samedi 31 mars 2018

Vivre : réflexe désolant


Civic Guard led by Captain Roelof Bicker and Lieutenant Jan Michielsz. Blaeuw  (détail) / Bartholomeus van der Helst / Rijksmuseum / Amsterdam 


Zut, ai-je pensé, comme souvent :
Quelqu’un me marche sur les pieds
et ma réaction première, mon réflexe inné,
c’est de m’excuser platement.

vendredi 30 mars 2018

Lire : quand les corps reviennent





De la bouillie, avait dit le docteur, par cuillers à café. Six à sept fois par jour on lui donnait de la bouillie. Une cuiller à café de bouillie l’étouffait, il s’accrochait à nos mains, il cherchait l’air et retombait sur son lit. Mais il avalait. De même, six à sept fois par jour il demandait à faire. On le soulevait en le prenant par les genoux et sous les bras. Il devait peser entre trente-sept et trente-huit kilos : l’os, la peau, le foie, les intestins, la cervelle, le poumon, tout compris : trente-huit kilos répartis sur un corps d’un mètre soixante-dix-huit. On le posait sur un seau hygiénique sur le bord duquel on disposait un petit coussin : là où les articulations jouaient à nu sous la peau, la peau était à vif. [...]
Une fois assis sur son seau, il faisait d’un coup, dans un glou-glou énorme, inattendu, démesuré. Ce que se retenait de faire le cœur, l’anus ne pouvait le retenir, il lâchait son contenu. Tout, ou presque, lâchait son contenu, même les doigts qui ne retenaient plus les ongles, qui les lâchaient à leur tour. Le cœur, lui, continuait de retenir son contenu. Le cœur. Et la tête. Hagarde, mais sublime, seule, elle sortait de ce charnier, elle émergeait, se souvenait, racontait, reconnaissait, réclamait. Parlait. Parlait.
M. Duras, La douleur, Folio, p.72-73

C’est toujours par ellipses qu’on raconte les retours des camps. 
Marguerite, elle, décrit l’horreur à travers le corps. Le corps qui revient. Le corps qui se remet. La fièvre, la merde, la voracité. Le corps à corps entre la vie et la mort. En 1985, au bout de 40 ans, elle fournit une pièce à un puzzle qu'on ne saisira jamais entièrement. Elle dit : J'ai retrouvé ce Journal dans deux cahiers des armoires bleues à Neauphle-le-Château. [...] La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot "écrit" ne conviendrait pas. Je me suis retrouvée devant des pages régulièrement pleines d'une petite écriture extraordinairement régulière et calme. Je me suis retrouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n'avais pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m'a fait honte.


jeudi 29 mars 2018

Vivre : compagnonnage



Pour être facétieuse, elle l’est. On ne peut pas le nier.
Fiable, fidèle. Et tellement d’allure ! Mais surtout : facétieuse.
Avec cette manie de ne plus vouloir allumer ses phares, parfois.
Et de ne pas vouloir éclairer sa jauge quelquefois
(ce qui m’a valu une ou deux pannes sèches et quelques regards goguenards)
Les essuie-glaces, ces derniers temps, ça va,
mais il lui est arrivé de les garder bloqués pendant quelques mois
(en hiver, ça va de soi)
Ces derniers jours, elle a décidé que son coffre ne s'ouvrirait pas. 
C’est comme ça.
Mais, bon, je suis accro, qui n'a pas ses p'tits défauts?
On ne peut pas rouler dans une superbe Volvo de presque trente ans
sans... quelques menus inconvénients.




mercredi 28 mars 2018

Habiter : comme un enfant


The Sturgis tiny house


Fascinée par les tiny houses, ces petites maisons sur roue,
qu'on peut tracter un peu partout.
Il suffit de se faire prêter un terrain, d'avoir un accès à l'eau et à l'électricité.
Et voilà, on peut s'installer. Le coût : réduit. La mobilité : assurée.
Je me surprends  à rêver comme jadis devant les catalogues de poupées.
Je pourrais y passer des heures : reportages, vidéos, photos.
R. se rit un peu de moi : où rangerais-tu toutes tes chaussures?
Et les jours de pluie, dans un espace si réduit ?
Il n'empêche : les tiny houses me font fantasmer. 
Elles me rappellent les cabanes d'autrefois, les dînettes, les on disait que.
Elles évoquent la liberté, les jeux, l'envie de faire comme les grands. 
(mais tout  en restant bien des enfants)

mardi 27 mars 2018

Vivre : l'heure d'été


Madona con santi / Maestro di Roncaietti (?) / Musei civici / Padoue

Dans le bac rouge, l’origan verdit.
Dès potron-minet, les oiseaux babillent.
En face, le Jura rosit. 
Tout bien considéré
le printemps pourrait être arrivé.

lundi 26 mars 2018

Vivre : still life / 40



Mes nombreux déménagements m’ont prévenue contre ma tendance à trop posséder, à trop conserver, à m’alourdir de choses qui ne serviront à rien, que j’aurai oubliées, que je donnerai ou jetterai au moment de quitter le logement. 
Depuis, ça me reprend deux ou trois fois l’an. Je dois faire le tour de la maison et traquer l’inutile ou le dépassé.
Au terme de mon inspection hier, j’avais rempli un gros sac de bouquins qui ne seraient jamais relus, deux ou trois cardigans qui ne me plaisaient plus. Ils s’en iront ailleurs faire le bonheur d’autres gens.
La maison ainsi me paraît plus claire, plus légère. J’emprunte plus souvent. J’achète plus judicieusement. Je refuse les cadeaux bonus, les points de fidélité, les échantillons, les offres en tous genres. 
Je fais place aux fleurs, qui se déploient, sourient et s'en iront quand elles auront fini leur temps.


dimanche 25 mars 2018

Vivre : la traversée de l'hiver / 22





Ma généraliste a dit : elle n’a pas coupé le cordon ombilical. Je venais de lui raconter la délirante hospitalisation de l’avant-veille, dans le but de faire passer une IRM à une moribonde, en pleins râles, grabataire (comment E. avait-elle fait pour convaincre le médecin de cette aberration ? lui imposer le trajet en ambulance, le bloc hypermoderne et fonctionnel, de nouveaux lits, de nouvelles voix, du stress, des secousses ?). J’avais reçu ensuite un appel en pleine nuit – réveil plutôt violent -pour m’informer seulement que l’IRM n’avait pas pu être entreprise.
Elle n’a pas coupé le cordon ombilical. Elle ne peut pas accepter de la laisser partir et induit le besoin d’investiguer chez les médecins.
Pour mourir en paix, il faut que votre entourage soit apaisé et accepte de vous laisser. Depuis des mois, E. s’agite et sa seule raison d’être est de prolonger à tout prix la vie de sa mère.
Ici, la forêt m’a appris le cycle des saisons et l’inéluctable vol des feuillages à l’automne, quelques virevoltes avant d’aller tapisser la terre et la nourrir de leurs forces épuisées.
En raccrochant dans le noir, je me demandais comment se terminerait cette longue négation de l’évidence : nous sommes mortels, voués à nous séparer, emportés dans la ronde éternelle des saisons.

samedi 24 mars 2018

Vivre : penser en marchant





Soudain, face au vent du nord qui me harcelait sur le haut-plateau, j’ai réalisé que ma vie comporterait encore une multitude de problèmes. Qu’un problème résolu mènerait inévitablement à un autre problème et que la vie ne serait faite que de cela : des problèmes, comme des côteaux, à flanc de colline, arpentés l’un après l’autre. Et jusqu’à la fin. La vie consisterait donc à assumer avec le plus d’élégance possible tous les aléas se présentant les uns après les autres (sans oublier l’acceptation joyeuse de toutes les haltes bienfaisantes).

vendredi 23 mars 2018

Vivre : les mots pour le dire




Des mots que je n’utilise jamais : salmigondis, fissa, mordicus, falbalas et simagrées.
Des mots et expressions que j’utilise trop souvent : fichtre ! tudieu ! diantre ! si faire se peut, plait-il ?
Cette dernière, je ne sais pourquoi, a le don d'irriter R. au plus haut point

Pourtant, plait-il m’a toujours paru une façon jolie bien qu’un tantinet désuète de solliciter une précision.

jeudi 22 mars 2018

Vivre : les affinités électives


Le jeune homme et les arts (détail) / Sandro Botticelli / Louvre / Paris


Dans les groupes, c’est curieux, il se passe toujours ce phénomène :

Les premières personnes rencontrées, celles vers qui fortuitement
je suis amenée à me diriger pour une info, ou pour dire trois mots
sont celles avec lesquelles je tisserai des liens plus tard
(idem a contrario pour les premiers instincts de répulsion)
On pourrait croire que ce n’est que du hasard
et que les séances suivantes vont rectifier l’impression.
Mais celles-ci ne font qu’apporter confirmation :
On se choisit, on se fuit au premier regard.

mercredi 21 mars 2018

Manger : ras la fraise!


Portrait de Haesje van Clayburg / Rembrandt / Rijksmuseum / Amsterdam


Inodores, venues de loin et n'ayant le goût de rien,
que font-elles sur les étals, tandis qu'encore il neige?
Tordons enfin le cou à ces propositions obscènes :
mangeons sage, mangeons local, mangeons bien.

mardi 20 mars 2018

Voyager : parcours alternatif





Elle était au fond de ma poche. Où je l’avais perdue, je ne saurais le dire.
Toujours est-il que, après avoir entendu Madame la Consul honoraire me dire qu’elle ne pouvait malheureusement rien faire pour moi, pas plus que ses collègues de l’ambassade à La Haye d’ailleurs, et précisé que la compagnie que j’avais choisie se montrait très très sévère et que, même munie d’un constat de police, elle doutait qu’elle me laissât quitter le territoire à bord d’un de ses appareils, qu'il me faudrait alors probablement essayer de me procurer un billet auprès d’une compagnie plus compréhensive, ou rentrer par le train, qu’éventuellement je pouvais tenter de les appeler en leur expliquant en détail les raisons impératives pour lesquelles il me fallait repartir, je me suis retrouvée à sillonner la ville, à pied, en tram, en autobus pour aller quérir un banal rapport policier.
Ce faisant, je constatais que cette métropole avait très peu de commissariats et que ses habitants semblaient fort peu les connaître. Je me souviens de leur regard stupéfait quand je m’adressais à eux : something happened ? demandaient-ils tout en me regardant d’un air mi-consterné, mi-apitoyé.
Ce jour-là, au fil de ma recherche, j’ai découvert des quartiers inconnus, résidentiels ou populaires, et demandé mon chemin à toute sortes de gens, tous très gentils et attentionnés : des bibliothécaires, des réceptionnistes d'hôtel, des épiciers indiens, des retraités, des mères de famille, des balayeurs de rue, des policiers (en train de déménager), d’autres policiers (occupés à emménager et par conséquent les uns et les autres inaptes à me délivrer mon malheureux papier). Ils m’ont tous indiqué le chemin (un tortueux chemin, qu’ils montraient tous sur la carte en précisant basically it’s in this direction, it’s at twenty minutes walking) en se disant sincèrement désolés.

Au bout de trois heures, après qu’enfin, dans un ultime poste, une policière avenante m’eut tendu le document tant espéré, je décidais de faire la seule chose sensée qui s’imposait : plus question de démarches, téléphoniques ou bureaucratiques, je suis entrée péremptoirement dans la boutique d’un marchand chinois et j’ai choisi avec soin un porte-bonheur apte à me prêter main-forte. J’ai décidé que ce serait lui et lui seul qui saurait me faire passer la frontière.

Eh bien… quelques heures plus tard, ça a parfaitement fonctionné (n’en déplaise à Mme la Consul honoraire, que j'imaginais alors fort occupée à se goinfrer de petits fours dans une quelconque réception officielle).
En repensant à cette matinée ubuesque, je me dis qu’elle m’a appris bien plus sur la ville, ses rythmes et ses gens que les promenades en bateaux-mouches ou les visites guidées, les tours à vélo ou en pédalo. Elle m'avait fourni l'occasion de découvrir Amsterdam, destination touristique s'il en est, vraiment vraiment autrement.


lundi 19 mars 2018

Vivre : il neige encore...



Pelleter, certes, ne pas oublier les graines. 
Et surtout prendre le temps 
de vivre, encore une fois,
cet enchantement blanc.

dimanche 18 mars 2018

Voyager : encore une fois




J’hésitais à retourner dans la ville par pure superstition.
Lors de ma dernière visite j'avais vécu là-bas des moments intenses, très beaux et je craignais qu'un retour ingrat ne puisse en briser le souvenir.
Je me souviens particulièrement de cette première matinée de novembre, qu'on aurait pu qualifier de maussade. La pluie tintinnabulait contre les vitres et, sur la terrasse, le chat de la voisine tentait de courser un merle sans conviction. Tandis que R. dormait encore, lovée dans un fauteuil, je m’étais absorbée dans la contemplation du dehors. Curieuse, sans être voyeuse, je regardais l'immeuble d'en face, ses intérieurs, les silhouettes furtives, les lumières qui s’allumaient et s’éteignaient, et je laissais défiler mes pensées. C’étaient des pensées douces comme une confiture d'automne, comme un soleil timoré. Je crois que je ne m’étais pas sentie aussi sereine depuis des années. Je vivais ce matin-là une sorte d'ouverture, une éclaircie, que le ciel bas ne pouvait refréner.
J’aurais pu rester ainsi pendant des heures. Je ne trouvais aucune tristesse à la saison, aucune tristesse à la pluie, aucune tristesse à l’attente. En fait, je n’attendais rien. Je me sentais vivre intensément.

Oui, je garde le souvenir d'avoir été profondément vivante durant ces instants. Et tout à coup, repensant à cette miraculeuse matinée, oubliant mes croyances irraisonnées, ouverte à tout ce qui était susceptible d’arriver, je me suis décidée à partir rejoindre Johannes, Vincent, le Rijks et toutes les surprises que l'immense ciel amstellodamois pouvait me réserver.

samedi 17 mars 2018

Regarder : la faim


Boy with a Cooking Pan / Hunger Winter 1944-1945 / Emmy Andriesse / Stelelijk Museum / Amsterdam


Le p’tit môme, sur ses jambes.
Le p'tit môme de l'hiver '44.
Ne semble tenir que par sa volonté d’exister.
Qu’est-il devenu, ce p’tit môme-là ?

vendredi 16 mars 2018

Vivre : la traversée de l'hiver / 21





J’ai toujours été révoltée, révulsée par les conflits autour des questions d’héritage (la récente affaire qui fait les choux-gras de la press people illustre à son paroxysme cette affligeante réalité). J’en ai tellement entendues, des histoires sordides, des histoires minables, racontées par des amis, des collègues, ou des clients, que je me suis toujours juré de n’entrer pour rien au monde dans ces eaux troubles-là. Pas pour quelques cuillères en argent, pas pour quelques milliers de francs.

Si elle m'avait demandé les bijoux, la porcelaine, l'argenterie et le vison, je lui aurais volontiers dit prends. Juste ce picotement, à constater leur disparition. Fallait-il vraiment les escamoter ? me demandais-je, en remplissant les sacs, en me confrontant au vieux, au sale, à l'inutile. 
Plus tard, les jetant un à un dans les conteneurs, je martelais comme un mantra : Pas pour quelques cuillères en argent, pas pour quelques milliers de francs.


mercredi 14 mars 2018

Vivre : à l'écoute





Refuzniks de tous les pays, gagnez les bois ! Vous y trouverez consolation. La forêt ne juge personne, elle impose sa règle. Elle dispense sa fête annuelle à la fin du mois de mai : la vie revient et les taillis se gonflent d’une fièvre électrique. En hiver, on ne s’y sent jamais seul : le cri d’un corvidé, la visite des mésanges et la trace des lynx dissipent l’angoisse.
En cas de mélancolie, il suffit de penser à ce beau principe de régénération : les arbres meurent, tombent et pourrissent. Et sur l’humus, qui est la mémoire de la forêt, d’autres arbres naissent et commencent pour un siècle ou deux leur ascension vers le ciel. 
Sylvain Tesson / Dans les forêts de Sibérie / Folio / p.184.

Tous les jours, levant le nez, elle se tient là si proche, vivante et sage. Maîtresse de l'instant, elle me répète que tout est appelé à naître, vivre et mourir.Je ne saurais me passer de ses leçons, ni de ses murmures, pas plus que de ses créatures. Je l'observe et trouve l'apaisement.



mardi 13 mars 2018

Vivre : l'entre-saison


composition : profil et roue / Odilon Redon / musée Granet / Aix-en-Provence


Le ciel fait des siennes. 
Coulées polychromes et déversements de pluies. 
Silences et gazouillis. 
Lac turquoise et montagne azurite. 
Les rives dégèlent, les canards sont repartis. 
Quelle sera donc la saison de cet après-midi ?

lundi 12 mars 2018

Vivre : le bouquet


Banksy / MOKO / 2016 / Amsterdam


Brouillard à perte de vue (et de vision).
Dans toute cette blancheur, de-ci de-là,
une crête une branche émergent et flottent.
Seules les tulipes apportent de chaudes notes.

dimanche 11 mars 2018

Voir : partir pour mieux aimer

Saoirse Ronan  et Beanie Feldstein

"Quiconque parle d'hédonisme californien, n'a jamais  passé Noël à Sacramento" Joan Didion


Lady bird ou une année dans la vie d’une femme. : celle qui marque le passage de l’adolescence à l’âge adulte.
La réalisatrice, Greta Gerwig,qui incarnait il y  a quelques années l'inénarrable Frances Ha
s'est largement inspirée de sa propre histoire pour ce film sensible dans lequel chacun peut se retrouver.
Christine ne veut pas s'appeler Christine, elle rêve de prendre son envol et de fuir la vie trop prévisible qui l'attend dans sa province californienne. 
Boule d’énergie, obstinée et perspicace, partagée entre ses sentiments et le besoin de ruer dans les brancards, 
elle a besoin d'un ailleurs assez grand pour y faire éclore ses rêves.
Et puis il y a sa mère, généreuse infirmière, aimante et oppressive tout à la fois. Et son père, chômeur résigné, tout en tendresse,  
qui compte les points à chaque dispute, son père dépressif et sage qui semble le seul à comprendre son besoin d'espace.
Il sait que la valeur des racines se découvre souvent loin de chez soi.
Des réparties comme des fusées, des comédiennes complices et un scénario inventif, 
le film se déguste comme un pot d'hosties (non consacrées) dévorées dans une sacristie, jambes en l'air, avec sa meilleure amie.

samedi 10 mars 2018

Vivre : appétit d'oiseaux





Dans cette cuisine à quelques mètres de la forêt, rien de comestible ne se jette. Je sors du freezer un pain de mie oublié, le tranche et l'envoie en direction des frênes. Arrivent dare-dare une pie, puis deux. Et un corbeau, ainsi qu’un moineau. Pas question de bouder un tel festin. Ils commencent à s'en mettre plein le gosier. Mais soudain, les voici qui se hissent sur de hautes branches. Et la queue du petit renard ne tarde pas à se montrer. Du pain, c'est mieux  que rien, maître Goupil sillonne le terrain, le museau plein. 
Il disparaît.
Serait-il loin ? 
On peut en douter : les pies, le corbeau, le moineau dodelinent tout là-haut, l’air envieux, tendu, patient. On croirait presque les voir déglutir péniblement. Entre manger ou être dévorés, ils ont fait leur choix : plus de repas.

vendredi 9 mars 2018

Vivre : perplexité


Episode de la vie de Saint Marc (détail) / giovanni Mansueti / Accademia / Venise


D’un côté, aux nouvelles, une décharge de coups de poings visuels.
Impressions réitérées et angoissantes que l’humanité court à sa perte.

Autour de soi, où que l’on se rende,
des gens généreux, curieux, entreprenants, soucieux du bien commun.

Chercher l’erreur. Ou plutôt : le point de décrochage,
là où la peur prend le dessus sur l’aspiration au bonheur.

jeudi 8 mars 2018

Vivre : de conserve


Statues romaines / Musées capitolins / Rome


Que le corps et l’esprit soient intimement liés, comment en douter ?
A peine le premier tombe-t-il malade que le second se retrouve fiévreux,
sans défenses, quasiment défectueux. Larmoyant comme le temps. 
Seule l'évaporation des maux ramène la cohérence des propos. 

mercredi 7 mars 2018

Lire : quand le printemps gèle




Le Libraire de Prague se déroule en 1968 et commence deux semaines avant l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques, quand un vent de liberté souffle encore sur le régime communiste. Jonas Fink, le héros de la trilogie, a maintenant la trentaine et une amie vietnamienne, stagiaire en médecine. Il a repris la librairie Finkel. Sa mère délire dans un hôpital. Son ancienne petite amie Tatjana, journaliste, revient après douze ans pour couvrir les visites de Tito et de Ceauscescu. Malgré le dessin simple et coloré de Giardino, on sent monter les tensions et les secousses de l’Histoire. 
Envie de ralentir la lecture, de rester encore un peu avec les personnages, tout au  long de ce dernier et mélancolique volet.
Dans son introduction (quelques bribes autobiographiques), Giardino a écrit :

Je souffre depuis des années d'une légère claustrophobie; avec l'âge elle a diminué, mais n'a pas complètement disparu. Être enfermé entre des murs étroits me donne des crises d'angoisse et des difficultés à respirer. Je vois aujourd'hui que les "murs" se multiplient et que le vent d'espoir d'autrefois a cessé de souffler. J'avoue être un peu inquiet, mais je veux cependant clore ces lignes par un souhait. Le souhait qu'un jour, j'espère bien avant vingt-cinq ans, les faits me démentissent encore une fois et que les "murs" que je vois aujourd'hui s'élever dangereusement, soient tous abattus. Alors, enfin, je respirerai mieux.

mardi 6 mars 2018

Vivre : tout près de la forêt





Les trilles : de légères particules de printemps qui s'éparpillent sur la neige.

lundi 5 mars 2018

Vivre: la traversée de l'hiver / 20






Il y a les questions directes. 
Et il y a aussi les regards discrètement interrogateurs, 
qui scrutent et se baissent et demandent du coin de l’œil : 
quand est-ce que l'appartement sera enfin disponible ?

S'il n'en tenait qu'à moi, tout serait déjà offert, distribué ou bazardé.
Je vis mal ce qui traîne sans usage et je commence à m'user dans cette perte lente.
La vie continue, les gens ont besoin de logements. Cependant E. a besoin de temps. 
Se séparer de ce qui appartenait à notre mère est pour elle un calvaire.

Je repense à cette situation un peu folle:
Habituellement, c'est après le décès qu'on disperse les effets personnels.
Une manière symbolique de faire son deuil.
Ici, nous voici à devoir éliminer ce qui lui appartient encore et qu'elle ne réclamera jamais.

Trop de fois quand je vais la voir : 
cette impression de me retrouver face à une coquille vide. 
Une femme hagarde regarde par-dessus mon épaule 
et s'agace si je lui caresse la main.


dimanche 4 mars 2018

Vivre : soir d'hiver en Catalogne


Pleurants / MNAC / Barcelone

Dans cette banlieue de Barcelone où nous avions débarqué pour la première fois il y a trente-cinq ans, nous attendaient la pluie et bientôt la neige, et malgré cet événement somme toute exceptionnel, au premier regard, rien ne semblait vraiment avoir changé. Les immeubles paraissaient tout autant décrépits, même s’ils côtoyaient à présent une multitude d’hypermarchés. De plus en plus d’invitations à consommer : sans doute le changement le plus marquant.

Les rues désertées, désolées n’invitaient pas à la réjouissance. Aux balcons, quelques drapeaux catalans et espagnols se faisaient face avec des mines d’écoliers réprimandés. Dans le salon où l’on me rafraîchit ma coupe, on usa d’euphémismes pour évoquer les tensions du moment : « les événements », les « circonstances », prononçait le coiffeur tout en se hâtant de parler de surf et d’enfants. A nuit tombée, devant  l'ajuntament, les flocons semblèrent harceler une pauvre manifestation. La belle saison est plus propice semble-t-il aux chamboulements.

Ce lieu où nous avions connu tant de rires, tant d’espérances post-franquistes, tant de débats stimulants, n’accueillait à présent que des promeneurs de chiens et des consommateurs pressés. Sur les trottoirs, les vendeurs de loterie distribuaient avec un certain succès leurs tickets chargés d’espoirs acharnés. J’acceptai l’offre d’un homme brandissant des sachets de citrons. On me dit plus tard qu’il s’agissait d’un gitan et qu’ils avaient probablement été volés.

A quelques kilomètres de là, les touristes livrés par RyanAir se baladaient sur les ramblas et commandaient des cognacs pour oublier le mauvais temps. Ils étaient venus consommer du sud et se retrouvaient à grelotter sous une couche de froidure polluée.

La roue tourne incessamment. Tout change tout passe. Et même l’accablement d’une ville ouvrière écrasée par l’hiver fondra bientôt, se transformera en rires et en fleurs, le temps d’un nouveau tour de roue, le temps d'un nouveau printemps.

samedi 3 mars 2018

Vivre : l'attaque blanche






Les bosquets : des kilomètres et des kilomètres de dentelle sous les assauts des flocons endiablés.
Les busards : ivres, désorientés, pauvres flammes éméchées  frôlant les essuie-glace, frôlant la chaussée.


vendredi 2 mars 2018

Vivre : la ringardise




Enfant, je me souviens qu’à l’atterrissage, les passagers applaudissaient avec vigueur. Nous jubilions pour décharger l’anxiété sans doute. Avec la banalisation des voyages, c’est devenu ringard. Tellement évident. Il n’empêche : à chaque fois que les roues effleurent le tarmac, ressentir cette joie, ce soulagement devant le miracle qui se renouvelle. Rien ne va de soi. Rien n'est normal, banal, acquis. Alors, à chaque fois, je ressens tout au fond de moi une salve d'applaudissements.