lundi 31 décembre 2018

Vivre : la fin d'une année






Au-dessus des contreforts, de lourds nuages menaçaient.
Et, par-delà la chape immense, les vents tourbillonnaient.
Cependant, au-delà, tout au fond, on croyait percevoir 
une brèche, une déchirure, une lueur, un espoir,
l'espoir d'un soleil, peut-être, quelque part.

dimanche 30 décembre 2018

Voyager : devant l'église de Santa Croce




Comme la nuit tombe tôt certains soirs de décembre 
dans les villes humides et étrangères…
Passant sous des fenêtres, on se prend à rêver
de portes cochères dont on posséderait la clef,
d'escaliers grimpant jusqu'à un fauteuil élimé,
jusqu'à une table fumante attendant notre arrivée.


samedi 29 décembre 2018

Regarder : le portrait de Lucrezia



Portrait de Lucrezia Panciatichi / Agnolo di Cosimo dit le Bronzino / Offices / Florence / env.1540


Bronzino (1503-1572), élève du Pontormo, ayant travaillé auprès de nombreux commanditaires, mais surtout peintre officiel des Médicis, dont il a contribué à l'image de magnificence. Ce qui surprend et charme chez lui, c'est l'harmonie qui se dégage de ses visages. 
Impossible d'affirmer, à voir les points communs entre les différentes physionomies, s'il peignait toujours de manière ressemblante. Mais il se dégage de ses portraits une pureté, une sérénité, une élégance qui devaient flatter ses modèles. Le tableau comme exposition de la puissance, mais aussi comme miroir rassurant de soi.
Ici, Lucrezia porte à son collier un pendentif contenant une devise : "Amour dure sans fin". Elle tient à la main un livre ouvert sur des versets du Cantique des Cantiques qui se réfèrent au bonheur d’être aimée. 

vendredi 28 décembre 2018

Vivre : la Traversée de l'hiver / 29




Je suis allée aujourd’hui rendre visite à ton frère. Nous nous sommes retrouvés seuls, tous les deux, dans sa dernière chambre. Je l’ai trouvé pâle, changé, éprouvé. J’aurais pu ne pas le reconnaître, sans l'étiquette à l'entrée qui lui attribuait l'espace numéro 1. Les perfusions et les câbles d'assistance respiratoire avaient laissé des traces sur ses poignets et son visage. 
Nous avons parlé – enfin, moi surtout – je lui ai dit deux ou trois choses qui me venaient à l'esprit. J'avais le sentiment qu'on communiquait. Le silence était épais, dense comme du marbre. Les voisins paraissaient très discrets, presque absents. Ils devaient être éprouvés, eux aussi, les occupants des chambres 2, 3 et 4. 

Avant de partir, j’ai déposé un bouquet de lys blancs en travers du cercueil. Ton frère n’a pas bronché.

Je me suis souvenue – détail loufoque – que c’était lui qui m’avait sevrée. Jeune mère épuisée, tu ne savais comment te défaire de mes appels à la tétée. Alors tu lui a demandé de dormir avec moi durant deux ou trois nuits. Me tournant contre lui, mes lèvres se sont lassées assez vite de le solliciter et je me suis tournée vers d'autres moyens de subsistance.

Dehors, c'était la ville morne de l'entre deux Fêtes. Il y avait peu de gens dans les rues, peu de magasins ouverts. La plupart des habitants devaient être sur les pistes de Verbier ou en route vers quelque lumineuse capitale. Dans cette grisaille, curieusement, je me suis sentie bien. Je savais - à ta manière, tu me l'avais rappelé - que la vie est chose fragile, éphémère. Memento mori. Je me suis sentie des envies de mordre dans des pâtisseries voluptueuses. J'aimais sentir mes chevilles travailler dans le cuir de mes bottes. J'aimais sentir les trottoirs sous mes talons. J'aimais me sentir en vie.


jeudi 27 décembre 2018

Vivre : la traversée de l'hiver / 28



Étrange Noël. Étrange famille. Étrange communication.
La soirée de Noël s'annonçait paisible, le repas, la conversation.
Or tombe, après des mois de silence, un message de ma sœur.
Elle m'informe "à la demande de notre cousine" que notre oncle maternel est mort au matin.
Elle ajoute qu'il était très malade, depuis trois mois, et qu'elle allait régulièrement lui rendre visite.
Après un long silence, total (pas un mot sur l'hospitalisation du zio, ni sur le diagnostic fatal)
pas un e-mail, pas le moindre texto, rien, elle balance la nouvelle à l'heure des douceurs.

 Dimanche dernier, ma sœur a croisé mon fils venu voir sa grand-mère. 
Elle lui a tenu des propos vifs et lisses. Elle lui a dit combien la nonna allait mieux ce jour-là.
Puis elle est repartie, avec l'assurance de tout faire, tout faire au mieux, pour sa mère.
ll est resté là, seul, face à la pauvre silhouette, qui débitait des propos incohérents.
 Il est resté, seul avec elle, lui tenir la main, puis il est reparti, perplexe et désemparé :
aller mieux ? aller mieux, alitée, délirante, bourrée de drogues et d'antidouleurs ?
Difficile d’adopter un comportement adéquat face à tant d’incohérences. 

Étrange Noël. Étrange famille. Étrange communication.
Étrange situation qui ne frôle pas, mais déborde au-delà de l'absurde.
Étrange hiver, pénible hiver, qui se délite sans fin.

mercredi 26 décembre 2018

Vivre : Still life / 58



Il y a celles qu'on choisit avec le cœur et qu'on écrit avec amour.
Il y a celles qui renferment toute notre solidarité et notre bienveillance.
Il y a celles des il faut et celles des il faudra vraiment.
Il y a celles des Spams et des commerçants.
Il y a celles qui empruntent des voies terrestres et d'autres électroniques. 
Il y a celles qui sont des pensums et d'autres sur lesquelles la plume glisse légère.
Il y a celles dont on se demande comment rattraper les ratures.

Il y a celles qui viennent nous rappeler des nœuds indéfectibles.
Il y a celles envoyées par des solitudes qui attendent réponse désespérément.
Il y a celles, sucrées guimauve, de ceux qui ont trouvé un seul et même filon.
Il y a les originales et les classiques, les rigolotes, les sobres et les bâclées.
Il y a celles format A4 avec un renne au nez rouge bricolé par des enfants.
Il y en a tant, des cartes, et il est bon qu'elles circulent, pour dire les relations,
ces relations qui vont et viennent, se nouent, se dissolvent, ou tiennent toujours bon.


mardi 25 décembre 2018

Voyager : dans la mélodie commune


duomo / battistero / Firenze / 2018


Que ce soit le chant d’une lampe ou bien la voix de la tempête, que ce soit le souffle du soir ou le gémissement de la mer, 
qui t’environne - toujours veille derrière toi une ample mélodie, 
tissée de mille voix, dans laquelle ton solo n’a sa place que de temps à autre. 
Savoir à quel moment c’est à toi d’attaquer, voilà le secret de ta solitude : 
tout comme l’art du vrai commerce c’est : 
de la hauteur des mots se laisser choir dans la mélodie une et commune. 
RM Rilke / Notes sur la mélodie des choses / XVI

vendredi 21 décembre 2018

Voyager : rentrer chez soi


Cappella dei Magi (détail) / Benozzo Gozzoli / Palazzo Medici-Riccardi / Firenze

Depuis le Ponte Vecchio / 2015

C'est marrant : toutes les fois que j'ai besoin de retourner quelque part
- ces derniers jours : le Sud, les sonorités italiennes, les douceurs toscanes -
eh bien, c'est Charlebois et Montréal qui me reviennent en mémoire. 

jeudi 20 décembre 2018

Vivre : échouée sur la grève


Sur une affiche des Offices / Florence / 2015



Décembre.
Juste envie d'hiberner.
Fermer les yeux. Tout lâcher. 
Bien sûr, ça veut tout dire 
et rien dire : une année.
C'est arbitraire, comme durée.
Mais celle-ci m'a demandé de grandir comme jamais.
Et, pas certaine d'avoir réussi,
 je me sens anémiée.
Très très fatiguée.
Grand besoin de m'évader.

mercredi 19 décembre 2018

Vivre : le sommet


Image bandeau-titre du courriel reçu

Certes, il y avait les soldes, les présoldes et les fins de soldes. Certes, il y avait les actions, les promotions, les trois pour deux, les 50% de rabais accompagnés d'un astérisque précisant : * dès le deuxième article acheté. Certes, il y a eu le Black Friday, et le Black Week-end, et même la Black Week. Oui, il y avait tout cela.

Mais ce matin, quand la marque à qui j'ai commandé récemment en ligne deux taies d'oreiller m'a adressé un courriel disant : JOYEUX NON ANNIVERSAIRE! en me proposant un rabais EXCEPTIONNEL de 20%, sur une partie de leur assortiment, parce que je n'étais pas prêtes (sic) de recevoir un cadeau avant six moisje me suis retrouvée sur les hauteurs de l'Annapurna.

M'est avis que le feuilleton Prenez-nous pour des cons n'en est pas à sa dernière saison.

mardi 18 décembre 2018

Vivre : elle a osé

Histoires de Saint Benoît (détail) / Il Sodoma / Abbaye Monte Oliveto Maggiore / Toscane


Il est toujours délicat de voir une amie s'enferrer dans une situation attristante, de l'entendre exprimer sa souffrance, On voudrait lui dire : pars, qu'est-ce que tu attends? Mais on sait que les conseils gratuits ne valent rien. On sait que l'autre va à son rythme. On est là quand elle a besoin de parler. On prête une oreille attentive. On s'efforce de comprendre.

Depuis longtemps, je m'interrogeais sur la durée de cette douloureuse expérience.

Et puis, l'autre jour, allumant mon ordinateur aux aurores, j'ai trouvé son message. Il a fallu qu'une inquiétante fibrillation la conduise à l'hôpital pour qu'elle écoute enfin le langage de son cœur. 

Alors, elle a fait le pas. Elle a ouvert la porte. Elle a quitté la maison, la rue, le quartier. Elle est partie se dessiner une autre vie, ailleurs. 

Elle a osé. 

lundi 17 décembre 2018

Vivre : still life / 57



Pour être très honnête, faire les biscuits de Noël, ce n'est pas ma tasse de thé. La cuisine sans dessus dessous, les mains enfarinées, la ganache qui durcit trop vite, la pâte trop collante, les chutes à rallonge qu'il faut remodeler, le plan à nettoyer, ça ne m'amuse pas plus que ça. Mon goût pour la tradition étant passablement limité, je me lance pour la forme, avec une bonne réserve d'émissions podcastées. 
En revanche, une fois la dernière spatule lavée, il y a les sachets en papier kraft, les étiquettes à l'ancienne, des vœux et des prénoms tracés en gothique, la joie d'inventer, le plaisir d'imaginer les doigts qui plongent tout au fond pour débusquer les préférés.
Et puis, il y a les échanges. Recevoir des biscuits tout prêts tout frais, dans leurs petites enveloppes enrubannées, croquer dans les différents modèles pour les tester. Instituer, pour quelques jours, le rite du thé : moment ludique, moment jouissif autour des chandeliers.
(ainsi, tous les mois de décembre, en enfournant, j'en viens toujours à me demander si les biscuits, avec leur lot de contraintes, leur mélange de corvées et de créativité, ne sont pas le symbole des Fêtes de fin d'année).

samedi 15 décembre 2018

Vivre : pour un gourmand


Statue Renaissance / Museo civico / Sansepolcro

Il m'a dit en saisissant voluptueusement sa cuillère : oh merci c'est trop gentil! 
Du tout. Mon plaisir à moi, c'est la vitrine décorée, c'est la clochette à l'entrée,
ce sont les glaçages, les nappages classieux, les créations invraisemblables,
(tous ces éclats, toutes ces mousses, ces chocolats me laissent baba)
c'est le moment où, devant la vendeuse très très patiente de la pâtisserie,
absorbée, ébahie, je pointe enfin un index frétillant et je dis : celui-ci! 

Vivre : distances





Nous avions sympathisé lors des interminables formalités douanières que les autorités de son pays imposent aux voyageurs à leur arrivée. Avant de la quitter, alors que nous récupérions nos bagages, je lui avais lancé : faites-moi signe lors de votre prochain séjour en Suisse.

Hier, devant nos tasses de thé fumant et nos tranches de cake, la conversation me faisait penser au vieux poêle à bois que je m’évertuais à allumer, au Piémont, certains jours de brouillard dense. Comme alors, je me sentais démunie, ne sachant plus à quel saint me vouer tandis que quelques anges passaient (je regardais les pies, au dehors, qui piaillaient sans discontinuer et je les enviais pour leur aisance innée).

A un moment donné, sans mot dire, elle s'est levée. A saisi tout naturellement son smartphone et a photographié l'intérieur, les bougies, la vue depuis la terrasse. Elle a laissé sa tranche de gâteau à peine émiettée, elle voulait bien aller se balader.

Ce n’est qu’un peu plus tard, face aux clapotis rieurs que l’audacieux soleil hivernal dorait, face aux murmures des branchages, face aux cimes du Jura piquetées de sapins verglacés, agglutinés comme des brebis dociles, face à l'envol d'une nuée de colverts par-dessus les mâts agités, quand elle a dit : « ça doit être joli, ici, en été », que j’ai mesuré toute la distance qui nous séparait.

vendredi 14 décembre 2018

Vivre : la Madone du train


Madonna dell'Umiltà / Masolino / Uffizi / Firenze


On aurait dit un tableau de la Renaissance :
longiligne, blonde, vêtue de couleurs tendres,
un regard et un sourire vaguement absents,
 impassible face au va-et-vient des voyageurs, 
des contrôleurs, des pressés, des surchargés, 
languide, souveraine, elle allaitait son enfant. 

jeudi 13 décembre 2018

Ecouter : la joie d'être soi


Banksy / MOCO / Amsterdam


Les Pieds sur terre,  une des rares émissions sans commentaire. Les paroles de et non les paroles sur, ça fait une sacrée différence.
Anna vient des Pays-Bas. Elle s'exprime avec un vocabulaire très riche. Elle dit des mots comme : inspirant, évocateur, se régaler, légitime, éthique, professionnalisme. Elle n'a presque pas d'accent. Ses phrases sont très bien construites.
Elle est arrivée à Paris avec un diplôme de communication et de marketing en poche. Elle a eu très envie de faire partie de cette ville qu'elle a "tout de suite sentie". Son diplôme hollandais, assorti à une absence de réseau social, ne lui est d'aucune utilité. Anna postule pour être agent de propreté et, après les tests de sélection, elle se met à balayer places et trottoirs. Elle l'a fait pendant deux ans. Elle parle avec fierté de cette expérience, qui valorise son CV. On sent, à l'écouter, que ce travail, elle l'a aimé et elle l'a bien exécuté.
Avec elle, on découvre les multiples facettes de cette fonction, souvent ignorée, banalisée, ses particularités, ses difficultés. Il y a dans les propos d'Anna comme un bol d'air pur, plus pur que celui des gaz d'échappement et des crottes de chien, l'air pur de ceux qui font leurs choix pour eux-mêmes, et pas pour épater la galerie.
Anna se rappelle combien elle a souffert du froid dans les rues de Paris. Elle travaille maintenant dans le tourisme au Sud de la France. Il y a fort à parier que cette expérience ne va pas durer encore longtemps : le monde d'Anna est vaste, il lui reste encore trop d'univers à explorer.

mercredi 12 décembre 2018

Regarder : la candeur


Enfants dalmates / 1ère partie du 20e s. / Musée ethnographique / Split


Cette photo : un condensé de caresses.
Les regards. Les museaux. Les mains.
Un quatuor de promesses.
Une bulle fragile pour quatre enfants.

mardi 11 décembre 2018

Vivre : la lessive


Outrenoir / Soulages / Artlab / EPFL / 2018


Pas mal, ce truc de grand-mère : nettoyer l'argenterie au dentifrice.
Mais fallait-il vraiment l'adopter armée d'une brosse électrique,
et habillée en T-shirt et sarouel noirs ?

lundi 10 décembre 2018

Vivre : Still life / 56





Ce banal ustensile occupe une place privilégiée sur mon plan de travail. Que ferais-je donc sans lui ?

Un jour, à Barcelone, j’ai décidé que mon amie Montse en avait le plus grand besoin. Tous les étés, je la voyais éplucher au couteau ses patates et ses carottes. Une pitié. Apparemment, cette invention du tonnerre n’avait pas encore pénétré la Catalogne. Qu’à cela ne tienne ! Lors de ma visite suivante, je suis donc arrivée avec le précieux économe en cadeau. Mais l'été d'après, j’ai dû lui en racheter, car… je ne retrouvais pas chez elle l’exemplaire offert. Donc, je me suis vite fendue d’un envoi postal afin de la dépanner de toute urgence.

C’est au bout de trois années que j’ai fini par comprendre : un jour que je fouillais le fond d'un tiroir à la recherche d’un casse-noix, j’ai trouvé mes trois éplucheurs. Bien alignés, sous une montagne de louches et de spatules. C’était aussi simple que cela : mon amie Montse, polie, avait remercié, mais elle n’en avait pas le moindre besoin, de ces bidules. Elle continue à éplucher ses pommes de terre sans économie et s’en porte très bien.

Il y a parfois, entre nos amis, même les plus chers, et nous, des divergences profondes de vues et de pratiques, des frontières qui sont vouées à ne jamais être surmontées. Depuis, cet indispensable éplucheur, star incontestée de mon tiroir, est devenu le symbole de l’Alterité avec un grand A. Il vient au quotidien me rappeler, finement, que l'on ne peut en aucun cas faire le bien d'autrui malgré lui.

dimanche 9 décembre 2018

Vivre : trois questions


Boucle d'oreille / Musée archéologique / Split

Il était superviseur. Il était un superviseur très compétent, c'est-à-dire qu'il savait faire émerger le sens. Durant les deux années où il a accompagné notre groupe il a évoqué plusieurs fois les trois questions du soir, celles qui lui permettaient, quoi qu'il se fût passé, de pouvoir trouver le repos en fin de journée :


1/ Qu’est-ce que j’ai fait aujourd'hui pour moi, qui ait été agréable, positif ? 
2/ Qu’est-ce qu’on a fait aujourd'hui pour moi qui m’ait été agréable, ou positif ?
(respectivement qu'ai-je fait moi-même pour d'autres ?) 
3/ Qu’est-ce qui s’est passé aujourd'hui d’agréable ou de positif dans ma vie, 
indépendamment d’une intention, de ce qui a pu être fait par quelqu’un ? 

J'aime bien penser régulièrement à ses trois questions, trois questions toutes simples, qui mine de rien faisaient émerger le sens...

samedi 8 décembre 2018

Regarder : le lièvre arctique et la tortue antarctique





Découvrir les différences entre l'Arctique et l'Antarctique, admirer sur écran géant la stupéfiante aptitude des manchots à faire la tortue, s'immerger de tous ses sens dans l'immensité de la blancheur, percevoir le chant des baleines, admirer une faune aux compétences singulières, expérimenter combien le temps est compté. 

PÔLES, expo passionnante, très bien documentée, interactive à souhait, à la fois drôle et dramatique et s'adressant à tous publics (vraiment tous : depuis les bambins de trois ans jusqu'à leurs arrières-grands-mamans) invite à mieux connaître les extrêmes de notre planète pour mesurer les effets des changements climatiques.

En sortant, on a le cœur battant, on a froid dans le dos, on pense à cette pauvre humanité en train de perdre le nord et on se prend à espérer violemment que les calottes ne soient pas cuites.



Museum / Neuchâtel / jusqu'au 18.08.2019

vendredi 7 décembre 2018

Vivre : la passagère


Tête de Pan / Glyptothek / CPH


C’est un train régional, desservant les principaux villages de la ligne et il m’arrive de l’emprunter quand j’ai raté le direct. C’est le train des étudiants, des gens qui ne sont pas motorisés, qui n’en ont pas les moyens. C’est le train des oubliés du progrès à tout crin.

Il y a toujours dans ce train un ouvrier qui monte, habillé de bleu ou d’orange fluo, avec ou sans sa trottinette. Il y a toujours un jeune aux yeux vagues qui semble redouter la vie qui l’attendra une fois arrivé à destination. Il y a toujours un couple d’âge mûr qui discute de manière frénétique pour résoudre des problèmes tels que : comment apporter ces pommes à Pierre ? ou : c'est samedi ou dimanche qu'on ira voir ta mère ? 

Il y a aussi toujours une femme – jamais la même – qui s’assied à mes côtés. La femme est d’origine émigrée. Ça se voit avant de s’entendre. Ça se voit à son habillement, à son air fatigué, à ses rides prématurées. La femme n’a jamais de maquillage. Elle ne porte jamais de foulard ou d'écharpe, rien qui pourrait l’enjoliver La femme vient sans doute de faire six heures de ménages et, une fois rentrée, elle devra entamer une nouvelle journée. Elle est sans doute préoccupée par toutes sortes de problèmes, le directeur de l’école l’a peut-être convoquée, ou bien sa mère au pays a-t-elle dû se faire opérer. La femme se tient tranquille, durant tout le trajet. Elle n’a pas de livre à lire ni de smartphone à consulter. Elle n'a pas le temps pour ce genre de futilités, elle est trop heureuse de laisser son regard se perdre dans les bosquets.
Cela ne l’empêche pas d’être attentive. Elle dit bonjour quand elle s'installe et fait son possible pour ne pas déranger. Elle a une manière bien à elle d’être prévenante et d’exprimer que non, mon panier ne lui cause aucune gêne. Elle se penche pour ramasser un stylo qui a roulé. Elle a des savoir-être qui lui viennent de très loin, elle a des politesses qu’ont perdues les battants, les consultants, les arrivistes et les arrivés. Elle est capable de sourire, sourire vraiment. Elle fait partie de ces personnes qui savent dire - avec élégance - au revoir, bonne journée en quittant un wagon.

jeudi 6 décembre 2018

Lire : la douce obscurité


Annonciation (la Vierge) / Francesco di Valdambrino / Rijksmuseum / Amsterdam

Abandonne tous les autres mondes
hormis celui auquel tu appartiens.

Parfois il faut l'obscurité et le doux
enfermement de la solitude
Pour apprendre

que toute chose ou tout être 
qui ne te rend pas vivant

est trop petit pour toi. *

Quelques vers de David Whyte,
  poète anglais contemporain, pour le moins atypique,
aux séduisantes compositions, qui se découpent,
et se recomposent, au gré des lectures,
 les strophes comme autant de légos,
agencés selon les besoins.

* extrait de Sweet Darkness, 2006

mercredi 5 décembre 2018

Vivre : les couleurs du présent

Cour du cloître de Saint-Trophime /Arles 

J'avais passé une partie de la matinée à me rendre attentive, puis à écouter quelqu'un qui invitait à l'attention de chaque instant, puis à écrire un petit texte sur l'importance d'être présent, où que ce soit, en quelque occasion que ce soit.
Soudain, j'ai levé les yeux et l'arc-en-ciel était là. Et, soudain, le temps d'écrire un mot, il s'est évaporé, prestement.
Ce fut un merveilleux présent. On aurait dit la buée des matins froids, quand trois mots sont prononcés. Les couleurs se sont évaporées. Le présent est devenu passé.

mardi 4 décembre 2018

Vivre : derrière la forêt, la baie


Allégorie de la justice / Giotto di Bondone / Cappella degli Scrovegni / Padova


On ne peut pas que perdre.
Non. On ne peut pas.
On a perdu la lumière
On a perdu le vert.
On a perdu les jours.
Les feuilles se sont envolées.
Mais le paysage, lui, 
s'est élargi à 240 degrés.

lundi 3 décembre 2018

Regarder : mesurer sa chance


Armée déployée devant le Palais fédéral en novembre 1918 / Berne / Kornhaus 2018

Cette place bernoise sur laquelle se dressent la Banque nationale et le Palais fédéral, cette place où l'on achète le samedi ses fleurs et ses oignons, où les touristes médusés n'en reviennent pas de trouver tant de simplicité bon enfant au cœur d'une capitale, cette place, il y a tout juste cent ans, était occupée par l'armée pour réprimer une grève générale.
Depuis plusieurs années, la population avait faim et exprimait sa colère. En novembre 1918, les ouvriers ont revendiqué entre autres l'instauration d'une assurance vieillesse et invalidité, le fait de ramener la journée de travail à huit heures, ils exigeaient aussi le vote à la proportionnelle, le droit de vote pour les femmes.
Ce furent des jours de répression. Sur le moment, aucun acquis. Mais le mouvement était en marche. Il a pris des années. L'assurance vieillesse est entrée en vigueur en 1948. Le droit de votes des femmes en...1974. Aujourd'hui, on peut acheter ses oignons sur cette place paisible et mesurer sa chance. La chance de vivre dans un pays en paix et de bénéficier de ces droits obtenus grâce à la détermination de tous les hommes et de toutes les femmes qui ont su se battre. Avoir une pensée pour eux, et pour tous les gens, aujourd'hui, ailleurs, qui luttent pour leurs droits, sur cette planète.


Landesstreik 1918. Die berner Ereignisse / Kornhaus / Berne / jusqu'au 5.01.2019
(sujet passionnant, mais malheureusement bâclé)


dimanche 2 décembre 2018

Vivre : les exigences de l'hiver

 
Madonna con due sante (détail)/ GB Cima da Conegliano / Accademia / Venezia
 

Le cœur, le corps le réclament à grands cris:
se mettre en mode protection, en mode attention.
Remonter son col, boutonner ses défenses
orpailler la conscience
écouter l'oiseau prenant son envol
laisser s'évaporer les flots de paroles
ne pas s'infliger de susceptibilités vaines
se soustraire à l'inutile
enfiler ce cardigan couleur amarante si docile
regarder les dernières feuilles danser
boire du thé, boire infiniment de thés
 se calfeutrer dans de doux silences...

samedi 1 décembre 2018

Vivre : les instants fragiles


I santi Filippo e Grisante/ Spinello Aretino / Galleria nazionale / Parma



Notre amitié allait fêter ses dix ans.
Elle avait résisté à notre absence totale de points communs en matière de :
formation, état civil, origine sociale, culture générale, littérature, mode vestimentaire.
Elle était née de nos luttes pour œuvrer ensemble dans une institution frôlant la démence.
 
Elle s’était renforcée ce 24 décembre où M. avait débarqué en pleurs :
son fils s'était enfui sans explications le jour de ses dix-huit ans
pour aller vivre ailleurs une vie qu'elle désapprouvait totalement.
Notre amitié avait duré malgré mes fâcheux oublis en matière d'anniversaires,
et de vœux en tous genres.

Depuis janvier, pourtant, quelque chose de ténu, d'impalpable,
un manque d'égards, des négations vaguement hostiles m'avaient fait tressauter.
En septembre dernier, enfin, il y avait eu cette conversation où je m'étais livrée,
sans défenses. J'avais attendu de sa part quelques mots,
juste quelques mots de soutien. Mais rien, rien qu'une absence de réaction étrange.

 
Les relations, comme les saisons, sont destinées à passer.
Leurs vases, par l'effet d'une goutte, peuvent déborder.
Notre amitié allait fêter ses dix ans.

Elle avait tenu bon face à toutes nos différences.
Elle n’a pas résisté, je crois, à quelques secondes de silence.
 

vendredi 30 novembre 2018

Vivre : la détermination


Portrait d'un homme effectuant des comptes / Barthel Beham / Kunsthistorischesmuseum / Wien

Je me suis réveillée l’œil vif, l'esprit clair.
Je lui ai annoncé ma décision de maigrir.
Il a dit ok.
(il a eu le bon goût de ne pas me rappeler
que je me décide ainsi plusieurs fois par année)

jeudi 29 novembre 2018

Vivre : le brouillard de novembre


Standing Woman looking into Mirror / George Segal / Gosh! Is it alive? /2016 / Arken  Museum / Danemark

Rien de plus difficile à vivre que ces instants où, 
prise dans un brouillard émotionnel, 
on cherche à débroussailler, dissiper pour enfin y voir clair. 
Rien de plus difficile que ce tracé à la machette 
à travers l'angoisse, pour parvenir à comprendre, enfin,
de quoi il en retourne et retrouver son chemin. 
Longues, les journées, longues, les heures,
longues les longues minutes ...

mercredi 28 novembre 2018

Lire : prendre ou laisser



J'avais beaucoup aimé Hiver à Sokcho. L'histoire d'une non histoire. L'histoire de quelque chose qui pourrait se passer, mais qui n'y parvient pas. Ou plutôt : l'histoire de ce qui se passe quand il semble que les choses n'aboutissent pas. A le lire, on en arrive à se demander si une bonne partie de notre vie n'est pas constituée de ces attentes que l'on porte et qui ne parviennent jamais à maturité, comme un gel au printemps, comme une pâte qui, pour d'obscures raisons, ne lève pas. Ces attentes, quand on se frôle et qu'on ne se rencontre pas. L'écriture en apesanteur esquissait ce qui se vit, entre ce qui se dit, ce qui se pressent et ce qui se produit. Le charme avait opéré. 

Ce ne fut pas le cas avec Les Billes du Pachinko... à la lecture interminable  (pourtant : à peine 140 pages). Suffit-il de savoir bien écrire et de tenir un sujet insolite pour réussir un bon livre ? Achète-t-on avec trop de confiance les seconds romans ? D'un bout à l'autre, je suis restée sur le seuil, comme durant ces soirées où l'on se demande ce qu'on fait là. On crispe ses doigts sur son verre, on lorgne vers la sortie.

Hier, j'ai racheté l'Hiver, prêté je ne sais où. Demain j'irai déposer Les Billes dans le bac devant la gare, en lui souhaitant de trouver un lecteur plus perméable que moi.

mardi 27 novembre 2018

Vivre : ici




Certains matins me voient rivée au paysage
obnubilée par les bandes de nuages.

lundi 26 novembre 2018

Voir : en cadence



Laetitia Carton a filmé, filmé et s'est retrouvée avec 200 heures de rushs. De ces 200 heures, elle avait tiré une version de sept heures (qui "tenait très bien la route"). Mais... il lui a fallu réduire encore pour adapter la longueur du film aux salles. Le résultat : une heure trente-neuf qui donnent envie de partir en juillet prochain passer quelques jours à Gennetines, petite commune de l'Allier où se tient depuis de nombreuses années le festival du Grand Bal de l'Europe. Des images tournoyantes et un commentaire léger, emportant ce bal dans le grand bal de la vie. 


Raconter les regards, les mouvements balbutiants,
l'agilité, la simplicité des expérimentés, 
les lâcher prise, les libertés que l'on prend,
la grande humanité qui défile
la folie douce
la joie qui monte sur les visages
les attentes sur les chaises
l'amour qui naît, la fatigue qui tombe
les liens qui se resserrent et qui font tenir debout
Raconter comment c'est différent
quand on ose enfin se toucher
quand on vit vraiment ensemble
quand on se regarde et que la vie pulse!


Un documentaire vivifiant qui invite à s'élancer.
Entrer dans la danse. Tout simplement.