mardi 29 août 2023

Voyager : vers le Sud et les découvertes

 

 
Après la consultation, et la palpation, après les scanners et les évaluations, après les ponctions et les prises de sang, après les attentes et les reports, et la prothèse pas pressée d'arriver, et le chirurgien qui devait partir et n'entendait pas trop vite rentrer, après certaines urgences qui devaient absolument avoir la priorité, après tout ce qui a encombré cet été, toutes ces ombres qui en brouillaient la clarté, après le soulagement et les jours convalescents, et l'heureux aboutissement, et l'émerveillement de découvrir chez certains tant de beauté tant de bonté, enfin, enfin le moment est arrivé : moi aussi je vais connaître des jours d'exposition et des nuits au musée.  

lundi 28 août 2023

Vivre : still life / 136

 

 
Il y a les années sans. Il y a les années avec. En cette année chaude et passablement arrosée, les arbres et les plantes ont donné comme jamais. Longeant les vignobles, on découvre des plants débordants de grappes voluptueusement suspendues. Pas un cep qui ne soit surchargé de fruits jubilant parmi les feuillages luxuriants, pas un grain moisi, pas de déchet au sol. Entre les jardins, comme tout arrive en même temps, tomates, concombres, poires, courgettes s'échangent dans une valse permanente. Il y a fort à faire pour cuisiner, mettre en pot, congeler. Un plaisir des yeux, un plaisir des sens. 
Les deux pruniers s'en sont donné à cœur joie. A les regarder on ne pourrait se figurer les tout petits arbrisseaux chétifs arrivés ici il y a une dizaine d'années. Stimulés par la proximité de la forêt, on dirait qu'ils veulent maintenant se mettre en compétition avec les sapins, les divers feuillus d'à côté, et surtout le vieux châtaignier.
Nous, face à cette manne 100% bio, kilomètre zéro, on a commencé par remercier les divers pollinisateurs qui ont vraiment bien fait le job. Puis on a partagé avec les oiseaux, avec les insectes, avec la faune qui vient roder (pas avec les voisins : ils ont tous un verger). Enfin, on a cueilli. On a cueilli encore. On cueille toujours. Les yeux remplis de gratitude, les mains tendues, l'estomac enthousiasmé et les bras prêts à touiller, nous voici tels des Kali prêts à tout transformer.
 
 

dimanche 27 août 2023

Vivre : comme des évidences

 
Val d'Aoste / vue sur le Gran Paradiso / 2022
 

La femme - une inconnue dont j'ai ignoré le prénom jusqu'au moment de nous séparer - ce fut si spontané, si évident de parler ensemble de deuils, 
de ces traversées de failles - escalades, quasi noyades- ces plongées dont on finit par émerger avec nos fragilités, nos vérités, nos besoins essentiels.


samedi 26 août 2023

Vivre : ce qui soulage nos vies en nage

 

 
Grondements lointains.
Le bleu noircit soudain.
Sentir trembler le chien.
Inspirer la nuit qui vient. 
 



vendredi 25 août 2023

Vivre : le laboratoire des expériences concluantes

 
05.03.2003 / Zao Wou-Ki / Coll. particulière / présenté à l'hôtel Caumont / Aix / 2021
 
Une fille concentrée effectue son yoga. Une quinquagénaire portée par le courant hurle sa joie. Deux amies s'exercent à faire le poirier. Une mère de famille se change, personne pour rigoler ou pour mater. Le Club des Adorateurs du Soleil allongé, peau fripée, surfaces huilées, se dore et se retourne à rythme régulier. Deux grands-pères appliqués jouent aux échecs, un vieille dame fait ses mots croisés. Une femme se penche sur une colonie de moineaux et partage sa brioche avec équité. Des bourgeoises enchignonnées cherchent longuement où étendre leurs serviettes, de crainte qu'elles ne leur soient subtilisées. De vieux amis se retrouvent, de jeunes potes se reconnaissent. Un père mal réveillé tente de gérer son bébé très éveillé et son bambin très remonté. Des touristes asiatiques observent les gens plonger. Un couple d'étudiants japonais considèrent la rivière avec une expression mitigée. Des nageurs déclament leur enthousiasme en américain. Un garçon et une fille conversent, pieds enchevêtrés, une idylle est-elle en train de naître, deux âmes en train de se trouver ?

Il y a de tout et il faut de tout pour constituer le public de la piscine. Gratuite, ouverte 7/7 et de sept heures à 20 heures pour que les travailleurs puissent venir en profiter, elle offre à toutes les populations la possibilité de se rencontrer, de se voir ou de s'ignorer, de discuter, de se tolérer et, pourquoi pas, de s'apprécier.
 
On aimerait qu'il y ait dans toutes les villes des espaces comme celui-ci : accessible à tous, où chacun puisse trouver sa place, se confronter à la différence, s'exercer à la tolérance, des lieux où l'on puisse frôler l'Autre, apprendre à le connaître, à lui faire place, à négocier sa file, à défendre ses droits. On est convaincue que de tels endroits participent à une vie sociale plus fluide et que, bien que disponibles sans aucune distinction, germes de prévention, écoles de cohabitation, ils coûtent infiniment moins à la collectivité que la somme des conflits potentiels qu'une communauté peut voir jaillir et proliférer.

jeudi 24 août 2023

Lire : vacare Deo

 

Le courrier est arrivé. Il y a une invitation à une fête à Milan. Je reste indifférente. Suis-je une misanthrope ? Suis-je devenue antipathique comme Rousseau ? J'ai envie de vivre ainsi. Je vis de renoncements. Je vis sans. Sans mondanités. Sans voyages. Sans fêtes. J'ai l'intention de découvrir s'il est possible de vivre en renonçant à tout cela. S'il y a de la félicité à jouir de tout ce que nous avons de toute manière reçu : le soleil, les nuages, les métamorphoses des saisons. Découvrir si ce qui a été assigné à l'être humain était suffisant. Je commence à comprendre que oui, cela était suffisant, et cette découverte me déconcerte : parce que mon appétit pour des choses autres que celles que j'ai s'est évanoui [...] [p.81-82]Traduction libre
Une ondée caniculaire s'est à nouveau abattue sur le pays. Après quelques baignades délicieuses dans la rivière et tandis que les espaces se remplissent autour des bassins, une seule possibilité : rentrer, se mettre aux abris et trouver quelque chose de rafraîchissant à lire. L'Orto di un perdigiorno. Confessioni di un'apprendista ortolano (Le jardin d'une paresseuse. Confessions d'une apprentie horticultrice) de Pia Pera me semble la lecture adéquate. C'est le premier ouvrage qu'elle a écrit à propos de sa maison et surtout de son jardin, potager et d'agrément. Il a été publié en 2003. Le parcourir n'est pas de tout repos. Il se révèle très vite érudit sur le plan horticole et, même avec des illustrations, les termes italiens ne sont pas toujours aisés à identifier et à traduire.
 
Pia Pera (1956-2016) était une enseignante, traductrice et écrivaine originaire de Lucques en Toscane. Au tournant de la quarantaine, elle quitte sa vie professionnelle, abandonne son bel appartement de Florence et décide de se consacrer à un domaine abandonné dont elle a hérité à San Lorenzo a Vaccoli, au sud de sa ville natale. Une fois le rustico rénové, elle se dédie corps et âme au jardin de la propriété, qu'elle entreprend de faire renaître en s'inspirant (sans les suivre aveuglément) des préceptes d'un biologiste japonais "non interventionniste", Masanobu Fukuoka. C'est cette maturation, cette formation continue qu'elle décrit dans ses publications à grand succès (une demi-douzaine) approfondissant à chaque fois ses réflexions et ses expériences en matière de plantes, mais aussi du vivant en général. Vers la fin de sa vie, atteinte d'une forme sévère de sclérose en plaques (la SLA) et se sachant condamnée, elle écrit le poignant Ce que je n'ai pas encore dit à mon jardin, le seul de ses livres traduit en français.

Pia Pera est connue en Italie pour sa manière d'approcher la nature, dans un dialogue respectueux, bourré de tendresse et de prévenance. A travers ses écrits. on la voit entretenir une relation d'égale à égal avec le monde végétal et le monde animal. Elle fut une pionnière en ce domaine dans son pays. Elle est également devenue - malgré elle - un personnage connu parce qu'elle est l'héroïne d'un livre qui a obtenu en 2021 le prix Strega (sorte de Goncourt italien). En effet, son ami Emanuele Trevi a rédigé un ouvrage qui n'est ni une biographie, ni un roman, plutôt une série d'impressions sur deux écrivains de ses amis disparus prématurément : Pia et Rocco Carbone. Avec ce récit, Due vite, il évoque ce que des gens que nous avons aimés, dont nous avons été proches, peuvent laisser comme traces en nous, des sentiments, des regrets, des images. C'est un livre qui traite bien sûr d'amitié et de mémoire, fragiles l'une et l'autre, constituées de bribes incertaines et de vérités éphémères.

Pour en revenir à Pia, la lire signifie non seulement apprendre à cultiver, mais également à se cultiver. Spécialiste des langues slaves, traductrice du russe, elle fournit ici une belle lecture d'Oblomov, mais cite aussi bon nombre d'écrivains (dont Flaubert et Thoreau et bien sûr Frances Hodgson Burnett, dont elle a traduit The Secret Garden en italien).

Un coin de terre limité, un lopin sur une planète en lambeaux, et pourtant : la béatitude. Sur ce coin de terre, vivre libérée des désirs qui entraînent les être humains très loin, dans des lieux qu'ils n'aiment pas, vers des activités qui attristent et envahissent leur mental en privant la joie de sa place légitime. Vacare Deo, disaient les pères du désert. Avant de venir vivre dans ce domaine, j'étais un buisson mal taillé, ayant poussé dans un enchevêtrement étouffant de branchages, avec gaspillage de sève, dispersion d'énergie. La forme naturelle avait été perdue dès la première taille, en même temps que le pouvoir de faire bourgeonner les yeux des désirs. Maintenant je suis lentement élaguée. Chaque branche taillée est de la sève qui court plus vigoureusement parmi les autres. Jusqu'à ce que les désirs recommencent à fleurir et la vie à circuler. Assainie de tout ce qu'on nous apprend à considérer comme indispensable : voyages, vacances, bijoux, spectacles, ostentation, vitesse. [p. 88-89] Traduction libre
Curieuse impression que de lire une écrivaine apparaissant comme tellement vitale, dont on ne peut qu'approuver la démarche et s'en trouver infiniment proche, mais dont on sait aussi à présent qu'elle a été condamnée à mourir à petit feu, impitoyablement. Il y a quelque chose d'attendrissant et de terriblement attristant dans cette lecture. Pia fait penser à une branche que la vie aurait demandé d'élaguer, mais qui, bien qu'écartée, disparue, participe à la vigueur des autres et continue de tournoyer dans leur mémoire.
 
 
**Vacare Deo : être libre ou disponible pour Dieu ; dans la tradition monastique et contemplative chrétienne, réserver du temps de travail pour la méditation et la prière.



mercredi 23 août 2023

Vivre : compter les jours

 


Le matin, lors de notre première balade là-haut, d'innocents nuages rosissent à notre passage. Ils semblent intimidés et désireux de nous souhaiter la plus douce des journées. On dirait des tout petits traçant leurs premières lettres d'alphabet, leurs premiers bâtonnets. Hélas! dès notre retour, une fois tartines et croquettes avalées, le rose disparaît à la faveur d'un bleu intraitable qui bataille avec les cumulus pour imposer sa chape implacable. Je me surprends à consulter les sites météo pour y trouver quelques réconfortantes nouvelles, telles ces personnes acharnées à lire leur horoscope pour y découvrir d'heureux présages. Apparemment, c'est vendredi - encore trois longues journées - que l'orage devrait éclater. Ainsi, moi aussi, comme les petits nuages de l'aube, rosie par la chaleur de ces heures africaines, je compte sur mes doigts : pouce, index, majeur, un, deux, trois...

mardi 22 août 2023

Vivre : au train où vont les choses

 
Pluie, vapeur, vitesse / JMW Turner / National Gallery / Londres (photo tirée du site officiel du musée)

Alors que, ayant réussi de justesse à trouver une place, et couru jusqu'au quai pour parvenir à monter à la der des der, ayant déniché un siège à la fenêtre et m'étant affalée, soulagée, poussant un long soupir tandis que le train quittait la gare, je voyais soudainement les portes du wagon s'ouvrir et le contrôleur s'avancer, je réalisai avec consternation que non seulement je n'avais pas pensé, pas imaginé, pas même prévu d'acquérir un billet, mais l'instant suivant, ayant expliqué la chose au représentant concerné, en toute franchise, en toute confiance, en toute naïveté et celui-ci m'ayant poliment écoutée, je réalisai également que j'étais quelqu'un à qui on donnerait sans doute le bon dieu sans confession et certainement un laisser-passer (sans surtaxe) moyennant une simple explication. 


lundi 21 août 2023

Vivre : sous le soleil de Lucius Annaeus

 
 Portrait de Lucrezia Panciatichi (détail) /Agnolo di Cosimo dit Bronzino / Galerie des Offices / Florence
 
Ah! qu'elles sont pénibles ces journées où l'on se met dès le matin à composer un programme bien rempli, bien tassé, bien organisé, destiné à vous permettre d'arriver au soir, repue, rassurée, certaine d'avoir accompli ce qui pourrait s’appeler une "bonne journée". 
Mais... d'où vient donc ce besoin de combler à tout prix, d'aller chercher ailleurs, autre part, de quoi meubler ces vingt-quatre heures en tant que telles est parfaites, c'est-à-dire aptes à apporter d'elles-mêmes toutes les stimulations souhaitées ? Dans le meilleur des cas, à peine le phénomène identifié, il s'agit très vite de le stopper. Par association, on en arrive à songer à Sénèque : ce qu'il dit à son ami concernant les voyages peut aisément s'étendre au grand voyage de la vie.
 

Tu veux savoir pourquoi rien ne te soulage dans ta triste fuite ? Tu fuis avec toi. Dépose le fardeau de ton âme : jusque-là point de lieu qui te plaise.[...]
Tu cours çà et là pour rejeter le faix qui te pèse ; et l’agitation même le rend plus insupportable. Ainsi sur un navire une charge immobile est moins lourde : celle qui roule par mouvements inégaux fait plus tôt chavirer le côté où elle porte. Tous tes efforts tournent contre toi, et chaque déplacement te nuit : tu secoues un malade. Mais, le mal extirpé, toute migration ne te sera plus qu’agréable. Qu’on t’exile alors aux extrémités de la terre ; n’importe en quel coin de pays barbare on t’aura cantonné, tout séjour te sera hospitalier.[...]
Il faut vivre dans cette conviction : "Je ne suis pas né pour un seul coin du globe ; ma patrie c’est le monde entier. " Cela nettement conçu, tu ne serais plus surpris de ne point trouver d’allégement dans la diversité des pays où te pousse incessamment l’ennui de ce que tu vis d’abord ; le premier endroit t’aurait su plaire, si tu voyais en tous une patrie. Mais tu ne voyages pas, tu te fais errant et passif, et d’un lieu tu passes à un autre quand l’objet tant cherché par toi, le bonheur, est placé partout.

 Lettres à Lucilius, Sénèque, XXVIII, Inutilité des voyages pour guérir l'esprit (trad. Baillard)

 
"Tu fuis avec toi" écrit le Sage. Oh oui, et c'est aussi avec toi que tu es heureuse et comblée. Tu t'emportes dans tes bagages (et pas besoin de valise ou d'horizons lointains, tu peux t'embarquer n'importe quel matin dans n'importe laquelle de tes journées, ce sera toujours en ta compagnie). C'est ton état d'esprit que tu emmènes quand tu quittes ton chez toi. Dès lors, inspire, respire, ouvre ton regard et, loin de vouloir tout contrôler, laisse venir... (pourquoi aussi ne pas chercher à savoir d'où provient ton aspiration à t'agiter ?)

dimanche 20 août 2023

Vivre : paroles, paroles, paroles

 
Ritratto di giovane / Antonio da Crevalcore / Museo Correr / Venezia
 
Dame S. n'existe que si elle est "plus".
En conséquence, elle étale, elle rajoute, elle complète - et se répète - elle glose,
et elle dégoise, elle répand et se reprend, elle décline, elle précise, elle rabaisse.
     Derrière tant de savoirs si bien exhibés, le paysage se fait très paisible à contempler.      
 
 

samedi 19 août 2023

Vivre : frustrations et maturations

 
 La temperanza / Pollaiolo / Uffizi / Firenze
 
 
La maturité se mesurerait-elle à la capacité de se reconnaître limité ?
 

vendredi 18 août 2023

Vivre : battre son plein

 

 
Arrivent toujours au cœur de l'été quelques journées de pause infinie. Tout s'arrête, tout semble suspendu. Le silence s'empare de la campagne. Il y a ceux qui sont partis, ceux qui ne sont pas encore revenus, ceux qui se terrent en attendant des heures meilleures. Sur un chemin, un enfant lance un cri (ou est-ce une buse qui gémit ?). Un chevreuil somptueux longe au loin un pré, présence beige qui se fige, curieuse. On le scrute, heureuse, incrédule, mais... il suffit d'un battement de cil et le voilà évaporé. On croit avoir rêvé. Dans la lenteur de ces après-midi inondées de moiteur et harcelées par le vent, des feuillages bruissent, des pensées surgissent, voltigent, se liquéfient. On voudrait aligner des axes, des projets, des cohérences. On ne récolte que sensations, soupirs, réminiscences.
Les arbres ça et là rougissent. Quoi ? déjà l'automne et ses cargaisons de rouille ? Tiens donc! L'automne nous enverrait dès à présent ses avant-courriers ? On avait oublié que chaque saison abrite en son apogée l'essence de la suivante, que tout n'est que manège destiné à tourner. Alors sillonnant ces journées privilégiées, se sentir vivre, se sentir respirer, se sentir feuille, et chevreuil et aigle qui s'élance, tournoie, gravite autour d'une invisible étoile. Sentir alors en soi des soleils palpiter. 

jeudi 17 août 2023

Vivre : déjeuner en paix

 

 
Le plus souvent, et tout au long de l'année, on ne perçoit de lui qu'un bruit mouillé, un plongeon intrépide entre les roseaux, et on le voit qui s'éloigne daredare histoire de bien nous signifier que nous l'avons incommodé. Mais hier matin, nous nous sommes figés, intrigués par le bruit, tout le vacarme qu'il faisait en prenant son petit-déjeuner. C'est que tournant le dos à la rive, il s'attaquait à une belle branche de noisetier et n'a même pas senti notre présence à ses côtés. Le chien éberlué, mézigue fascinée sommes restés immobiles devant le goulu qui se régalait. Puis discrètement nous nous sommes retirés à reculons sans que Mister Castor interrompe son banquet.

rien à voir : le ragondin de Padoue / Prato della Valle



mercredi 16 août 2023

Vivre : danser sa vie

 
Trisha Brown en répétition / Babette Mangold / Arles 2022
 
Sur un mur, quelqu'un avait tracé LA VIE EST WOUAOUH! Et c'était vrai :
 la vie est vraiment wouahou! quand on prend la peine de la capturer. 
 

mardi 15 août 2023

Vivre : laisser venir

 Certosa di Ferrara


Il y a des lieux voués à cultiver l'art du calme. On les observe et on expire.
Des lieux qui nous réconcilient avec notre mémoire et notre avenir.



lundi 14 août 2023

Vivre : les vacances de la vendeuse

 
Portrait d'une jeune Arlésienne / Alexandre Hesse / Musée Arlaten / Arles
 
Elle tend toujours ses croissants en souriant. Son sourire n'a rien de faux ni de contraint, elle sourit vaillamment. Elle dit qu'après quinze jours d'absence elle a oublié les prix. Elle dit que oui, ça s'est bien passé, malgré la météo pourrie. Elle ajoute qu'elle est restée "par ici". Elle précise avec fierté qu'avec son mari ils sont partis en France pendant une journée. "Sans les enfants." Puis elle rend la monnaie, avec son sourire vaillant.
 

dimanche 13 août 2023

Vivre : dévérouiller

 
Scène dans une osteria italienne / Wilhelm Marstrand / Glyptothek / Copenhague
 
Il y a des sourires qui sont de lourdes clefs, tournant dans un sens bien déterminé.
Je te souris et il t'est absolument interdit de répondre autre chose que oui.

samedi 12 août 2023

Voyager : passages piémontais

 
Collegiata di Sant'Andrea / Savigliano
 
Béni soit l'inventeur de la lumière - et de l'ombre aussi. Dans les ruelles délavées par le soleil, dans la torpeur des villes alanguies, écrasées d'attente et de soupirs - lenteurs provinciales, paresses estivales, larmes d'enfant puni - loin des foules et de leurs exigences, loin des vociférations et des tiraillements arrogants, nous avons suivi des trajectoires silencieuses, croisé les gens oubliés par le progrès (ou qui s'efforçaient d'oublier celui-ci).
 

 
 
 
Certains lieux, comme certains mots ou certains parfums, semblent faits pour consolider notre mémoire. Nous avons laissé ces lieux nous parler. Nous nous sommes approchés pour les écouter. Tout au fond de cours vétustes, rétives à toute forme d'innovation, nous avons entendu des chats s'égosiller, des grillons grésiller et des tourterelles batifoler.
 
 
 
 
 
Dans un jardin immense, un parc défraîchi, pendant une très longue après-midi,nous sommes laissés bercer par un arbre non identifié, qui paraissait soucieux de nous rasséréner. Parfois, un jardinier passait, traînant des pieds, nous proposant des coussins et de quoi nous désaltérer. Dans cet hortus conclusus, protégés, bercés, nous nous sommes assoupis, parmi les battements d'ailes et les frémissements de divers volatiles.
 
 
 
 
 

 
Le soir, tandis que la flamboyante lumière refusait de céder, nous nous sommes attablés dans des salles pourpres aux chaises brinquebalantes qui devaient remonter aux dernières décennies du siècle passé. Une fille distraite avec une exquise jupe damassée nous a servis. Sa collègue aux stricts pantalons noirs la suivait pour rectifier le tir. C'était un lieu où tout se faisait dans l'à-peu-près, où tout détail se discutait et où finalement la plupart des choses s'improvisaient. Nous n'avions cure de ces embrouillaminis du moment que cet univers recevait royalement les chiens, que nous étions au cœur de tout, joignables par rien et que le Pelaverga - blanc ou rouge - nous invitait à des lendemains sereins.
 


 

vendredi 11 août 2023

Vivre : et la douceur de la présence à soi

 
Ercole e Onfale (détt.) / Pittura Pompei / 1s. dopo JC

Dans la solitude de ces journées lentes, 
sous le soleil de ce mois surprenant, 
le monde est peuplé de présences. Surtout : 
ne jamais oublier qu'il n'est solitude souffrante 
que dans l'absence à soi. 

jeudi 10 août 2023

Vivre : la vie t'accueille

 

Il y a ces jours où les cadeaux tombent du ciel, sourires, mots doux, mots transmis,
où tout tombe d'un claquement de doigts sans même avoir besoin de claquer le moindre doigt,
des jours bénis, évident circuit : voir et être vue, reconnaître et être reconnue, merci la vie.

mercredi 9 août 2023

Vivre : plus bleu que bleu

 

 
Être curieux : donner une chance au réel de présenter ses cadeaux. 

mardi 8 août 2023

Vivre : se perfectionner dans l'art d'échouer

 
Survival of Serena / Carole A. Feuerman / Biennale Venezia 2017
 
Il y a ces choses, ces domaines, dans lesquels on ne sait pas exceller. On affirme que ce n'est pas notre truc, pour ne pas dire tout simplement qu'on est nul en la matière. Pour moi, un de  ces domaines est le crawl. Le crawl, c'est mon grand rêve et ma blessure secrète. Pouvoir exécuter un crawl stylé figure en bonne place sur la liste des choses que je voudrais accomplir avant de mourir.
Dieu sait si j'aime l'eau, si je ne crains pas de m'y jeter, si je m'éloigne parfois dangereusement des rives mettant les nerfs de mon compagnon à dure épreuve, si je ne crains ni de boire la tasse ni de toucher le fond. Avancer en brasse coulée : oui. Crawler sur le dos : oui. Faire la  planche, affronter les vagues de la Méditerranée : oui. En revanche, crawler, avec élégance s'il vous plait, en prenant sa respiration sur le troisième temps, en levant le coude juste à la bonne hauteur et sans forcer au niveau de la nuque : non. Je n'ai jamais réussi à tout coordonner. Résultat : je crawle misérablement, sur une longueur, et je m'épuise.
Mais... je m'obstine aussi. Depuis des décennies, depuis que j'ai décidé que j'y arriverais, je m'y remets chaque été. Chaque année en début de saison je me retrouve au bord du grand bassin absorbée, admirant rêveusement "le" nageur qui sait vraiment évoluer comme un poisson argenté, celui à qui j'ai envie de ressembler. Je tends l'oreille toutes les fois qu'un professeur donne une leçon à quelques mètres de moi, puis je vais laborieusement m'exercer et... je finis immanquablement par renoncer. Il y a même une année où j'ai insisté avec tant de détermination que j'ai fini chez un physio lequel m'a intimé l'ordre d'arrêter. Il en avait marre de tenter de soulager ma nuque blessée.
Et à chaque saison, en cachette, je retente. Sans grand succès. Mais hier, la dame qui faisait ses exercices à côté de moi s'est approchée. Tout doucement, en me priant de l'excuser. C'était une vieille dame que je n'avais pas vraiment remarquée. Elle m'a parlé avec gentillesse et m'a dit qu'elle avait été prof de natation dans un vie antérieure. Comme elle avait du tact, elle a commencé par me complimenter pour mon style. Puis elle a ajouté : mais... votre crawl... Et elle m'a dit : le coude, oui, mais le geste de la main qui plonge en avant doit être plus déterminé. Elle m'a montré. Le poignet penché, elle a simulé un avion en train d'atterrir. L'impulsion, l'orientation, l'intention.
J'ai alors essayé et... ça a marché. La dame a approuvé. Oh... je ne dis pas que c'est gagné. Mais j'ai senti comme un déclic. Alors, peut-être que dans une ou deux années...

lundi 7 août 2023

Vivre : des orages à l'infini

 

 
Été : saison des dissonances et des cris infinis. 
Savoir accueillir coups de tonnerre et embellies.

dimanche 6 août 2023

Vivre : le blues du mois d'août

 

 
Elle se plaint, morne plaine, désert infini, fermeture de sa boulangerie. Dans dix jours, elle recommencera à vitupérer contre sa hiérarchie, contre ses voisins du dessus et tous leurs bruits, contre la déferlante de messages avec leur lot de calamités, contre la difficulté à trouver une place à la fin d'une exténuante journée. Elle le sait. Elle le sait bien. Mais tout ce silence, toutes ces absences la contrarient.  Elle a tout juste la force de soupirer pour dérouler son insondable ennui.

samedi 5 août 2023

Vivre : still life / 135


Pas question de tuer. La réelle difficulté dans cette maison si proche de la forêt est de capturer, d'observer - rapides, fascinés - et de libérer. Cette après-midi-là, trois grillons curieux ont dû tour à tour se demander ce qui leur arrivait. Notre still life sur un coin de table  - le verre patient, la carte soumise  - devient durant l'été une turbulent life - bruissements échauffés, regards courroucés - jusqu'au moment de l'ouverture et de la liberté.


jeudi 3 août 2023

Lire : Fred... ou ordinaire ?

 

 
Nous avions rendez-vous à une terrasse. Sur la table, au lieu d'une tasse, j'ai trouvé la dixième aventure du commissaire Adamsberg. Rien ne pouvait davantage m'attirer. J'ai disparu pour le reste de la journée.

Ce dernier roman : certainement pas le meilleur, peut-être le moins bon. Il m'a fallu un peu de temps pour y entrer. Plutôt bavard, moins poétique, porté par des dialogues moins inventifs, utilisant les ficelles habituelles (personnages décalés, brouillards et fausses-pistes, affinités improbables, crimes fumeux résolus en un tour de main et phénomènes en apparence secondaires débouchant sur des noirceurs de la pire espèce). On eut dit que quelqu'un - un écrivaillon dépourvu d'imagination - s'était chargé de faire du Fred Vargas. Pâle imitation. Déception. Décollage poussif, donc, mais... il n'en demeure pas moins qu'un Vargas de moyenne tenue est toujours meilleur qu'un polar standard. J'ai fini par me laisser emporter.

J'ai alors peu à peu retrouvé le ton et le langage tellement personnels (on ne dira jamais assez l'importance de savoir extravaguer), la fine équipe (d'où émerge la musculeuse Retancourt, Violette pour les intimes), les rebondissements à la pelle. Fred Vargas, il n'y en a point comme elle. Dans celui-ci, les préoccupations écologiques, la tendresse pour toutes les vies sur terre sont plus que jamais présentes : hérisson salement amoché, puces en abondance, chats et chiens malmenés, taureau amadoué se prénommant Corneille. Sans compter un noble dolmen. On y apprend la nécessaire distinction entre les différents papillons de nuit : grand sphinx tête de mort, bombyx et noctuelles.
Il s'adossa à couvert contre une colonne et attendit. ça ne le gênait pas d'attendre, il était naturellement plus patient qu'un autre. [...] Une hirondelle au vol rapide entra dans le hangar, où elle avait sûrement son nid. Ce qui l'amena naturellement à l'étrange obsession de Johan en quête de l'hirondelle blanche. Pas si étrange, au bout du compte, il était bien lui-même tombé amoureux d'un hérisson. Mais son hérisson existait, au lieu qu'une hirondelle blanche était une vue de l'esprit. Il lui faudrait demander à Mercadet de vérifier s'il existait des hirondelles albinos. Et pourquoi pas ? Car enfant, avec son père, ils avaient croisé un merle blanc. Encore que le fait que Johan soit en quête d'une vue de l'esprit ne le choquait en rien. [p.195-196]
Même si un descendant de Chateaubriand fait partie des suspects et malgré la présence d'un fantôme à jambe de bois, l'intrigue n'est pas vraiment originale. Il arrive qu'on s'envole, que les répliques et les péripéties décollent, mais pas pour longtemps, pas au point de rester scotchée une nuit entière le nez entre les pages. Pourquoi ai-je tenu jusqu'à la fin ? Parce que je me suis remémoré le plaisir éprouvé il y a six ans en découvrant Quand sort la recluse sur une plage de Croatie. Fred avait encore une fois réussi à me surprendre. Je me souviens... le sable, la mer, les phrases, les surprenants acteurs, les étonnants enquêteurs, et moi sur mon île durant de longues heures à l'ombre du parasol, qui m'efforçais de ralentir la lecture, histoire de faire durer mon bonheur. 

Et mon tout premier Vargas, Pars vite et reviens tard, quelle joie, quelle indescriptible découverte! Vargas, c'était un style, une surprise, une friandise, un univers. Et, ensuite, étaient venus tous les autres, L'homme aux cercles bleus, Sous les vents de Neptune, Dans les bois éternels...
 
Voilà, Fred, voilà pourquoi je suis allée au bout de cette (bien) longue lecture. C'est sûr, il y a comme une usure, Fred, c'est certain, mais malgré tout je t'adore. Les meilleurs vignobles ont de bonnes et de moins bonnes cuvées. Du coup, je crois bien que je vais reprendre mes classiques et te revenir : quand il n'y a pas grand chose à découvrir, autant relire.

mercredi 2 août 2023

Vivre : paisibilité

 
Sant'Antonio di Ranverso / Piémont
 
 
Quelle que soit la réponse, une certitude : il existe une solution et le moyen d'y parvenir. 
 
 

mardi 1 août 2023

Voyager : jour de marché à Bra

 
 Fresques médiévales / Château d'Issogne / Val d'Aoste

Trois vieux sur un trottoir échangeant à propos de croisières et de cars.
Un homme s'apprêtant à traverser l'Allemagne attiré par le Danemark
(se procurant toutefois de quoi gaver toute sa smala avant son départ)
Deux dames faisant refaire leur couleur pour jouer les élégantes le soir.
Le fromager absent pour quinze jours, le maraîcher peinant à vendre ses poires.
Août : mois sacré en Italie. Tout ralentit. Tout se met en sourdine. Tout s'assoupit.
Seule option : racheter des bocaux, rafler toutes les tomates et s'offrir un Campari.