
 Madone de la Miséricorde (détail) / Hans Clemer / Casa Cavassa / Saluzzo
 
Tu déboules et au fond de toi tu sais que tout ira bien. Tu le sens. Tu le veux. Tu t'y attends. Tu déboules
 sûre de toi, tu souris et le monde au-devant de toi vient te sourire en retour, miroir de ta propre confiance. Tu avances.

dimanche 12 mars 2023

Vivre : les valeurs nutritionnelles

 
Gas / 1940 / Edward Hopper / The Museum of Modern Art / New-York
 
Tandis qu'il faisait le plein, je me suis mise à observer le magasin 24/24 7/7 365 de la station. A travers les vitrages, on apercevait cet espace - grand comme un deux-pièces avec vue sur nationale - où les gens viennent trouver de quoi se sustenter sans trop avoir à se fatiguer.
Ce qui frappait : les couleurs, du rose, du rouge, du fluo. Encore plus frappant : la quantité de plastique, de toutes tailles, de toutes formes, renfermant boissons et autres aliments. Mais le plus frappant, c'était l'uniformité des contenus en regard à la variété des contenants : des sachets de chips clonés par dizaines, des pizzas dans l'attente anémique de micro-ondes, des légions de barres chocolatées, des sandwiches triangulaires désespérant de trouver preneur. Et des glaces, des quantités de glaces dont des images agrandies vantaient les plaisirs édulcorés. Des calories pour des rêves vite désintégrés. Des tentations à assouvir pour pouvoir se remettre à désirer. Du rien, du vide, du vent pour des corps éternellement frustrés.

 

samedi 11 mars 2023

Vivre : précipitations

 

dès la première sortie, le vent nous a emportés, le froid nous a giflés, et le ciel menacés

 
les arbres se balançaient, qui gémissaient, qui craquaient, qui semblaient près de s'envoler

 
on a marché déterminés, bien décidés à ne pas se laisser impressionner, on bottait branches et rejets
 

à peine la portière ouverte, la première goutte est tombée, énorme, une claque sur la chaussée et la tempête s'est déchaînée


vendredi 10 mars 2023

jeudi 9 mars 2023

Voir : surmonter sa honte

 
 
Empire of Light est un peu comme un kaléidoscope, renfermant quantité de couleurs, de thématiques et d'émotions, des fragments dont chacun peut observer les combinaisons et fournir sa propre interprétation. A chaque scène, comme un effet de secousse, on décèle une chose, puis une autre, et autre chose encore. Si on a parfois l'impression de basculer dans le lisse et le convenu, par une pirouette le scénario nous entraîne là où on ne l'attendait plus.
 
Résumer ce long-métrage revient à tenter d'en cerner les diverses facettes. Il pourrait s'agir de l'histoire d'une femme fragile, très fragile, que son intelligence et sa générosité n'ont  jamais su protéger des griffures de l'enfance et des échardes de la vie. Elle confie à son jeune ami au regard candide : "Enfant, j'allais pêcher avec mon père. On ne prenait jamais rien. Parce que là où on allait, ce n'était pas le bon coin. Mon père le savait, mais il avait trop honte pour oser demander." Ou alors ce pourrait être le récit d'une rencontre - une véritable rencontre d'amour et d'amitié - entre deux êtres que rien ne prédestinait à se voir et à se regarder, à s'entendre et à s'écouter, et qui vont parvenir à grandir ensemble. Élargissant le focus, il est possible d'y voir un film sur les années Thatcher, les tensions sociales, le racisme, la solidarité entre gens des milieux populaires, un film assez proche somme toute d'une œuvre de Ken Loach. Ou encore une fresque sur le cinéma, sa magie, son éclat, le cinéma en tant que lieu, en tant qu'échappatoire, en tant qu'ouverture sur le monde, le cinéma d'avant les plateformes, les confinements et les écrans plats à la maison. Le cinéma comme place ouverte aux émotions et aux possibles, un espace où la solitude n'est plus vraiment envisageable. Un cinéma Paradiso qui aurait quitté les rivages méditerranéens pour s'installer avec une incroyable mélancolie sur un front de mer du Kent.
 
Les images, intérieurs et extérieurs, sont de toute beauté. Le bâtiment comme un palace brillant de mille feux enchâssé sur la ligne de l'horizon, quotidienne, pâle, presque fade. Il s'en dégage une fine nostalgie qui se dépose comme autant de poussière sur tous les plans. C'est magnifique et triste même si ce n'est ni défaitiste ni pessimiste. Ce film vient simplement nous dire que le racisme existe, qu'il y aura toujours des pauvres types qui se sentent autorisés à malmener au nom d'une prétendue supériorité, que la solidarité n'empêche jamais les bleus au cœur et au corps mais qu'elle aide à les supporter, qu'il faut oser surmonter sa honte pour avoir droit à sa part de luminosité. Rien de très nouveau, quand on y pense, mais tellement bien exprimé.

mercredi 8 mars 2023

Regarder : lueurs timides


 

dans la blancheur d'une cage d'escalier, des fleurs de lumières qui s'ouvrent et se referment et plongent et se recroquevillent


lueurs timides, énergie qui palpite, émotions qui s'agitent, courage qui hésite, entre élan et repli : toutes nos envies
 


hésitations imperceptibles, pulsations indicibles, dans l'espace candide insistent, et sauront - qui sait - trouver à se dire

La réalisation de Shylight par le  Studio Drift:
 

mardi 7 mars 2023

Vivre : absences


 Février déjà passé. Mars déjà entamé.
Mais les volets restent fermés. 
Leur boîte déborde de courrier. 
Pas de nouvelles, bonne nouvelles ?

lundi 6 mars 2023

Vivre : larguer les amarres

 
Le vaisseau Brielle sortant de la rivière Maas à Rotterdam / Ludolf Bakhuysen / Rijksmuseum / Amsterdam

Il faut oser. Oser s'embarquer, mettre les voiles et voguer. Oser délaisser les rivages trop fréquentés. Quitter les parcours et les escales et les quais cent fois abordés. Aller découvrir d'autres destinations et d'autres destinées. Le vent du large nous appelle. Le pire serait d'opter pour la sécurité. Décidément : oser.

dimanche 5 mars 2023

Vivre : visions du réel

 
La maîtresse et la servante (détail) / Johannes Vermeer / The Frick Collection / New-York
 
Dans un tableau, ce sont parfois de tout petits détails de rien du tout,
des minusculeries, qui m'attendrissent et me laissent ébahie : ici,
les points de couture qu'une main zélée a sans doute un peu trop serrés,
histoire de bien fixer la bordure d'hermine, et qui font gondoler le velours.
Ces infimes choses portraiturées donnent à l'étoffe ourlée sa matérialité
les yeux trompés trompent le corps qui tend d'instinct le doigt pour effleurer.


samedi 4 mars 2023

Regarder : correspondances

 
La Lettre d'Amour / Johannes Vermeer / Rijksmuseum / Amsterdam

Vermeer est, dit-on, le peintre des intérieurs (une seule vue de sa ville natale et une seule ruelle au compteur). Le peintre du mystère et de la lumière. Le peintre qui donne à rêver, à imaginer des histoires. Mais ce tableau-ci, à cette époque-là, il fallait le faire : seul le tiers central de la toile contient le sujet de la scène (une femme aisée qui reçoit une lettre d'amour). Le maître de Delft fait décidément de nous des voyeurs. Cela dit, non seulement, il nous met dans l'embarras, mais il ne s'embarrasse pas avec des questions triviales et nous donne à voir le contenu d'un débarras, des torchons, un balai, des mules qui traînent, un panier de linge (sale?).
Nous voici devenus curieux, puisqu'on nous a permis de pénétrer dans l'intimité de la dame. Le peintre nous a invités à entrer dans son jeu et nous voici pris par l'envie de rechercher des indices, de composer le contenu de la lettre, d'imaginer l'expéditeur et tout ce qui se trame. La maîtresse a mis sa servante dans la confidence et se fiche éperdument de l'état de son logement. Peut-être que son époux est en voyage d'affaires, un marchand sans doute, prenant régulièrement la mer. La missive serait-elle de sa main ou alors... ? Madame ne semble plus faire grand cas de son cistre et de sa partition (on connaît la chanson). Que va-t-il donc se passer une fois le message lu? Se pourrait-il qu'un lien illicite se noue ?
Toutes les hypothèses étaient permises... Il y avait objectivement trop de visiteurs dans l'exposition. Trop de gens de tous âges et de toutes tailles dont on découvrait les épaules et les crânes chevelus ou dégarnis. Faute de pouvoir disposer de l'espace pour admirer et en attendant d'accéder au devant de la scène, je m'amusais à imaginer les interprétations des autres observateurs. Une mise en abîme, en quelque sorte. Regarder ceux qui regardent. Balayer du regard la salle. Échafauder ce qui pouvait se passer dans la tête du public fasciné : tout bien considéré, à des siècles d'écart, la téléréalité, Insta et FB n'ont rien inventé.


Vermeer / Rijksmuseum / 10.02.2023-04.06.2023