lundi 31 janvier 2022

Vivre : question de mérite

 
Exposition MAK / Vienne /  Eté 2014
 
quand, mais quand donc cessera-t-on de confondre la valeur des personnes avec leur capacité à consommer ?
 

dimanche 30 janvier 2022

Vivre : les migrations du soir

 
Sculptures romaines / Kunsthistorisches Museum / Wien
 
Dans l'anonymat de la grande ville, la nuit est tombée, si vite, trop vite plongeant par surprise sur les rails et les trottoirs, bousculant la foule qui s'agite, se percute, s'évite, sans se voir. Chacun cherche son chez soi. Chacun voudrait l'atteindre, désespérément, et n'a de cesse de l'avoir atteint, en ramant. Chacun se hâte à tâtons vers le secours d'une sortie, d'un quai familier, d'une porte franchie. Des courants en crue se déversent. Des flux se télescopent. Un enfant s'accroche. Un homme en perd sa sacoche. Les réverbères illuminent les visages blafards, cernés par les années, cernés par les marées, pauvres masques défigurés par les trop longues journées. Les propos faiblissent, les adieux se tarissent, les conversations s'appauvrissent. On n'en peut plus de tenir bon, d'être dans la course. On rassemble ce qu'il reste d'énergie à faire bonne figure avec au fond de soi une seule obsession : retrouver coûte que coûte sa maison.

samedi 29 janvier 2022

Vivre : question d'équilibre

 
Continuo / Roberto Barni / giardino Spoerri / Seggiano
 
Tant de raisons de déraper, tant d'occasions de s'irriter,
de ruminer, de s'interroger, de déprimer, de chanceler
- oui, quand on y pense, tant de motifs pour se gâcher l'existence
rendre opaque ce qui ne devrait être que clarté -
et pourtant rester présente, veiller à ne pas se laisser emporter
demeure l'unique façon d'être, de vivre et d'avancer.
 

vendredi 28 janvier 2022

Vivre : au Royaume du Danemark...

 

 
Au hasard de mes déambulations, dans la paisible librairie Quai des Brumes, le bouquin de Céline Marty, Travailler moins pour vivre mieux, m'a tapé dans l’œil et je n'ai pu que l'embarquer. Par la suite, plusieurs personnes intéressées m'ont demandé à l'emprunter. Nul doute : le travail est un sujet sensible. Très. 
En observant autour de soi, en écoutant les uns et les autres, on ne peut que constater que les gens satisfaits de leur vie professionnelle ne sont pas légion. Après avoir indiqué leur métier comme on présente une carte de visite ou comme l'on décline un pédigrée, quand les discours se font plus profonds et les affirmations plus proches de la sincérité, une dichotomie apparaît très vite : d'une part, il y a les personnes, avec  leurs attentes, leurs dons, leurs compétences, leurs énergies et, d'autre part, il y a le monde professionnel auquel elles se retrouvent confrontées et qui, d'une manière ou d'une autre, finit un jour par les décevoir, ou les user, voire les broyer.
Burnouts percutants ou à répétition. Harcèlements plus ou moins violents. Exigences démesurées. Incohérences. Conflits de pouvoir. Tout cela s'amoncèle et on se demande comment les gens peuvent survivre à tant de difficultés. La trajectoire professionnelle apparaît comme un parcours d'obstacles, une sorte de slalom au cours duquel, si l'on tient à sauver sa peau, il s'agit de pratiquer l'art de l'esquive, du combat florentin, l'art de la négociation et le non moins utile art de la fugue.
Même les loisirs, nous dit Céline Marty, sont organisés de telle sorte que non seulement ils aident à contrebalancer les méfaits du travail sur la santé, mais qu'en plus ils se révèlent rentables et quantifiables. 
Retirée de cet univers depuis  quelques années, je ne cesse ne m'interroger sur cette invraisemblable énigme : qu'est-ce qui fait que tant de salariés doués et enthousiastes, honnêtes, généreux et impliqués en arrivent à ne plus vouloir s'investir dans le monde salarié ? En arrivent, quand ils le peuvent, à le fuir pour se sauver, dépensant dans leur désespoir une énergie de noyés ?
Nul doute : Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark. Sans doute le monde professionnel est-il le reflet des dysfonctionnements plus larges de notre monde et de nos sociétés. La question du sens est fondamentale. Elle demande à être pensée, analysée, discutée : pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Quelle marge de manœuvre pour les remises en question et les changements possibles ? J'espère que l'ouvrage apporte quelques pistes (et j'ai hâte qu'il me revienne).

jeudi 27 janvier 2022

Vivre : le silence uni de l'hiver

 

 il y a des images, on dirait le silence...
on pourrait rester de longs moments,
immobile, imaginer des îles, des lagunes,
ne craindre ni le froid, ni les brumes,
à laisser émerger des vers de Rilke...
 
Le silence uni de l'hiver // est remplacé dans l'air // par un silence à ramage ; // chaque voix qui accourt // y ajoute un contour, // y parfait une image.
Et tout cela n'est que le fond // de ce qui serait l'action // de notre coeur qui surpasse // le multiple dessin // de ce silence plein // d'inexprimable audace.

mercredi 26 janvier 2022

Vivre : ouvertures

 

Face à trop de brouhaha et de brouillages, monter de quelques étages...

mardi 25 janvier 2022

Vivre : suivre le conseil de Léon

 

Aujourd'hui, je me suis sentie bien, totalement, magnifiquement bien. La vie, les gens, le monde (et même le brouillard) me souriaient. Je suis tombée sur trois livres et deux revues qui feront mon bonheur pendant les prochaines après-midis. J'ai accueilli de bonnes nouvelles. Tout allait pour le mieux. Je me suis demandé à quoi cela tenait. Une question de sommeil profond ? Une question d'alimentation ?  de création ou de méditation ? J'y ai longuement pensé durant mes longues promenades sous les arbres bienveillants. Là, je crois que je viens enfin de trouver. Suis tombée sur cette citation de Tolstoï : "Si vous voulez être heureux, soyez-le." Voilà. Pas plus compliqué que ça.

Vivre : la solitude des mères

 

Au petit-déjeuner / Carl Moll / Musée historique de la Ville / Vienne
 
Elles sont régulièrement à la caisse, juste devant, ou juste derrière. Elle manipulent prudemment une poussette. Elles doivent aussi veiller au bambin qui traficote juste à côté. Pas toucher. Pas tomber. Elles regardent rêveusement le ciel tout en surveillant le toboggan. Elles espèrent qu'un jour, une autre de ces femmes, assises sur un banc pourrait devenir une confidente. Elles aimeraient pouvoir raconter, pouvoir se raconter, pouvoir déverser. Elles auraient tant de choses à dire, qu'elles gardent au fond de leur regard gris clair, sous la fatigue de leurs paupières. 
Elles semblent avoir laissé tomber quelques rêves dans le déménagement qui les a conduites de la ville où elles sont nées à ce village bien équipé. Elles ont de la chance, elles ne sont pas obligées de travailler, pas obligées de partir derrière une caisse ou un bureau, ni de subir toutes sortes de désagréments, faire face à mille embouteillages et tiraillements. Elles doivent seulement faire attention à bien gérer, à bien maîtriser.
Elles s'efforcent de penser à leurs privilèges. Elles veulent tellement donner à leurs enfants. Il doivent recevoir plus, mieux, que ce qu'elles ont reçu il y a vingt ans. Elles ont mis leurs projets de côté pour que leur progéniture puisse les réaliser. A onze heures pile, elles se lèvent. Le déjeuner. Il faut rentrer. Elles rassemblent les seaux les pelles, et repartent avec leurs rêves si lourds, si transparents, si encombrants qu'elles les traînent comme un troisième enfant.

lundi 24 janvier 2022

Vivre : élagages



18 livres (apportés en ville devant la gare, là où passent des tas de gens ouverts aux découvertes).
4 ou 5 bibelots (qu'on gardait en souvenir, mais qui n'avaient plus leur place dans ces espaces).
Des cartes, des lettres, des papiers, des cartons déchirés, pliés, jetés (prêts à être recyclés).
Un robot qui demandait à être réparé (apporté à une association qui le revendra une fois rafistolé).
Deux ou trois choses à la poubelle. Un vélo pour qui voudrait se remettre en selle.
Des épices rares, reçues dans un grand panier garni (jolies dans le panier, inutiles une fois sorties).
Une vieille couverture déchiquetée qui ne sera pas remplacée. De vieux coussins destinés au chien. 
Sans compter tout le fatras informatique (garder ce qu'on reconnaît essentiel et le reste, ouste! delete!)

Malgré tous les sachets refusés, l'usage quotidien de nos paniers, le rejet systématique du plastique, on se retrouve avec une multitude de sacs, bien plus qu'on ne peut en réutiliser. On en rapportera au marché, avec les boîtes à œufs. Mais même recyclés, ils restent trop nombreux.
Incroyable constat alors qu'on va une fois par semaine en déchetterie apporter tout ce qu'on a au préalable trié. On n'achète plus de cartes dans les musées, plus de catalogues, plus de souvenirs. On refuse les colifichets publicitaires, les échantillons, les stylos, les dépliants. On a l'impression de savoir distinguer de plus en plus systématiquement l'envie d'un objet et son besoin. Il y a de plus en plus de journées où l'on ne dépense rien. On fait savoir qu'en guise de cadeaux on désire des moments et pas des choses. On aspire à des espaces épurés. Et pourtant... la cure doit continuer. Il y a encore de quoi faire. Et de quoi méditer.
 
Tous ces pots de confiture, ces jolies bouteilles, ces cadeaux reçus qu'on ne saurait refuser: il faudra encore éliminer. "On n'est jamais aussi riche que quand on déménage" disait une voisine à une autre qui s'en allait en pestant contre tous les cartons à porter. Trop de trop est le diagnostic. La traitement porte ses fruits, mais le vaccin demande encore une mise au point.
 

dimanche 23 janvier 2022

Vivre : effet miroir

 
Portrait de femme / Giovanni Bellini / KHM / Vienne

Quel besoin de vouloir donner plus que ce qui est demandé ?
Le véritable don, parfois, souvent, consiste juste à renvoyer.

samedi 22 janvier 2022

Vivre : à travers chants

 

et c'est toujours au cœur de l'hiver
- vent soufflant par rafales, matinées glaciales -
qu'on entend au crépuscule un chœur jovial :
les oiseaux annoncent le printemps.

vendredi 21 janvier 2022

Vivre : le masque sous le masque

 
Portrait de femme à la coiffe blanche / Anonyme / Coll. Bemberg / Toulouse
 
La femme a renversé la tête. Naturellement, elle allait bien. Tout allait bien. Et avec ce beau temps...
La femme frimait, elle frime toujours, elle l'a toujours fait. Elle ne sait pas faire autrement. C'est ainsi qu'on lui a appris et c'est ainsi qu'elle s'en est toujours sortie : en frimant. Impossible de dire ses peurs, ou ses embarras, ou ses tourments. Elle croit dur comme fer qu'en ne les nommant pas, ils se dissiperont. Elle a appris depuis l'enfance à superposer les couches de vernis. Dès qu'une couche craquelle, elle applique à nouveau et c'est reparti.
La femme veut ignorer que sa vie devient trop lourde avec les années. Le sol sous ses pieds lui paraît trop souvent fait de gadoue, elle sent qu'elle s'enfonce, qu'elle n'en peut plus. Sur le point de hurler, elle consent à appeler, elle explique, elle sollicite, au secours au secours, et puis à peine secourue, elle ferme sa porte, affiche un sourire figé et recommence à crâner.
A la voir jouer au yoyo avec les gens et leurs perceptions, on se demande ce qui se passerait si tout à coup quelqu'un osait lisser d'un doigt léger sa joue, prendre sa main comme on tient un oisillon, glisser un bras fraternel sous son coude... imaginant un tel chambardement, on la laisse frimer en s'éloignant...

jeudi 20 janvier 2022

mercredi 19 janvier 2022

Vivre : le sang du passé

 
Fresque / Sacra di San Michele / Torino / Piémont
 
A propos de cet homme qui l'avait trompée, dont elle avait divorcé et qui venait de retrouver une vingtaine d'années plus tard son ancienne maîtresse, l'ex-épouse blessée a prononcé en anglais : It's only blood under the bridge. 
Il a coulé de l'eau sous les ponts, dit le français. Le temps a passé, on n'a plus besoin de se sentir lacérée. Depuis longtemps, les armes ont été déposées.
Mais la nuance de l'anglais pour signifier "ce qui est fait est fait" fait référence à la souffrance : il a coulé du sang sous le pont. Oui, c'est du passé, ce qui est fait est fait, mais que ça faisait mal, ce sang, cette douleur que le présent était venu rappeler.

mardi 18 janvier 2022

Vivre : face à la chaîne

 

Une fois l'Astre levé, il a de ces manières, nouvelles, spirituelles, candides ou élaborées,
inventant, colorant, esquissant, puis se repentant, reprenant, de tracer les contours de la journée

Lire / Ecouter : doubles vies

 
Portrait de jeune femme en robe verte / Palma il Vecchio/ KHM / Vienne
 
Il y aura toujours la vie que nous avons menée, et la
vie qui a accompagné la vie que nous avons menée, la vie
parallèle ou les vies parallèles qui n’ont jamais réellement eu
lieu, que nous avons vécues en imagination, nos vies sou-
haitées : les risques que nous n’avons pas pris, les occasions
que nous avons évitées, qu’on ne nous a pas fournies. Nous
nous référons à elles comme à nos vies non vécues parce
que nous croyons, au fond, qu’elles s’offraient bien à nous,
mais que, pour telle ou telle raison – que nous pouvons
passer notre vie vécue à essayer de cerner –, elles avaient
quelque chose d’impossible.Ce qu’elles avaient d’impossible
ne devient alors que trop facilement l’histoire de nos vies.
En vérité, nos vies vécues pourraient servir de deuil étiré
ou de rage sans fin à celles que nous avons été incapables
de vivre. Mais les exemptions que nous endurons, qu’elles
soient subies ou choisies, nous font ce que nous sommes
.[p.14]

La meilleure des vies. Éloge de la vie non vécue.
Adam Philipps, éditions de l'Olivier, revue Penser/Rêver, 2013 (éd. originale : 2012)

Invitée de Boomerang hier, Nicole Garcia a choisi de partager ce texte du psychanalyste britannique Adam Philipps contenu dans le prologue de La meilleure des vies. Un texte à lire, à relire, qui donne à réfléchir... où avons-nous été le plus vivants, dans notre vie "réelle" ou dans toutes celles que nous nous sommes inventées au fil des années et qui ont mené leur vie, si l'on peut dire, en parallèle ? 
Pour une actrice, habituée à entrer dans d'autres vies que la sienne, peut-être que ces questions peuvent paraître plus naturelles. Mais pour les autres, tous les autres, il y a quelque chose de vertigineux dans le fait de penser à tout ce que nous avons été, à tout ce que nous avons fait, quelque part, dans notre imaginaire... Les moments les plus intenses de notre vie ne sont-ils pas ceux où les vies multiples s'entrechoquent et s'entremêlent ?
"Être envieux des autres nous fait découvrir à l’évidence les vies que nous ne vivons pas" [p.15] Pas faux : j'ai toujours utilisé mes envies à peine identifiées pour mieux savoir ce que je désirais (et me le procurer par tous les moyens à ma disposition). Me laisser aller à détruire par envie ne me passait jamais par l'esprit : trop occupée à me procurer ce qu'il me fallait, c'est-à-dire à ramener vers ma vie "réelle" des bribes de vie imaginée. Voilà qui me porte à m'interroger : les vies doivent-elles toujours être parallèles ou est-il heureux qu'elles en viennent parfois à se rencontrer ?
Talentueux et précieux passeurs, les invités de Boomerang quand ils distribuent spontanément leurs pépites, ouvrent des portes, lèvent des rideaux, apportent un éclairage sur les coulisses de notre être.

lundi 17 janvier 2022

Voyager : vois-tu, je sais que tu m'attends

 

Dans le matin glacé, elles se dressaient, impassibles, on eût dit qu'elles attendaient. La mémoire ne doit pas être un devoir, ne doit pas être. Mémoire et devoir n'ont rien à voir. La mémoire suit ses chemins intérieurs. On se rappelle, c'est tout. On a besoin de partir, de rejoindre, de revoir. C'est tout.


Depuis le temps... comment n'avais-je pas trouvé le temps ? Mais peu importe, les stèles se fichaient depuis longtemps des questions temporelles. Elles résistaient à l'hiver, au froid sibérien, au soleil vif de ce janvier alsacien. Elles résistaient aux siècles et  faisaient face, se révélaient bien au-delà de tout cela.


 
Tombes d'hier, tombes d'avant-hier, tombes quadricentenaires, marbre ou pierres grises ordinaires, tombes effondrées par les outrages des années ou effarées par ce qu'on appelle l'Humanité. J'aurais pu pleurer. Pleurer sur l'Histoire et sur toutes ces histoires rassemblées là. Mais il y avait dans tous ces monuments dressés une noblesse, quelque chose de digne qui se montrait plus insistant que les larmes et les gémissements. Par-delà les vrombissements, les aboiements, les sifflements, le silence prêtait toute sa prestance au lieu et à ses occupants.
 
 
On ne décide jamais quand partir. On choisit rarement comment. Selon les époques, on ne choisit ni quand, ni où et ni comment. Ni quelles traces laisser aux survivants. A nos martyrs, Drancy, Auschwitz, Weill, Levy, Bloch. 25, 54, ou 73 ans, plaque empreinte de dignité devant l'entrée. Ailleurs : des pierres discrètes ou élégantes, des petites, des grandes, et dans cet espace si dépouillé, celles qui comportaient quelque ornement semblaient faire preuve d'une légère frivolité.

C'était un lieu qui m'aimantait depuis longtemps. Un lieu de souvenir, mais aussi un lieu qui parlait du présent. Sourde banlieue, Z.I. ou Z.A., triste chemin, passages de trains (ces cris de chiens, cette misère des environs, ces convois qui faisaient grincer les rails, échos insultant les oreilles). Devant le portail, une voiture rouillée, cimetière de bagnoles juste à côté. La vie d'aujourd'hui étalait toute sa laideur et son accablement dans ces faubourgs privés de bienveillance.
 
 
Marcher sur les brindilles givrées un jour d'hiver, déambuler de pierre et pierre, les souliers frigorifiés chercher des traces, lire sur la mousse, dans le ciel une cigogne passe, feuilles givrées en guise de guirlandes, cailloux déposés en guise d'offrande, nous sommes entrés, nous ne pouvons vous oublier, poser ses pas dans le verglas, imaginer le passé, se sentir étrangement rassérénée, inventer les jours à venir devant la cigogne perchée, à Sélestat.



dimanche 16 janvier 2022

Vivre : des piliers sur la terre

 

 Pilier des Anges / Cathédrale / Strasbourg
 
Depuis toujours les Hommes cherchent désespérément à transformer le mépris en empathie et la pitié en compassion.
 

samedi 15 janvier 2022

Voyager : notes au fil de l'Ill

 
Saint-Ambroise et saints (détail) / A.Vivarini et M. Basaiti / Santa Maria Gloriosa dei Frari / Venezia

Le soir s'annonçait sur les berges désertées. Les pas devenaient hésitants sur les pavés.  D'avoir trop exploré les pieds se mettaient à trembler. 
Soudain une musique s'est élevée. Elle s'est mise à tournoyer par-dessus les ruelles, les étoiles de Noël et les branches mordorées, par-dessus les colombages et les reflets, et par-dessus les mères entraînant leurs mouflets, et les cyclistes pressés (sans compter les passants triomphants avec leurs sacs remplis de nouveautés). Les notes s'élançaient sur cette somptueuse journée qui ne voulait pas capituler. 
Saisis, éberlués, on cherchait, on scrutait, par quels mystérieux chemins les sons se faufilaient. On a fini par apercevoir sur l'autre rive un homme, seul, qui berçait son instrument comme on berce un enfant. Déguenillé, assis au fil de l'eau, ses pauvres baskets effleurant les flots, indifférent au froid méchant, indifférent aux gens, posé là où nul n'aurait songé à déambuler, il dispersait sur l'Est un peu d'Orient. Personne pour lui jeter la moindre monnaie. Personne pour l'encourager. L'homme jouait pour le pur plaisir de jouer. 
Et la mélodie s'envolait dans la nuit qui tombait. De loin, quelques rares promeneurs envoûtés regardaient stupéfaits le musicien et son oud, l'oud et son musicien, rêveurs venus de loin enveloppés dans leur bulle, emportés par le crépuscule,

vendredi 14 janvier 2022

Voyager : la beauté sur la terre

 
 Cathédrale de Strasbourg / 2022
 
De tous temps les Hommes ont voulu s'élever vers la lumière. 

jeudi 13 janvier 2022

Voyager : partir, découvrir

 

 
Le matin, le sol se fait craquant sous nos pas. Le vent du Nord mord nos joues devenues émaciées. On découvre le pré fouillé par des chamois avides, quêtant les fragments glacés que les sangliers leur ont abandonnés. Le matin, on croise de plus en plus souvent le randonneur au sourire franc, le seul qui écoute quand on parle des premiers pas du chien sur les poussières des routes lointaines et désolées. On préfère sa vieille cape en treillis à certains vêtements et propos trop châtiés. On se lasse de constater que la vie, même ici, comme les pommes, comme les berlines, devient trop calibrée. On voudrait ouvrir les rideaux invisibles qui se sont infiltrés entre soi et le désir qu'on a toujours cultivé. Le besoin de découverte nous transperce. On se dit que la vie est bien plus vaste que cette vie, et que la vie nous appelle, et que le printemps, qui pointe dans le vol d'un pic, dans le vert d'une plante, que le printemps se fait insistant à l'intérieur de soi. Pas de doute : on ressent un intense besoin de départ.

mercredi 12 janvier 2022

Vivre : face aux mâts grelottants

 

 Le long des rives, pas âme qui vive
tous recroquevillés, tous confinés
sous les ailes immenses de l'air gelé.
Dansions-nous ou étaient-ce les flocons
qui sautillaient tandis que nous becquetions ?
Une bouchée de jambon, une bouchée d'émotion.   
survoltés, souriants, et indifférents aux éléments,
nous croquions l'hiver et nos paninis brûlants.


mardi 11 janvier 2022

Vivre : perdre, perdre encore, perdre toujours et (parfois) retrouver

 
Paysanne portant des fruits / Michel Tournier / Coll. Bemberg / Toulouse
 
Ces derniers temps, je perds, je ne cesse de perdre, je me demande comment je m'y prends pour perdre tant de choses. De petites choses sans importance, des broutilles. Et aussi des objets plus nécessaires, des objets du quotidien dont la disparition a de quoi contrarier (il y a ce livre que j'ai cherché désespérément durant toute une soirée, pas encore retrouvé). J'ai égaré aussi une chaînette en or, à laquelle je tenais énormément, puisqu'elle avait entouré le cou d'une personne chère. Un jour, j'ai pensé à elle, j'avais besoin de la porter et voilà que la chaînette s'était fait la malle. Je l'ai cherchée partout. J'ai mis la maison sens dessus dessous. J'ai invoqué Saint-Antoine de Padoue. Hélas, point de miracle : elle n'a pas réapparu.

Dans ma contrariété à me voir perdante, je me suis mise en piste de manière acharnée. Et si ces recherches n'ont pas toujours obtenu les résultats attendus, elles m'ont fait retrouver une multitude de choses que je croyais à jamais disparues : deux pinceaux avec réservoir d'eau que j'avais traqués en mode obstiné un jour que je voulais aller peindre au dehors et fini par racheter (me voici à présent pourvue de quatre pinceaux et décidément condamnée à me remettre à l'aquarelle dans les prés); un minuscule portemonnaie indien, joliment brodé, vert pomme avec un pompon orange qu'on m'avait offert à Bâle et que j'avais glissé dans une pochette (j'avais oublié le portemonnaie et aussi mon côté écureuil qui m'avait fait y glisser de l'argent en suffisance pour assurer pendant quelques jours ma subsistance, oui, j'ai comme ça des manies inexplicables mais je prends mes manies en patience); des stylos, une multitude de stylos Rotring taille 0.3 mm, comme je les aime quand je m'adonne à esquisser; des croquettes pour chien (j'ai découvert que dans toutes les poches de tous mes vêtements je gardais précieusement quantités de croquettes comme si mon animal bien-aimé risquait de mourir de faim quand nous allons nous balader); une photographie de ma grand-mère adorée, une photo qui me l'a rendue si proche que j'ai cru un instant l'avoir ressuscitée; un étui à crayons en tweed gris très chic, acheté à Bordeaux en face de l'église des Chartrons et dont l'acquisition m'avait consolée d'un chagrin que je traînais en ce temps-là, que j'avais emporté ensuite partout, comme un doudou.
 
L'autre jour, quelqu'un est venu me rapporter un gant vénitien en cuir rouge perdu voici deux semaines et dont j'avais déjà fait le deuil. Le gant tombé en forêt avait passé quinze jours sous la pluie et la neige, mais une fois séché il a rejoint son compère et ils refont tous les deux la paire (une paire élégante, très stylée, on ne distingue plus le naufragé).

Durant ces deux dernières années, la vie a impliqué des pertes nombreuses, qu'il m'a fallu accepter, des pertes de liberté, des pertes d'opportunités, des pertes de gens aimés (des êtres chers perdus de vue ou décédés) et j'en suis arrivée à me demander si toutes ces pertes d'objets quotidiens, minuscules - somme toute - ne venaient pas faire écho à toutes les pertes, tout ce que le monde entier est en train de perdre, un peu partout, pertes de peu et souvent pertes de beaucoup.
 
Perdre est tout un art. Un art  qu'il s'agit d'apprendre. Et d'apprivoiser, faute de pouvoir le maîtriser. A force de perdre et de chercher et d'en venir à accepter, j'ai fini par réaliser que cette ronde ne cesserait jamais, que la roue tournait et que tant que cette roue tournerait, tant que j'aurais l'occasion de vivre, je perdrais. C'est inévitable. Un de perdu, dix de retrouvés est un proverbe idiot que je n'accepterai jamais. Ce qui est perdu est perdu. Pas question de compter. Mais la vie dans son extrême générosité me permettra toujours, en perdant, de retrouver.


 

lundi 10 janvier 2022

Vivre : l'amour de l'hiver

 

Seul, face à des milliers, des centaines
et des centaines de milliers de flocons,
le merle impassible accueille la saison.
La solitude n'a aucune réalité, aucune évidence
(quelle pourrait être sa consistance?)
Une sensation, un sentiment, peut-être,
que le vent obstiné se hâtera d'emporter.

dimanche 9 janvier 2022

Vivre : pendant des jours et des jours et des nuits

 
Le penseur / Auguste Rodin / exposé à la fondation Beyeler / Bâle / 2020
 
On rencontre parfois des gens qui sont à l'unisson de soi, et on en rencontre qui ne le sont pas. C'est la vie. C'est comme ça. Comment expliquer à cet homme tellement désireux de convaincre, tellement sûr de son bon droit qu'on n'a pas envie de discuter, de ferrailler, de s'expliquer, de justifier sa différence, pas envie de s'engager dans cette voie chronophage. On n'a tout simplement plus le temps pour ça. On l'a fait. On ne le refera pas. 
On trouve vain de chercher un terrain d'entente. Le terrain d'entente proposé implique un conflit présupposé. Or, l'entente est présente : on n'est indifférente à aucune misère du vivant, on s'active, on s'enrichit d'exemples lumineux autour de soi, on suit les chemins qui nous semblent aujourd'hui les plus adéquats. Quant à rester débattre au nom d'une quelconque tolérance, d'un quelconque principe élevé, quel besoin se cache-t-il derrière ces besoins de disputailler ? 
On préfère un acte, posé, un seul, à cent blablas. On préfère le vagabond édenté qu'on croise au lever du jour, attentif aux herbes et aux vents, attentif aux chiens et présent aux éléments, à tous les discours qui se veulent civilisés et ne sont que ronflants. 

PS : On me souffle qu'il serait bon de rendre à César et je le fais très volontiers. Le titre est emprunté à une phrase de L.F. Céline : "On a traîné comme ça encore quand même à se faire des silences, à se disputailler pendant des jours et des jours et des nuits. Mais le cœur y était plus."1932. Voyage au bout de la nuit.

samedi 8 janvier 2022

Vivre : face ou revers

 
Portrait de jeune homme avec médaille / S. Botticelli / env.1475 / Galerie des Offices / Florence

 
Envier : tourner à notre désavantage la médaille de la vie.


vendredi 7 janvier 2022

Vivre : le désir de sculpter la neige

 


Soleil trompeur ou pas, coulées d'or ou pas, la neige arrive à grands pas.
On le sait, on le sent, on l'attend, comme le chien à l'affût dans le sous-bois.

jeudi 6 janvier 2022

Habiter : ranger, trier, donner et, éventuellement, jeter

 
Histoires de Saint-Nicolas (détail) /Ambrogio Lorenzetti / galerie des Offices / Florence
 
Janvier : le mois de transition, celui où l'on quitte et celui où l'on accueille (on pourrait dire qu'on passe son temps à accueillir et à quitter, mais les rituels, les Fêtes aident à s'engager).
Janvier : le mois des remises à jour, des remises à l'ordre. Pour la troisième année consécutive, je me suis inscrite à la cure proposée par Apartment Therapy (le principe est simple : tous les jours une tâche est proposée via mail, avec des indications précises. Rien de bien compliqué. Au contraire, c'est d'une extrême simplicité. Moins d'une demi-heure pour exécuter chaque tâche, qui, si elle se révèle convaincante, pourra être poursuivie à volonté).
Le premier jour : il s'est agit de prendre un tiroir (tiroir en tant que métaphore d'un endroit limité à dégager, même minuscule : un petit meuble, une étagère, un coin qui appelle un désir d'ordre).
J'ai choisi d'appliquer les consignes dans trois emplacements de la maison où l'on tend à reléguer trop aisément tout ce qui pourrait "éventuellement servir" , dont on ne sait "pas encore quoi faire", qu'on n'ose ni donner ni jeter et qu'on ne se voit pas utiliser (typiquement le genre d'emplacement générateur de bric-à-brac que je déteste savoir chez moi). J'ai opté pour le réduit annexe à la cuisine / la caisse qui sert de pharmacie / l'étagère qui accueille les classeurs et le matériel administratif.
Le truc génial de la consigne, c'est qu'il ne faut pas juste regarder, éventuellement ranger à vue, approximativement. Il faut TOUT sortir. Nettoyer le contenant. Observer les objets. Déterminer ceux qui sont utiles. Les replacer le plus judicieusement possible. Éliminer ceux qu'on juge inutiles. Garder en attente ceux pour lesquels subsiste un doute (dans un "purgatoire" symbolique, sac, armoire, espace vide)
Incroyable, tout ce que j'ai pu trouver, retrouver, éliminer, décider de réorganiser. Cet exercice d'une simplicité quasi enfantine a le mérite de rendre les idées  plus claires. Au terme de la tâche, on se sent allégée, on a opéré des choix, défini des priorités et surtout appris des choses sur soi parce que le travail dans notre intérieur trouve des échos dans notre vie intérieure.
 
Qu'est-ce qui nous empêche de nous délester ? qu'est-ce qui nous force à (sup)porter des choses inutiles ? quelle peur est-elle liée au geste de jeter ? à quoi servent les "objets transitionnels" ? en quoi le vide, l'espace, le silence nous sont-ils indispensables ? quels sont les avantages de voyager "léger" dans l'existence ?
 
Nettoyer, trier, jeter au sens propre comme au figuré. Dans la maison comme dans le mental, il s'agit de faire  un "reset". On ne peut pas avancer avec un esprit et un espace encombrés. Il faut faire de la place à la nouveauté.
Depuis trois jours, des amas de poussière, des courriers, des doublons, des colifichets, des dépliants, des ustensiles, les coordonnées de destinataires devenus flous, des réponses, des réflexes ont été déblayés. L'avenir est en train de se profiler.


Apartment therapy est un blog consacré à l'habitat sous tous ses aspects, certes soumis aux diktats de la consommation, mais fourmillant de conseils efficaces. Comme pour toute chose concernant l'habitat, il s'agit ici encore de trier, retenir, élaguer....

mercredi 5 janvier 2022

Regarder : rencontres

 
La Circoncision / Federico Mazolino / Fondazione Cini / Venezia
 
Trop de monde pour contempler sereinement les toiles proposées. Visitant cette exposition, il s'agissait tout compte fait de pratiquer un sport de saison, auquel certains au même moment étaient en train de s'adonner : slalomer, esquiver, contourner, louvoyer, puis, le moment venu, remonter. 
L'espace, dans cet hôtel du XVIIIe, se répartissait en plusieurs salles peu propices aux grandes réceptions. Selon toute apparence, alors que d'autres lieux culturels se voyaient soumis à des figures imposées, on n'avait pas jugé bon de réguler le nombre d'entrées par tranches horaires ni de les soumettre à un nombre limité. Hum...
Je m'étais renseignée la veille : à quelle heure y avait-il une affluence raisonnable ? Après 16 heures trente, m'avait-on assuré. Juste avant la fermeture. Hum...
Depuis longtemps, j'ai renoncé à comprendre. Pas question de contester, pas de barrage contre le Pacifique, pas question non plus de se jeter dans la gueule du loup. Faire ce qu'on a à faire, prendre les mesures qu'on juge appropriées. Conciliant au mieux aspiration à l'art et désir de rester en bonne santé, je me suis aventurée en ordre dispersé. A chaque fois qu'une œuvre se trouvait momentanément solitaire, je me précipitais pour un tête à tête sans grande intimité, mais non dépourvu de solennité. Allant et venant, de ça, de là, j'ai progressé. 
C'est dans la dernière pièce, au premier étage, que je les ai trouvés, les deux amis que Pontormo a si bien portraiturés.
 
 Portrait de deux amis / Jacopo Carrucci dit le Pontormo / env. 1521-1524
 
Pontormo a une façon bien à lui de rendre les relations intimes et les affinités électives. J'ai repensé à un autre de ses tableaux, La Visitation, qui se trouve à Carmignano, non loin de Florence, lequel traite de l'amitié profonde unissant Marie et Elisabeth, la mère de Saint-Jean-Baptiste. Il les a représentées dans un registre coloré, toutes à leur joie de se retrouver, exprimant une tendre complicité.
 
La Visitation (détail) / Pontormo / / Pieve di San Michele / Carmignano / env. 1528-1530
photo tirée du site du Palazzo Grassi en 2014
 
Le tableau de la fondation Cini a été peint, lui, quelques années auparavant, dans la Chartreuse de Galluzzo où l'artiste s'était réfugié pendant deux ans pour fuir la peste qui ravageait alors sa ville. 
La palette est restreinte, le traitement bien plus sobre. Avec des moyens réduits, le peintre a su rendre de manière parfaite le lien qui unit les deux jeunes hommes, leur personnalité, leur vérité. Il semble les avoir surpris au cours d'une conversation, à peine importunés, dérangés mais point contrariés. On croirait une photographie saisie lors d'une soirée. 
 

 
 
Tout prêts à reprendre leur échange une fois l'artiste éloigné, ils sont des amis, des vrais, de ceux que la vie ne peut séparer (celui de gauche tient entre ses mains un feuillet contenant un extrait du De Amicitia, de Cicéron. Il le pointe de son index droit, comme pour mieux insister sur la qualité de leur attachement).
Certains ont vu dans ce portrait une déclinaison du célèbre autoportrait de Raphaël avec l'un de ses amis, qui est exposé au Louvre-Lens (ICI) et qui avait été réalisé à peine quelques années plus tôt. Cependant, même s'il s'agit dans les deux cas, d'un double portrait de représentants d'un même milieu social, les personnages de Raphaël apparaissent comme plus austères, plus altiers, désireux de prendre la pose et de s'imposer aux regards. Pontormo, lui, a choisi de montrer ces deux jeunes gens dans leur spontanéité. Ils n'ont rien à vanter et, s'ils veulent exhiber une chose, c'est uniquement la valeur de leur amitié.
Ils sont jeunes. Ils semblent ambitieux. Ils nourrissent des projets, peut-être moins financiers que personnels et moraux. On les imaginerait chercheurs, ou aventuriers, ou magistrats, prêts pour une prochaine expédition ou pour une cause à défendre ou une affaire à juger. Sûrs d'eux sans être téméraires, ils inspirent du respect pour leur courageuse détermination. 
 
 
Ces deux-là, je suis restée longtemps à les contempler, indifférente au va-et-vient qui nous entourait. Absorbée, je me disais que rien que pour eux, j'eus fait le voyage (et affronté les inconvénients de la traversée).
 

 

mardi 4 janvier 2022

Vivre : considération

 
L'adoration des Bergers (détail) / Michele Ciampanti / Fondazione Cini / Venezia
 
L'attention :
un trésor à notre disposition
que trop souvent nous  négligeons.

lundi 3 janvier 2022

Vivre : game over

 
rue de Naples
 
De loin, sur le cours, on entendait l'homme vitupérer. On se demandait quelle mouche pouvait l'avoir piqué. Approchant de la rotonde, tout près de l'immense fontaine, on l'apercevait enfin, penché sur son smartphone. Il hurlait : "Là, là, c'est la dernière fois que tu me vois!" Il ajoutait : "Salope! Connasse!" en direction de son écran. On observait les gens qui descendaient vers le carrousel décrire des "O", histoire de l'éviter. On aurait dit qu'ils craignaient de se prendre les insultes qui ne leur étaient pas destinées. "Houlà, c'est chaud" a lancé un mec en se hâtant. "La dernière fois, tu m'entends ? Salope!"."Pouffiasse!" Qu'on puisse se quitter par mail ou par fax, on le savait depuis longtemps. Voici que la technologie permet maintenant de le faire online, sur la place publique, devant des passants démunis ou indifférents : ainsi va le progrès, apparemment... seule la rage impuissante des amours manquées, lacérantes et lacérées, seule cette rage n'a pas changé... 
 

dimanche 2 janvier 2022

Voyager : un souffle sur les pierres

 
Saint-Antoine-l'Abbaye 
 
Bien achever pour bien recommencer : l'étape s'imposait.
 

samedi 1 janvier 2022

Vivre : loin de la foule déchaînée

 

s'il arrive ici trop souvent d'évoluer dans les bancs

si l'on en vient régulièrement à se voir perdus, cherchant éperdument les voies et les sens

il peut arriver, l'espace d'une journée, et peut-être une ou deux fois dans l'année

qu'on se retrouve - miraculeusement -  au-dessus de la mêlée



Vivre : vers l'horizon

 

Dans la vie, on n'éveille jamais assez souvent le sentiment du commencement en soi, et nul besoin pour cela d'un grand changement extérieur, car nous modifions le monde depuis notre cœur même, et si celui-ci veut bien être neuf et incommensurable, celui-là se présente alors comme au jour de sa création : infini.
Rilke, Lettres à une jeune poétesse. Correspondance avec Anita Forrer
 
Le dernier jour, grande fatigue. Lassitude, épuisement, intuition intense de ce qui touche à sa fin. Loin des festivités, sobre pitance (trop de trop finit par assommer). Il s'agit de s'alléger pour commencer en beauté. Le lendemain, dès les premières lueurs, on se sent prête à avancer, comme un paddle délesté de toute attente, mais pesant son poids d'espérance.