mercredi 31 janvier 2024

Vivre : écrits à la plume

 

il y a des journées...


il semble qu'on ne fasse que tenter de déchiffrer...


les messages des étourneaux délurés....

mardi 30 janvier 2024

Vivre : douleurs et encombrements

 
Sofonisba / Ginevra Cantofoli / Musei Civici / Padova
 
 I.
La femme s'affaire en secouant ses longs cheveux blanchis prématurément. Elle parle de l'homme  si beau, si fort, si grand, perdu après vingt-cinq ans. Elle s'agite, elle explique, elle caresse sa chienne, fidèle compagne qui la comprend. La femme déverse ses mots pour combler tout le manque. Elle remplit l'espace de phrases. Le silence n'a nulle part où trouver de place. A force de vouloir aller vite, ses paroles arrivent parfois à contresens, elle a la langue qui fourche, elle peine à prononcer. Elle évoque son psy, son naturopathe, elle connaît des tas de médicaments miracle. Quelqu'un lui a dit l'autre jour: Trois ans, ça commence à bien faire, mais ça l'a heurtée : pour elle le deuil, ça ne se mesure pas, il n'y a aucune norme pour ça. Alors, comme chacun a sa manière de perdre, la femme répand ses mots partout, partout dans sa maison. Quand on la quitte, on entend l'écho de sa voix, de loin, qui explique au téléphone, sa voix qui résonne, sa voix encore ... sa voix...
 
II.
C'est la première fois qu'elle nous invite dans sa maison. Jusqu'ici on a toujours salué cette voisine depuis le chemin. Elle nous introduit dans le salon : on dirait un squat ou un stand de brocante. Il y a des meubles partout, des lits, des écuelles, des bibelots, des vases, de corbeilles. Elle a quatre chats et un chien qui vivent chez elle. Ou avec lesquels elle semble partager une colocation. Sur les étagères, il y a aussi des photographies. On y voit un homme qui s'appelait Max. C'est écrit sur un des cadres. Max souriant. Max en vacances. Max avec elle un jour d'été face au soleil couchant. La voisine nous offre un café, nous prie de nous asseoir en nous désignant une place entre Max et les corbeilles. Quand elle se penche pour nous tendre les tasses, on remarque ses rides. Une infinité de rides, comme une infinité de larmes qu'aucune brise n'a su venir sécher.
 

lundi 29 janvier 2024

Vivre : bon débarras!

 
Soutien de bénitier / Basilique Sant'Anastasia / Vérone

Ouf! La cure de janvier est en train de s'achever. Qu'il est bon de se délester! Cette année encore, malgré mon attention à ne garder que le nécessaire, je me suis surprise à trouver sur mes étagères de quoi trier, éliminer, jeter. Le principe est simple : coin par coin, tout sortir, tout examiner, nettoyer et conserver ce dont on ressent l'absolue nécessité. Pas question de se dire: "ça pourrait servir" ou "quel attendrissant souvenir...". On garde ce qui est utile et ce qui donne de la joie. 
Les premiers moments sont toujours un peu hésitants. Il faut se pousser, voire se forcer. Et puis une fois lancée, quel allègement ! C'est fou ce que l'excès est étouffant! Quel pur bonheur de trouver les espaces plus grands. Le corps en ressort soulagé, il trouve place pour circuler. Le dos se redresse, reconnaissant. Les yeux apprécient de ne pas trouver matière à être heurtés.
Une fois qu'on s'est occupée des choses, on se surprend à penser à d'autres éléments assommants : faut-il vraiment répondre à certains messages ? faut-il garder certains liens ? où réside l'utilité, où se planque la joie dans certains échanges de convention ? trop d'exercices imposés ne portent-ils pas à la rumination ? 
Dans cette démarche, on pourrait craindre de perdre des choses essentielles qu'on serait amenée à regretter. Mais l'expérience me prouve que, loin de perdre, je retrouve mes priorités, un sentiment de liberté et comme une envie de m'ouvrir à la nouveauté.


dimanche 28 janvier 2024

Vivre : aimer regarder une toile de Morandi

 

Nature morte / Giorgio Morandi /1917 / Ca' Pesaro / Venezia
 
L'essentiel est sans cesse menacé par l'insignifiant.
René Char
 
 comme le shopping, 
les dérives et les polémiques : 
des passe-temps 
 

samedi 27 janvier 2024

Lire / Vivre : lire glucose

 
Photo /Musée Haribo / Uzès
 
A la caisse de la librairie - une librairie bien fournie, avec cafétéria et salons intégrés - j'ai croisé F. Elle tenait une pile de bouquins aux couvertures acidulées, on aurait dit une dizaine de sachets Haribo. F. toute fière s'apprêtait à lire goulûment, façon framboise, citron et coca-cola, comme autrefois elle suçait des fraises tagada.

vendredi 26 janvier 2024

Vivre : nul être n'est une île

 

Dans le fond, c'est toujours la même chose, ça commence par soi :
 se comprendre, s'aimer, se légitimer. Se féliciter. 
A partir de là, s'en aller au-devant du monde 
pour tenter d'en affronter les beautés et les turbulences. 
Autant que possible : aimer.

jeudi 25 janvier 2024

Vivre : décrypter

 
Madone avec enfant (détail) / Giovanni Bellini / Gallerie dell'Accademia / Venezia
 
 
Un savoir-faire ardu à maîtriser : décrire sans juger
 

mercredi 24 janvier 2024

Regarder : quand saigne l'histoire

 
 La Tribuna, surmontée par la figure de Ganymède / Palazzo Grimani
 
Au Palazzo Grimani, on exposait David Seymour, un photographe de l'Agence Magnum, dont il fut l'un des fondateurs en 1947 avec Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, George Rodger et William Vandivert. Je suis entrée, j'ai gravi les escaliers du splendide palais, un des plus beaux de la ville, un des mieux conservés, à deux pas du campo Santa Maria Formosa. Les salles du premier étage renferment des joyaux collectionnés par Giovanni Grimani, passionné d'archéologie et d'art helléniste.

David Seymour, communément appelé "Chim" (de son vrai nom, David Szymin), est né en 1911 à Varsovie dans une famille d'éditeurs juifs. Il s'est établi très tôt à Paris où il s'est lancé dans une carrière de photographe et a couvert entre 1936 et 1938 la Guerre d'Espagne, ainsi que l'arrivée au pouvoir du Front populaire. Durant la seconde guerre mondiale, il s'est enrôlé dans la US Air Force et est devenu citoyen étasunien en 1942 (année durant laquelle ses parents furent exterminés par les Nazis à Otwock). Il a travaillé un peu partout en Europe, ainsi que dans le pourtour méditerranéen et réalisé plusieurs reportages sur le jeune État d’Israël. Il est mort prématurément à Suez en 1956 alors qu'il était en train de suivre le conflit israélo-arabe.
 
Meeting pacifiste pour les désarmement des nations / Saint-Cloud / 9.08.1935 / Ⓒ David Seymour/Magnum Photo
 
Dans l'après-guerre, il lui est arrivé de réaliser des portraits, des commandes reçues de revues telles que Harper's Bazaar, LIFE ou Paris Match (pour des articles sur des célébrités telles que la Callas, Gina Lollobrigida, Sofia Loren, ou Picasso). C'était un excellent portraitiste, comme en témoigne cette représentation de Dolores Ibarruri, La Pasionaria, faite en 1936 à Madrid : 
 

Il appréciait beaucoup l'Italie qu'il a énormément sillonnée dans les années 1950 - on peut imaginer que la douceur du climat et la dolce vita devaient le consoler de pas mal de bleus à l'âme. Voici quelques clichés pris à Venise (remarquer le portrait d'Arturo, le pigeon, posant sur la place Saint-Marc!) : 
 
Venise / sans titre / Ⓒ David Seymour/Magnum Photo
 
 Venise / sans titre / Ⓒ David Seymour/Magnum Photo

Venise / sans titre / Ⓒ David Seymour/Magnum Photo
 
 Le pigeon Arturo / Venise / 1950 / Ⓒ David Seymour/Magnum Photo
 
Chim a aussi travaillé sur mandat de l'UNICEF pour des reportages sur les enfants réfugiés, orphelins de la guerre. Ses photographies dans divers pays européens (Autriche, Hongrie, Italie, Pologne, Allemagne) sont déchirantes. Elles révèlent l'enfance abusée, meurtrie, broyée par les atrocités vécues dans les conflits et la misère. Le souvenir de ces regards d'enfants demeure longuement gravé dans la mémoire.  Il y a encore deux ans, j'aurais regardé ces images en me disant que l'Humanité avait été barbare. Je me serais sentie en sécurité, dans ce plus-que-parfait, j'aurais cru en une société de justice, j'aurais encore eu confiance dans un progrès de l'Histoire. Par ce qui peut paraître un détail - ma difficulté à prendre des photos de cette paroi d'exposition - j'ai pris la mesure de tout ce qui s'est modifié inexorablement entre temps. L'excellent blog L'intervalle a consacré un billet à ce sujet, à travers une recherche de l'écrivaine Carole Naggar ICI.
 
L'exposition permet également de découvrir l'énigmatique aventure de La maleta mexicana, la valise mexicaine contenant 4'500 négatifs de Robert Capa, de Gerda Taro et de Chim. Cette valise - en réalité trois mallettes contenant des pellicules sur la Guerre d'Espagne - a été confiée à Paris en 1939 par l'assistant de Capa à un ressortissant chilien avec la requête de la porter à l'abri dans son ambassade. Aujourd'hui encore le mystère n'a pas été totalement dissipé quant à son périple. Toujours est-il que, disparue pendant près de cinquante ans, elle a refait surface au Mexique en 2007. Les éditions Actes Sud ont publié un ouvrage sur le destin exceptionnel de ce corpus d'images : La valise mexicaine. Capa, Taro& Chim et les Rencontres d'Arles lui ont consacré une exposition en 2011.
 
David Seymour a été tué par un mitrailleur égyptien  alors qu'il s'apprêtait avec Jean Roy, un collègue de Paris-Match, à rendre compte d'un échange de prisonniers blessés. C'était dix jours avant son quarante-cinquième anniversaire. Sur les dernières photographies, il apparaît comme bien plus âgé. On le voit avec les cheveux dégarnis, légèrement bedonnant, le visage poupin cerclé de grosses lunettes. Le plus frappant, chez ce témoin endurci du XXème siècle, c'est probablement son courage obstiné en dépit et contre tout. Les tourments de l'histoire sont usants et ils usent particulièrement ceux qui n'hésitent pas à les regarder en face. Au moment d'achever ce compte-rendu sur cet immense photoreporter, je réalise que je n'ai pris que quelques photos durant ma visite. Trois fois rien par rapport à mon habitude. En revanche, je me souviens qu'en sortant, le ciel pluvieux semblait être devenu très sombre. Il y avait comme une menace dans l'air. Comme une angoisse retentissant dans les ruelles. Une exposition marquante, assurément.
 
 
 

mardi 23 janvier 2024

Vivre : les rayonnants

 
Sant'Ambrogio e Santi /Alvise Vivarini e Marco Basaiti / Cappella dei Milanesi / Santa Maria Gloriosa dei Frari / Venezia

Bien sûr, il y a les connus. Ceux qui passent à la TV, à la radio, ceux qui percent sur les réseaux. Ceux qui sont likés (encore qu'on puisse douter qu'ils aient tous de quoi irradier). Mais on peut aussi s'attacher à ceux qui font dans la banalité, ceux que la plupart du temps on ne voit pas passer, ceux dont on se doute à peine des bienfaits. Ils sont radieux, ils miroitent, mais à toute petite échelle. Ils répondent présent quand on les appelle. Ils ont à cœur d'alléger, pensent à soulager. Ils apportent leur aide mais sans insister, remarquent les choses sans qu'on ait besoin de les pointer. Quel que soit leur niveau sur l'organigramme, ils font bien leur métier. Ils sourient, ces lumignons de la vie. Ils ensoleillent les couloirs, les bureaux, les places, ces anges tombant à point nommé. Le monde, sans eux, serait bien emprunté. Un seul de ces êtres manque et l'univers se retrouve un peu opacifié. Mais pas besoin de trop les remercier, ni de relever le côté miraculeux de leur présence. Le meilleur moyen de leur rendre hommage, après les avoir rencontrés, c'est de réfléchir leur cordialité vers tous ceux qui croiseront notre journée. Quant aux mal... lunés, aux désenchantés, on se hâtera de s'en détourner : c'est en direction du soleil qu'il faut résolument se diriger.

Vivre : éveils

 

Méditation au réveil.
Éveille-toi. Éveille-toi.
Un battement de cils.
Et l'instant fragile s'en va.

lundi 22 janvier 2024

Vivre : se faufiler dans la nuit

 

d'un passage à l'autre, d'une impasse à une autre,
entendre des pas résonner
 
 Ponte della Paglia
 
d'un pont à l'autre, d'une marche à l'autre, 
parmi les ombres déambuler

 
d'une heure à l'autre, d'un soupir à l'autre,
laisser les présences nous effleurer

dimanche 21 janvier 2024

Vivre : foin de la rentabilité

 

A Venise, jamais de carte. Surtout pas de Google Map. Accepter de se tromper, de zigzaguer, de perdre et - parfois - de gagner. Si un jour, dans Cannaregio, me fiant à mon instinct, je cherche le chameau qui décore le palazzo dei Mastelli, je suis sure que je vais me fourvoyer. Qui cherche trouve... lentement, et souvent... autre chose. C'est la règle. La ville n'a cure de ma temporalité ni de mon souci d'efficacité. Ainsi l'autre matin, en piste vers une fondation obscure, un de ces lieux vaguement élitistes qui souhaitent se garder camouflés, d'un coup, je suis tombée sur l'animal et son chamelier. Ils m'ont saluée d'un air vaguement goguenard, m'a-t-il semblé.
A Venise, il est encore permis de croire que les lignes droites ne sont pas les meilleurs moyens d'arriver. Arriver où, d'ailleurs ? Il n'y a nulle part où arriver, l'essentiel est de cueillir ce qui se présente sous nos yeux écarquillés.

samedi 20 janvier 2024

Vivre : légèretés et évidences

 
Madone de l'Humilité (détail) / Masolino / Galerie des Offices / Florence

Ces jours parfaits où l'on se sent déborder de magnanimité et de détente :
les problèmes dès qu'ils s'annoncent s'évaporent, perdent toute consistance.


mardi 16 janvier 2024

lundi 15 janvier 2024

Vivre : hésitations d'hiver

 


Le chien semble parfois grandir davantage en muscles qu'en sagesse (surtout quand il est question de taupes et de chasse). Il n'empêche : ces jours-ci il freine des quatre fers quand il est question de sortir et son exemple n'est pas dénué de bon sens. A Berne, samedi, une grande partie des habitants semblaient de son avis. Pas grand monde dans les rues pour profiter des soldes qui se déversaient à foison. Quelques skieurs s'étaient sans doute évaporés vers des descentes poudreuses, mais il y avait fort à parier qu'entre virus, fatigues diverses et portemonnaies asséchés, la plupart restaient planqués à l'abri des tentations et des contagions.  Quant à moi, j'ai me suis refusée à faire un choix entre ces options contradictoires : je me suis laissé tenter par une paire de Blundstone solidement crantées, lesquelles allaient me permettre de partir crapahuter par-dessus la nappe de brouillard (deux nappes, en fait, entre lesquelles il était doux de se lover) et enfin, après ces moments d'évasion, j'ai pu savourer un bon Lapsang Souchong en piochant sans modération dans de vieux bouquins sans prétention

dimanche 14 janvier 2024

Vivre : fragments d'une amitié

 
Portrait / Gino Severini / Galerie d'Art moderne / Palerme
 
Hanna est morte. Je l'ai appris hier. Elle est morte le 30 décembre, comme si elle s'était permis de vivre l'année 2023 dans sa quasi intégralité, mais qu'elle avait renoncé à rempiler.
 
C'est étrange. Durant des années, j'ai souvent repensé à elle et j'aspirais à la retrouver. J'étais prise de soudains élans, j'avais besoin de nouvelles. J'ai investigué, j'ai googlé. En vain : Hanna n'était pas du genre à s'afficher sur les réseaux ni à se faire remarquer. Elle avait plutôt tendance à partir sans laisser d'adresse, à s'effacer sans laisser de traces. A se tourner toujours vers autre chose, plus loin, autre part.
 
Je me souviens du temps où nous faisions équipe ensemble. Je me souviens qu'elle levait soudain les yeux d'un dossier pour me parler avec fougue, presque avec véhémence, de Suzon, sa seconde mère, une femme qu'elle vénérait, une militante de la première heure, mais qu'elle n'allait jamais voir - ou si peu - même si la vieille femme habitait à peine à deux heures de train. Hanna faisait démentir l'adage. Avec elle, c'était loin des yeux, près du cœur. J'ai mis du temps à réaliser que, moi aussi, elle allait prendre le parti de me ranger dans la catégorie de ceux dont elle se souviendrait, mais que jamais elle ne recontacterait. Comme si elle se résolvait à perdre sans cesse des êtres par son refus de regarder en arrière. Quand vous étiez là, dans son présent, elle était intensément serviable, loyale, généreuse. Et puis si la vie - la vôtre ou la sienne - vous emportait, alors Hanna vous remisait dans un tiroir de sa mémoire et vous laissait dormir dans cet ailleurs.
 
J'ai régulièrement hésité à prendre contact par le biais de ses fils, mais sur les sites de grandes écoles ces jeunes managers en costard-cravate semblaient suroccupés, naviguant entre l'Europe et les States. Même si je les avais connus au temps de leurs Playmobils, je me voyais mal leur demander comment joindre leur mère.
 
Hier, par hasard, un hasard étrange porté par une série de tapotements et d'associations instinctives,  je suis tombée sur l'annonce d'une mairie dans une petite commune française. Deux lignes sobres pour préciser la date, le lieu du décès et aussi un nom de naissance, un nom polonais, rempli de "sz" qui ne laissait aucune doute sur la personne décédée. Je me suis rappelé Hanna, toujours stressée, toujours préoccupée. On aurait dit que tout la tourmentait : ses parents, l'état du monde, le passé. Hanna toujours sur le pied de guerre, ne pouvant jamais compter sur ses frères, Hanna qui fumait comme un pompier, allumant une cigarette dans mon bureau pour prendre des notes en sténo, puis s'en allant répondre à un appel et revenant s'asseoir avec une nouvelle clope tandis que la première tombait en cendres là où elle l'avait abandonnée. Hanna si différente des autres secrétaires, parfois critiquée, souvent exclue, trop différente, trop cultivée, mais qui au fond se fichait d'être intégrée, le regard toujours porté vers d'autres territoires. Hanna qui semblait sans cesse blessée par l'état du monde, en empathie totale avec toutes les misères du siècle (mon dieu! qu'a-t-elle pu penser durant ces trois dernières années ?) et qui savait si peu prendre soin d'elle-même, comme si sa santé la laissait indifférente et qu'il n'était pas question d'en avoir cure.

En 1947, une jeune orpheline en train de nettoyer les sols dans un sanatorium suisse avait levé les yeux vers un petit prince polonais venu soigner sa tuberculose. Elle l'avait aimé, avec son spleen et son instabilité, l'avait suivi et avait mis au monde leurs trois enfants tout en veillant à boucler leurs fins de mois pas toujours gais. Hanna avait été l'ainée de ce couple improbable et pourtant inséparable. Très jeune, elle avait choisi l'indépendance. Elle avait commencé par être secrétaire, puis journaliste, et puis responsable d'un supplément culturel. Faire équipe avec elle avait été une expérience rare, toujours fiable, toujours disponible, elle se proposait de mettre à jour mes notes de psycho et de péda pour peu que je la laisse se réserver un exemplaire. Nous aimions toutes les deux apprendre. Malgré nos passeports suisses, nous nous sentions toutes deux en terre étrangère.
 
Dans cette Suisse proprette, pays de sa mère, pays où elle était pourtant née, elle paraissait étrangement déracinée, toujours tournée vers la Pologne, toujours tiraillée, jamais apaisée. Intranquille est sans doute l'adjectif le plus apte à la caractériser. Incapable d'être une intello bourgeoise, ni une militante bien installée, toujours en marche, jamais en mesure de se poser (je me souviens que, témoin de mon mariage, elle avait décampé au dessert car des affaires urgentes l'appelaient). Elle faisait partie de ces gens, droits et bosseurs, qui répondent toujours présent quand on a besoin d'eux mais supportent mal les attaches. Leur absence, ce n'est pas qu'ils vous oublient : ils se doivent de se tourner vers d'autres horizons pour être fidèles à leur vie.
 
Lors de notre dernière rencontre, elle m'avait hébergée dans sa maison en bordure de pâturages car j'avais besoin de faire des recherches sur une écrivaine de leur région dont la plume était injustement oubliée. Le soir, devant un verre, elle m'avait parlé d'un homme dont elle venait de tomber amoureuse. Elle avait alors cinquante ans, elle avait laissé ses épais cheveux bouclés blanchir - c'était étonnant, toute cette blancheur autour de son visage slave - et elle semblait sur le ballant. Sur le point de rompre son mariage. Mais c'était peut-être une entreprise démesurée, incompatible avec son sens de la loyauté. Elle avait donc fini par partir s'installer dans une commune de Franche-Comté où personne ne la connaissait, avec son mari, un éditorialiste profondément intègre, qu'elle avait aimé, dont elle s'était éloignée, qu'elle avait apparemment retrouvé. Avaient-ils laissé leur adresse à quelques amis suisses ? On peut en douter.
 
A force de chercher, hier, j'ai fini par retrouver une photo d'elle, datant d'il y a une dizaine d'années, publiée sur le site d'une association hébraïque à Varsovie. On la voit converser dans un groupe, aimable, toute à son affaire, prêtant l'oreille à ses interlocuteur, avec un sourire en demie teinte. Elle semblait toujours la même, toujours la même Hanna disposée à tout entendre, prête à tout comprendre, dans un effort constamment renouvelé de renouer toutes sortes de fils désespérément cassés. 

Il y a des personnes dont on se demande si on a su les voir, quand elles étaient là, si on a su les entendre. Il y a des personnes, on se demande si on les a rencontrées au bon moment, si dix ans de plus auraient pu faire la différence. Il y a des personnes qui vous laissent des bribes, des éclats en offrande. A vous de vous débrouiller pour leur trouver une cohérence.
 

samedi 13 janvier 2024

Vivre : laisser l'hiver se faire

 

Balades d'hiver. Truffe en l'air, le chien se demande où les renards se terrent.

Balades d'hiver. La bise persévère, le froid mord, un gant se perd.

Balades d'hiver. Le long des rives, le long des grèves, personne dehors.

Balades d'hiver. Saison des virus solidaires et des pharmaciens prospères.

Balades d'hiver. Castors pillards, pies mégères, présences éphémères.
 

Balades d'hiver. Inlassables parcours de nos désirs en jachère.

vendredi 12 janvier 2024

Vivre : admettre l'irrationnel

 
Énergies blanches / Fabienne Verdier / Musée Unterlinden / 2022 / Colmar
 

Ces objets impossibles à retrouver, disparus on ne sait comment, qui se jouent de notre rationalité.
On cherche, ou fouille, on flaire, on désespère, on émet en vain toutes sortes d'hypothèses.
Et puis... chose plus qu'étrange, soudain, on les aperçoit : ils étaient là, sous nos yeux....
et on ne les voyait pas. On s'étonne, on s'émerveille : ils semblent être réapparus comme par magie.
Inutile de chercher à comprendre. Rire. S'en réjouir comme d'une offrande de la vie.

jeudi 11 janvier 2024

Lire : les inconsistants vs les stimulants

 

 
Ce bouquin pas véritablement acheté, puisque emporté grâce à un bon inattendu, ce bouquin plutôt léger - 194 pages imprimées en caractères relativement gros - ce bouquin décidément ne fait pas le poids et ce matin c'est presque en catimini que je me suis dirigée vers la boîte à échanges dans la grisaille du jour naissant. Cependant il a eu le mérite de me ramener à quelques questions essentielles : dans quel but acheter des livres ? à quoi servent les prix littéraires et de quoi sont-il le reflet ? faut-il terminer un livre qui vous tombe des mains ou le laisser tranquillement choir ? **
Je l'a choisi parce que les thèmes me parlaient : le ras-le-bol des métropoles, une nouvelle vie dans une maison à proximité de la mer, l'aventure de la solitude élue. Une fois fini, on ne peut pas dire qu'il soit mal écrit, mais on ne peut pas non plus parler de style à son sujet. On ne peut pas dire qu'il y ait une histoire, ni un début ni une fin. On ne peut pas dire qu'il comporte des personnages, parce qu'à force de descriptions ciselées, leurs caractères se font peu à peu cisailler. On pourrait dire que ce Martine à la mer est creux comme l'entre-deux-vagues, bourré de lieux communs sur le monde contemporain - plus exactement le monde parisien : que l'héroïne veuille le fuir n'est qu'un prétexte à le décrire - et on le dirait imprimé sur le sable à marée montante.
Ouh là! Dix lignes sur un tel livre, c'en est déjà neuf de trop. J'arrête.


Comprenant à peu près le même nombre de pages, mais dans un tout autre registre, le livre du sociologue Gérard Bronner offre une lecture des plus stimulantes. Avec cet essai incluant plusieurs passages autobiographiques, il se penche sur les "transclasses", en fournissant une conception époussetée du phénomène qui consiste à passer d'une catégorie sociale à une autre (il préfère au terme usuel de "transclasse" celui de "nomades de classe" lequel contient l'idée d'allers-retours, d'évolutions continuelles et souples). 
Partant du postulat selon lequel les origines sociales dépendent surtout du discours que chacun (se) tient, il met en garde contre ces fictions de nous-mêmes. En effet, ces récits peuvent nous piéger : il n'y a jamais un unique facteur apte à déterminer une trajectoire, de même qu'on peut se méfier des biais d'autocomplaisance (la tendance à s'approprier les causes de nos réussites tandis qu'on rejette la responsabilité de nos échecs sur les circonstances extérieures). 
L'auteur souligne le "risque du dolorisme" que certains peuvent endosser, à savoir l'exaltation de la souffrance, la honte et puis la honte d'avoir eu honte. Il prend ses distances par rapport à des écrivains et sociologues tels que Didier Eribon, Edouard Louis ou Annie Ernaux. Selon lui, parler de "honte" à propos d'origines modestes, c'est faire le jeu de la classe dominante, c'est-à-dire se soumettre aux attentes stéréotypées que les nantis ont envers les catégories populaires.
Je me sentirais sali si je décrivais mon milieu d'origine comme ressemblant à l'univers de Zola à seule fin de faire scintiller l'excellence de mon parcours personnel. Il ne s'agit pas tant de travestir les choses - ce qui ne serait pas plus honorable - que de ne pas se soumettre à cette forme de fossilisation de l'esprit à laquelle invitent l'idéologie et l'autocomplaisance. Tenter de rester disponible à la complexité du monde est le plus bel hommage que je puisse rendre à l'héritage de mes origines.[p.186]
Un texte qui se lit aisément, vivant, convainquant. Un apport sociologique qui ne se prend pas la tête et qui refuse les analyses et les discours convenus pour inviter tout un chacun à s'interroger : quelles sont mes origines ? D'où est-ce que je viens ? Quel a été mon parcours ? Qu'ai-je réussi  - respectivement en quoi ai-je échoué - à mes yeux  ? et aux yeux de la société ? Ai-je rencontré des "fées" ? Et ai-je dû faire face à des "mauvais génies" ? Une invitation à une auto-analyse salutaire. La vérité - si tant est qu'elle puisse exister et être cernée - n'est jamais aussi évidente qu'on pourrait se la raconter. Gérard Bronner nous invite à nous considérer comme un mille-feuille, un produit de la biologie, de la famille, des pairs, des rencontres et du hasard.
S'il y a quelque chose qui influence mon analyse sociologique, [c'est...] la recherche d'une forme de dignité intellectuelle. Cette forme de dignité est certainement une valeur universelle. Il me semble pourtant qu'elle est prégnante dans un milieu social où l'on sait ne pas pouvoir faire envie mais où l'on refuse de faire pitié. Un milieu social d'où je suis tout simplement issu.[p.186]

 
** Réponses : Les bibliothèques sont des lieux magiques et si on y trouve un livre marquant on peut toujours aller se le procurer en librairie pour le garder près de soi // A faire vendre en titillant notre infini besoin de consommer et de nous croire dans la tendance. Parfois à nous faire découvrir une voix, une voix riche et neuve // Non. Cent fois non. Et oui. Cent fois oui.

mercredi 10 janvier 2024

Vivre : savoir gré

 
Groupe statuaire de la route de Beaucaire / Nîmes / Musée archéologique
 
Ne laisse pas s'éloigner l'ancienne année sans la remercier - avec révérence - pour tout ce qu'elle a su te donner. 

mardi 9 janvier 2024

Vivre : désinvoltures de janvier

 
Adoration des Mages (détail) / Gentile da Fabriano /Basilica Santa Trinità / Firenze
 
Laisser venir ou laisser partir.
Saluer sans chercher à s'attarder
Converser, mais sans insister.
Socialiser, ok, mais sans stresser. 

 

lundi 8 janvier 2024

Vivre : s'envoler ailleurs


 

 
Là-bas, il y avait trois petites villes, chacune avec son caractère : la première destinée à nous distraire, la deuxième à nous rassasier, la troisième à nous enchanter. Cette dernière, quasiment un bourg, nous transportait hors du temps, dans des scènes vides où nous réalisions combien de trop-pleins nous devions constamment traverser. En fin d'après-midi, nous déambulions à travers les rues semi-désertes, pas un chat, un ou deux promeneurs de chiens, des devantures fermées, de timides échoppes aux contenus démodés, une absence de bruits, d'offres, de stimulis. Nous passions devant des palais silencieux, toutes sortes d'églises à l'élégance racée, des rues tracées depuis des siècles par des urbanistes épris de rectitude, ignorant la frivolité. 
 
 
La nuit, quand nous rentrions de nos délectables virées, à chaque extrémité de l'artère médiane, les deux arcs monumentaux dominaient un large ruban scintillant. On se serait crus à Broadway, un Broadway conçu au dix-septième siècle, brillant à grand renfort de lumignons, de projections, d'illuminations dont apparemment nous étions les seuls destinataires - sauf une ou deux silhouettes furtives et quelques chats solitaires. 


Un matin, j'ai reçu un message de Thaïlande. Dehors des étourneaux exécutaient leurs voltiges, on aurait dit un banc de poissons argentés évoluant dans des eaux tropicales. Je me suis demandé qui, de moi ou de l'émetteur, avait su le mieux trouver à s'évader, loin des routines et des mondanités.

dimanche 7 janvier 2024

Vivre : perdue de vue

 
Buste de Sainte-Ursule / Mariano di Agnolo Romanelli / Basilica Santa Maria Novella  / Florence
 
 
Ce matin-là, quand nous avons déboulé dans la salle du petit-déjeuner - une ancienne salle de théâtre dont la scène attendait éternellement ses personnages - elle s'est penchée sur le chien et l'a longuement caressé. Elle a tenu à connaître son prénom et son âge avant de nous préparer un café. Tandis qu'elle parlait, son regard se perdait quelque part derrière nos épaules. On cherchait le contact, mais ses yeux vacillaient. Même si elle ne cessait de parler, converser semblait particulièrement ardu. Converser consistait à tenter de rapiécer des chutes de tissu dépareillées. De fil en aiguille, mais de manière tout à fait décousue, elle a évoqué son chien handicapé, un chien perdu sans collier qu'elle avait soigné, avant d'ajouter qu'il était mort depuis quelques années. Puis elle nous a dit tout de go qu'elle détestait cette bourgade du Nord, où tout lui semblait mort. Elle était originaire du Sud, elle a évoqué sa famille... sa famille dispersée... puis elle a vite changé de sujet. Elle rêvait d'ailleurs. Elle voulait partir à l'étranger, en Suisse, peut-être. Mais... apprendre la langue, mais... pouvoir trouver... Sa vie semblait contenir une quantité invraisemblable de "mais". Là, elle travaillait comme intérimaire dans quelques hôtels de la région. Mais, a-t-elle poursuivi, elle était aussi mannequin, elle s'était présentée au concours de Miss Italie.  On tentait de l'imaginer sur des podiums tandis qu'elle se traînait d'un point à l'autre de l'espace avec sa drôle de démarche désarticulée, une marionnette aux lourdes bottes noires qui aurait perdu son marionnettiste, une poupée aux yeux vides qu'on aurait oubliée. 
Quand sa collègue est arrivée, elle a tiré un paquet de sa poche : "Je vais m'en fumer une" et s'est dirigée vers la terrasse. En cinq minutes, elle s'était confiée sur sa vie, ses origines, ses projets déglingués. En une fraction de seconde, elle s'était  éclipsée.
Dehors, la lumière de janvier paraissait floutée. Le soleil étincelant de la veille s'était évanoui et la neige était annoncée. Quand la fille a disparu, nous nous sommes demandé si elle avait bien existé. 
 

jeudi 4 janvier 2024

Vivre / voyager : savoir partir

 

Les veilles de départ sont toujours - ou presque toujours - les mêmes. Je peux me réjouir avant, parfois bien avant, en réservant. Je peux me réjouir pendant et aussi en rentrant. Mais quand tombe le soir précédant, quelque chose soudain me retient. Je lance des regards langoureux à la maison, comme si un long exil m'attendait, comme si c'était le dernier soir, et, si le chien ne vient pas avec nous, je le regarde avec une affreuse sensation d'abandon : que pourrait-il lui arriver ? et que lui arriverait-il si on ne pouvait pas rentrer ? Tout se fait lourd et compliqué. Les sites météo ne deviennent plus du tout fiables. Je ne sais plus quoi emporter et c'est souvent au moment du coucher que je parviens à introduire quelques affaires dans mon sac. Je me glisse entre mes draps avec le sentiment d'une catastrophe possible, d'inondations terribles, de problèmes insolubles.
Les matins de départ sont toujours les mêmes : gestes surs, rassemblement des bagages, thermos de café chaud, gâteaux et sandwiches maison (pas question d'aller se bousiller l'estomac dans des restauroutes à fiabilité limitée), petits babillages avec les divers espaces, avec le lac, les oiseaux, la forêt. J'utilise un langage codé pour leur dire que je les aime très fort et que je reviendrai. On croirait une amoureuse en train de faire ses adieux sur un quai.
Les veilles et les matins de départ je suis un peu gaga. Toute séparation me coûte. Le reste du temps, ça va je gère. Ça va.

mercredi 3 janvier 2024

Vivre : ce que l'on sème

 Statue féminine drapée / 1.s. apr. J-.C. / Musée de la Romanité / Nîmes

 
et pourquoi se laisser aller à envier ? pourquoi ne pas utiliser ce levier pour évoluer ?
 

mardi 2 janvier 2024

Vivre : tout est lumière, tout est joie

 
Madone à l'enfant et saints (détail) /Giotto di Bondone / Galerie des Offices / Florence
 
La joie : l'enfant qui se rappelle en soi
 
... et si Giotto la dépeint si bien
Victor la décrit avec ces mots-là :

 
Tout est lumière, tout est joie,
L'araignée au pied diligent
Attache aux tulipes de soie
Ses rondes dentelles d'argent.

La frissonnante libellule
Mire les globes de ses yeux
Dans l'étang splendide où pullule
Tout un monde mystérieux!

La rose semble, rajeunie,
S'accoupler au bouton vermeil ;
L'oiseau chante plein d'harmonie
Dans les rameaux pleins de soleil.

Sa voix bénit le Dieu de l'âme
Qui, toujours visible au cœur pur,
Fait l'aube, paupière de flamme,
Pour le ciel, prunelle d'azur!

Sous les bois, où tout bruit s'émousse,
Le faon craintif joue en rêvant ;
Dans les verts écrins de la mousse
Luit le scarabée, or vivant.

La lune au jour est tiède et pâle
Comme un joyeux convalescent ;
Tendre, elle ouvre ses yeux d'opale
D'où la douceur du ciel descend!

La giroflée avec l'abeille
Folâtre en baisant le vieux mur ;
Le chaud sillon gaîment s'éveille,
Remué par le germe obscur.

Tout vit, et se pose avec grâce,
Le rayon sur le seuil ouvert,
L'ombre qui fuit sur l'eau qui passe,
Le ciel bleu sur le coteau vert!

La plaine brille, heureuse et pure ;
Le bois jase ; l'herbe fleurit.
Homme! ne crains rien! la nature
Sait le grand secret, et sourit.


Victor Hugo /  Spectacle rassurant / Les Rayons et les Ombres / XVII / éd. 1840
 

lundi 1 janvier 2024

Vivre : les signes sur mon chemin

 

Dans Just Kids, Patti Smith raconte que selon sa mère ce qu'on fait le premier janvier préfigure ce que sera le reste de l'année (éd. Folio, p.203). Depuis que j'ai lu ce bouquin, je ne passe pas un jour de l'An sans penser à la mère de Patti. Ce matin, curieusement, le monde était étonnamment toujours le même. Rien n'avait changé : ni les piaillements des mésanges affamées, ni la bonhomie des nuages endimanchés, pas plus que la dignité des arbres saluant notre passage. Et les problèmes à prévoir se révélaient toujours aussi présents.
A Berne, rayonnante et alerte, il nous a fallu une longue balade le long de la rivière. Nous avons juste décidé de bifurquer à droite après le pont au lieu de prendre à gauche selon notre habitude. Les branches chantaient sous l'effet de la bise, les merles s'en donnaient à cœur joie. Un feuillu s'était fait salement amocher par un castor pendant la nuit. J'ai repensé au chamois qui rôde autour de notre maison ces derniers temps. Sa présence miraculeuse, son regard pas du tout farouche, sa manière de traverser la forêt pour venir frôler notre maison. Un mélange de candeur et de nonchalance. Et puis... longeant le parc zoologique, nous avons découvert un rassemblement de pélicans qui faisaient un raffut de tous les diables. Et plus loin, un regroupement de flamands roses, vraiment, incroyablement roses, d'une élégance rare. 
Alors je me suis dit qu'une année qui commençait avec un raffut de pélicans et des volatiles couleur rose dragée avait de quoi intriguer. J'ai pris mon élan et... je me suis lancée.
 

Vivre : passages

 
 
La fin d'une année n'est ni une fin ni un début, mais une continuation avec toute la sagesse que l'expérience nous a apportée.
Hal Borland
 
Je me souviens qu'un psy de mes amis avait l'habitude de dire à ses patients déprimés par l'arrivée des Fêtes : "On va en parler. Mais au bout du compte souvenez-vous : Noël n'est qu'un jour de l'année destiné à passer: Idem pour le jour de l'An." Hier soir, pas de repas pantagruélique, pas de vœux grandiloquents. Aucune envie d'entamer l'année avec la gueule de bois et le regard nébuleux, ni de semer des phrases toutes faites à tout vent. Ce matin sur la crête, d'un point de repère à un autre, juste des pas dans la neige pour avancer solidement.