mardi 31 octobre 2017

Vivre : l'art de la simplicité


Giuseppe Arcimboldo / Automne / le Louvre

Prenez une courge. Grosse. Très grosse.
Prenez une Dad, avec un minimum de sens pratique.
Prenez deux voisins : Monsieur A et Madame B.
Dad, face aux dimensions de sa courge, décide :
1/ d’en faire une riche soupe pour le soir
2/ d’en congeler une bonne partie
3/ d’en proposer une tranche à ses voisins les plus proches
Monsieur A a longuement hésité face à la proposition.
Il devait en parler à sa femme.
Puis sa femme nous a appelés. Pour nous dire qu’ils n’aimaient pas trop la courge.
Mais qu’ils en prendraient tout de même une toute petite tranche
Madame B a dit oui, volontiers.
En recevant la tranche de courge évidée, pelée, dans son sachet plastifié,
Monsieur A a tendu une main prudente, exhibé un sourire crispé.
Il a demandé ce qu’on pouvait en faire.
Il n’a pas eu trop l’air de croire aux suggestions reçues.
Madame B a dit j’adore la courge merci bien c’est très sain.
Morale de l’histoire : cherchez la cucurbitacée…

lundi 30 octobre 2017

Lire : les premières fois






Comment je me suis retrouvée à caresser les trois ânes charmants qu'on entend braire aux quatre coins du village:

Tout a commencé avec ce livre à l'intrigue fort simple : une jeune écrivaine, quittée par son mari et licenciée par le journal dans lequel elle tenait une rubrique hebdomadaire, se voit proposer par sa psy une expérience censée durer un mois : tous les jours et pendant dix minutes, elle doit accomplir une chose nouvelle. Rien de folichon ou d'extravagant : juste une chose nouvelle. Chiara s’y met. C’est-à-dire qu’entre autres, elle s'adonne au point de croix, qu’elle change des langes de bébés, lance une lanterne céleste, danse le hip hop. Bref, elle sort de ses schémas habituels et casse des réflexes acquis.
(Précisons qu'à la fin, elle ne tombe pas dans les bras d'un homme, mais se tient bien debout face à son présent reconquis)

Tentée par ce jeu relativement simple (sans obligation de fréquence et sans grand exploit), j'ai, moi aussi, expérimenté plusieurs premières fois ces derniers jours. Des angoissantes, des rigolotes, des étonnantes. Je me suis ainsi vue bredouiller devant un auditoire de 300 personnes ou défier la résistance de l'eau aux sons de "Aïcha, Aïcha". 

Mais ce que j'ai préféré, c'était d'approcher les ânes. Leur duvet était tout doux tout laineux entre leurs oreilles, leur regard avenant, leur confiance désarmante. Ils faisaient montre d'une capacité d'ouverture et d'écoute absolue. Percevoir leurs braiements me rappelle à présent ce pur moment de joie.


Pendant dix minutes / Chiara Gamberale / Editions Lafon

dimanche 29 octobre 2017

samedi 28 octobre 2017

Vivre : les petites bulles empathiques


Street art / Copenhague

A tous les coups, assise, je réagis comme ça :
Je vois le jeune garçon qui court pour attraper son bus,
le vieillard qui se dépêche, la jeune mère et sa poussette.
Je vois le mec qui déboule sur le quai à la der des der
et essaie d’ouvrir une porte.
A tous les coups, quelque chose en moi se lève,
une solidarité passagère, un élan, un pouce prestement appuyé.
A tous les coups, si la personne réussit à monter,
je me sens benoîtement soulagée,
porteuse d’un micro-bonheur partagé.
Et à tous les coups, si le train ou le bus respecte strictement l’horaire,
j’éprouve de l’empathie pour la personne qui tape du pied sur le trottoir.
Je ressens une micro-désolation devant sa mine décontenancée.
A tous les coups, je me dis, allez, c'est trop fois rien, 
y en aura un autre, dans quelques minutes,
mais je ne peux pas m'en empêcher...
à tous les coups…

vendredi 27 octobre 2017

Vivre : le petit banc





Tous les matins, il est là.
Lové entre les arbres, en bordure de lac.
Tout blanc, tout fragile, petite bête assoupie,
échouée là pendant la nuit.
Et puis il disparaît, comme par magie.
On croirait avoir rêvé.
On jurerait pourtant l’avoir vu,

le petit banc disparu.

jeudi 26 octobre 2017

Ecouter : l'attention de Marie


Matthieu Lucci, Marina Fois dans une scène du film.

Laurent Cantet vient de sortir son film L’Atelier, dans lequel on voit un groupe de sept jeunes en insertion se réunir autour d'une table, pour écrire en commun un polar sous la conduite d’une écrivaine reconnue. Laure Adler a eu la bonne idée de permettre un dialogue entre le cinéaste et Marie Desplechin, à qui il arrive d’animer dans la vraie vie ce genre d’expérience.


L A : Chacun de nous est-il une page vierge où des tas d’hypothèses, de possibilités, d’élans créatifs peuvent tout d’un coup advenir à condition que l’on pose la question ? Et que ce soit promis et permis ?
M D : C’est une vraie question. Quand on anime ce genre de travail, peut-être vous connaissez ça avec les acteurs, je sais pas, tout le monde ne va pas être bon.
Ce qu’il est très frappant dans un classe c’est que les bons, ceux qui vont obéir à la consigne, en général vont être super enquiquinants, c’est-à-dire qu’ils vont imiter un modèle. Et ce qui est très beau dans un groupe, c’est la personne qui est mal par rapport au groupe, qui est désocialisée, malheureuse, et elle, c’est quasiment systématique, cette personne-là a un truc à dire, donc elle va pas faire comme vous voulez, souvent le gosse refuse d’écrire pendant quatre séances en faisant la tête au fond de la classe.
 Et il écrit une fois un texte qu’il refusera de corriger, mais ce texte-là quand vous le lisez vous avez envie de pleurer parce qu’il raconte comment son père encore une fois n’est pas venu le chercher à l’école la dernière fois. 
Et il a su le faire parce que c’est une émotion que l’on ne peut pas contraindre. Et en fait, dans un atelier, c'est moins qu’un apprentissage de techniques. A un moment, vous voyez surgir des voix, en tout cas pour l’écriture, et ça, c’est sciant. 



Le regard de Marie, sa sensibilité à la différence, au comportement, à l'énergie de l'enfant créateur. Son attention pour lui permettre d'évacuer ses émotions dans les mots et le texte. Il faut décidément que j'aille en salle, vérifier si le film fait passer un peu de cette compétence-là.




L'heure bleue, France Inter, 9 octobre 2017

mercredi 25 octobre 2017

Vivre : aux origines




J'ai besoin d'Italie.
J'ai besoin de revoir mon pays.
Les derniers jours ont été surchargés en émotions de tous genres.
 Fréquenter les hôpitaux et leurs odeurs funestes ne me réussit pas.
Fréquenter les milieux incestueux et consanguins
- leurs messes basses, leurs dragées hautes - ne me réussit pas davantage.
J'ai besoin d'aller respirer l'air de ma terre natale,
m'emplir les poumons d'enfance et retrouver le souvenir de toutes mes cabanes.
J'ai besoin d'un nid, d'une coquille. 
J'ai besoin d'Italie.

mardi 24 octobre 2017

Vivre : feeling groovy




Non! Pas possible! 
J'ouvre le journal ce matin et découvre...
au cœur de l'automne, des publicités pour Noël et l'Avent. 
Nous voici donc sans cesse projetés en avant, 
incessamment invités à prévoir,
 à consommer, à planifier.
L'automne en été, et l'été au printemps. 
Dans cette course d'étapes,
qui nous veut grands perdants,
je revendique le droit d'être là au présent.
J'observe la danse des feuilles mortes amoureusement.
La pomme qui rougit, l'escargot qui hésite
et s'arrête pour sonder le vent.
.

lundi 23 octobre 2017

Vivre : La traversée de l'hiver / 14




Cent kilomètres à l’aller. Cent kilomètres au retour. Des embouteillages, des retenues, des feux.  Dans l’habitacle, des propos lassants à force d’être ressassés. Et puis, de longues minutes de silence.

Souverain, indifférent à ce qui se passait ici-bas, le ciel déroulait ses drapés baroques, d’argent et de lumière. C’était une journée spectaculaire, exceptionnelle. Je crois bien avoir dénombré vingt arcs, splendides, parfaits, tout le long du Jura.  Des cadeaux multicolores tombés des nuages, comme pour enchanter ces moments qui n’avaient rien d’enchanteur.

Enfin, nous sommes parvenus à ce bâtiment perdu, en rase campagne. Avec ses ascenseurs grinçants. Avec ses longs couloirs et cette odeur insupportable d’urine et de désinfectant entremêlés. Avec ses portes ouvertes sur des silhouettes rabougries, plissées au fond de lits trop vastes.

Et puis nous l’avons aperçue là, de dos, seule, assise, la tête penchée, les yeux fermés. Nous l’avons regardée dormir. Durant un long moment.
Je me rappelle m’être dit : aujourd’hui encore, elle se réveillera.

Cette journée, dans mon souvenir, restera estampillée comme celle des arcs-en-ciel inouïs, invraisemblables, consolatoires.  

dimanche 22 octobre 2017

Vivre : l'obstination


Loutro / Crète


Derrière la maison, il y a un arbuste, qui donne des belles fleurs violettes, en forme de grappe. 
On en voit partout, dans les jardins.
J'ai cherché son nom :
C'est un Buddleja davidi
Plus joliment appelé : l'arbre aux papillons.
Je ne sais par quelle lubie,
R. a estimé que c'était de la mauvaise herbe.
Alors, il l'a coupé, chaque année à l'automne.
Mais l'arbuste a repoussé à chaque printemps
et redonné ses belles fleurs violettes
avec constance, avec détermination.
Il ne se lasse pas de faire ce qu'il a à faire.
Tout simplement.
Je retiens la leçon des plantes.
(et j'ai enfin ramené mon jardinier à la raison)

samedi 21 octobre 2017

Habiter : voyage intérieur

Berlin / 2012

Regarder son logement avec des yeux de visiteur.
Les yeux de la première fois.
Partir en voyage, partir à la découverte.
Explorer coins et recoins.
Changer les points de vue.
Comme durant ces jeudis pluvieux où, enfants,
nous inventions des aventures, nous devenions des rois,
des chevaliers, nous partions conquérir des territoires.
Découvrir des Amériques dans notre quotidien le plus banal.
S'étonner de l'ordinaire.
Reprendre les jeux des jeudis pluvieux.

vendredi 20 octobre 2017

Vivre : tourner la page





Détail tableau / Museo Capodimonte / Napoli

Lui et moi, ça faisait neuf ans. Déjà .
Et même si nous partions rarement en vacances ensemble, nous avons passé tant d’heures en harmonie, souvent pressés l’un contre l’autre, sur le divan. Il savait tout de moi : mes émotions, mes projets, mes sentiments. Il était d'une discrétion et d'une fidélité exemplaires. Il était mon allié, mon plus intime confident.
Quand je fixais mon regard sur lui, parfois, j'étais si prise que je n’entendais plus rien. R. avait beau m'interpeller, je ne voyais plus que lui, fascinée par ses retours pertinents. Lui et moi, on a formé une si belle équipe.
Alors, l’autre jour, quand il a manifesté des signes de défaillance, petite mine et hoquètements,  je n’ai pas hésité. Je l’ai emmené immédiatement chez le docteur, le super spécialiste qui opère à la clinique, tout là-bas dans la grande ville.
Le toubib l’a examiné. Puis il a dit que c’était probablement la fin. Je lui ai adressé un regard implorant. J’ai dit : « Vous comprenez, lui et moi, ça fait neuf ans. ». Le super docteur m'a lancé un regard compatissant. Il a parlé de son âge. Il a dit : « Il y en aura d’autres, vous verrez… »
J’ai dû le laisser là-bas pour d’ultimes examens. Là, je me prépare à l’ensevelissement. J’aurais tant aimé pouvoir fêter nos dix ans ! Bien sûr, Doc Laptop m'a encouragée à en adopter un autre, de suite, plus léger, plus performant. Un autre qui se tient là, tout près de moi. Qui attend. Le nouveau. Le remplaçant. Tout poli tout beau. Mais...
Lui et moi, ça faisait neuf ans.
Les choses ne sont pas seulement des choses, elles portent des traces humaines, elles nous prolongent. Nos objets de longue compagnie ne sont pas moins fidèles, à leur façon modeste et loyale, que les animaux ou les plantes qui nous entourent. Chacun à une histoire et une signification mêlées à celle des personnes qui les ont utilisés et aimés.
Lydia Flem, Comment j'ai vidé la maison de mes parents, 2004

jeudi 19 octobre 2017

Lire : préjugés littéraires


Charles le Téméraire / Rogier van der Weyden / Gemäldegalerie / Berlin 



"Le souvenir des déclarations de lady Catherine n’était pas sans lui causer  quelques malaises, car il fallait s’attendre, après ce qu’elle avait dit de sa résolution d’empêcher le mariage, à ce qu’elle exerçât une pression sur son neveu. Comment celui-ci prendrait-il le tableau qu’elle lui ferait des fâcheuses conséquences d’une alliance avec la famille Bennet ? Elisabeth n’osait le prévoir. Elle ne savait pas au juste le degré d’affection que lui inspirait sa tante, ni l’influence que ses jugements pouvaient avoir sur lui ; mais il était naturel de supposer qu’il avait pou lady Catherine beaucoup plus de considération que n’en avait Elizabeth. Il était certain qu’en énumérant les inconvénients d’épouser une jeune fille dont la parenté immédiate était si inférieure à la sienne, sa tante l’attaquerait sur son point vulnérable. Avec ses idées sur les inégalités sociales, il estimerait sans doute raisonnables  et judicieux les arguments d’Elizabeth avait jugés faibles et ridicules.  S’il était encore hésitant, les conseils et les exhortations d’une proche parente pouvaient avoir raison de ses derniers doutes, et le décider à chercher le bonheur dans la satisfaction de garder sa dignité intacte. Dans ce cas, il ne reviendrait point."

Mais il revient, Darcy. Il revient. Il reste ferme dans son attachement et dans son choix. Lui qu’on nous présentait comme  arrogant, distant et hautain, se montre honnête, fiable et droit. Amoureux et ennobli par ses sentiments, il devient un soupirant splendide.
En relisant ces jours-ci Orgueil et préjugés, moi qui avait trouvé pendant si longtemps en Elizabeth Bennet mon héroïne littéraire préférée, je me suis surprise à constater que Mr Darcy lui volait la vedette.  Au cours des derniers chapitres, le voici qui se mue en homme idéal. Un vrai prince charmant. Un lion superbe et généreux. 

De quoi tomber en pâmoison comme une tendre jouvencelle!

mercredi 18 octobre 2017

Vivre : les mondanités


Compianto sulla morte di Adone (dett.) / Tintoretto/ Museo civico / Padova


Qui trop embrasse mal étreint, ai-je pensé,
tandis que la femme voltigeait, souriait à la ronde,
clignant de l’œil à celui-ci, prenant celle-là par le bras.
Elle semblait vouloir être partout à la fois.
Quel besoin avait-elle donc à combler,
cette femme, qui venait de me poser la même question
pour la troisième fois et faisait ah ! d’un air étonné à chaque fois,
avant de repartir virevolter ailleurs ?
Poser des questions qui n’attendent aucune réponse.
Faire ami-ami avec tous c'est-à-dire avec aucun.
Papillonner du cœur et des mains.

Qui trop embrasse mal étreint…

mardi 17 octobre 2017

Vivre : question de grammaire



La fiancée juive / Rembrandt / Rijksmuseum / Amsterdam


Je lui ai dit : tu te rends compte ce que nous
Je lui ai dit : tu te rends compte tout ce que tu...
Et lui m’a répondu : et toi, toutes les fois que…
Tu réalises tout ce que toi, tu…
Nous avons ainsi des dialogues à la syntaxe bancale.
Cependant, ils nous conduisent toujours à l’essentiel :
le baiser, respectant toutes les règles de la langue. 

lundi 16 octobre 2017

Vivre : l'absence


Palais des doges / détail chapiteau /Venise 


Ça me prend parfoisÇa arrive par des détails somme toute banals.
La fille adulte et son père étaient assis à la table d’à côté. 
Ils  échangeaient avec complicité dans cette salle aux fumets alléchants
C’est dingue, ai-je pensé, de pouvoir rencontrer ainsi son père, 
et l’écouter parler avec bienveillance et bonne humeur de ses voyages,
l'écouter parler avec désinvolture de tous ses savoirs. 
C’est dingue, d'avoir un père. Cette figure protectrice, ce regard tendre.
C'est dingue, tout ce que je n’ai pas eu, tout ce que j'ai un jour perdu à jamais.
Et quarante ans d'absence m'ont déchiqueté le cœur...

dimanche 15 octobre 2017

Vivre : Still life / 33





Aller jusqu’au bout.
Apprendre à terminer.
Accepter l’usure.
Résister à l’envie de balancer.
Retenir la pulsion de vite vite entamer la nouvelle savonnette.
Ne pas céder à l’attraction du lait d’alpage, des senteurs fraîches.
Sentir le morceau s’amenuiser jusqu’à la brisure,
jusqu'à la toute fin.
Accompagner jusqu’à totale dissolution.

Et alors recommencer.

samedi 14 octobre 2017

Vivre : let it be / 14


Portrait de Jacob Ziegler / Wolf Huber / KHM / Vienne


Ils arrivent au printemps et repartent aux premiers froids
(à rebours des canards qui barbotent au bord du lac)
Ils sont réglés comme des métronomes :
A huit heures ils ouvrent leurs volets
A vingt heures, ils les referment.
Leur semaine est rythmée par des activités immuables :
Mardi : les courses et dimanche : leur promenade
(pas martial, une deux une deux, on les entend passer de loin).
Entre deux, armés et harnachés, ils tondent.
Ils tondent leur herbe à cinq centimètres, pas un de plus pas un de moins.
Ils tondent le soir, ils tondent le matin.
Ils tondent et s’acharnent obstinément sur leur terrain.
Ils ne laissent aucune chance à une quelconque déviante fleurette,
A la moindre fantaisiste prairie.

Vieillir, oui, vieillir, un chemin que nous devons tous emprunter.
Jour après jour, chacun à notre manière,
Nous devons apprendre à perdre et à nous délester.
Certains cheminent ainsi, dans l’affrontement,
En coupant court à toute percée de la nature,
comme si celle-ci risquait de leur être hostile,
Une ennemie à juguler, à domestiquer.
Couper, raser tout ce qui dépasse,
Comme pour défier le temps qui menace.
Pour garder l’illusion de la maîtrise

Une maîtrise sur ce qui naît, vit et s’en va. 

vendredi 13 octobre 2017

Vivre : l'automne prodigieux




Entre le désespoir des coccinelles et le flamboiement des vignes, 
l’automne explose de mille feux.
C’est à chaque nouvelle saison pareil :
je me demande si c’était déjà comme ça avant, les autres années,
si j’ai vécu ça au moins une fois , comme ça, avant,
en mode aussi intense, aussi lumineux, aussi rouge, aussi brillant.
Et sans doute ai-je raison  de m’interroger, car ça n’a jamais été comme ça,
puisque c’est à chaque fois la première fois.
A chaque printemps, à chaque été, à chaque automne,
les rondes se suivent et ne se ressemblent pas.
Les coccinelles se meurent à petit feu tandis que les couleurs s'avivent.
Tout recommence à chaque fois.

jeudi 12 octobre 2017

Vivre : la traversée de l'hiver / 13



Cet hiver peut être glacial, quand je lis dans ses yeux l’absence, 
et qu’elle s’absente de plus en plus souvent, de plus en plus loin.

Cet hiver peut être sombre brumeux, quand des relents de fumée m’accueillent 
et qu’il me faut mordre dans la viande carbonisée pour partager sa table.


Cet hiver peut être drôle aussi, quand, voulant me parler de R. elle dit : 
«  ton ma… ton ma… ton matou ! »

mercredi 11 octobre 2017

Habiter : l'ennui, l'enfance et le grenier





Par un coup de chance, qui me paraît plutôt un coup du sort, il me faudra aller bientôt présenter mon travail sur l’habitat devant un public universitaire. Etant nettement plus embarrassée devant les groupes que sensible aux signes de récompense, je commence déjà à subir les piqûres de l’angoisse dans mon petit cœur (lequel apprécie très modérément ce genre d'exercice). Je vais et je viens dans la maison, je vis des hauts et des bas, j'ai envie de faire ma valise et de partir sans laisser d'adresse, me faire oublier, loin très loin. Heureusement, je me suis remise à lire Bachelard :
       Quel privilège de profondeur il y a dans les rêves de l’enfant ! Heureux l’enfant qui a possédé, vraiment possédé, ses solitudes ! Il est bon, il est sain qu’un enfant ait ses heures d’ennui, qu’il connaisse la dialectique du jeu exagéré et des ennuis sans cause, de l’ennui pur. Dans ses Mémoires, Alexandre Dumas dit qu’il était un enfant ennuyé, ennuyé jusqu’aux larmes. Quand sa mère le trouvait ainsi, pleurant d’ennui, elle lui disait : 
           - Et pourquoi Dumas pleure-t-il ?
       - Dumas pleure, parce que Dumas a des larmes, répondait l’enfant de six ans. 
       C’est là sans doute une anecdote comme on en raconte dans des Mémoires. Mais comme elle marque bien l’ennui absolu, l’ennui qui n’est pas le corrélatif d’un manque de camarades de jeux ! N’est-il pas des enfants qui quittent le jeu pour aller s’ennuyer dans un coin du grenier. Grenier de mes ennuis, que de fois je t’ai regretté quand la vie multiple me faisait perdre le germe de toute liberté. 
Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, PUF, p. 34

mardi 10 octobre 2017

Voyager : l'automne, la Langa




Des aléas nous ont forcés à prolonger de vingt-quatre heures notre voyage.
A peine avions-nous atterri à Genève que nous repartions vers le nord du Sud.
La Langa semblait nous attendre, toujours pareille à elle-même, 
avec ses bâtisses en brique orange, ses noisetiers, 
ses gens besogneux, appliqués à garder aux collines leur géométrique beauté. 
Dès le petit matin, les tracteurs se sont mis à fanfaronner sous nos fenêtres.
Nous avons plongé nos yeux dans le visage franc et rugueux d'Ivana,
nos fourchettes dans ses platées déraisonnables.
Nous avons embrassé du regard les châteaux, les colombes,  
les brumes matinales qui accompagnent toujours les dernières vendanges.

Et puis nous sommes remontés déposer ici nos bagages et nos souvenirs entremêlés. 
A chacun son travail : les ouvriers avaient fait le leur. 
Il nous restait quarante mètres carrés de vitrages à nettoyer.




lundi 9 octobre 2017

Vivre : refaire l'histoire




Certains jours, levant les yeux après mon assise,
je rêve d’un monde où Rohmer aurait tourné
Les matins de la pleine lune.
Dont l'histoire commencerait précisément à cette heure-là.

Peut-être que Pascale serait moins triste à la fin ?

dimanche 8 octobre 2017

Vivre : vivace, ma non troppo


Largo porta Alfonsina / Otranto


Près de la torre Mata / Otranto


Portail (détail) / Cathédrale / Otranto


Le salon se trouvait près des murailles. Quand j'étais entrée, on m’avait dit : OK. On vous lave les cheveux. Le maestro ne devrait pas tarder. Je ne m’étais pas méfiée. L’apprenti m’a fait un shampoing en prenant tout son temps. J’avais fermé les yeux, en écoutant vaguement l'autre cliente échanger avec son coiffeur attitré. Les enfants, le soleil, la spiaggia... l’une et l’autre n’avaient pas l’air particulièrement pressés, pas plus que l’apprenti d’ailleurs et je m’étais laissée peu à peu couler dans la nonchalance du lieu.

Au moment où le maestro est enfin arrivé, j’ai trouvé qu’effectivement, il avait quelque chose d’un chef d’orchestre, avec ses longs cheveux grisonnants, partant dans tous les sens, son air vaguement dans la lune.

Puis il s’est approché de moi et là, là,  j’ai remarqué qu’il tremblait terriblement des mains. Un instant, je l’ai cru saoul. Et puis, non, quand il m’a parlé, j’ai constaté qu’il était tout à fait sobre et que ses tressaillements étaient probablement dus à un AVC, ou quelque attaque similaire. Du coup, peut-être par mimétisme, ou peut-être par instinct de survie, je me suis sentie tressauter moi-aussi. Quand il s’est saisi d’une paire de ciseaux et d’un peigne, un vent de panique s’est emparé de tout mon être. J’ai réalisé que j’avais juste deux ou trois secondes pour réagir, lever le camp, arracher ma serviette, m’enfuir avec mes cheveux mouillés et... ma tête encore intacte.

Or, j’ignore pourquoi, je suis restée. Crispée, certes, mais prête à mener l’expérience jusqu'au bout. J’ai toutefois eu la présence d'esprit de prononcer : non troppo ! non troppo ! Il m’a fait signe qu’il avait compris.

Les quinze minutes qui ont suivi ont été fort éprouvantes sur le plan cardiaque. J’observais autant mes battements que le maestro, lequel se révélait incapable de me tracer une raie droite sur le côté. Je l’ai tenu à l’œil quand il a entrepris de couper. Je me disais que je courais au désastre. J'ai invoqué San Pietro, Santo Stefano et tous les saint patrons de la ville. Et peut-être que ceux-ci m'ont entendue car… je dois dire… je dois dire qu’il avait mis au point une technique assez efficace, laquelle consistait à tenir fermement le peigne d’une main, le coude appuyé à sa hanche, tandis que de l’autre il venait cisailler les mèches contre les dents. Je dois dire aussi que j’ai des cheveux bouclés et sauvages, qui se prêtent à ce genre d’aventure. 

Au final, je suis ressortie indemne. J’ai quitté le maestro, l’apprenti, le salon, avec un sourire vaillant, et un soulagement certain, en me jurant qu'on ne m'y reprendrait plus.

R. était resté lire au pied des remparts près de la porta Alfonsina. Quand je suis allée le rejoindre, il m’a regardée d’un air ravi et a prononcé son plus grand compliment quand je sors de chez le coiffeur : Super: on voit pas de différence! (et je dois dire avec deux semaines de recul que le maestro a fait un boulot tout à fait correct).

Sur le moment pourtant, je n'en menais pas large, mon pouls a mis quelques minutes à retrouver sa vitesse de croisière. Heureusement, la lumière de midi pianotait sur les pierres et  des senteurs de sugo envahissaient les ruelles.Nous nous sommes dirigés vers la cathédrale et son superbe pavement, avec une pensée émue pour San Pietro, Santo Stefano et tous les saints Martyrs d'Otrante. 



samedi 7 octobre 2017

Voyager : vers un rêve





Ce matin-là, après une visite à la majestueuse cathédrale de Trani, joyau roman inébranlable face à la mer, nous nous étions engagés sur la nationale qui remonte vers le nord. Peu à peu, le paysage s’était fait maussade. A notre gauche, des carcasses industrielles abandonnées à leur sort. Sur notre droite, une bande de deux à trois cent mètres nous séparait du rivage, mais pas question de trouver une « spiaggia libera ». Ce n’étaient qu'enchaînements de propriétés privées, parkings, hôtels fermés, drapeaux en lambeaux, barrières, portails rouillés et cadenassés. Entre les deux : une ligne de chemin de fer oubliée, ça et là : quelques gares désaffectées. Ça respirait une fermeture désolante, qui n’était pas seulement due à l’arrière-saison. On aurait dit un paysage kleenex, répandu là après usage. A l'approche de Manfredonia, notre GPS avait déclaré forfait et nous avions vainement cherché un panneau indiquant l'emplacement des basiliques. Finalement, après quelques détours dans des banlieues désertes et désolantes, nous étions parvenus au site. 

Et là – là ! – nous avons soudain plongé dans une autre dimension. Le temps avait suspendu son vol. Sur les vestiges de l'ancienne basilique, dans la sobre présence de l'édifice roman et à travers le pouvoir évocateur de la construction contemporaine, le passé et le présent se trouvaient entremêlés. 

Nos heures de route, les incuries, les frustrations en tous genres s'étaient effacées d'un coup, comme par enchantement. Sous le soleil bienveillant de septembre, il ne restait que le vol inattendu d'une colombe et des mouvements d'émotion pure. Ce fut un moment de recueillement rare. Ce fut un scintillement. Ce fut un songe. 



Quelques repères en photo :

détail carte géographique / Musée du Vatican


 Les cartes mentionnaient déjà la basilique romane de Santa Maria di Siponto à la Renaissance.




La voici  aujourd'hui (détail)5
Vers 1936, des fouilles ont mis à jour les restes d'une basilique paléochrétienne, juste à ses côtés.


Photo exposée sur le site


En 2016, on a fait appel au jeune artiste milanais, Edoardo Tresoldi pour recomposer à sa manière le précieux édifice,
juste sur ses fondements. Pour ce faire, il a utilisé sept tonnes de treillis.
Sept tonnes de métal pour générer un univers de légèreté et de sereine évocation.