samedi 23 mars 2024

Vivre / Lire : découvertes

 
Portrait de ma femme (détail) / Michael Ancher / The Hirschprung Collection / Copenhague
 

Qui a fait le monde?
Qui a fait le cygne et l’ours noir?
Qui a fait la sauterelle?
Je veux dire cette sauterelle-ci −
celle qui a bondi hors de l’herbe,
celle qui mange du sucre au creux de ma main,
qui bouge ses mandibules de gauche à droite, plutôt que de haut en bas −
qui regarde autour d’elle avec ses énormes yeux compliqués.
La voilà qui lève ses pâles avant-bras et se nettoie soigneusement la tête.
La voilà qui déploie ses ailes, et s’envole au loin.
Je ne sais pas exactement ce qu’est une prière.
Mais je sais comment prêter attention, comment tomber
dans l’herbe, comment m’agenouiller dans l’herbe,
comment flâner et être comblée, comment errer à travers champs,
ce que j’ai fait tout au long de la journée.
Dis-moi, qu’aurais-je dû faire d’autre?
Tout ne finit-il pas par mourir, trop rapidement?
Dis-moi, qu’entends-tu faire
de ton unique, sauvage et précieuse vie ?

 
Parfois, on lit un poème et on le trouve beau. Il retentit en nous pendant quelques secondes. Cependant la vie nous happe et on passe très - trop - vite à autre chose. Ce n'était peut-être pas le bon jour, ou la bonne période pour le dé-couvrir. Mais parfois, le poème se rappelle à nous et c'est le cas de cette Journée d'été, de Mary Oliver. On se demande : en quoi consiste la "vie bonne" ? Comment faire pour se la construire ? Et, avant de la construire, comme se la dessiner ? Comment faire de toutes les minutes, de toutes les secondes des éternités ?
Certains jours, quand je regarde vraiment Mister P, son poil lustré, son regard précieux, les mille nuances de sa robe mordorée, je me dis : béni soit l'inventeur du chien. Et celui du busard qui tournoie autour de la maison avec majesté. Une journée d'été est un poème aussi beau que le busard ou que mon chien. Ou alors le busard, mon chien sont les plus beaux des poèmes. Et il y a des jours comme ça pour le réaliser.
 
 
The Sommer Day
 
Who made the world?
Who made the swan, and the black bear?
Who made the grasshopper?
This grasshopper, I mean —
the one who has flung herself out of the grass,
the one who is eating sugar out of my hand,
who is moving her jaws back and forth instead of up and down —
who is gazing around with her enormous and complicated eyes.
Now she lifts her pale forearms and thoroughly washes her face.
Now she snaps her wings open, and floats away.
I don't know exactly what a prayer is.
I do know how to pay attention, how to fall down
into the grass, how to kneel down in the grass,
how to be idle and blessed, how to stroll through the fields,
which is what I have been doing all day.
Tell me, what else should I have done?
Doesn't everything die at last, and too soon?
Tell me, what is it you plan to do
with your one wild and precious life? 

Mary Oliver, in : House of Light, Beacon Press, 1990
 

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