mardi 31 juillet 2018

Regarder / Voir : une rencontre


Landsgemeinde, Hundwil, 1949 / Photostiftung Schweiz Winterthur / tiré du site MAMM

Arbre et chaise, 1949

Londres, 1951

Los Angeles, 1956

Mary and Pablo, NY, 1951



Yom Kippour, East River, NYC, 1955

Les Rencontres d'Arles sont parfois l’occasion de rencontres rares.

Dès les premières images de Robert Frank, fascination pour son sens de la composition, son approche des sujets, son attention aux détails révélateurs, qu’il s’agisse d’une Landsgemeinde en Appenzell ou de clichés pris au cours de son périple à travers les Etats-Unis, effectué entre 1955 et 1957 à la faveur d'une bourse Guggenheim (au final : 712 pellicules, 23'000 photos, dont 83 ont été retenues pour l’ouvrage The Americans).

Ce fils de banquier zurichois, né en 1924, a quitté très tôt la Suisse pour voyager aux States, en Europe et au Pérou. Il a fini par revenir s'installer à NYC et il s'est choisi aussi au début des années 1970 une maison en bord de mer, à Mabou (Nouvelle-Ecosse). Une maison en bois, rustique, qui lui rappelait son pays d'origine.

Robert Frank, c'est aussi un cinéaste, auteur de plusieurs films, pour beaucoup d'inspiration autobiographique et de facture très originale (comme, quand par exemple, il suit la tournée d'un livreur de journaux). Il a réalisé un film pour les Rolling Stones, en 1972, Cocksuker Blues, une commande, dont le groupe a finalement interdit la distribution. 

Une oeuvre cohérente, riche, qui n'a pas toujours été comprise et qui ne lui a pas valu de notoriété et reconnaissance immédiates. C'est tardivement que ses photographies se sont vendues aux enchères pour 550'000 dollars .

Don't blink, le film réalisé par son amie Laura Israël, retrace sa trajectoire, en se basant sur des interviews récentes et des extraits de ses films. Porté par des fonds sonores des seventies et par une mélancolie certaine, il révèle la luxuriante personnalité de l'artiste en lui laissant champ et parole libres. A voir et à revoir. 



lundi 30 juillet 2018

Voyager : fin de journée à Montmajour




Il y avait dans la lumière quelque chose d’éreinté et dans l'air quelque chose de sucré.
Au loin, des chevaux blancs faméliques caressaient les cannaies. Deux pipistrelles noires fuyaient la touffeur dans des replis d'une voussure. On voyait leurs minuscules ailes qui palpitaient. Dans l'espace ardent et moite, la voix de Godard répétait inlassablement l'importance des miracles. Les miracles, c'est important, les miracles... mais si! Picasso disait à Cocteau : c'est un miracle de ne pas fondre dans son bain. Les enfants avaient la peau luisante, les adultes la démarche chancelante. Chacun attendait le soir, chacun attendait la nuit.





Picasso-Godard : collages / Abbaye de Montmajour / jusqu'au 23 septembre 

dimanche 29 juillet 2018

Voyager : dans la peau d'une ville



Fondre de tendresse (fondre tout court).


Esquiver les circuits, oublier les programmes.


Ne plus savoir où donner des yeux.


Le cœur illuminé de beige, illuminé de bleu.


samedi 28 juillet 2018

Vivre : l'été la vie



Bari / 2017


Parfois, la joie.
La folle, l'inattendue,
l'irrépressible joie.
A sentir tous ces possibles
tambouriner en moi.

mardi 24 juillet 2018

Regarder : chien renversé avec collier


Décontracté / Être humain / William Wegman / Affiche 2018

Une révolution quinquagénaire.
L'Amérique dans tous ses états.
Un voyage autour de la terre.
Apprendre, encore, toujours, par le regard.

lundi 23 juillet 2018

Habiter : le jardin accablé


ange tenant un rameau d'olivier / Hans Memling / Le Louvre


C’était un homme tout sourire. Il y a quelques années, devant sa maison, il avait amoureusement créé un superbe jardin épuré. Il avait mis tout un été à l’aménager : le bouddha, les bambous, le gravier blanc, les sentiers. Le résultat était magnifique. On aurait voulu s’installer dans ce lieu béni, face au lac, pour méditer. Ou peut-être seulement pour rester là, et se sentir expirer.

C’était un homme lumineux qui aimait sourire et il souriait quand on le complimentait.

Au printemps, cette année, le jardin a paru soudain abandonné : les feuillages secs, les allées négligées. En juin, on a réalisé qu’on n’entendait plus les deux chiens aboyer. Il n'y avait plus qu’un seul chien, silencieux, couché. Une seule voiture désormais devant l'entrée.

On ne voit plus que l'homme, à présent, et, quand on le croise, il ne sourit plus quand il salue. Sous le saule pleureur, le Buddha de pierre continue de se tenir debout. Il garde ses deux mains jointes sur son cœur. Il regarde les bambous découragés. Il sait que tout est impermanence. Il se tient paisible dans le silence.

dimanche 22 juillet 2018

Vivre : ce qu'on n'a pas


Madonna del latte (détail) / Bergognone / Accademia Carrara / Bergamo



La jalousie : une blessure relationnelle, le doute terrible de soi.
L’envie : le désir, parfois violent, de ce que qu’un autre a qu’on n’a pas.
J’ai pour les jaloux et leur souffrance une profonde tendresse.
J’éprouve jusqu’au mépris pour ceux qui envient et qui blessent.
J’accepte joyeusement les élans d'envie qui naissent en moi :
Quels merveilleuses voies vers des désirs que je ne soupçonnais pas !
(je m’empresse alors de les reconnaître et, si faire se peut, de les satisfaire)
Je chéris autant que possible mes jalousies, enfants de ma petite enfance,
Qui reviennent, reviennent, tirent sur la manche et exigent d'être écoutées,
Et demandent encore, toujours pour l'enfant battue caresses et reconnaissance.


samedi 21 juillet 2018

Vivre : la Traversée de l'hiver / 25





Mme Lopez me dit : vous savez, mon cerveau avait des ratés, il fonctionnait au ralenti, c’est pour cela que j’ai dû venir ici.

Marcelle, qui mange en face de ma mère, pose sur les gens un regard d’enfant désolé. On dirait une petite fille à son premier jour d’école, empathique, mutique et intimidée.

Madame de... porte un grand chapeau. Elle passe et repasse avec au bec un vieux mégot desséché et demande du feu à chaque passage. A chaque fois, elle répond : ça ne fait rien puis elle parle de Marc Veyrat. Elle raconte que son fils l’a emmenée en hélicoptère manger là-bas. Puis elle s’éloigne, fait le tour de la terrasse et revient avec son mégot demander si on connaît Marc Veyrat.

Une grande dame en longue robe de soirée noire me fait signe de l’aider à rentrer. Je pousse le fauteuil et, une fois à l'intérieur, j'entends une voix caverneuse de baryton me dire merci. De rien, Monsieur. De rien, Madame.

Et puis, il y a elle, qui me présente comme sa sœur, puis qui regarde ailleurs, qui ignore mes fleurs, qui m’exhorte à la prudence, qui me demande de faire très attention, qui me dit tu ne sais pas faire demande aux infirmières. Elle, rabougrie dans son fauteuil, qui semble ne pas me voir, mais s’écrie quoi tu t’en vas déjà ? quand je me prépare au départ.

A chaque fois, je me dis qu’il y a quelque chose d’anormal, de faux, d'insensé à vivre ça. Le personnel est prévenant. Les chambres sont spacieuses. Les repas savoureux. Mais... oui... quelque chose d'anormal, de faux, d'insensé... dans cette absence de contact, cet autisme, cette impossible connexion, dans cette survie qui se prolonge. Tous les dimanches, j'arrive et je dispose mes roses. Je reste, j'observe, j'essaie d'être présente, puis je m'en vais avec une gerbe de questions sans réponse.


vendredi 20 juillet 2018

Habiter : la carte postale





Elle vit son rêve et ce rêve casa l'attire comme un aimant.
Elle annonce son absence durant toute la belle saison.

Une élégance intemporelle, des roses trémières,
des espaces qui demandent à être rénovés, enjolivés.
Une maison, c'est une histoire d'amour, 
avec ses hauts, ses bas, ses doutes,
ses exigences, ses (dés)espérances, 
Une maison, c'est une aventure au long court.

Mettre la clef sous la porte, oublier la ville et ses arcades.
Mettre en veille l'atelier, les trajets, les horaires.
Se mettre à peindre, à tapisser. Se mettre au vert.
- Comme le temps coule vite dans le lit des petites rivières ! -
Donner la priorité aux rayons du soleil, aux artisans, aux trouvailles.
Inventer, jouer, créer, chercher, chercher encore, imaginer.

Enfin, rentrer à l'automne, avec les premières pluies, 
enfiler un tricot sur une peau cuivrée et raconter l'Italie aux amis.

jeudi 19 juillet 2018

Voir : route barrée




Pour la troisième fois, j'ai tenté de prendre la route.
Cette  fois encore, malgré la complicité évidente des deux stars,
malgré les longs regards de Clint sur Francesca
j'ai recommencé à bailler à m'en décrocher la mâchoire.
Ce scénario barbituromantique, impossible d'y croire.
On connaît d'avance le déroulement de l'histoire :
ils vont s'aimer et s'aimeront toujours mais ils se séparent.
Le meilleur du film tient sans doute dans cette image-là :
le regard du génial Clint, le sourire de Francesca.

mercredi 18 juillet 2018

Vivre : dans la durée


Portrait de l'empereur Maximilien1er (détail) / A. Dürer / KHM / Wien

Avec lui, la vie est exigeante et belle, surtout belle.

mardi 17 juillet 2018

Vivre : lequel des deux nous éclaire



Accueillir nos zones d'ombre, méditais-je dans le cloître, tandis que midi sonnait. 
Le pré n'en faisait pas toute une affaire : il basculait entre l'ombre et la lumière 
et jouait de ses tiges délurées tantôt en vert foncé, tantôt en vert clair.

lundi 16 juillet 2018

Vivre : l'exquise douceur des journées sans qualité


Adoration des Mages (détail) / Anonyme flamand / début XVIème siècle


Ne rien faire.
Sinon vivre. Sinon respirer. 
Sinon sauver un bruant chanteur égaré
(ou alors s'agissait-il d'un cassenoix moucheté ? 
quoi qu’il en soit : un piaf tourneboulé)
Sinon sauter dans l’Aar délicieusement fraîche en me laissant porter.
Sinon m'attabler devant une Gazosa 1883 glacée. Sinon babiller. 
Sinon déguster un Sarlet coulant agrémenté de miel poivré.
Sinon me réjouir d’avoir traité le petit prunier 
et cueilli les premières tomates de l’année.
Ne rien faire, et surtout rien de reluisant, d'insolite ou d'excitant.
Regarder quelques papillons voltiger, 
envisager quelques débuts de projets
et... contempler la valse immense des nuages embrasés. 

dimanche 15 juillet 2018

Vivre : sans complication


Crucifixion (détail) / Jan de Beer / 1510 env. / collection privée

Elle s’appelait Sophie. Vive, enjouée, elle souriait et s’activait. Elle faisait partie de ces gens alertes et présents qui, ayant reçu une demande, y répondent sans façons. Ou qui, ayant perçu l'éventualité d’un problème, trouvent la solution avant même sa formulation. Toute en rapidité, toute en sagesse, un cadeau de la vie, une bénédiction.

samedi 14 juillet 2018

Regarder : deux ou trois choses que je sais d'elle


Marguerite d'Autriche en veuve (détail)  /Bernard van Orley / Monastère royal de Brou

Elle était la petite-fille de Charles le Téméraire et fille d'empereur.
Elle a été mariée pour la première fois à l'âge de trois ans.
Répudiée à onze. Puis remariée deux fois et deux fois veuve.
Après avoir mis au monde un seul enfant, mort-né,
elle s'est occupée de l'éducation de ses neveux et nièces,
parmi lesquels Charles-Quint, dont elle fut la marraine.
Elle a fait édifier un monastère royal où elle ne mit jamais les pieds,
et, dans cette nécropole, deux monuments funéraires somptueux :
l'un dédié à son troisième époux, Philibert de Savoie et l'autre pour elle.
Ils avaient été tendrement attachés. Ils sont réunis pour l'éternité.
Femme riche et puissante, elle aimait les arts, les lettres. Elle aimait les poètes.
Elle aimait aussi la peinture de van Eyck, et celle de Bosch, et celle de Memling.
A cinq cent ans d'écart, la sentir si proche, si présente, à travers les sculptures,
à travers les tableaux, leurs thèmes, leurs courbes, leurs couleurs,
à travers son impressionnant univers de commanditaire.



Monastère royal de Brou / Primitifs flamands. Les trésors de Marguerite d'Autriche / Jusqu'au 26.08.2018

vendredi 13 juillet 2018

Vivre : orienté solutions



Uffizi / Firenze



Il y a les gens qui voient le verre à moitié vide. Et ceux qui le voient à moitié plein.
Gérard, lui, il appartient à l'heureuse catégorie pour qui le verre est toujours plein.

mercredi 11 juillet 2018

Lire : en avoir assez


Le repas modeste du Mezzogiorno / Giuseppe Palombo / 1907-1908


"Avoir assez" n’a rien à voir avec l’ascétisme ou le manque. Bien gérée, avec un peu plus d’intelligence et d’amour et moins de ce gaspillage insensé, notre planète peut offrir une abondance décente à des milliards de personnes en plus. Vous ne réussirez jamais à vivre plus simplement et dans la joie – joie qui est pour moi une de conditions sine qua non de toute cette démarche – si vous avez l’impression de vous priver de quelque chose.
Comme le disent avec finesse les deux mêmes auteurs**, " le gaspillage ne réside pas dans l’abondance de possessions, mais dans le fait de ne pas en jouir". Ici encore, vous êtes la seule personne pouvant savoir  si vous jouissez réellement de vos possessions ou pas.
Pierre Pradervand, La vie simple.

**Joe Dominguez et Vicki Robin, Votre vie ou votre argent, éd. Logiques, Montréal, 1997

mardi 10 juillet 2018

Vivre : rupture de barrage





Elles roulent, toutes grosses, elles déboulent.
Et c’est bon de les sentir rouler comme ça.
De les sentir effleurer mes lèvres, les saler, les imbiber.
Elles roulent, elles déboulent, elles sillonnent,
Emportent toute la détresse sur leur passage.
Ne pas chercher à les ôter,  ne pas trop vite les assécher, 
les larmes sages rompant le barrage.

lundi 9 juillet 2018

Regarder : des émotions par milliers




A chaque fois, je me dis que non, que je ne regarderai pas. A chaque fois, je finis par me faire prendre au jeu. Je n'y coupe pas. Je me fais happer et j'ai beau me dire regarde-toi, observe comment ton attention se fait capter, je replonge à chaque fois. Je me retrouve dedans sans trop savoir comment.
Apparemment, je ne suis pas la seule. Depuis hier soir, cette vidéo a été vue plus de 20'000 fois. C'est fascinant d'examiner toute la palette d'émotions vécues par les gens, jeunes ou vieux, petits ou grands. Ils sont capturés, pris par l'instant. Ils vivent entièrement ce qui se passe à l'écran. La tension, la peur, la tristesse, la stupéfaction, la joie, le délire, leurs visages, leur gestuelle expriment toute une gamme de sensations corporelles et de sentiments. 
C'est sans doute pour cela que le football est un sport populaire : il permet de se sentir palpiter profondément, d'expérimenter à fond et en chœur toutes les expressions du vivant.

dimanche 8 juillet 2018

Vivre : blanchisseuse


Rovinj / 2016

Tendre  la main pour ramener à soi
les linges, les draps.
Plier, disposer, ranger
des piles de fraîcheur immaculée.
Attendre avec impatience
l'heure des ablutions l'heure des songes.

samedi 7 juillet 2018

Vivre : switcher


Falassarna / Crète

C’est l’été. L’école a fermé ses portes. Les enfants sautillent devant les valises ouvertes. Ici et là on se propose de reprendre contact à la rentrée. De nouveaux horaires sont affichés. Les blogs se mettent en mode pause, d'autres clics sont à trouver. C’est l’été. La saison des piqûres et des longues soirées. La saison des cris et des messages d'absence. La saison des orages et des marchés. La saison des vides et des bouchons. La saison qui se voudrait reposante et n’est pas de tout repos. La saison qui s’agite et où l’on se sent agité. C’est l’été qu’on a longtemps espéré et qui va trop vite s’évaporer. C’est l’été. C’est enfin l’été. Alors... alors... entrer dans la danse, reporter les échéances et se laisser aller à savourer.

vendredi 6 juillet 2018

Vivre : les caresses de la vie


Lionello d'Este / Pisanello / Accademia Carrara / Bergamo

Il est tellement généreux qu’en lui demandant une faveur on a l’impression de lui rendre service.

jeudi 5 juillet 2018

Vivre : still life / 48




Période anniversaire : les cadeaux... Les cadeaux... qui disent les liens, qui disent les échanges. Il y a ceux qu’on désire, ceux qu’on demande et ceux qu'on reçoit, ceux qu’on n’aurait pas osé espérer, ceux qui surprennent, ceux qui font plaisir, ceux qui déçoivent atrocement (comment a-t-elle donc pu m’offrir ça ?), ceux qui empoisonnent, ceux qui sont vraiment trop moches, ceux qui vous feraient presque éclater de rire.

Longtemps, je me suis sentie obligée de les accepter, de les garder, de les employer. Longtemps, ils m’ont manipulée. Maintenant, c’est très simple : j’en fais strictement ce que je veux. Je prends, je profite, je me délecte ou bien je donne, je recycle, je jette. L'essentiel est sans doute, après avoir dit merci, de les laisser circuler, de reconnaître qu’ils font partie de tous les dons de la vie et, comme tous les dons de la vie, les sourires, les attentions, la santé, les égards, les merveilles, les instants diamant, ils sont simplement à prendre ou à laisser.

mercredi 4 juillet 2018

Lire : recevoir et être reçu


Domenico Di Bartolo / Santa Maria della Scala/ Sienne



Avec de la vertu, de la capacité, et une bonne conduite, l’on peut être insupportable. Les manières, que l’on néglige comme de petites choses, sont souvent ce qui fait que les hommes décident de vous en bien ou en mal : une légère attention à les avoir douces et polies prévient leurs mauvais jugements. Il ne faut presque rien pour être cru fier, incivil, méprisant, désobligeant ; il faut encore moins pour être estimé tout le contraire.
Les Caractères, De la société et de la conversation, 31

Cher Jean, on ne saurait mieux dire. 
En cette saison d'invitations et de conversations,
 tes mots sont un régal et tes observations d'une modernité totale !


mardi 3 juillet 2018

Vivre : retour à la case départ



Duccio di Buoninsegna / Maestà del Duomo (dett.) / Massa marittima

Je viens d’apprendre que cet homme, cet homme rencontré il y a deux ans un samedi de juin, ce vigneron plein de vitalité et d’entrain, qui nous avait raconté sa trajectoire et ses projets autour d'une bouteille et dont la faconde m’avait inspirée à tel point que j’en avais rempli une page entière dans mon journal le lendemain, qui apparaissait comme travailleur, baratineur, vital, latin, cet homme qui tendait le bras et balayait les vignobles alentour de la main, cet homme dont je me souviens quasiment tous le jours pour un détail insignifiant parce que ce matin-là il m’avait indiqué une herbe à curry dans son jardin, et que j’en ai planté une depuis dans le mien, cet homme vient de mourir le deux juin. Un mélanome malin.

A chaque  fois, me prendre une gamelle, subir une déferlante de tristesse, d'angoisse, de regret. A chaque fois, entendre au fond de mon estomac l'exclamation "merde", le sentiment d'injustice et la rage qui gronde. A chaque fois, me retrouver simplement, cruellement mortelle. A chaque fois, ressentir l'envie de dépenser, de conquérir, d'oser, de déchiqueter tous les impossibles.

A chaque fois, cette impression de n'avoir pas encore su apprivoiser la mort. A chaque fois, comme au jeu de l'Oye. 

lundi 2 juillet 2018

Voyager : rêverie bisontine







Porte noire / Besançon

Le cœur de la ville est niché dans une anse du Doubs et  la Grand Rue le divise de part en part. Quand on emprunte cette ancienne voie romaine, en direction de la cathédrale Saint-Jean, on se retrouve face à ce noble monument. 

Dans l’antique Vesontio, oppidum gaulois devenu capitale de la Séquanie, évoquée par Jules César dans son De Bello Gallico, on a édifié cet arc de triomphe en l'an 175, sous le règne de Marc Aurèle. C'est plus tard, au Moyen Âge qu'il a reçu le nom de Porte Noire.

Le temps, la pollution, le travail des éléments ont érodé la fine pierre de Vergenne. La sculpture en bas-relief représentant des scènes de la mythologie grecque et romaine s'est effritée au fil des ans. Par endroits, on distingue à peine certains sujets, mais s’imaginer tout ce qu’un tel monument a pu connaître au cours de son existence a quelque chose de poignant. 

Dans la ville, les invasions et les occupations se sont succédées, amenant impulsions et ravages. Les révolutions sont passées. Des industries sont nées et ont douloureusement disparu. Aujourd'hui, la maison natale de Victor Hugo exhibe fièrement ses attributs à quelques mètres de la porte. Les rues du quartier sont besogneuses et animées. Chaque jour des centaines d'étudiants les traversent pour rejoindre leur faculté. 

Il émane de cet arc une paix et une autorité étonnantes. Devant lui, on se sent à la fois petit et étrangement rasséréné. On s'incline devant l'auguste langage de la pierre mordorée.

dimanche 1 juillet 2018

Vivre : les 400 coups





Jadis, si je me souviens bien, on disposait de : donc, de ce fait, par conséquent, en conséquence, subséquemment, c’est pourquoi, partant...
Comment le phénomène est-il arrivé ? D’un coup, il me semble.
Il y a deux ans à peine, j’avais été frappée par cette stagiaire, qui, dans les moments où elle devait argumenter, justifier des options délicates qu’elle avait été amenée à prendre, expliquer des situations complexes, se prenait à formuler "du coup" à tout bout de champ, sémantique ou lexical. Plus l’explication se révélait alambiquée et plus elle mettait des "du coup" dans le coup.
L'expression semble à présent faire des ravages, et l’épidémie paraît se propager plus particulièrement dans certaines régions. L’autre jour, nous en avons eu notre dose. Cela a commencé par une serveuse, à laquelle nous avions posé une simple question concernant l’origine d’un vin. Pour nous répondre, elle n’a pas employé moins de six "du coup" à la chaîne, n’hésitant pas à en placer trois dans la même phrase. Puis, dans les magasins, à la moindre question (concernant une étoffe, un fromage ou une heure de fermeture), nous avons eu droit à des avalanches d’explications, qui semblaient devoir toutes recourir à la formule "du coup" pour tenir la route.
Impressionnés par ces tics à profusion, nous avons tiqué et à force de tiquer, nous avons fini par nous marrer. Ne sachant trop comment répondre du tac au tac, nous avons surenchéri du tic au tic (jusqu’à saturation).
Au bout du compte... sans aller jusqu'à la claque, je me pose quand même la question :
Si l’on peut soigner les TOC, pourrait-il en aller de même pour ce foutu tic ? L'espoir est permis, d'autant plus que la langue, on le sait bien, a ses usages et ses tendances. Tout passe, tout lasse. Bientôt ce connecteur barbant ne sera plus dans le coup. 
Du coup... patience !