mercredi 24 janvier 2018

Vivre : le serveur du caffè Pedrocchi




Il y a des êtres comme ça, qui illuminent le monde de leur cordialité. Il nous a reçus tout sourire dans ce café historique non dépourvu d’histoires au quotidien, monument classé et classieux, au centre du centre de la ville.

Contrairement à ses collègues du Florian, qui, à cinquante kilomètres d'ici, déposent devant vous leurs plateaux avec des mains gantées et des moues hautaines (tout en vous taxant de seize euros pour un English Breakfast), lui a les yeux qui brillent, s’inquiète de votre confort, vous prie de vous mettre à l’aise.

Près de la fenêtre : un couple de touriste anglophones termine son déjeuner en jouant les prolongations. Devant nous : trois Italiens élégants discutent d’affaires apparemment très complexes. A l'entrée, s'avance une jeune femme blonde, élancée, portant un manteau jaune à la coupe superbe; elle va s’installer dans un angle et commande une coupe de champagne pour accompagner son club sandwich. Un garçon et une fille, des écoliers dirait-on, sirotent un café après avoir déposé sur la banquette leurs sacs à dos monstrueusement bombés.

Il arrive avec nos théières, accompagnées d’une assiette de cantuccini encore tièdes et d’une bonbonnière en cristal contenant des biscuits frais du jour (petites attentions de la maison). Il nous confie qu’il partira dans quelques jours en train de Venise à Vienne (une ligne spéciale vient d’être inaugurée). On l’imagine heureux de partir (mais on l’imagine tout autant heureux de raconter son aventure quasi Orient-Expressienne à son retour). Le couple de touristes commande un dernier tramezzino en feuilletant son guide avec attention. La jeune femme se penche sur son téléphone.

Nous le complimentons pour la saveur des biscuits : il va immédiatement quérir le pâtisser pour nous le présenter. Un peu gênés, nous réitérons nos compliments. Le jeune homme dûment toqué rosit, comme ses macarons à la framboise. Nous faisons mine de partir. Le serveur s'exclame : de grâce, que nous restions juste un instant encore, le temps que le jeune écolier s’installe au grand piano à queue trônant devant la porte et nous joue un petit quelque chose. Nous avons droit à la première Gymnopédie (fort bien interprétée, ma foi). Puis à un morceau de Mozart (en avant-goût du voyage autrichien probablement).

Nous apprenons que l'adolescent est un excellent élève du Conservatoire et, à ce titre, autorisé à venir s’exercer de temps à autre sur ce magnifique instrument. Grazie! Complimenti! Le couple de touristes applaudit. Nous aussi, naturellement. L'aspirant soliste est ravi. La jeune femme blonde passe un mouchoir sous ses paupières humides (un amant infidèle, peut-être ? quelque obscure nouvelle ? ou alors, un souvenir sensible lié à Satie ?). Les trois Italiens se lèvent, ils semblent avoir enfin trouvé un accord, influencés sans doute par ceux du piano. Quant à nous, repus, adoucis par la musique et les biscuits, nous partons vers les fresques de Giotto, suivis par les notes, par la bienveillance du serveur, ses vœux et sa resplendissante bonne humeur.

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