Young Girl in a Forrest / 1895 / Bertha Wegman / SMK / Copenhague
C'était jour de marché, un véritable marché de Provence, sans touristes, mais avec pas mal de ménagères et de retraités, un marché d'habitués, des gens qui ne fréquentaient plus les Halles, au centre ville, beaucoup trop lustrées. Sur ce marché, il y avait un jeune homme qui nous a vendu des gariguettes et de fines asperges vertes, et en nous emballant les Asparagaceae, il nous a dit que non, lui, ce n'était pas avec des œufs qu'il aimait les déguster. Il nous a refilé une de ces recettes d'une simplicité enfantine, comment avions-nous fait pour ne pas y penser, laquelle prévoyait de faire blondir des oignons dans du beurre, d'y ajouter des pointes d'asperges accompagnées de lardons de bonne qualité, puis au dernier moment d'y verser un chouia de crème, en salant et poivrant à volonté et de verser l'ensemble sur des coquillettes préparées à part, oui voilà : une sorte de carbonara aux asperges, c'était pas compliqué. Un peu plus tard, après la sélection de chèvres, la tresse d’ail rose, les tomates et les plants de basilic, après avoir choisi nos épices et nos fougasses, après le poulet très très bien élevé, on est allés s'installer à une terrasse qui bruissait de graviers. Il faisait bon, pas très chaud, pas frais non plus, il faisait un temps à se prélasser, et les gens autour de nous ne cessaient de s'interpeler, de se faufiler, de déplacer des chaises, de demander, et le garçon prévenait que le banc, là, non, valait mieux pas, il était en train de s'effondrer, on lui a commandé un café et un noisette, et c'est alors que j'ai remarqué les deux femmes assises un peu plus loin qui conversaient. Il y avait quelque chose de totalement extraordinaire dans leur échange, quelque chose qui m'a littéralement captivée : elles communiquaient intensément, elles étaient totalement dans leur rencontre et ça se voyait. La femme plus âgée, parlait, expliquait, déroulait toute une série de détails et d'arguments, tandis que l'autre, une petite trentaine, l'écoutait, et en l'écoutant la regardait avec un regard concentré, les yeux brillants, les yeux intensément encourageants, et elles sont restées comme ça à échanger des propos qui devaient être intéressants, probablement, importants, évidemment, et c'était un véritable plaisir de les observer (je n'ai pas capté un seul des mots prononcés), elles étaient tout à leur échange, l'une qui expliquait, l'autre qui souriait à son regard, et leur conversation était comme une île dans laquelle personne ne pouvait aborder, elles étaient bienveillance et amitié, estime et respect, calme et réciprocité, et dans ce monde où tant de gens sont de plus en plus pressés, de plus en plus sollicités, électrisés, bousculés, connectés, les regarder ramenait à la mémoire une étrange sensation, une ancienne sensation de ralentissement et de sérénité. Alors j'ai emporté soigneusement cette vision dans ma boîte à images avant de me lever pour payer.
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