dimanche 30 avril 2017

Vivre : ailleurs




Je pars en stage résidentiel pour une semaine.
Si longtemps, c'est la première fois.
J'appréhende un peu.
Je suis curieuse aussi.
On verra.

samedi 29 avril 2017

Habiter : question de voisinage


David Bailly / autoportrait en vanitas (détail) / Mauritshuis / La Haye


Je déteste les commérages, les bavardages vains. Mes voisins savent qu'ils peuvent compter sur moi en cas de besoin. Sinon, je n’éprouve pas de curiosité particulière envers eux. Bonjour. Bonsoir. Un sourire, un signe lors d’un croisement de voitures. Ils m’indiffèrent. Poliment. Je ne souhaite de leur part que du respect pour ma vie privée et pas de conflits (de grâce !).
Le seul voisin qui m’intrigue, c’est le propriétaire de la construction originale juste en contrebas. Il vit seul et habite une maison… une maison assez particulière, d'un style très épuré. Sauf que cette maison a l’air triste (c’est sans doute une question de couleur, la façade ayant une teinte prune. Et c'est peut-être aussi dû à une impression d'abandon émanant de son jardin). 
Je me demande parfois quelle peut être la vie d’une personne vivant seule dans une belle maison triste. 

Il y aurait là matière à roman, sans doute.
Seule l'écriture pourrait fournir réponse à mes questions silencieuses.

vendredi 28 avril 2017

Regarder : l'art du détail


Près de Cortona / Toscane / 2015


L’été 2015 était particulièrement caniculaire. Il arrivait que l’orage menace, mais la pluie ne tombait jamais là où nous l’attendions, tandis que nous parcourions les routes brûlantes de la Toscane. 
Juste après avoir pris cette photo 5, j’avais saisi au fond d’une ruelle de Cortona trois vieilles femmes assises devant un petit bar, attablées tandis que la touffeur vespérale  ne cédait pas d'un pouce. Je me souviens que, désireuse d'être aussi discrète que possible, j'avais ensuite rapidement rangé mon appareil.

Il en a résulté une photo originale, que j’ai placée en fond d’écran à mon retour de vacances. 
Avec le temps, je croyais tout savoir sur cette image, à force de l'avoir  immanquablement sous les yeux. Au fil des jours, j’y ai découvert peu à peu de multiples détails : sur la façade, une publicité pour une marque de glaces; les couleurs de l'unique table et de ses nappes; l’habillement de chacune des femmes; leurs accessoires (sacs à main, bijoux, canne); leurs consommations (deux bouteilles d’eau minérale).

Et puis ce matin, ça m’est apparu, c’était flagrant : à l’extrême droite de la photographie, j’avais élargi la prise de vue au-delà des trois personnages et cadré un coin de la porte d’accès au bar. Par-delà le chambranle, dans ce que je pensais n'être qu'un coin sombre, on aperçoit dans la pénombre une table de bistrot, une chaise et une liste des prix affichée tout au fond, sur le comptoir. De même, à l’extrême gauche de l’image, on aperçoit  - sur une bande étroite, à peine une vingtaine de centimètres dans le champ réel - la vitrine du magasin voisin, apparemment un commerce de meubles, avec deux dépliants collés sur la vitrine.

On croit parfois avoir fait le tour des choses, tout connaître, tout savoir sur elles.
Et pourtant, cette photo me montre que des détails peuvent toujours apparaître, qu’on cerne rarement tout, 
qu’on peut toujours être surpris par la réalité des choses et de gens.  


Il faudra décidément que je visionne encore une fois Blow up, une histoire bien plus trouble que celle de mes trois grand-mères, et où les détails photographiques révèlent un important secret.


jeudi 27 avril 2017

Vivre : Still life / 19





Il y a des jours sans.
Pas dramatiques, pas désolants,
Non : juste des jours sans.
Des jours où des mesures pour contrer une mélancolie émergeante 
demandent à être prises.
J’aime alors recourir aux conseils avisés de la Fée des Lilas
(La situassïon mérite attenssïon
admirable Delphine Seyrig…)
Je prépare un carrotcake avec amandes et noix de coco
Je relis un album de Jérome K.Jérome Bloche
Ou bien …
Je change l’éponge de la cuisine.
J’ignore pourquoi, mais ce petit bout de mousse tout neuf
a le don de me remonter le moral vite fait. 

mercredi 26 avril 2017

Regarder : plein champ



Günther Förg / Sans titre / Arken 2017

Ça et là
les champs de colza,
jaune fluorescent.
Et puis, tout à coup,
sous la danse des nuages,  
les voici incognito,
vert profond.

mardi 25 avril 2017

Vivre : les notes du jour


 Heindrick ter Brueggen / Joueuse de luth (détail / KHM / Vienne


Il y a deux flacons de parfum sur la tablette de ma salle de bain.
L’un est simple, il en émane des fragrances sympathiques, rappelant l’été et ses évidences. Rassurant, il donne pêche et légèreté.
Je crois qu’il a un nom anglais, que j’ai lu x fois, mais dont je ne me souviens jamais. On me l’a offert un jour. Je le porte comme un bon jeans fidèle.
L’autre a un nom plutôt étrange, il évoque des senteurs originales. C’est  une femme que j’avais interpellée un jour dans le train, qui me l’a révélé. Je lui avais envié ce parfum de caractère durant tout le trajet.effectué à ses côtés J’avais ensuite demandé le parfum en cadeau pour le Noël suivant.
Il y a des jours où je ne peux pas porter ce deuxième parfum. Des jours où je me sens trop peu armée pour aller affronter le monde en disant : voici, je suis la femme qui ose porter ces notes affirmées.
Ainsi, tous les matins, d’instinct, quand ma main se tend vers l’un ou l’autre des flacons, je sais précisément quelle est mon état d’esprit et dans quelle humeur je commence la journée.


lundi 24 avril 2017

Regarder : les minuscules tableaux de Pieter S.


The Nave and Choir of the Mariakerk in Utrecht  (détail) /Rijksmuseum /Amsterdam


Ce sentiment de paix 
qui se dégage des tableaux de Saenredam...
L’œil doit s'approcher,
s'exercer,
se faire attentif
aux moindres détails, 
tous ces petits riens 
qui étaient son quotidien.

dimanche 23 avril 2017

Vivre : lever le pied un bref instant

Lagon de Balos / Crete

De : Dad
Envoyé : ‎21.‎04.‎2017 16:06
À : 'ZB'
Objet : là, maintenant, juste maintenant...
…quand tu liras ce message. Lève la tête et prends le temps de faire trois respirations, lentement. C’est tout simple. Tu t’arrêtes, tu prends le temps de faire trois inspirations profondes, trois expirations.C'est tout. Love. Mum

Parce que tout simplement, 
malgré le fait qu'ils ont presque trente ans,
qu'ils disposent de tout plein d'argent,
voyagent à New-York au Pakistan,
s'intéressent aux étoiles Michelin,
ça peut être utile, au boulot, dans le stress des journées de dingues,
une invitation maternelle à juste prendre un peu de temps...
juste un peu de distance...
juste sortir un instant de la tourmente.

samedi 22 avril 2017

Vivre : le juste retour des choses


Portrait d'homme (détail) / Micheal Sittow / Mauritshuis / Den Haag

Là, tout à l'heure au téléphone, ce bref échange, et soudain, c’est comme si dix années n’avaient pas passé, sa voix n’avait pas changé, et la mienne non plus, alors toute remuée, j’ai réalisé que l’on ne perdait rien, même si on croyait que c’était le cas, que l’on pouvait laisser les choses partir et revenir, qu’on pouvait vivre la tristesse de la séparation, et le chagrin, et croire tournées à jamais certaines clefs, mais qu’il y avait quelque chose de constant, qui nous appartenait et nous appartiendrait toujours, que le bonheur de retrouver d'une manière ou d'une autre ceux avec qui nous avions été liés par le plaisir, ce bonheur restait intact, et tout à coup émue en diable – ou en paradis – je me suis dit que tout était bien.

vendredi 21 avril 2017

Vivre : il neige encore



Hier, sur la route,
cette valse rose,
ces congères qui se promenaient.
Bien sûr.
Les cerisiers.

jeudi 20 avril 2017

Vivre : Still life / 18




Je voulais une bague qui évoque le silence
- le son que je préfère -
Barbara, la lumineuse bijoutière
qui agite toujours les bras dans sa vitrine, sous les arcades,
qui sait si bien écouter 
et qui pour 2017 désirait :
« Della gioia, della gioia e sempre tanta gioia »

Barbara l’a simplemente réalisée.

mercredi 19 avril 2017

Voyager : entre ici et là-bas


Chiostro di San Martino / Napoli

Je suis rentrée ici fourbue, en déficit de sommeil. J’ai déposé mes bagages dans des effluves de glycine et de lilas. J’ai pris note du silence, de son immensité, de sa densité (c’est à peine si les flots touristiques près du lac, si les oiseaux nichés dans la forêt parvenaient à l’entamer, ce silence dur comme du roc qui est mon lot quotidien). 

J’ai commencé par expirer. Longuement. Pour me sentir ici. Et puis je me suis assoupie.

A mon réveil, j’ai repensé à là-bas.

(durant ces cinq jours, la ville m’avait tellement happée que je n’ai jamais eu un seul moment pour griffonner la moindre remarque, pour rassembler quelques pensées. J'usais toute mon énergie à scruter, observer, me repérer, me protéger, admirer, esquiver).

Aucun écrit, donc, là-bas où les cris, les pollutions de toutes sortes, les vociférations tournoyaient dans l’air vicié. Là-bas, où je me disais que tant de choses allaient à l’encontre du bon sens, de la cohérence, de l’apaisement auxquels j’aspire. Tout ce chaos, pensais-je, n’était que folie. Le chaos ne pouvant générer que davantage de chaos dans une spirale infinie de misère, de violence, de crasse et de totale incurie. Je constatais des entorses à toutes les règles, des manquements de toutes sortes. Je me désolais de voir bien public dénaturé, méprisé. Et mes oreilles pestaient contre tous les coups qui agressaient mes nuits : coups de klaxons , coups de freins, et même durant une soirée agitée les coups tout court pour de stupides paris.

Et puis, ici, tout doucement, au fil des évocations, tandis que j'émergeais dans la pénombre de ma chambre, j’ai senti monter en moi le sentiment d'un manque,  et une infinie mélancolie.

Car là-bas…
…tous les jours à l’aube un oiseau – un seul – se mettait à chanter sur l’unique arbre du quartier, et ce chant était comme le premier chant du monde
…tous les matins le marchand d’en face me proposait les oranges de son jardin – fidèle à son poste, comme tous les négociants du quartier – de sept à vingt et une heures, sous son arcade, à s’affairer
… la femme édentée du bar dès le deuxième jour me mettait de côté les treccine sucrées dont elle nous avait devinés friands
…le serveur d’Amici miei nous conseillait sur la carte des bouteilles aux prix les plus modérés et, devant notre refus de dessert, souriait de nous avoir si bien rassasiés
… notre chauffeur sur la costiera avait la dignité des gens qui savent faire face à l’adversité – et la ponctualité d’un réveil helvétique
… la pauvreté avait sa dignité, n’était pas une fatalité, mais une donne avec laquelle composer et lutter
… dans ce vieux quartier, je n’ai pas vu d’écriteaux en russe, en anglais, en japonais pour attirer la clientèle, là-bas on était ce qu’on était, pas question de racoler.
…il y avait de ces petites fraises minuscules, qu’on retrouvait dans bon nombre de pâtisseries, et sur les marchés, que certains emportaient en pots pour qu'elles fleurissent leurs balcons
en cette veille de Pâques,  dans la basilique de San Lorenzo Maggiore, les voix des enfants, emmenés par trois minuscules sœurs philippines, évoquaient la compassion la plus pure tandis que des mères assises près de l'autel nourrissaient avec naturel leurs bébés
…la Beauté cachée, négligée, souillée, banalisée, faisait des manières pour se dévoiler, puis vous cueillait par surprise, avec une négligence étudiée

Alors, dans cette torpeur que dégage la fatigue du voyage en train de s’évaporer, quelque chose comme de la tendresse, comme un immense élan du cœur, a jailli sous mes paupières. J'ai tendu la main et senti sous mon annulaire des larmes de nostalgie couler. Couler pour une ville qui n’est même pas mon genre, mais que je me suis surprise à viscéralement aimer. 

mardi 18 avril 2017

Manger : la vita è una combinazione di magia e pasta**


Citron d'Amalfi à droite


Nos trois kilos d’agrumes ne les ont pas étonnés.
Notre citron de Sorrente (un bon kilo de vitamines) les a impressionnés.
Mon e-book n’a pas été décelé.
Hélas
Mon bocal (de beaux filets de première qualité)
A été vite repéré. J’ai été priée de m’écarter, de m’expliquer, de l’exhiber.
Non ! Tout mais pas de confiscation !
En dernier recours, j’ai pris un air vibrant de mamma italienne
j’ai expliqué que j’en avais besoin pour ma pasta !
Leur regard s’est alors rempli de compréhension et…
ils m’ont laissée passer.


Pour trois ou quatre bonnes platées :
Un citron d’Amalfi
Un petit bouquet de persil plat
Trois ou quatre gousses d’ail
Un long filet de thon par personne
quelques cuillerées d’huile de conservation
Du piment rouge à volonté, du sel
Optionnel : un peu de bouillon en poudre
Des fusilli, farfalle ou rigatoni d’origine irréprochable


Pendant que les pâtes cuisent, râper l’écorce et presser la moitié du citron, cisailler le persil, presser l’ail. Ajouter le thon, l’huile, le piment. Saupoudrer de bouillon. Mélanger doucement les ingrédients sur feu doux. Verser les pâtes chaudes sur l’ensemble et déguster. Cette recette a l’avantage de régaler vite fait de grandes tablées. A arroser avec un Fiano d’Avellino frais ou un Aglianico, ou avec tout autre nectar de franche lignée. 


** Federico Fellini / la vie est un assemblage de magie et de pâtes 

lundi 17 avril 2017

Vivre : les yeux du pharmacien


figura dionisica / Museo archeologico / Napoli



C’était un pharmacien officiant dans Spaccanapoli,
plutôt jeune, et d’allure plutôt insignifiante.
Cependant ,quand je lui ai demandé un antalgique,
il a tourné vers moi des yeux pâles dans lesquels j’ai lu toute la bonté,
toute l’attention, toute la compassion du monde.
(l'espace d'un instant j'ai cru qu'un des nombreux saints de la ville venait de se réincarner)
Intensément troublée,
j’ai réalisé que, depuis longtemps, 
je n’avais plus croisé un regard aussi pur et sincère chez un être humain,
seulement chez certains chiens, 
de ces bouviers ou labradors, véritables boules de loyauté.
Il m'est revenu en mémoire des personnes très très âgées, 
au cœur poli par les années.

J’avais oublié combien c’est noble et grand, la bonté.
Et combien il est doux de la rencontrer.

dimanche 16 avril 2017

Regarder : les saltimbanques au Palais


la mise en place de l'oeuvre arrivée de Beaubourg / source : twitter.com


sur le cheval ailé, la ballerine représentant Olga

Au printemps 1917, Jean Cocteau, Pablo PicassoLéonide Massine et Serge Diaghilev parcourent la Campanie. L’objectif du voyage : préparer le spectacle Parade, qui devait être représenté le 18 mai au théâtre du Chatelet. Erik Satie compose la musique. Massine la chorégraphie. 
Cocteau, l’auteur du livret, écrit dans une carte à sa mère, le 13 mars: « Je n’imagine pas qu’aucune ville du monde puisse me plaire mieux que Naples. L’Antiquité grouille toute neuve dans ce Montmartre arabe, dans ce désordre énorme d’une kermesse qui ne ferme jamais. La nourriture, Dieu et la fornication, voilà les mobiles de ce peuple romanesque. Le Vésuve fabrique tous les nuages du monde. La mer est bleu marine. Il pousse des jacinthes sur les trottoirs.Pompéi ne m’a pas étonné. J’ai été droit à ma maison. J’avais attendu mille ans sans oser revenir voir ses pauvres décombres. 
Picasso, amoureux fou d’Olga, danseuse dans la troupe des Ballets russes, dessine les décors et les costumes. Il visite Naples, Pompei, est impressionné par la culture antique et populaire de la région et inspiré depuis quelque temps déjà par la commedia dell’arte.
L'exposition du rideau de scène dans la salle de bal de la pinacothèque nationale de Capodimonte est donc une sorte de retour aux sources. En le découvrant, j’avoue avoir été impressionnée. Ne connaissant l'oeuvre que reproduite sur papier, on s’imagine mal sa puissance dans ses dimensions réelles (10 mètres sur 17). Un grand moment. 
Picasso e Napoli. Parade / 08.04.17 - 10.07.17 / Museo nazionale di Capodimonte 


samedi 15 avril 2017

Voyager : Voir Naples et survivre


Deux coureurs (détail) / Ercolano / museo archelogico / Napoli


Du château Sant’Elmo, avec cette vue immense sur la baie quasi déserte,
le Vesuve, et Capri au loin,
dans les senteurs de glycines et les chants d’oiseaux,
la ville semblait apaisée, un immense tapis
tissé d’avenues et d’alignements,
sur lequel les principaux bâtiments
se prélassaient comme des animaux dociles.

C’est 168 mètres plus bas,
dès le premier pas posé sur le quai du funiculaire,
que commençaient le rodéo, le tango, les hurlements, la rumba,
un calvaire et un délice tout à la fois
pour nos yeux et nos oreilles affairés.
Effarés.

mardi 11 avril 2017

Voyager : idée cadeau



Depuis pas mal d'années, 
cette demande de ZB pour son anniversaire :
une ville et du temps à passer avec ses parents.
Cette fois-ci ce sera :


La mer, l'antique et le baroque, les cris, les gelati,
la Beauté à l'état brut, la pizza, l'incurie.
On boucle les valises et on se réjouit.

lundi 10 avril 2017

Vivre : tout un art


Arezzo / 2015

Il flotte sur la terrasse, un peu en retrait du centre ville, un air de liberté qui frôle le négligé. C’est un lieu dit « alternatif », où s’organisent à tour de rôle concerts et vide-greniers, où des vendeurs ambulants se succèdent pour proposer leur nourriture exotique. Quelle que soit la fréquentation, il y règne toujours un calme désordonné (ou un désordre apaisé) dans des effluves de nasi-goreng et de cigarettes roulées. Entre les tables, des moineaux affamés esquivent des bambins nu-pieds, des vieilles connaissances s’embrassent avec cordialité, des touristes perplexes se demandent si et comment consommer.

Cet espace invite à l’observation, à la réflexion, à la rêverie solitaire. Mais aussi aux discussions, aux rencontres de travail, aux murmures amoureux. Certains s’y adonnent à la prise de notes, à la rédaction, d'autres lèvent le nez, à la recherche d’inspiration. Il y en a pour tous les goûts sur la terrasse en libre-service, au fond de la cour de ce qui fut autrefois une école secondaire. Dire que tant de générations ont subi ici appels à la discipline et sanctions…

Aujourd’hui, deux jeunes s’exercent dans un coin à quelques airs de guitare, mais leur son est si léger qu’il s’évapore en effleurant nos verres. Deux filles tentent avec plus ou moins de bonheur de fixer des torches dans les bacs où fleurissent des lilas et verdissent quelques rosiers. Un mec avec un grand panier à provision s'en va à la cueillette des tasses abandonnées.

Aujourd’hui, je pourrais passer la journée sur mon banc, à me laisser aller, regarder le soleil progresser derrière les branches encore nues du marronnier, tirer de ma besace un calepin et des crayons, sans savoir, sans savoir si vraiment j’aurais quelque chose à y noter, suivre le vol d’un insecte, reluquer cette fille qui porte exactement le blouson que je m’évertue depuis si longtemps à dénicher…

Aujourd’hui, rien faire me paraît un art suprême, un exercice de la plus haute virtuosité, sur la terrasse qui attend l'été…


dimanche 9 avril 2017

Voyager : le safari sur un mètre carré



ruelle de Korcula / 2014


Interviewé par Elisabeth Quin sur Arte,
Marc Giraud, captivant naturaliste, 
nous invite à mettre de grands voyages à notre portée.
Bref, l'aventure au coin du jardin, au bord du chemin.
Ai déniché sur son blog sa description d'un safari mini-prix maxi-découverte:

"C’est une révélation ! Lorsque j’organisais des sorties nature pour les enfants, je leur proposais quelquefois un « safari sur un mètre carré », et le résultat était toujours intéressant. Il n’y a aucune raison de priver les adultes du même plaisir. Il s’agit d’une « anti-promenade » : au lieu de parcourir beaucoup de territoire, sur lequel on passe peu de temps, on délimite un petit espace et l’on y reste longtemps. On découvre alors la vie miniature qui grouille à nos pieds : les insectes qui vaquent à leurs énigmatiques affaires, toujours pressés, les mini-proies attaquées par de mini-prédateurs, les amours et les drames quotidiens qui nous échappent habituellement. Après une telle expérience, on ne regarde plus un carré de gazon ou un bord de chemin de la même manière. La nature est un ensemble de millions et de millions de petits espaces comme celui que l’on vient d’observer, et l’on prend conscience de son infinie vitalité. "

Parmi les dernières publications de cet auteur prolifique :

La France sauvage, La Martinière, 2011
La nature en bord du chemin, Delachaux et Niestlé, 2013
Safari dans la bouse et autres découvertes bucoliquesDelachaux et Niestlé, 2014
Les animaux en bord du chemin,  Delachaux et Niestlé, 2015
La nature au fil des saisons, Allary éditions, 2016
Arbres et fleurs en bord de chemin, Delachaux et Niestlé, 2017

samedi 8 avril 2017

Habiter : cohabitation heureuse



Leur présence
Leur aptitude à se relever quand elles sont au plus bas
(juste une courte taille de tige, un léger rajout d'eau)
Leur vivacité singulière
Leur personnalité affirmée
en font des complices, 
des indispensables animatrices
de notre habitat.
Entre deux bouquets,
ce vide...ce manque...
de tulipes.

vendredi 7 avril 2017

Vivre : Still life / 17




Still life, still life…
En réalité, pas tant que ça.
Car toutes les fois que je passe...
Difficile de résister à l’envie
d’appuyer sur le clapet.
Simplement pour l’émerveillement
de retrouver mes trois ans.

jeudi 6 avril 2017

Vivre : La traversée de l'hiver / 7



Atlante / Aix-en-Provence / 2012


Combien de temps un hiver peut-il durer ?

Le 21 mars est passé. Une nouvelle saison a officiellement commencé. 
Dans le jardin un peu abandonné les tulipes et les primevères s’en donnent à cœur joie.
 Le soleil encourage le lilas. L’herbe s’agite dans la brise.
Nous venons de vivre une suite des hauts et des bas :
des médicaments pris de manière anarchique, des alertes, des craintes, des appels au secours.
 La voici aujourd’hui qui me sourit, en me désignant une plante rare qui agrémentera ma salade.
Elle dit que les passages des infirmiers la gênent. 
Quel besoin ont-ils donc de venir la déranger quatre fois dans la journée ? 
Elle sait très bien ce qu’elle doit prendre. Et elle ajoute :
Cela peut arriver à tout le monde de se tromper.
(En fait, il lui est arrivé d'avaler à plusieurs reprises l'équivalent de 36 heures de comprimés.
Mardi dernier, le médecin de garde a prié ma sœur de rester dormir chez notre mère
 pour surveiller les effets du dernier surdosage. E. a fini sa semaine sur les rotules).
Tu sais, elle me parle trop sévèrement. Elle est méchante avec moi.
Sous les doux rayons d’avril, je la vois détendue et bienheureuse.
Je ne sais jamais comment m'y prendre.
 Il faut être là, répondre, encadrer. 
Et il faudrait aussi faire confiance, lâcher-prise.
J’ai le cœur lourd de ces effets yo-yo
Je me demande combien de tristesse un cœur peut héberger.

Combien de temps un hiver peut-il durer ?

mercredi 5 avril 2017

Vivre : remonter en enfance


Petite fille / village de l'Atlas / Maroc / 2010


De mon enfance solitaire
 je garde
le goût immodéré de construire des cabanes
(où que je me trouve, mer, ville, campagne,
je continue de m’inventer toutes sortes de constructions - mentales ou pas - 
dans lesquelles je m’imagine vivre),
l’aptitude à m’occuper avec trois fois rien, cailloux, coquilles, ou crayons minuscules,
le souvenir de jeux avec des chiens, des chats, des lapins, des souriceaux,
la tentation des choses formellement interdites
(cet immense entrepôt de menuiserie, parcouru le long des jeudis -
réputé beaucoup trop dangereux - objet de réprimandes répétées mais somme toute négligeables)
l'élection de Jo March comme meilleure amie,
(l'intrépide Jo occupée à lire dans un grenier et à écrire des nouvelles)
et surtout, surtout, le goût du silence, une sacro-sainte horreur

de tout ce qui piaille et pérore. 

mardi 4 avril 2017

Vivre : une bouteille à la mer


Un coin de rue à Bologne / 2015

Sur le départ, ma valise dans le coffre, je reçois un message de Mado.
Un SOS en forme de SMS.
(je ne connais que trop, hélas, le bourbier dans lequel elle doit aller gagner sa vie.
Si Dante l’avait connu, il aurait à coup sûr rajouté un dixième cercle à son enfer)
Que lui écrire, à ma merveilleuse, en attendant notre prochaine rencontre ?
Que cette bande de bachi-bouzouks ne les méritent pas, elle et sa droiture ?
J'aimerais la consoler. En dix mots, pas davantage. Je tape : 

Lumineuse, ne laisse pas les éteignoirs avoir prise sur toi.

Un smile tombe en retour.
Je me dirige vers  mes prochaines aventures.

lundi 3 avril 2017

Habiter : la maison malaimée


Rietvelt et Schröder / House Model / Gemeentemuseum / Den Haag

Arrivant dans un logement nouveau, même pour un bref séjour, je ressens la nécessité d’aménager au mieux ce coin du monde  (créer un lieu où dormir, me reposer, lire, prendre quelques notes, me faire un thé). Tout provisoire qu'il soit, j'ai le besoin instinctif  de m'y sentir chez moi.

A La Haye, la maison en briques rouges se situait au cœur de ce qui s’est révélé être un quartier bobo, dont les rues chics abritaient une suite de restaurants à la mode et boutiques d’antiquaires, mais où l’on ne trouvait aucun débit à la ronde où descendre acheter un litre de lait ou une baguette.
D’emblée, en entrant, j’ai senti les murs dire leur désolation. J’ai rarement entendu une maison exprimer aussi intensément sa peine. L’atmosphère y était triste et l’air confiné. La cuisine paraissait sombre, morne et sentait le renfermé (depuis combien de temps une odeur  agréable, pain grillé, plat cuisiné, n’avait-elle pas circulé en cet espace?). A l’étage, le pommeau de la douche était fixé sur une surface dépourvue de carrelage, la peinture s’écaillait et des infiltrations aboutissaient dans la hotte de ventilation juste en-dessous.

Cependant, la maison ne manquait pas de charme. Vénérable demeure, construite à la fin du XVIIIème siècle, élégante, avec ses portes de salon classieuses, au verre délicatement gravé, elle pouvait se vanter d’une lunette ovale inondant de soleil sa cage d’escalier bleu indigo, d’un grand tableau représentant un notable au sourire las, d’une chambre rouge avec des stores damassés, qui laissaient au matin s’échapper sur les murs de petites flammes de lumière.

Si j’avais prévu d’y résider ne fut-ce que 24 heures supplémentaires, j’aurais sans doute disposé quelques tulipes ou un pot de primevères sur la table du salon. J’aurais longuement ouvert les fenêtres pour faire circuler l’air dans ces locaux rabougris et acheté du café italien pour qu’il embaume à travers toutes les pièces. J’aurais pu passer aussi un coup de serpillière sur le parquet vernis (hélas le seau trouvé tout au fond d’une armoire poussiéreuse s’était révélé fendu et les torchons inexistants). 

Jaap, en charge de l’accueil, s’était révélé ponctuel, avec une poignée de main franche, mais sa notion de l’entretien ménager semblait se résumer, entre deux locataires, à changer les draps et les linges ainsi qu’à déverser la moitié d’une bouteille de Javel dans la cuvette des WC. Il a acquiescé négligemment quand nous lui avons indiqué la tablette soutenant des piles d’assiettes qui menaçait dangereusement de s’effondrer. 

Une maison a besoin de soins et de reconnaissance. Une maison palpite comme un être humain. Elle vibre et vit au rythme de ses habitants. Elle s’étiole par défaut de tendresse et finit par se recroqueviller sur sa poussière et ses taches agglutinées. 

Après avoir pris nos repères, reniflé les locaux à la manière instinctives des animaux, nous avons trouvé refuge dans la chambre du grenier, sobre, grise et beige, lumineuse, avec ses deux fenêtres donnant sur les toits de la ville. C’est là haut, entre ces murs protecteurs, que nous nous sommes finalement installés pour bouquiner et soigner nos pieds endoloris.

Le dernier matin, j'ai quitté la demeure chagrine de la Speckstraat. Quand j'ai glissé le jeu de clefs à travers la fente du courrier, il a émis un son plat en tombant sur la moquette fatiguée. Je me suis dirigée vers la gare, d'un pas alerte, un sourire sur les lèvres, car je pensais déjà à la bien aimée qui m'attendait au loin. 

dimanche 2 avril 2017

Regarder : l'ombre, la chaîne et la lumière



« Mais Fabritius… il fait un calembour sur le genre, c’est une riposte magistrale à toute idée de trompe-l’œil… parce que dans d’autres endroits de l’œuvre – la tête ? l’aile ? – pas le moins du monde animal ni littéral, il déconstruit l’image de manière très délibérée pour nous montrer comment il l’a peinte. Barbouillages et taches de couleur très travaillés, à la main, surtout la ligne du cou, une peinture solide, très abstraite. C’est ça qui fait de lui un génie plus de notre époque que de la sienne. Il y a un double sens. On voit la patte du peintre, on voit la peinture pour la peinture, et aussi l’oiseau vivant."  
Donna Tartt / Le Chardonneret 

J'avais oublié quant à moi... 
la chaîne, l'imposante part d'ombre sur la surface... 
j'avais oublié que le petit oiseau était prisonnier. 
Observant cette situation cruelle,
j'en veux à Fabritius de nous laisser devant ce drame
 Impuissants. 
Le véritable génie aurait été de peindre...
une tenaille.



Contrariée, je pénètre dans la salle suivante,
 où très vite je sens un regard intense posé sur moi.
Levant les yeux, je l'aperçois. 
Quoi ? Elle ? Là ? Déjà ?
Sa présence est quasiment palpable,
je ne serais pas surprise de la voir s’animer d’un coup.
Partir d’un éclat de rire. M’adresser une politesse.
Sortir du cadre.
La lumière danse, voltige sur ses lèvres, sur sa peau douce, 
sur les soieries qui l’enveloppent.
Ce face à face est sidérant.
Johannes, tu es le plus grand !


La Jeune fille à la Perle / J Vermeer / Mauritshuis


samedi 1 avril 2017

Voyager : les sourires dans la ville


JH Steen / The Baker Arentd Oostwaard and his wife Catahrina Keeizerswaard / Rijksmuseum


De ces quelques jours occupés à traverser des ponts, demander notre chemin, passer commande sur des terrasses, il me reste le souvenir d’une attention tranquille, de regards apaisés posés sur nous. Quelle qu’ait pu être notre demande, on la trouvait légitime et, de même, on estimait légitime de prendre tout le temps nécessaire pour y répondre.

Quel nom donner à cette forme de savoir vivre, à ce calme élégant ? Politesse ? Gentillesse ? Bonne éducation ? La détente régnait dans les rues, sur les trottoirs. Festina lente, hâte-toi lentement, semblaient dire les vélos aux heures de pointe et les menus accrochages paraissaient tous pouvoir se résoudre paisiblement.

J’aimais ces manières à la fois douces et pondérées qui dégageaient dans l'atmosphère de minuscules éclats de bien-être. Je voulais en rapporter une bonne dose dans mes bagages (souvent, je ramène de mes voyages plus d'attitudes mentales que de marchandises). Hélas, prise par mes occupations du retour, je dois constater que ces souvenirs tendent à s’évaporer assez vite à l'épreuve du quotidien. Il s'agit de garder ces éclats volatils dans un coin précieux de la mémoire.