mardi 31 janvier 2017

Vivre : Still life / 9



La vie, c’est maintenant,
chaque instant devenant précieux 
par la conscience que :
 Mister C, la mort, la perte, l’usure, l'oubli existent.
La vie, c’est maintenant. 
Ou jamais.

lundi 30 janvier 2017

Vivre : le bon thon


Nyhavn /Copenhague / 2015

La ville nous avait souri et nous suivions béats l’autoroute galonnée d’arbres pour le moins créatifs.
 Vivement tancées par les flocons, les voitures avançaient comme des écolières trop dociles. 
Les essuie-glaces s’agitaient allegro presto. 
A contretemps, le sandwich en faisait tout autant.

dimanche 29 janvier 2017

Lire : *c'est quand la date de péremption, pour arrêter de jouer?*

Berlin / 2012


Petite, elle voulait être chanteuse-écrivain-photographe-voyageuse. Elle l’est devenue.
Elle maîtrise d’art du dilettantisme décomplexé. (Pourquoi veut-on toujours nous mettre dans des cases, alors que l’enthousiasme de l’amateurisme nous pousse à oser?)
Elle est ouverte, drôle, créative, directe, souriante, avec un air de fille de la porte d’à-côté.
Elle est légère et profonde tout à la fois.
Elle en appelle à Brel et à son « talent pour être vieux sans être adulte ». Elle provoque des discussions autour de la notion d'âge adulte, de jeu, d'envie. 
Elle a réalisé très vite qu’il ne lui restait pas 60 ans pour réaliser ses rêves d’enfant, qu’on peut « vieillir sans ternir » : «  Moi, j’espère que devenir adulte, c’est pas forcément ne plus être une enfant. J’espère qu’on peut vieillir sans ternir, sans s’interdire tout ce qui n’est pas sérieux, sans renoncer… » (extrait de :«Ne parle pas aux inconnus »)
Elle interpelle notre enfance, nous invite à vivre nos rêves, ou à dépoussiérer ceux qu’on a oubliés. Elle nous incite à aimer nos échecs et à oser.
Elle apporte un grand souffle de liberté et fait partie de ces gens qui vous amènent à considérer tout ce qui est possible avec fluidité.

La vidéo du TEDxLille présente le souffle vivifiant des mots, des paroles et de photos de Sandra (on a vraiment envie de l’appeler par son prénom) :



YOU TUBE / Sandra Reinflet / TEDxLille / 2014

Les quatre publications de Sandra Reinflet :

**Same same but different / éditions Michalon (= rencontre à travers le monde de 81 femmes qui sont nées comme elle en 1981 et qui ont osé mettre en route leurs projets)
**Je t’aime [maintenant] / éditions Michalon (= 24 photos et textes pour évoquer les histoires d’amour qui l’ont marquée)
**Qui a tué Jacques Prévert ? / éditions la Martinière (= reportage sur les souvenirs de son ancienne école, à partir du bâtiment retrouvé complètement à l’abandon)
**« Ne parle pas aux inconnus » / éditions J.C. Lattès (= son roman paru tout dernièrement)


samedi 28 janvier 2017

Lire : Peire et Pier Paolo

Ernest Pignon-Ernest / Naples / 2015
(qu'est-ce qui lui a pris d'aller coller sa belle affiche sur Spaccanapoli ? il faudra que je me renseigne)

Ab l'alen tir vas me l'aire
Qu'ieu sen venir de Proensa!
Tot quant es de lai m'agensa,
Si que, quan n'aug ben retraire,
Ieu m'o escout en rizen
E.n deman per un mot cen:
Tan m'es bel quan n'aug ben dire.
Je me remplis de cet air
Qui me vient de la Provence.
Tout en elle est réjouissance
Et si quelqu'un en est fier
Je l'écoute en souriant ;
Pour un mot j'en voudrais cent
Tant j'aime l'entendre dire.**

C’est fou ce que j’aime ces vers de Peire Vidal (documenté entre 1170 et 1205). Leurs sonorités me rappellent celles de mon enfance. Alors, je me les répète à haute voix, certains jours, le cœur plein de joyeuse nostalgie, en sillonnant la campagne. J’ignore si je les prononce bien, mais ils m’enchantent.

En exergue de son ouvrage de poésie, La meglio gioventù, qui rassemble ses poèmes en langue frioulane, P.P. Pasolini cite les trois premiers vers de Peire. Il voulait sans doute par là se référer à la nostalgie éprouvée pour le Frioul, où il avait vécu avec sa mère, originaire de cette terre. Une terre mythifiée, devenue une sorte de paradis perdu après qu’il avait dû la quitter brutalement au début des années 1950, suite à son exclusion du PC et son interdiction d’enseigner pour cause de « mœurs dissolues ».

PPP avait fondé après la guerre avec quelques amis à Pordenone une académie de la langue frioulane (l’Academiute di lenga furlana). Il entendait rendre hommage à cette langue maternelle, parlée par des paysans, valoriser ce langage populaire contre l’italien, langue du père, langue du fascisme et de la dictature.

Il composait des vers simples, avec des mots puisés dans la vie quotidienne, prononcés par des voisins, des gens du peuple autour de lui. Par le biais de sa poésie, il transformait en mots écrits ce qui n'avait été jusque là que sons. Et, parcourant la campagne, il distinguait les différents dialectes, selon le village où ils étaient parlés.

Pasolini était un personnage complexe, aux multiples facettes (qui a eu, apparemment, bien plus d’amis et d’admirateurs après sa mort que de son vivant). Il y a le Pasolini politique, le Pasolini cinéaste, le polémiste, et même le peintre. Mais il était avant tout, je crois, un poète. Ses écrits vernaculaires le montrent à la fois tourmenté et candide, doux et violent, au cœur de ses vingt ans . Ce qui est remarquable, c’est que l’année précédant sa mort, en 1974, il avait repris certaines de ces poésies de jeunesse pour en redonner différentes versions. A lire ses variantes, on comprend à quel point la poésie est faite de travail et d'exigence.

Tiré de El testament Coràn :


Mi contenti
Ta la sera ruda di Sàbida
mi contenti di jodi la int
fór di ciasa ch’a rit ta l’aria.
Encia me cór al è di aria
e tai me vuj a rit la int
e tai me ris a è lus di Sàbida.
Zòvin, i mi contenti dal Sàbida,
puòr, i mi contenti da la int,
vif, i mi contenti da l’aria.
I soj usàt al mal dal Sàbida

Je me contente
Dans le soir dépouillé du samedi
Je me contente de regarder les gens
Qui rient dans l’air devant leurs maisons.
Mon cœur aussi est fait d’air
Et dans mes yeux il y a le rire des gens
Et dans mes boucles il y a la lumière du samedi.
Jeune, je me contente du samedi,
Pauvre, je me contente de ces gens,
Vivant, je me contente de cet air.
Je suis habitué à la souffrance du samedi. (trad. libre)


**Site : http://trobadors.free.fr/ traduction de Denis Vanderhaeghe / n’étant pas une spécialiste de la littérature médiévale, je ne saurais dire si cette version est la plus adéquate, mais elle m’a paru la plus harmonieuse à lire.


vendredi 27 janvier 2017

Vivre : la traversée de l'hiver / 2




Cet hiver n’a pas commencé en hiver. 

C’est un jour d’avril, il y aura bientôt deux ans, que j’ai trouvé le message de ma sœur, envoyé depuis les urgences. Quelque chose s’était sérieusement déréglé dans le corps et dans l’esprit de notre mère. Elle est restée plusieurs semaines à l’hôpital, un hôpital immonde, perdu dans la campagne, aux lourdes portes fermées, où les yeux figés des pensionnaires semblaient remplis de terreur ou de menace. Qu’a-t-elle pu vivre qui ait rompu l’équilibre précaire de sa vieillesse plaintive ? J’essaie encore de me l’expliquer. J’imagine qu’il s’agissait d’une sorte de burn out gériatrique. Je visualise un pétage de plomb dans un cerveau déjà fragilisé.

Parmi les choses fondamentales que l’on ne nous apprend pas et qu’on doit acquérir sur le tas : être parents et devenir les parents de nos parents.
Et ces deux exigences de détachement (accompagner vers l’autonomie et accompagner dans la perte inéluctable) peuvent être terribles. Simplement : terribles. Sauf que sur le chemin de l’autonomie, on a l’espoir de s’engager vers la sortie du tunnel, tandis qu’en fin de parcours il semble qu’on s’enfonce, lentement, à tâtons, dans le noir.


Les lundis soir, immanquablement, j’échoue essoufflée, démoralisée sur le quai numéro trois. Un vrai Picasso période bleue qui ne demande qu’une chose : fuir vers cet endroit limpide où les oiseaux sont heureux. Où il est possible de reprendre souffle pour assurer la suite.

jeudi 26 janvier 2017

Vivre : je grippe, tu grippes, il...




Il y a les jours bleus, qui deviennent de plus en plus sombres.
On éternue. On tousse.
Puis il y a les jours gris, de plus en plus gris.
Anthracite jusqu’à devenir noirs.
On frissonne. On se met au lit.
A la fenêtre, on voit par intermittences le ciel qui compatit.
Pour finir, un jour, on décide que quelle que soit la couleur, on se lèvera.
Dans le miroir, on contemple le désastre : teint blafard, cernes impitoyables, mine défaite.
On tient quand même bon et on se décide à partir nager.

Et on commence à émerger. 

mercredi 25 janvier 2017

Ecouter : *la liberté ne se gagne pas sur les autres, elle se gagne sur sa vie*


Grand froid

Médecin-explorateur, passionné de montagne et de navigation, défenseur obstiné des droits de notre planète, Jean-Louis Etienne est l'invité de l'émission A voix nue  toute cette semaine.
Ce qui frappe dans sa trajectoire, ce sont les diverses difficultés qu'il a eu à franchir. Issu d'un milieu très modeste, dyslexique, timide, il est parvenu à écouter ses rêves et à les réaliser l'un après l'autre. A l'écouter, ça paraît assez simple : le propre des obstacles n'est pas d'empêcher, mais de stimuler les réponses pour les surmonter.
Lui qui a commencé par faire une formation technique avant de se diriger vers la médecine, parle des instituteurs qui avaient de l'ambition pour leurs élèves, qui allaient "chercher en eux quelque chose les poussant à se dépasser".(Ah l'importance des attentes et des  regards sur une personne!)
"La pédagogie, c'est donner à l'autre l'envie. Avec l'envie, on va loin."
Il ajoute : "Les enseignants devraient faire au moins une année de théâtre". "La passion, c'est comme le feu, si on n'y met pas des bûches, ça s'arrête. La voie du rêve n'est pas forcément la plus simple."
Géniale, cette voix claire, enthousiaste, motivée. Une voix stimulante comme un bon froid d'hiver.


mardi 24 janvier 2017

Vivre : still life / 8


EinLaden* = inviter
En deux mots = un magasin.
C’est là que j’ai trouvé ce torchon grand luxe :
Du pur coton, aux trames grises, blanches et noires,
pour un nettoyage classieux.
Mon luxe est fait de ces petits riens,
fabriqués dans les ateliers des institutions psychiatriques.
A réaliser un si bel objet,
il y a de quoi retrouver l’équilibre.
En tout cas, il contribue au mien.


*Rathausgasse 70, 3011 Bern

lundi 23 janvier 2017

Habiter : élagage


Biblioteca / Fondazione Cini / Venezia

En matière d'habitat, lumière et espace sont mes deux priorités.
Idéalement, les meubles seraient réduits à l’essentiel :
Un lit, un divan, une table, quelques chaises.
Quelques objets essentiels.
Et juste la lumière dansant dans l’espace.
Mais voilà : je ne suis pas seule à vivre dans cet endroit.
De plus, mes goûts se heurtent à une société
qui inocule obstinément le virus du manque.
Il me faut composer avec cela.
Dur combat.
Alors, régulièrement, et toujours en janvier,
j’opère une razzia, je traque les intrus.
Résultat :
Les sacs qui attendent résignés devant l’entrée.

dimanche 22 janvier 2017

Vivre : arrêt sur image


Les vagues figées loin des rives.
Pas besoin de consulter le moindre site : il suffit de regarder le lac blêmir de jour en jour pour connaître les températures.


samedi 21 janvier 2017

Voir : parfois, une page blanche présente plus de possibilités…


Photo tirée du film
I love variation and repetition in poetry. I love repeated things, whether it is in Bach or Andy Warhol. I wanted to make a film of little structure: a metaphor of each day. Every day is a variation of the day before.”  
Jim Jarmusch
Le film « Paterson », c’est…
Une petite ville dans le New-Jersey, qui s'appelle...
Un recueil de poèmes de William Carlos Williams, qui s'intitule...
Une semaine dans la vie d’un conducteur de bus, dont le nom est...
La vie d’un couple heureux avec (petites) histoires
Barton, leur chien vorace
Un jeune poète qui ne se prend pas la tête 
et une jeune femme avec des rêves en noir et blanc
Un nombre impressionnant de jumeaux surgissant dans tous les coins
La suite des jours qui se suivent et ne se ressemblent qu’en apparence
La banalité qui reçoit ses lettres de noblesses
Le désolant destin d’un calepin
Le petit cadeau bienvenu d’un touriste japonais tout à la fin.
« Paterson », c’est un film où il ne se passe pratiquement rien.
Un délice pendant deux heures.


The RUN
I go through / trillions of molecules / that move aside / to make way for me / while on both sides / trillions more / stay where they are. / The windshield wiper blade / starts to squeak. / The rain has stopped. / I stop. / On the corner / a boy / in a yellow raincoat / holding his mother's hand.
Poème de Ron Padgett (auteur de la plupart des vers écrits par le personnage dans le film).

vendredi 20 janvier 2017

Vivre : conduite dangereuse



Ce matin, le merle était tellement affamé, tellement acharné sur son bout de pain au milieu de la chaussée, qu’il a failli passer sous mes roues.

jeudi 19 janvier 2017

Vivre : les mots miroir


G. Bellini / Jeune femme à sa toilette / KHM / Wien

A mesure que le temps passe, je retiens des gens qui ont traversé ma vie une seule phrase qu’ils ont prononcée. Leur visage se fait flou, les traits s’estompent, mais la phrase reste, souvent plus marquante que la personne en question.

Mon premier chef : « Méfiez-vous de votre première impression : c’est souvent la bonne »
Un collègue qui se prénommait Michel : « C’est tellement plus beau quand c’est inutile »
Un autre, qui n’était au demeurant vraiment pas marrant : « Il faut aller des choses qu’on voit et qui n’existent pas aux choses qui existent et qu’on ne voit pas. »
Un agent immobilier en Italie : « Comprare una casa, significa iniziare una nuova vita (Acheter une maison signifie commencer une nouvelle vie) »
A., un auditeur à l’université : «Quoi que tu fasses dans la vie, balayer les rues, diriger ou soigner des gens, quoi que tu fasses, fais-le bien. »
Le Pr Th. dans son cours d'introduction à l'art contemporain : « Exposer, c'est s'exposer»
Le Dr M., homéopathe : « Debout, face au soleil, ou couché dans la boue, un être humain reste toujours fondamentalement ce qu’il est. »
Madamoiselle de M., une sacré peau de vache, à propos de mandats de curatelle que nous devions assumer: « Souvenez-vous : qui peut le plus peut le moins. »

Et puis, il y avait cette jeune femme, qui aimait citer cette phrase, trouvée dans un livre de Thérèse Bertherat : « Être, c’est ne jamais cesser de naître. », je me demande ce qu’elle a bien pu devenir, cette jeune femme-là ?

mercredi 18 janvier 2017

Vivre : la traversée de l'hiver


Je n'ai jamais aimé les lundis et surtout pas ceux-ci.
De dame de compagnie, comptable, secrétaire, je suis passée pédicure, manucure, livreuse de repas, coursière. Et me voici enfin femme de ménage, homme à tout faire…
Comment trouver une occasion de grandir dans ce jeu de l’échelle barbare qui prévoit la dégringolade bien en-dessous de la case départ?
Sur ce chemin qui conduit de perte en perte, je me raccroche aux classeurs comme à des bouées. Je trie, je traite. Je récure les sanitaires comme si ma santé mentale en dépendait. J'écoute et je décode les mots pour les remettre à leur place.
J’apprends la délicate compétence qui consiste à sembler suivre les conseils tout en prenant les initiatives qui s’imposent. Je veille à ce que le peu d’ordre retrouvé paraisse naturel et ne donne lieu à aucune sorte d’humiliation.

En fin de journée, l’appartement, désolant radeau, est toujours un peu plus propre qu’à mon arrivée. Les papiers, la vaisselle sont rangés. Les rendez-vous dans l’agenda entourés, le semainier contrôlé. Mon cœur déboussolé.


Apprentie malhabile, aime ou fais ce que tu dois. Ne cherche pas où est passée ta joie.

mardi 17 janvier 2017

Voyager : banque d'images


Il mondo diHan Meilin / Ca' Foscari / Venezia

D'abord, il y a eu les jeunes vendeuses de chez B., joyeusement débordées et disponibles.
Et puis la femme, la femme sur la Piazza, qui jouait à l’avion avec son enfant, ses bras à l’oblique, qui montaient qui descendaient sous les étoiles, dans la nuit déjà noire, cette femme-là, son énergie rieuse, je ne suis pas près de l’oublier.
Le lendemain, ce sont les œuvres protéiformes de Han  Meilin qui m’ont fait le même effet : ses animaux peints à l’eau, ses sculptures en bronze, ses théières rigolotes, ses chaises faussement classiques, un monde de créativité et d’apaisement. Je suis restée subjuguée par la vidéo présentant son musée à Yinchuan, l’architecture comme œuvre enchâssée dans un paysage. 
Riche de ces images, telles des traces à suivre, 
rentrer revigorée, dynamisée, ouverte à des possibles…

lundi 16 janvier 2017

Voyager : tea time


Tétrarques (détail) / Palazo ducale /Venezia

La terrasse, avec vue sur le canal de la Giudecca, ne manque pas d’élégance. Cette clientèle doit valoir parfois des pourboires surprenants. Il dit : Oui. Un simple thé ? Naturellement et veille à ce que nous disposions de couvertures.
Une scène très ordinaire.
Quelques minutes plus tard, c’est avec la même sollicitude que je l’entends expliquer à un migrant transi le chemin le plus court pour se rendre à l’hôpital. Il regarde l’homme droit dans les yeux, prend le temps d’être clair, de répéter lentement.

C’est par des détails infimes, que se révèle la classe.

(Autre terrasse plein sud le lendemain après-midi. Le garçon désigne du menton un jeune couple coréen. «Ceux-là veulent leur commande. Dépêche !»)


Idem pour la vulgarité, naturellement.

dimanche 15 janvier 2017

Lire : Sirat Al-Bunduqiyyah



En matière de BD, je ne suis pas très Corto, même si le trait N/B délié de Pratt est un régal. Cependant j'adore offrir aux gens que j'aime "Fable de Venise", un mélange déroutant de réalité et de rêve.
Dans l'intro, Pratt évoque sa grand-mère maternelle Genero, d'origine sefardo-marrane, leurs visites au ghetto durant son enfance, les biscuits sans sel de leur hôtesse, Mme Bora Levi, dont le nom s'est retrouvé après la guerre sur une plaque commémorative à la Schola Espanola. Il se souvient de son attrait irrésistible pour les jeux dans des lieux remplis de mystère, en compagnie de "filles aux sourires inquiétants, à l'ombre dorée des greniers".
Dans l'histoire, il y a des scélérats, des chemises noires, des complots, des chats captivés. A la fin, heureusement, notre héros s'en sort avec son habituelle désinvolture et l'on découvre que tout est théâtre:
TOCK! TOCK!
- Qui est là ?
- Corto Maltese. Je quitte cette histoire de "Sirat Al-Bunduqiyyah" et je demande à entrer dans une autre histoire dans un autre endroit.
Les acteurs ont quitté la scène. La cour est déserte. Mais deux chats, eux, sont toujours là.

samedi 14 janvier 2017

Vivre : still life / 7





Dans une interview parue dans le journal Elle il y a des années, l’écrivain Siri Hustwedt racontait une de ses journées type en disant «Le quotidien est une bénédiction.» 
Sur le coup, j’avais trouvé cette remarque guindée, empreinte de protestantisme.

Maintenant peut-être que je la comprends. 

vendredi 13 janvier 2017

Manger : la simple cène


Marco Marziale / La Cena in Emmaus / Accademia / Venezia

- Tu entends?
- Non. Quoi?
Justement. Rien.
Rien de spécial.
Pas de radio locale, pas de télévision.
Pas de crooner et de musique glucose.
Pas de printemps ni d'été.
Et pas de techno, naturellement.
Rien que le cliquetis des couverts contre la vaisselle.
Quelques échanges, un rire.
Un toussotement 
Le serveur interrogatif apportant les plats.
Les échos du travail en cuisine.
Les  voix des passants au-dehors.
Un simple lieu où l'on vient déguster
en agréable compagnie.
Rien de plus. 
Étonnant.



jeudi 12 janvier 2017

Voyager : atterrir






Il y a à Venise des lieux secrets et magiques, des cours cachées, des madones qui sourient au fond de sombres églises, il y a des chats alanguis et des lions immobiles, et des échoppes où se vendent des nectars blonds et pourpres qui font faire de jolis rêves, il y a des miroirs qui clapotent, et tout au fond d'un palais glacé, une chambre où grelottent nos pieds et tremblent nos paupières.

dimanche 8 janvier 2017

Voyager : avec du recul



Prendre de la hauteur
ou prendre le large,
c'est, au fond,
verticalement
ou horizontalement,
la même chose. 
Et toujours dans le bleu
(de ses yeux).

samedi 7 janvier 2017

Manger : la soupe de janvier



Trois belles carottes
Un oignon (ou deux)
Une orange
Un grand verre de bouillon de légume
Une demi-tasse de crème légère (ou de lait de coco)
Une cc de curry (comme on l'aime)
Du piment en poudre (à volonté)
Du sel

Faire cuire les carottes et les oignons dans le bouillon.
Mixer le tout. Ajouter le curry, le piment et le sel.
Retirer du feu. Verser le jus de l'orange et la crème.
Et...
le tour est joué.

vendredi 6 janvier 2017

Regarder :en toute intimité



Si « Journal intime » est un de mes films-culte, c’est à cause de scènes comme celle-ci :

Sa cosa stavo pensando? Io stavo pensando una cosa molto triste, cioè che io, anche in una società più decente di questa, mi ritroverò sempre con una minoranza di persone. Ma non nel senso di quei film dove c'è un uomo e una donna che si odiano, si sbranano su un'isola deserta perché il regista non crede nelle persone. Io credo nelle persone. Però non credo nella maggioranza delle persone. Mi sa che mi troverò sempre d'accordo e a mio agio con una minoranza... 

Vous savez à quoi j’étais en train de penser? J’étais en train de penser à une chose très triste, c’est-à-dire que moi, même dans une société plus acceptable que celle-ci, je me retrouverai toujours en accord avec une minorité d’individus. Mais pas dans le sens de ces films où on voit un homme et une femme qui se détestent, s’entredéchirent sur une île déserte parce que le réalisateur ne croit pas en l’être humain. Moi, je crois en l’être humain. Mais je ne crois pas en la majorité des êtres humains. Je pense que je me retrouverai toujours en accord et à mon aise avec une minorité de gens… (traduction libre)


jeudi 5 janvier 2017

Voyager : au long cours...


Rembrandt / La Fiancée Juive (détail) / Rijksmuseum / Amsterdam


Il y a vingt-cinq ans, j’avais suivi une formation avec un thérapeute de famille, qui était venu nous parler du mariage. Je me souviens encore – à peu de choses près – de ses mots pour entamer le sujet:
Un mariage qui dure, ce n’est pas une longue ligne droite, pas un voyage ronronnant, c’est une suite de crises, de divorces et de remariages. Moi-même, là, après trente ans, je viens tout juste de me remarier avec ma femme….
C’est vrai qu’il faut être fou, givré, niaisement romantique, inconscient, taré, ou atrocement conformiste, pour s’imaginer pouvoir passer toute sa vie embarqué dans un genre de croisière, auprès d’une personne choisie à un moment donné, simplement par le fait d’un contrat et d’une ferme intention initiale.
Avec le temps, j’ai acquis moi-aussi, comme le thérapeute, ma petite expérience et je confirme : pas de routine possible, pas d’ennui au fil des jours qui se suivent et se ressemblent. Pas de traversée plan plan, Et pas de plan retraite du côté du cœur.
Un couple qui dure est sans cesse placé sous le signe du défi. (Je repense du reste régulièrement à la citation basique : Un mariage, c’est résoudre à deux des problèmes qu’on n’aurait jamais eu si l’on était resté seul. On ne saurait mieux dire.)

Le concept est assez simple : Il s'agit de garder à l’esprit chaque jour que rien n’est acquis. On se quitte le matin, on se retrouve le soir. Et durant cette journée, il s’est passé, pour l’un comme pour l’autre, des expériences, marquantes ou pas. On porte donc chaque soir sur cet autre qui rentre un regard de débutant, un regard neuf. Penser pouvoir connaître vraiment une personne relève d’une illusion optique. Un peu comme une de ces boules miroir à facettes dont on ne fait jamais le tour, l'autre doit sans cesse être envisagé sous un angle nouveau. La seule chose stable reste l'intérêt pour le sujet (é)mouvant.

Ce concept nous a amenés assez vite à l'idée du contrat reconduit annuellement. Début janvier, on se retrouve autour d'une belle table. On fait un bilan, on discute des problèmes, des réussites, des challenges à venir. Et à la fin, on décide : oui, non, peut-être ? Il y a eu quelques années « peut-être », des années trois mois à l'essai. Mais jusqu'ici, le cœur nous en a toujours dit.

Alors, on part se remarier. On va se redire « oui » sans témoins, dans une petite église différente à chaque fois.  Mariés civilement, non croyants, nous avons besoin de la sérénité de ces lieux désertés, où la buée de nos serments tremble dans la pénombre.

Etant, fondamentalement, benêts et romantiques, la cérémonie a lieu chaque année à Venise, au plus froid de l’hiver. On a fini par connaître pratiquement toutes les églises de la Sérénissime. Et on l’a visitée par tous les temps : giboulées, neige, pluie, brume, acqua alta, soleil pâle ou insolent.

Cette année, il a annoncé qu’il aimerait faire bénir notre union (sic !) par le curé de la paroisse où a été baptisé Vivaldi (ayant fait sa connaissance l’an dernier, il l’a trouvé très jovial). Lui, l'ex militant d’extrême gauche, l’athée convaincu ! On verra ça… En attendant, je me réjouis de retrouver la lagune. Je me languis de l’air du large, de ces vents qui remontent d'Afrique ou descendent des Alpes, maestrale, scirocco, tramontana, bora, et d'inspirer à pleins poumons...

Quant à savoir si cette année, ce sera "oui", "non", "peut-être", il me reste encore quelques jours de réflexion...

mercredi 4 janvier 2017

Vivre : let it be / 11




Elle fait la gueule
A ses voisins de gauche, à ses voisins de droite.
Et les croise en regardant droit devant.
Elle fait la gueule.
A ses voisins d’en haut (nous)
Parce qu’on n’a pas tenu compte de sa demande 
et laissé notre prairie être une prairie sans y planter des fleurs  « jolies ».
Elle fait la gueule.
Parce que les choses ne sont pas comme « il faudrait ».
Elle fait la gueule.
Parce qu’on n’écoute pas ce qui « devrait ».
Elle fait la gueule
Quand elle part se promener tout envisonnée .
Elle fait la gueule. Mais !
Elle a déposé dans notre boîte une carte de Noël (le 29 novembre)  :
Chers voisins,
Comme nous partons pour quatre semaines aux Seychelles,
nous ne pourrons pas être là à temps pour vous adresser nos vœux,
alors nous vous écrivons maintenant...

Ayant d’autres choses en tête, 
on a oublié de lui répondre, alors…
Elle fait la gueule.

mardi 3 janvier 2017

Vivre : les instants-bulle




En lisière de forêt,
un renard passait furtivement.
Sur la terrasse,
Un enfant coursait des bulles de savon.
Contre le mur,
Son regard innocent,
confiant
suivait les bulles et l’enfant.

lundi 2 janvier 2017

Voyager : musée fermé le 1er janvier




Rouler en silence.
Regarder à droite, regarder à gauche.
Les champs comme d’immenses toiles de Rothko
déroulées dans le paysage.
Et les corbeaux en guise de feuillage
Dans les vaillants bouleaux . 

dimanche 1 janvier 2017

Vivre : A l'aube humer la forêt...


Venezia / 2009


A force, n'a-t-on pas tendance à oublier
 que ces lettres,
ce sont celles d'un jeune poète?

"Si votre vie quotidienne vous paraît pauvre, ne l'accusez-pas; accusez-vous plutôt, dites-vous que vous n'êtes pas assez poète pour en convoquer les richesses. 
Pour celui qui crée, il n'y a pas, en effet, de pauvreté ni de lieu indigent, indifférent."
R.M.Rilke


Vision 2017: 
qu'elle soit une année d'ouvertures et de richesses.
Et ces deux mots-panier : "ouvertures" et  "richesses"
les remplir
avec discernement.
Être comme ce merle,
à peine visible dans la semi-obscurité
qui s'obstine à picorer le sol gelé.
"Si seulement nous avions le courage des oiseaux..."
Les (jeunes) poètes ont toujours raison.