Il est des écrivains que je préfère entendre plutôt que lire. Leurs paroles, leur histoire me parlent infiniment plus que leurs œuvres. Souvent, enthousiasmée par une interview, je me rue sur un de leurs bouquins et je finis par l'abandonner, parce que je n'y trouve pas la vivacité, ou l'humanité ou le style qui m'avaient charmée à l'oral.
Il y a quelques années, ayant entendu Charles Juliet converser avec François Busnel, j'avais trouvé l'homme très sage. Sa vie, me semblait-il, était terriblement romanesque et émouvante. Peu après, je m'étais empressée de me procurer un de ses ouvrages. Je me souviens de mon enthousiasme en sortant de la librairie Kleber. Hélas, l'écriture m'était apparue conformiste et fade. A tel point que je ne me souviens pas du titre (peut-être était-ce un de ses journaux ?) Profondément déçue, j'avais confié le bouquin à la caisse aux échanges du village en lui souhaitant d'être mieux compris ailleurs.
Là, à quelques années de distance, je viens de parcourir Dans la lumière des saisons, un opuscule dans lequel C.J. s'adresse à une amie lointaine par le biais de quatre lettres. Une rédaction pour chaque saison.
Le style est sans doute toujours la même, simple et classique. L'inspiration autobiographique. Ce n'est pas une écriture destinée à bousculer les conventions, ni à suivre une quelconque tendance, ni même, je crois, à émerveiller. C'est le travail d'un écrivain posé, enfin apaisé, déterminé à creuser et décrire ce que c'est que l'existence, de la manière la plus précise et la plus accessible qui soit.
Dans la missive estivale, il transmets à son amie des notes qu'il vient de retrouver. Ces quelques écrits, épurés, tamisés, frappent par leur profondeur et leur beauté :
Pour ne pas meurtrir
ce silence où germent mes mots
où que je sois
je parle bas.
Toute intention tout vouloir
empêche l'inconnu de se révéler.
Il est tant de refuges
tant de manières
de fuir d'éluder
de déserter la vie.
Ceux qui haïssent leur moi
mais ne peuvent s'en libérer.
Vie sauvage tumultueuse imprévisible
Par peur qu'elle nous entraîne
là où nous redoutons d'aller
nous nous empêchons de vivre.
J'ai trop voulu
ne pas vouloir.
Ce que je vis
n'est pleinement vécu
que si je le mets en mots.
P.O.L, 1991.