lundi 28 avril 2025

Regarder : d'esquisse en esquisse

 
 

Le mois d'avril est en train de s'achever et j'ai adoré ces journées écoulées : quelles qu'en aient été les turbulences, j'avais l'impression que Pâques et ses vacances avaient pris toute la place. Je me sentais en congé. J'écoutais chanter les oiseaux, je les écoutais vraiment, et longuement. J'observais les arbres devenir d'heure en heure toujours plus verts. Je contemplais les fleurs et leur flamboyante modestie. Je n'avais qu'une envie : continuer de vivre ce printemps magique pendant des mois et des années. 
Maintenant l'heure est venue de partir en voir ailleurs de toutes les couleurs. Me faire la malle pour ouvrir un coffre rempli de dessins. M'en aller à la découverte, zigzaguer entre divers artistes. Me projeter une belle entrée dans l'été.
 

dimanche 27 avril 2025

Lire : un livre pour deux autres

 

 
Cette fois-ci je m'étais préparée inhabituellement à la lecture du dernier livre de Deborah Levy : je m'étais procuré le livre en anglais ainsi que la version française qui vient de sortir en avril. Je me proposais d'avancer ainsi en bicanal chapitre par chapitre, en dégustant cette histoire dont le résumé m'était apparu comme très prometteur : une femme en rupture, une pianiste virtuose part (ou plutôt : s'enfuit) après un concert raté, se dirige aux quatre coins de l'Europe pour surmonter son humiliation et tenter de reconstituer le puzzle de son identité.
De quoi en écrire des montagnes, sur des pentes dévalées, des sentiers escarpés et des précipices, et sur de pénibles, voire de jubilatoires remontées. Ce faisant, inviter peut-être les lecteurs/trices à solliciter leur propre mémoire de ces grands huit dans lesquels vous entraîne parfois la vie. Qui n'a pas touché le fond au moins une fois, qui n'a pas eu le bleu à l'âme et le rouge au front avant de devoir affronter de fondamentales remises en question ?
Hélas, l'écrivaine n'a rendu avec Bleu d'août qu'un décevant reflet de ses précédents récits, dont sa remarquable trilogie autobiographique. J'ai failli abandonner la lecture avant la centième page, mais j'ai tenu bon, en me disant que le meilleur resterait pour la fin, et ce fut effectivement le cas, mais...
Je retiens une nouvelle fois la leçon : ne jamais devenir fan absolue d'un artiste ou d'un écrivain. Jamais. Remettre à chaque fois l'admiration en jeu et réévaluer à chaque fois ce que l'auteur fait de son talent.
Deborah Levy déploie brillamment son style original, imagé, allégorique, coloré, son écriture constituée de métaphores, de détails impromptus, d'incidents percutants. Elle déroule son histoire avec brio, mais cette histoire tient mal la route, même si sa copie contient tous les ingrédients en vogue aptes à lui assurer du succès : un élève non-binaire qui place l'excellente traductrice au défi de poser correctement les "iel" et les "un.e"; un couple d'homosexuels masculins lorgnant sur des appâts féminins; une amie lesbienne dont la compagne couche avec trois autres femmes en parallèle; des locations saisonnières dont le code d'entrée va forcément être oublié à nuit tombée; la période post-confinement, avec ses masques et ses confusions.
La protagoniste se déplace en divers lieux pour donner deux ou trois leçons de piano à des adolescents mal entourés et peu motivés. A Paris, elle s'installe à la terrasse du Flore pour ses rendez-vous, elle se balade sur les quais de la Seine, elle mange des huîtres dans une brasserie de la Bastille. Entre lieux communs et images éculées, Déborah Lévy paraît se sentir dans l'obligation de jouer à la septuagénaire dans le coup. Distraite par ses captations de l'air du temps, elle en oublie de donner corps à la trajectoire de son héroïne.
D'expérience en expérience, on comprend mal l'évolution de notre soliste aux cheveux bleus (bleus comme les masques, comme les douleurs à l'âme, comme la Méditerranée), on saisit mal l'évolution de sa quête, ponctuée de rencontres avec une femme aperçue à Athènes, une sorte de double qu'elle ne cesse de croiser ensuite où qu'elle aille. Ce n'est qu'à la fin, au cours des derniers brefs chapitres qu'elle récupère le fil de son histoire, et nous celui du roman. 
"Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d'où tu viens" dit le proverbe africain. Abandonnée à la naissance, puis enlevée à ses parents nourriciers, adoptée par un maestro dédié à en faire une musicienne hors-pair, c'est auprès de ce dernier, en train d'agoniser en Sardaigne, qu'elle va pouvoir trouver le sens de sa trajectoire.
Je commençai par les sons de cloches du Concerto pour piano n°2 de Rach, puis passai à d'autres pensées et préoccupations musicales. Alors que les chats sauvages sifflaient et qu'une ambulance traversait la ville en trombe, j'annulai mes idées sur celle que je croyais être et laissai venir toutes les autres. C'était une espèce de commémoration, adressée non seulement à mon père-professeur, mais aussi à la virtuose qu'il avait créée.[p.188]

Ça me revint. Cette douleur en regardant les chevaux transporter le piano à travers le pré. D'une certaine façon, je savais que c'était le sien. Comment était-ce possible ? Comment savons-nous ce que nous savons. [p.205]

En passant de l'autobiographie à la fiction, l'écrivaine ne m'a pas vraiment convaincue. Mais, s'il est vrai que je n'ai pas trop apprécié ce roman, il a néanmoins une indéniable qualité : il m'a donné l'envie de relire "Le coût de la vie" et "État des lieux", deux livres qui dorment dans ma chambre et, ni une ni deux, je les ai emportés dans mes bagages pour m'en délecter.

samedi 26 avril 2025

Vivre : still life / 167

 

 
Durant des années, nous nous sommes rendus au Mercato dell'Antiquariato de Cherasco. Au début, c'était un marché qui rassemblait dans les ruelles Renaissance des antiquaires de tout le Nord de l'Italie, un rendez-vous à ne pas manquer en avril, septembre et décembre et je garde encore précieusement deux ou trois pièces trouvées là-bas. Puis, avec le temps et d'autres priorités, on a passé notre tour. L'autre dimanche, quand on y est retournés, l'ambiance avait changé : les animations sont désormais mensuelles, nettement moins d'antiquaires, beaucoup plus de brocanteurs improvisés, déversant en vrac le contenu de greniers débarrassés ou présentant comme restaurés de pauvres meubles inondés de vernis tape-à-l’œil. 
Ce matin-là, il crachinait. La météo devait avoir découragé pas mal de visiteurs. Il n'y avait pratiquement aucun étranger. Ce qui n'a pas empêché les gens du coin de passer faire un tour. L'atmosphère était festive. La clientèle du caffè La Lumaca débordait sous les arcades. Les familles s'interpelaient. Les conversations allaient bon train. Les ventes un peu moins.
Pour ma part, je n'attendais pas grand chose et je déambulais sans que grand chose attire mon regard. Il y avait pourtant cette envie qui me taraudait depuis un bout de temps d'un vrai miroir ancien à sertir de loupiotes pour le contempler le soir juste avant le sommeil. On a repéré deux ou trois modèles, dont les vendeurs exigeaient un prix délirant sous prétexte qu'ils vaudraient le triple dans leur boutique, ah ah. Soudain, je l'ai vu. J'ai su que c'était lui. On a demandé le prix. Le vendeur a annoncé un chiffre des plus raisonnables. Puis, d'office il a ôté vingt euros et on n'a même pas eu besoin de négocier. Son associé, un doreur à la retraite, nous a aidés à le transporter jusqu'à la voiture en nous parlant d'une vallée piémontaise peu fréquentée où il était né et en cheminant avec lui parmi les badauds on a tout à coup eu envie d'aller la découvrir cet été. Quand on a passé l'Arc monumental, l'homme a évoqué un voyage qu'il avait accompli à travers les montagnes de Chine et du Tibet, un périple qui l'avait délesté de 15 kilos en quelques semaines. On l'a salué en se promettant de le revoir un de ces prochains dimanches à Nizza Monferrato. 
Maintenant, le vénérable miroir est là. Il proviendrait, nous a-t-on dit, de la région de Saluces, habitué sans doute à quelque intérieur bourgeois, mais, pas maniéré pour deux sous, il s'est très bien adapté à notre bicoque lacustre. Il reflète l'air de notre temps, qui n'est pas vraiment un temps compressé ni stressé, et la nuit il aime se parer de lumière pour veiller sur notre coucher.
 

 

vendredi 25 avril 2025

Vivre : au jour levant dans la campagne assoupie

 
Madona dell'Umiltà / Masolino / Galleria degli Uffizi / Firenze
 
Plus émouvant qu'un arc-en-ciel : le soupçon d'une trace de sa présence... 

jeudi 24 avril 2025

Vivre : les vies mode d'emploi

 
Annuncio a San Zaccaria / Domenico Ghirlandaio / Cappella Tornabuoi/ Santa Maria Novella/ Firenze
 
Tout de même : le nombre de gens dont la vie mériterait un roman! 
Toutes ces vies qui n'ont pas trouvé leur écrivain, quel gâchis!
 
 
 

mercredi 23 avril 2025

Vivre : être au monde

 
Le retour de la Fête de la Madone de l'Arc près de Naples / Léopold Robert / MAHN / Neuchâtel
 

 Bien sûr, s'engager. Argumenter, soutenir, voter, donner et se donner.
Mais surtout veiller sur le monde, l'aimer et aimer le voir rayonner,
transformer en alchimistes de l'espoir tout ce qui peut être positivé.
 
 
 

mardi 22 avril 2025

Vivre : la contamination

 
L'Adoration des Bergers / Bartoldo di Fredi / Musée du Petit-Palais / Avignon
 
Les salmonelles, quelle expérience! Après une semaine de réveils incessants, monter comme des somnambules ouvrir la porte du jardin, attendre, redescendre à tâtons, enfin une nuit de huit heures d'affilée! quelle bénédiction! 

lundi 21 avril 2025

Vivre : le corps et ses raisons

 
Annunciata / Pittore toscano / Museo Nazionale San Matteo / Pisa
 
Elle affiche un visage pâle et une chevelure effilochée. Elle dit qu'elle vient de vivre l'enfer à cause d'une maladie que son médecin n'a pas su diagnostiquer. Des brûlures le long de son corps, des démangeaisons à perdre le nord. Quand on lui demande si elle a vécu des moments de stress intense avant que la maladie se soit déclarée, elle affirme que non. Un "non" sec et net. Autour d'elle, son appartement est astiqué, décoré selon la mode du moment, du turquoise, des slogans invitant au bonheur en anglais. Un lieu où aucun désordre n'est toléré. Une déco de pacotille pour une fille qui se méfie de ses sentiments. Seul son corps s'est permis de trahir cette belle organisation.
 

dimanche 20 avril 2025

Vivre : "sales petits bonhommes verts"

 
Banksy
 
Le mec, de l'autre côté de la rue, a hurlé des propos insultants. Faut-il répondre aux gens qui se sentent autorisés à déverser du fumier verbal sur des inconnus ? (encore qu'il peut être risible de se faire traiter d'étrangers dans son propre pays, avec les adjectifs qui sont généralement accolés à ce substantif). Non. Bien sûr que non. On n'a rien à répondre. Rien à rectifier. Rien à expliquer. Aucun motif à s'indigner. On n'est juste pas concernés. On laisse l'individu s'en aller retrouver sa vie. Avec tout ce qu'elle est en mesure de lui apporter. 

samedi 19 avril 2025

Ecouter : la sagesse des anciens

 
César / Musée Arles antique / Arles
 
Écouter une interview d'Erri de Luca est toujours une délectation. Avant-hier soir, invité à la Vingtième heure, il a évoqué un ami très proche, disparu il y a quelques années déjà, Gian-Maria Testa et il a dit à propos de leur relation : pour connaître quelqu'un, il faut avoir mangé un kilo de sel ensemble (la facétieuse Eva Bester lui a rétorqué : "pas durant le même repas, quand même!"). Cette expression, c'était  un dicton que répétait mon grand-père, qu'avait repris à son tour ma mère et que j'ai fait mien depuis longtemps.
C'est vrai qu'il faut du temps, un temps essentiel de partage, avant de pouvoir se dire amis, avant de pouvoir se faire confiance. L'amitié se tisse dans la constance, traverse des turbulences, se construit sur la durée. On est loin des amitiés comptées par milliers, des clics qui valent des claques, des déclarations pathétiques. Cela vaut pour les amitiés, mais aussi pour tout type de relation : c'est au long cours que  les gens se révèlent.
Toute de l'interview est un voyage d'une grande profondeur à travers les questions de langue, de justice et de légalité, de vieillissement. Le dernier livre d'Erri de Luca, coécrit avec Inès de la Fressange, s'intitule en italien "L'età sperimentale". L'écrivain explique à Eva Bester qu'il a pu se trouver des modèles dans sa jeunesse, mais qu'il n'en a aucun pour faire face à sa vieillesse. Personne ne l'a préparé à cette étape de sa vie. D'où la notion d'âge expérimental.
Première diffusion en mai 2024. Posologie : réécouter à volonté.
 

vendredi 18 avril 2025

Vivre : entre-deux

 
 

Le ciel hésite sans cesse. Entre éclaircies et orages, il déverse sur nos têtes des torrents de lumière et de pluie. Le paysage verdit jusqu'à l'absinthe et le pistache. Le lilas et la glycine s'élancent sur les façades et ne ménagent ni leur peine ni leur joie. Il fait ce drôle de temps pascal où la vie sociale semble suspendue : les touristes sont renvoyés dans leurs bicoques, astiquent leurs bicyclettes en attendant des heures meilleures, les voisins se sont rués vers le Sud dans l'espoir coriace d'y récolter un peu de chaleur. Un calme olympien a pris place le long des rives et des trottoirs. Pas une voile sur le lac, pas un tracteur sur le colza. Cette lenteur, ce silence, ce vide dense enchantent le cœur et le regard. Il fait un temps à être en vacances et voici que ces vacances nous sont offertes, sans valises et sans itinéraires. Un temps à tanguer entre livres et casseroles, entre écriture et champs de fleurs. Un temps à suivre des yeux les tournoiements des oiseaux majestueux, qui voltigent dans les amples nuages, et jouent et se cachent dans les délices de l'entre-deux.

 

 

jeudi 17 avril 2025

Vivre : face à l'avenir

 
young Girl in a Forrest (Toni Möller) / Bertha Wegmann / Ny Carlsbergfonden /Copenhague
 
 
Le pardon : ce qui a été a été. Ce qui est est.
La vie devant soi : un territoire enfin récupéré.

 

mercredi 16 avril 2025

mardi 15 avril 2025

Vivre : tant de différence, des enfances

 
Les devoirs de vacances (détail) / Maurice Denis / Ass. Amis Petit-Palais / Genève

 
Dans la salle aux stucs élégants, la petite fille courait, se roulait sous la nappe, s'agitait, riait riait, s'efforçait d'attraper le chien par la truffe, refusait de terminer sa tartine, jouait jouait, et à la regarder si vive, si coquine, on pouvait l'imaginer rentrée chez elle, dans sa maison, son lit, le toboggan, les robes à fleurs, et à quelques centaines de mètres à vol d'oiseau, juste quelques tirs d'ailes, d'autres tirs, d'autres chûtes, d'autres explosions, d'autres enfants que la vie laissait en miettes, d'autres enfances pulvérisées qui quittaient la route, mordaient la poussière, s'évanouissaient dans les airs en l'espace d'un instant. 
 

lundi 14 avril 2025

Vivre : et prier peut-être

 

ce sentiment répété de contourner furtivement - murmurant à pas lents - le chœur d'une immense cathédrale
 
 

samedi 12 avril 2025

Vivre : still life/ 166

 

Deux e-mails consécutifs m'annoncent que mon smartphone (taille passe-partout, piètre photographe, mais bon communicateur) ne sera plus opérationnel dès la fin de l'année. Passé ce délai, impossible d'appeler, d'envoyer des messages ou de surfer par le biais de ce fidèle compagnon. La raison :  il n'est adapté qu'à la 3G et dorénavant seules les 4G et 5G seront en activité. On précise que : cette norme de communication a aujourd’hui vingt ans et ne répond plus efficacement aux besoins actuels des clients (lesquels désirent apparemment aller de plus en plus vite avec des moyens toujours plus performants). On ajoute qu'il s'agit de moderniser le réseau pour faire place à des technologies avancées et durables (sic).
J'apprends à mon grand étonnement que les nouvelles normes seront jusqu'à 30 fois plus économiques en énergie. Ainsi donc la mise en place de nouvelles antennes, la fabrication constante de modèles dernier cri, la casse et le recyclage des anciens appareils, toute cette foire à la consommation serait jusqu'à 30 fois moins énergivore ? Vraiment ?
Comme il faut toujours un alibi à la bonne conscience du consommateur, on précise que tout vieil appareil déposé à une date déterminée sera recyclé et la recette reversée à SOS Villages d'enfants. Cette action participative [...], organisée dans toute la Suisse, met l'accent sur le bénévolat et incite à faire le bien (re-sic!). (On omettra bien sûr d'évoquer le travail des enfants dans les mines africaines où sont extraites bon nombre de matières premières de nos chers appareil technologiques produits en délirante quantité...)
Enfin, cerise sur le gâteau, si, ayant déposé son vieux smartphone, on souhaite en racheter un tout beau tout neuf dans la foulée, une remise de 50 francs sera octroyée par l'entreprise de télécommunications concernée.
J'adore! La série "prenez-nous pour des cons" continue et, malheureusement, difficile d'échapper à la multiplication de ses saisons. Le seul moyen pour éviter d'entrer dans cette ronde folle de consommation restera sans doute de recourir au marché de l'occasion. Il y a paraît-il un large choix d'appareils qui faisaient parfaitement bien leur job, mais que leurs propriétaires ont trouvés dépassés au bout d'une ou deux années. Dès lors... ne reste qu'à se tourner vers l'adoption!
 

vendredi 11 avril 2025

Vivre : ciel, mon mari




après un long moment, il a levé les yeux au ciel.
Mais, loin d'éprouver le moindre agacement,
il s'est mis à chercher, trouvant des créatures
imaginaires, dragons et monstres rugissants,
qui composaient un bestiaire interminablement.

 

jeudi 10 avril 2025

Vivre : un rêve pour un autre

 

tous les matins sortir d'un rêve pour pénétrer dans un nouveau songe
 

mercredi 9 avril 2025

Vivre : cinquante nuances (ou plus)

 

On le dit triste, on le trouve affligeant, on l'estime terne. On l'associe à la monotonie. Mais il peut aussi se révéler brillant, attrayant, lumineux. Apaisant, réconfortant, audacieux. En rentrant dans ma chambre avec mes grands pots, mes rouleaux et mes pinceaux, je me suis infiniment réjouie de m'étendre bientôt dans toutes ces nuances de gris.
 
 

mardi 8 avril 2025

Vivre : sérénades

 
Les porteuses d'eau / Louis Valtat /Ass. Amis du Petit-Palais / Genève

 
Ces personnes qui arrivent, tout sourire, si aimables, si adorables, qui se veulent si populaires, qui s'agitent, qui parlent, qui expliquent, qui s'interrogent, qui interrogent, et leurs questions, leurs rares questions, en fait durant tout ce temps, derrière leur amabilité et leurs boniments, il n'y avait aucune écoute, juste du vent, du buzz, le même buzz que fait l'insecte, bzz bzz, qui passe, repasse, qu'on attrape dans une tasse et qu'on laisse repartir là d'où il vient, qui se perd au loin.
 

lundi 7 avril 2025

Regarder : dialogues

 


Portrait de jeune femme / Maximilien Luce / 1893 / Ass. Amis du Petit-Palais / Genève
 
L'autre jour, à la Fondation de l'Hermitage, mon regard a été happé par cette jeune personne portraiturée en 1893 par Maximilien Luce. Il y avait quelque chose de si vif dans le regard de cette jeune femme, de si contemporain dans son visage, on l'aurait crue vivante, présente, prête à parler, à converser, à interpeler. Le peintre avait su capter les jeux de la  lumière pour donner vie à son modèle, à tel point que cent trente-deux ans plus tard on pouvait l'imaginer s'interroger à propos de biodiversité, de solidarités, de l'avenir de la planète. La belle jeune fille aux cheveux blonds vénitiens semblait prête à sortir du tableau pour venir échanger sur tout ce qui la préoccupait. Ses yeux pensifs et déterminés  disaient combien elle appartenait au monde et combien le monde l'habitait.


dimanche 6 avril 2025

Vivre : vivre intensément

 
Les Roches Vertes / Gustave Loiseau / Ass. Amis du Petit-Palais / Genève
 
Il fait si beau. Les chants sont si purs. Tout invite à la détente. Là, sur les pavés, un homme s'est rêveusement allongé pour boire sa limonade. Ici, trois Coréens émerveillés lancent des œillades sur le marché. La vie palpite de partout. Les clients se pressent pour obtenir un fromage directement livré des Alpes. Leurs mains se tendent vers les tranches ténues. La vie court le long des rues, se déverse sous les arcades. C'est une journée de printemps, heureuse et belle, et c'est un jour pour envisager la mort. Quelle idée, mais quelle idée quand on y pense de consacrer des heures de brouillard et de novembre à ceux qui ne sont plus ou à nos pauvres restes quand nous aurons disparu. C'est aujourd'hui, dans la lumière vive, qu'il s'agit de nous concevoir mortels, d'oser en parler, alors que nous sommes entièrement en vie et que cette vie est belle. C'est en savourant le printemps, en savourant ces moments, que nous pouvons accueillir la mort et donner sens à nos êtres vivants.
 
 

samedi 5 avril 2025

Vivre : la prodigieuse banalité de nos journées

 

 
Tous les matins, l'heure d'été nous arrache de plus en plus tôt à nos couches pour nous conduire là-haut où nous attendent les appels de la lumière et des oiseaux. Un chamois - toujours le même? - nous coupe la route, vaguement contrarié. Un pic assidu tambourine. Un géant se languit et dit son chagrin d'arbre meurtri. Au-dessus de nos têtes ça piaille et ça crie.
 

 

 
 
Nous nous hâtons. Nous courons. Nous tenons absolument à le surprendre, notre trésor orange. Le soleil surgit subitement comme un loir insomniaque. Il se roule en boule. Il jaunit, il blanchit, il rougit. Il explose. Nous profitons de ces dernières heures et de ces derniers jours de transparence. Bientôt, nous affronterons ici des murs de frondaisons exubérantes. Le cœur nous pince de cet dernier adieu à l'hiver, toujours trop doux toujours trop court.
 

Tous les après-midi, la forêt par petites touches reverdit. Elle a les timidités d'une jeune fille qui rosit. Elle nous donne à voir les tapis d'ail des ours qui nous offrent à déjeuner, des bouquets d'anémones qui saupoudrent les bosquets.
 
Du matin au soir, nous vivons au rythme du végétal et, quand il nous arrive de nous rendre en ville, nous nous sentons déphasés, agressés, perdus, de gros patauds qui ne maîtrisent ni les codes ni les usages. Nous posons des regards navrés sur les façades qui ne cessent de se dresser : comment les gens peuvent-ils se caser dans des rues aux monotones visions, qui n'offrent que grisailles à leurs enfants ? Vite, nous faisons nos courses, visitons nos expositions, et puis nous remontons rejoindre les délirantes primevères incendiées par les derniers rayons.
 
 

vendredi 4 avril 2025

Vivre : Still life/ 164

 

 
La nature se refait une beauté : tout scintille, reverdit, appelle l'harmonie. Face à cette remise à l'ordre, la maison ne veut pas être en reste : 
elle réclame des soins, aspire à l'éclat, ne supporte aucune impureté. Repeindre, donc, réarranger, élaguer, mais avant tout : dépoussiérer. 

jeudi 3 avril 2025

Habiter : dans la maison vide

 
Château de Govone / Piémont
 
Ainsi donc les habitants du grand appartement - le plus haut, le plus grand du village - ont décidé de s'en aller au bout de même pas deux ans ? L'agent immobilier discutait à haute voix de la valeur du logement - large vue, baies vitrées, 250 mètres carrés - avec la femme bien décidée à l'inonder de multiples arguments. Il y a des maisons comme ça, qui ne parviennent pas à se fidéliser leurs habitants, comme certains magasins dans des rues pourtant bien fréquentées, leurs clients. 
Ce lieu avait connu depuis le début une série de difficultés : les premiers à s'en porter acquéreurs s'étaient vite désistés - une affaire de répartition du terrain dans la copropriété qui avait mal tourné - les seconds étaient allés jusqu'au bout du projet, mais leur mariage, lui, n'avait pas résisté : au bout de deux ans, elle était partie, avec leur bébé, et le logement était finalement resté vide pendant quelques années. S'étaient ensuite succédé quelques locataires - une famille d'expatriés, un naturopathe réputé - qui, curieusement eux aussi, avaient jeté l'éponge au bout d'une ou deux années - étonnant comme un logement peut être une affaire de chiffres, qui ne concernent pas seulement des francs ou des mètres carrés, des chiffres comme des cycles qui ne cessent de rempiler. Enfin, dernièrement, le bel appartement a été racheté par "des gens très bien sous tous rapports, le mari occupant une fonction de directeur". Et voici l'espace malaimé, mal compris, mal occupé à nouveau proposé. 
Trouvera-t-il un jour chaussure à son pied, des habitants à demeure, qui sait ? Les choses pour lui se sont mal engagées, mais peut-être quelqu'un saura-t-il un jour comprendre cet endroit, le bichonner, mettre en lumière ses attraits, le valoriser, bref : tout simplement l'apprécier. Y a-t-il au monde chose plus triste qu'un lieu - comme un être - qui n'a jamais été aimé ?
 

mercredi 2 avril 2025

Vivre / Habiter : un rêve

 
Paesaggio siciliano / Giovanni Lombardo Calamia / GAM / Palermo
 
 
Fichtre! que la maison perdue entre les sapins face aux montagnes était belle! (et datant de 1791, s'il vous plait!) Pour un peu j'aurais craqué... un zéro de moins et je n'aurais guère hésité... bien sûr : ni eau courante, ni électricité, ni accès direct motorisé, mais... quand on aime on ne s'attache pas à de petits détails comme ça. Tout à coup, j'ai senti mon instinct de bricoleuse se réveiller, j'ai invoqué ma grand-mère paysanne qui avait élevé ses cinq enfants sans aucune commodité, et les uns après les autres, mille détails sont venus me parler des possibilités de réduire mon train de vie à l'essentiel : toilettes sèches, énergie photovoltaïque, poêle à bois, bombonne de gaz et même Fabienne Verdier avec sa toilette a minima : 
Mais finalement, je préférais utiliser la bassine et la Thermos dans ma chambre où je me lavais le bout du nez et ce qui faut quand il faut. C'est en Chine que j'ai appris à me débrouiller : vous trempez votre petite serviette dans de l'eau très chaude, vous l'essorez, puis vous vous la passez sur tout le corps ; nul besoin de se sécher : vous êtes sec en quelques secondes. [Passagère du silence, p.55, Albin Michel, Paris, 2003]
Évidemment, la partie sage et raisonnable qui tient trop souvent les rênes en moi a exigé une feuille pour l'élaboration de deux colonnes : avantages / inconvénients et l'une est nettement plus longue que l'autre. Mais depuis deux jours je retourne voir l'annonce, et les photos, et je ne peux me résoudre à abandonner. Il y a en moi une solide montagnarde qui ne demande qu'à s'évader (et soupire en découvrant que l'annonce n'a pas encore été supprimée).