mardi 28 février 2017

Habiter : ce que dit la maison…


Ornement funéraire (?) /Musée archéologique d'Heraklion 


Tendre l’oreille aux bruits, à tous les bruits qui sont ceux de la maison.

Ecouter cette large palette de sons
- pas de mots, pas de télévision, pas de chanson –
rien que les sons qui sont le babil de la maison.
La mise en marche du réfrigérateur.
Le hoquet que crée son arrêt soudain.
La goutte tombant au fond de l’évier.
Le craquement d’un meuble, le choc d’un insecte.
La chute mystérieuse d’un objet.

Et ce qui provient du dehors. Le train, tout là-bas.
Les trilles, timides ou joyeux. Un aboiement ou deux.
Un martèlement, un chantier au loin.
Les cloches, scandant les heures, ou annonçant une célébration.
Rester présente, rester là, dans ce qu’on appelle silence
et qui n’en est jamais un.


Rester écouter le langage de la maison. 

lundi 27 février 2017

Vivre : les journées « rien »





Il y a des jours comme ça, où le seul luxe, la seule solution, le seul médicament, c’est le rien. Le rien total. L’exigence zéro. Et il arrive alors que ce rien se transforme en trois fois rien, en petits riens du tout, qui peuvent devenir mille riens, mais qui au bout du compte, apportent ce petit rien qui manquait, clef de voûte pour retrouver le fil.

Et la santé.

dimanche 26 février 2017

Vivre : ce qu'on ne sait pas encore


Incredulità di San Tommaso (détail) / Cima da Conegliano / Accademia / Venezia



L’autre jour, aux Bains,
il y avait cet homme d’un âge certain.
La dame à ses côtés, malgré mes bouchons, impossible de ne pas l'entendre.
Son angoisse son besoin frénétique de caser des mots partout,
de ne laisser aucune chance au silence.
Elle parlait des kilos qu’elle avait repris.
Elle disait  depuis sa maladie vivre au jour le jour
mentionnait une grande maison qu’on imaginait trop vide.
Elle évoquait le printemps, les tulipes
d'une voix noble et pathétique.

Le vieil homme acquiesçait pensif et disait : ah… ah… ah ?

Tout ce que les vieux savent et que nous ne savons pas.
Pas encore.
Toutes ces choses indicibles qu’ils connaissent
et mettent dans leurs « ah », dans leurs regards au ralenti.

Toutes ces choses que nous ne savons pas.
Que nous ne sommes pas pressés d’apprendre. 

samedi 25 février 2017

Vivre : éternels retours


Plongeur / Musée archéologique / Heraklion

Dans le matin Klein, 
je découvre une, puis deux, puis trois loupiotes.
Ils sont de retour.
Les pêcheurs. 

vendredi 24 février 2017

Vivre : bad news


Annonciation (détail) / G. Bellini / SS. Giovanni e Paolo / Venezia

Des traces brunâtres strient la chaussée.
Ça arrive régulièrement.
Trop souvent.
Tôt, ce matin,
un sanglier assoiffé a rencontré une voiture pressée.
Le regard de la bête, qui se vide,
 ne meurt jamais sur le coup.
La tôle froissée.
Et toujours, de côté, 
un conducteur hébété, les larmes aux yeux,
qui attend.


jeudi 23 février 2017

Vivre : still life / 12



Cette bouteille thermique me fascine.
Multi usages : 
Sert à garder le chaud, le froid.
Mais aussi à décanter le vin.
A l’occasion met en valeur quelques fleurs.
Surtout : a cette capacité de zipper dézipper
De montrer ce qu’elle veut bien.
Opacité et transparence à volonté.

En verre, oui, mais pas si fragile que ça. 

mercredi 22 février 2017

Voir : voir revenir l'été


Les salles dignes de ce nom ont fermé peu à peu. Les grosses productions font main basse sur les programmes. Nos deux bons vieux Rex sont chacun à 40 minutes de route. Question cinéma, le salut se trouve souvent  dans les bacs de la bibliothèque. J’y découvre des pépites en décalé. L’autre jour, bonne pioche : Ce silence de l’été. Un petit bijou, sorti en février 2016, sur la manière dont on survit à l’absence. 

L’histoire se passe sur trois étés et dans trois villes.
Ça commence à Berlin. Une jeune artiste lithographe traverse un parc pour aller travailler. Le soir, à son retour, elle s’écroule sur l’herbe belle verte. Sa mort laisse son ami effondré. La famille de la jeune femme, ses parents, sa sœur, se serrent les coudes pour faire face.
Paris. New-York. Durant les deux étés successifs, on retrouve l’ami et la sœur qui se croisent, suivent leur route tant bien que mal à la recherche d'un nouvel équilibre.

Le réalisateur, Mikhaël Hers  a voulu montrer le travail du temps lors d’une perte. Il dit : «...  je ne me voyais pas aborder cette histoire du deuil autrement que sur une très longue période. Je voulais filmer le travail du temps à l’oeuvre : voir comment il agit sur les personnages, parfois par strates successives presque imperceptibles, avec des moments de recul, d’hésitations... d’autres fois par à coups, par basculements...".

La musique est douce. Le rythme lent. Les villes sont lumineuses, animées. On voit la vie qui va, qui grouille, qui bat son plein. On pourrait croire que l’été n’est pas la meilleure saison pour traiter du deuil. Mais le sentiment de perte est peut-être plus intense face à un soleil insolent. Le résultat est tendre, vrai. Les acteurs sont épatants. Difficile de dire si Judith Chemla, est belle ou pas. Ce qui est certain, c’est qu’elle est une excellente actrice. Quant à Anders Danielsen Lie, il joue très juste les signes du chagrin, les frémissements de l’angoisse, les lueurs d’un nouveau désir (ce Norvégien, ai-je appris, est à la fois acteur et médecin généraliste, et mène de front ces deux activités). 

Un truc qui m’a frappée dans ce film : la manière dont les gens s’embrassent. C’est-à-dire dont ils se prennent dans les bras pour se saluer, se consoler, se rassurer. L’importance de ce geste tout simple : savoir entourer de ses bras l'Autre, en signe de fraternité, de solidarité.


mardi 21 février 2017

Habiter : sans œillères


Aldo Giannotti / Albertina / 2016 / Vienne / courtesy Viktor Schaider


Voir les choses pour la première fois.

La chance que c’est d’avoir :
Un toit
Des murs qui protègent du soleil, du froid
De l’eau courante, de l’eau à boire
Un lit
Du courant pour se chauffer
Un lieu où se poser.
La chance que c’est

D’habiter quelque part

lundi 20 février 2017

Vivre : la déperdition des énergies


Castello di Fontanellato / petit théâtre de marionnettes / 2016


Mado, ma chère et loyale Mado, son regard mi-pensif mi-envieux posé sur moi : « Il me reste encore 10 ans à tirer... ».

Mado est plus jeune que moi. A son âge, je croyais encore à mon métier. Je voulais non pas m’y réaliser (cette illusion professionnelle m’a assez vite abandonnée), mais y concrétiser mes savoirs et compétences. J’ai eu longtemps cet espoir. Et puis, au fil du temps, j'ai vu les portes se refermer, la bureaucratie s'emballer. C’est vrai : j’ai eu la chance de pouvoir partir en retraite anticipée assez vite, dès que les règles, les marches à suivre, les strates de hiérarchie se sont accumulées et ont transformé ce beau métier de terrain en un parcours balisé, parsemé de procédures dûment contrôlées et visées.

« No hay mas creatividad » m’a dit Monse sur les ramblas l’été dernier, en me félicitant de ma décision. Autre pays, autre culture, mais toujours la même réalité.

Le regard triste de Mado vient me dire la difficulté que c’est, de prendre chaque jour le chemin du travail, quand au travail, on a de l’expérience et du coffre, quand on a bien assez de lignes sur son CV, quand on a connu autre chose et qu’on peut comparer, mais qu’on ne dispose plus des moyens pour changer. A passé cinquante ans, on reçoit  ses envois en retour, on comprend entre les lignes ce que personne n’ose écrire tout haut: « trop âgée ! ».

Ainsi, Mado s’en va tous les jours affronter: la hiérarchie, les chefs, les sous-chefs, les aspirants chefs, les assistants de chefs, les chefs de projets, les englués dans les organigrammes, tous ces gens trop heureux de se placer, de grappiller un peu de pouvoir sur autrui en distribuant récompenses et bons points à qui sait bien se courber.

Mado peste, se lâche, sait qu’elle peut se confier. Ma Mado, courage, allons nous balader et tu vas tout me raconter.

dimanche 19 février 2017

Vivre : la voix des airs



Le printemps dispense ses billets doux 
ce matin tandis que je méditais
la toute première mouche est passée frôler ma joue.

samedi 18 février 2017

Regarder : la beauté sur la terre


Survol des Alpes / 2011 / photo Dad

Le musée de l’Elysée à Lausanne propose Sans limite, une exposition sur le thème de la photographie de montagne. Qu’on soit passionné ou non par les sommets, peu importe. L’exposition en fait aimer la représentation (envisagée sous les divers angles : horizontalité, verticalité, contre-plongée ou vue aérienne). Fascinant de voir l'évolution des prises de vue au fil des époques (depuis les tirages sur papier albuminé des débuts jusqu'aux photographies numériques, en passant par la photographie plus classique des années ’50-’60). ICI, le dossier de presse qui présente un échantillonnage des 300 œuvres montrées ainsi qu'une interview de Daniel Girardin, commissaire.

« Entre les rivages des océans et le sommet de la plus haute montagne

 est tracée une route secrète que vous devez absolument parcourir

 avant de ne faire qu’un avec les fils de la Terre » 

Khalil Gibran, cité dans l’expo



vendredi 17 février 2017

Vivre : la traversée de l'hiver / 4



Quand on traverse un hiver, on ne pense qu’à une chose: s’échapper, retrouver le goût du soleil et des grandes envolées, aller rechercher ailleurs l’amour qui semble s’être évaporé.

Pourtant, les hivers sont nécessaires. Ils font partie de la ronde des saisons. On sait très bien qu’après chaque hiver, il y aura un printemps, et un été, et un automne. Et encore un hiver. On se doute bien, qu’après celui-ci, la ronde va continuer. Jusqu’au dernier hiver, celui qui sera vraiment le nôtre, celui qui ne nous fera attendre aucune floraison. 

Alors, autant le vivre cet hiver-ci, le traverser. Avec le plus de fermeté et d’élégance possible (difficile, quand même, l’élégance, quand on sent l’échine se voûter).

Alors, autant rester, faire face, sans esquive, autant résister au désir de s’évader.

Faire face.


jeudi 16 février 2017

Voyager : la fille qui voyait rouge


Standing Woman looking into Mirror / George Segal / Gosh! Is it alive? / Arken 


Originaire d’un pays latin, je suis fascinée par la vie sociale dans les pays du Nord. Le calme, la tolérance, la discipline, une manière de vivre et laisser vivre, une attitude relaxée face aux petites contrariétés du quotidien, une retenue dans les émotions. Le respect des règles.

Ce matin-là, dans la rame, la fille avait pas mal de comptes à régler. Elle avançait en sermonnant les passagers, qui, impassiblement, fixaient un point droit devant eux. Elle leur tendait parfois un index sévère pour mieux les invectiver.

Arrivée devant l’espace silence où nous étions assis, elle a ouvert grand les portes, puis elle a entrepris de nous injurier nous aussi, mais… en chuchotant. Puis elle a refermé tout doucement et elle s'en est allée pester ailleurs.

mercredi 15 février 2017

Voyager : jeg taler ikke dansk**


Grayson Perry / The Walthamstow Tapestry (détail) / Arken Museum


Quand le haut-parleur a entamé son message, dans une langue qui était pour nous du chinois, entendant que nous parlions français, il s’est retourné pour nous fournir la traduction. Un accident de personne sur la voie exigeait que nous descendions du train pour en prendre un autre. Anorak grand ouvert, mains dégantées, vélo à ses côtés, il s’est mis à converser dans la bise glaciale. 
C’était un linguiste qui devait bien maîtriser une dizaine de langues. Il lisait ce jour-là un ouvrage traitant de l’élaboration de l’hébreu moderne. De fil en aiguille, d’Appelfeld à Oz, nous en sommes venus à parler de ces organismes vivants, en constante évolution, dont l’observation était sa spécialité.
Malheureusement, le nouveau train est rapidement arrivé et il ne nous restait plus que trois stations à parcourir ensemble, juste le temps d’évoquer les tendances progressistes et les tendances conservatrices en matière linguistique. 
Le « ça » des langues, le parlé de la rue, des zones, des habitudes, des abréviations, des jeux, des néologismes. Le « surmoi », les règles, les conventions, les réglementations, le conformisme, les formes. Et les langues qui naviguent entre ce qu’elles doivent et devraient, ce qu’elles veulent et voudraient, funambules entre ces extrêmes. 

Oui, des organismes vivants soumis aux aléas de la vie, bousculés et mobiles. Comme chez les humains, le seul moment où plus rien n'est dérangé, chahuté, c’est quand elles sont définitivement mortes. A ce moment-là... requiescant in pace !


** je ne parle pas danois


mardi 14 février 2017

Vivre : still life / 11




Quand, à la caisse, on me demande : « c’est pour offrir ? », je réponds presque toujours « oui ». 
Eh bien, oui, pourquoi cet objet dont j’avais besoin, 
qui me sera utile, qui agrémentera mon quotidien, 
qui me réjouit déjà, 
pourquoi ce ne serait pas un cadeau, un cadeau de moi à moi ? 
Juste pour le plaisir de déballer et de redécouvrir.

lundi 13 février 2017

Manger : le goût du souvenir


Jean Gautherin / Le Paradis perdu (détail) / Glyptothek / CPH

Chaque matin, nous traversions un carrefour à impressionnante circulation cycliste pour aller rejoindre un petit café, aménagé dans ce qui avait dû être anciennement une épicerie de quartier.
Là, se croisait une clientèle variée : des gens pressés qui emportaient vite fait leur coffee-to-go, des accros à la nicotine sirotant leur boisson chaude sur la terrasse enneigée, des ouvriers saisissant leur journal et leurs tartines au pain de seigle pour rejoindre le sous-sol. A l’intérieur, certains se déchaussaient avant de se pencher sur leur tablette tout en dévorant des céréales au yogourt et au miel. Dans cet espace exigu qui pouvait accueillir une douzaine de personnes tout au plus, il régnait un silence respectueux fait de mille petits bruits et paroles prononcées en sourdine, cette manière d’être ensemble séparément qui caractérise le savoir vivre au Nord.
Dans le petit box, deux serveuses se relayaient. L’une avait le minois couvert de taches de rousseur et un sourire espiègle. Elle préparait des espressos que n’eut pas reniés un barista napolitain et ses œufs à la coque tendaient à être quasiment durs. L’autre tournait vers les clients de grands yeux angoissés. Elle apportait immanquablement des œufs cassés et s’excusait longuement malgré nos protestations it's ok it's ok. Quand nous avions achevé de les manger, nous entendions le petit « dling » de la minuterie et, désireuse rectifier sa première livraison, elle venait alors nous apporter des œufs parfaits, au jaune dense et coulant. Le dernier jour, elle nous a demandé de quel pays nous venions. Quand nous lui avons répondu Switzerland, elle a pris un air peiné et nous avons presque eu envie de la consoler, en lui disant que ce n’était pas si grave.
Aux parois, étaient accrochés les journaux, des photos de paysages urbains, des transats qui attendaient des jours meilleurs. Je me disais que j’aurais pu passer la journée dans ce lieu accueillant et paisible, où se diffusait une musique jazzy, aussi légère que le café était corsé. Je rêvais de m’asseoir sur les coussins, d’ouvrir un calepin ou un livre et de rester là, à me sentir vivre, tout simplement, laissant dehors les flocons s’acharner contre les vitres. Oui. C’était tous les matins la même chose, je vivais comme un arrachement à devoir quitter le petit café, ses habitués, ses œufs à densité variable et toutes les vestes matelassées suspendues sous son comptoir surchargé.


http://www.kaffebarenamager.dk/

dimanche 12 février 2017

Vivre : au Royal smushi café


Royal Smushi Café / détail tapisserie / CPH

Au comptoir, elle passe lentement en revue l’alignement des thés. Son visage semble tout droit sorti d’une Annonciation de Fra Angelico. Elle choisit avec la même délicate attention la pâtisserie qui fera son goûter. Le serveur lui tranche une généreuse part de ces tourtes bombées qui se déclinent toutes ici en pastel. 
L’homme qui l’accompagne lui ressemble. Au prime abord ce pourrait être son frère. Mais il est décidément trop âgé. Son père s’est donc libéré en ce début d’après-midi pour venir la fêter. Elle ouvre avec précaution le joli paquet qu’il lui tend et découvre un débardeur rayé. Elle se penche radieuse sur sa tasse et souffle sur les volutes. Elle a le bonheur candide. Une poupée que la vie a ménagée. Seize ans. Peut-être moins. 
Tout à coup, on se prend ardemment à souhaiter que la vie soit clémente, que ce visage de porcelaine, cette innocence de porcelaine, ce regard de porcelaine, rien ne vienne les fêler, les ébrécher, les casser. Tout au plus joliment les patiner. 

samedi 11 février 2017

Voyager : pour voir la danse de la poussière dans les rayons du soleil


Minuscule sur la carte, la distance entre les musées avait paru interminable. Les transports publics semblaient ignorer le fait qu’il put y avoir un quelconque rapport entre ces deux lieux.

Nous avons traversé des banlieues cossues floutées par la neige, affronté des retards de train, des changements inopinés, attendu avidement un bus qui s’obstinait à ne pas arriver, et finalement atteint notre but trempés, les pieds gelés, juste entre chien et loup.

Avant d’aller retrouver la gravité silencieuse d'Hammershoi, devenue mélancolique dans la faible lueur du soir, quelques rassurants tableaux de Corot, ainsi qu’un époustouflant paysage marin de Daubigny, sous le regard discret d’un gardien qui n’avait pas d’autres visiteurs à garder, nous nous sommes dirigés vers deux sièges rouge et orange, tout au fond de la cafétéria. Ce jour-là, l’extension aux courbes noires et bétonnées conçue par Zaha Hadid nous a paru étrangement accueillante. Ah, le goût du thé chaud tandis qu’on se demande : combien de pas un kilomètre peut-il comporter?

A travers les vitrages, dans le parc, le miroir de Jeppe Hein était en train d'expérimenter précisément ce que nous avions vécu durant notre traversée.













 Jeppe Hein / 1 dimensional mirror./ Ordrupgaard

mercredi 8 février 2017

Voyager : erreur de casting


Ishoj / Plage

La bonne idée, la bonne idée pour une fois de tout vérifier: les billets, les réservations, les itinéraires (moi qui suis plutôt du genre négligent dans ce domaine)

Comment aurais-je pu deviner qu’il y a, dans cette grande ville du nord, cette grande ville aux adresses se terminant toutes par –gade, deux hôtels avec le même nom, appartenant au même groupe, aux bâtiments de la même allure, de la même couleur, pareillement étoilés ? L’un en plein centre ville (où je croyais avoir réservé), l’autre (dont je détenais malheureusement le voucher) dans un endroit assez glauque, sinistre même, mal desservi par les transports publics.

Ouf ! Annuler de justesse et parvenir à dénicher, last vraiment last minute, à un prix bradé, la dernière chambre d’un hôtel familial, donnant sur cour, dans un quartier animé. Un quartier pour passer de bonnes soirées, vu les intempéries que la météo me promet d'affronter. 

mardi 7 février 2017

Vivre : still life / 10



Cette année-là, nous avions loué un petit logement qui donnait sur les toits rouges de la ville. De là, on voyait presque autant d’altane que d’antennes. L’escalier qui y menait était tellement raide qu’il nous laissait haletants, chancelants dans la cuisine, où nous passions nos soirées à boire du Prosecco vendu au litre, dans des bouteilles en PET, par le marchand au coin de la calle. 

C’est attablée, tandis qu’il cuisinait des linguine aux crevettes et aux artichauts, qu’avec deux ou trois verroteries, un mètre de cordelette achetée chez la Bepa, une pince à épiler et une médaille chère à mon cœur, que je m’étais bricolé ce collier. 

Après tant d’heures passées autour de mon cou, je m’étonne que le fil tienne encore. Et que moi je tienne encore autant à lui.

lundi 6 février 2017

Habiter : considérer la question


Sans titre

Accroupie au pied de l'escalier
à chercher cette boucle qui est tombée
je lève les yeux et saisis pleinement 
le sens de la question : 
quel est votre point de vue?


dimanche 5 février 2017

Regarder : l'art de la délicatesse




La ligne de chemin de fer qui va vers le sud longe sur quelques kilomètres des champs prodigieux. 
Ces champs m’enchantent à chaque fois que je les contemple. 
Ils peuvent me sauver une journée. 
Leurs couleurs changent de fois en fois, de saison en saison et toujours de manière inattendue. 
Vert et rouille. Brun, gris et même noir. 
Ils déclinent toutes ces couleurs en camaïeux délicats. 
Un pur bonheur que je déguste en solitaire,
tandis que d'autres sont penchés sur leurs tablettes, 
ou absorbés par des conversations de la plus haute importance.

samedi 4 février 2017

Vivre : la traversée de l'hiver / 3





Quand l’angoisse me cueille dès le matin, je sais qu’elle peut provenir de quatre sources, plus ou moins inventoriées.
La plus impérieuse, la plus acharnée, c’est la plus ancienne, celle qui a fait irruption dans ma vie adolescente, et dont tu étais la messagère. Je te revois dans ma chambre m’annoncer que Mister C avait pris les commandes dans le corps de ton époux. De mon père. 
Depuis ce jour-là, combien de fois ne lui ai-je pas fait face, à cette angoisse-là ? Combien de fois ne l’ai-je pas affrontée, au plus profond de mon souffle, le long de mes artères, dans mon cœur qui piquait comme jamais ? Combien de fois, aussi, n’ai-je pas cru l’avoir « surmontée » ? Inconsciente,  je pensais à chaque fois en avoir fait le tour, ne plus avoir à la craindre (qu’avais-je à connaître de plus, somme toute, à force de faire corps avec elle?).

Il n’empêche.

Tous les soirs, au téléphone, après que j’ai appuyé sur ce contact que mon portable nomme « favori», quand j’entends ta voix qui dit « Oui? », je ressens comme une détente dans la poitrine, ténue, un relâchement, une expiration légère. Tant que j'entendrai ces trois voyelles, le soir venu, j'aurai l'illusion d'un écran, ténu, entre la camarde et moi. Je déglutis alors, tandis qu'une conversation commence cahin caha. 

vendredi 3 février 2017

Vivre : harmonie du soir


Paolo Veneziano / Couronnement de la vierge / Accademia / Venezia

Depuis le trottoir, on voit la bibliothèque éclairée.
Attablée, 
une pile à ses côtés,
le visage confié à ses bras repliés,
elle dort.

jeudi 2 février 2017

Habiter : art et essai


Sans titre

Tandis qu'à l'opposé le soleil fait son show en technicolor,
contempler un autre genre de cinéma.

mercredi 1 février 2017

Regarder : (re) garder les pieds sur terre


Mindful hands / miniature (détail) / Fondazione Cini / Venezia

L'autre jour, passant devant une fameuse galerie, je vois qu’on y expose une artiste admirée depuis longtemps. Je me hâte de grimper jusqu’au deuxième étage, où l'on m’accueille fort aimablement et l’on me tend fort obligeamment la liste des prix. Je décline pour me diriger vers la salle du fond, une grande pièce nue où se trouvent sept œuvres.
Je reste là, impressionnée, bouche bée. Cette artiste a le don d’exprimer l’inexprimable (oui, je sais, cette phrase fait cliché, on la dirait tirée d’un catalogue d’art contemporain, il n’empêche : il y a dans ces immenses traits une envolée vers tout ce qu’on sent et qu’on ne dit pas, parce qu’on entre dans un univers  hors du temps, où les mots n’ont pas de place, un univers d’avant le langage, d’avant les peurs et les mensonges). Long silence.

La différence entre un musée et une galerie, c’est que dans cette dernière, on se laisse plus facilement tenter par le jeu du je verrais bien ça chez moi. Tout à coup, je me suis sentie transportée par un enthousiasme farfelu. En conséquence, au lieu de sortir, je zigzague vers la réception et consulte la liste qui m’avait été tendue auparavant.
Ah !
Quand même…
Eh, oui, évidemment…
En rayant un zéro, je serais rentrée et j’aurais longuement discuté avec R. en argumentant avec la plus totale mauvaise foi. En rayant deux zéros, je me serais immédiatement portée acquéreuse, quitte à réduire mon régime alimentaire à des soupes et des patates pendant une durée indéterminée. En biffant un troisième zéro, j’aurais eu la possibilité d’acheter deux catalogues comportant des œuvres sur papier glacé.


A mon retour, sur le lac, il y avait une nuée d'étourneaux qui décrivaient des volutes parfaites dans la lumière argentée du soir. Je suis restée songeuse devant leurs évolutions et je me suis dit qu'elles aussi exprimaient à leur manière « un univers où les mots n'ont pas de place, un univers d’avant le langage, d’avant les peurs et les mensonges» et ... d'avant le marché de l'art...