Congé de Pâques avec une météo qui n'inspirait pas vraiment de départs sur les routes, mais invitait à de poignants voyages dans les salles du septième art. On n'a pas cédé au charme nostalgique des histoires d'amour, on leur a préféré des thèmes un peu plus forts.
Chroniques de Téhéran est un film relativement court (77 minutes très exactement). Il contient neuf histoires
et autant de personnages filmés en gros plan. Neufs manières de dire la
vie aujourd'hui dans la capitale iranienne. Quatre hommes, quatre femmes, plus une petite fille aimant follement se trémousser, filmés dans un décor statique, se trouvent face à une présence hors-champs symbolisant le pouvoir, toutes les formes de pouvoir, avec ce qu'il peut comporter d'absurdité, d'humiliation et de bêtise crasse. Des historiettes qui en disent long sur l'asphyxie au quotidien et, même si les saynètes peuvent être cocasses, voire ridicules, elles refilent au spectateur un sentiment d'oppression croissant. Le résultat est saisissant de sobriété et d'efficacité. On est étonné de voir combien le cinéma peut exprimer de choses avec un minimum de moyens. Excellent.
Le lendemain, c'est à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie qu'un film bien plus long (près de trois heures) nous emmenait sur les pas d'une famille syrienne tentant désespérément de rejoindre la Suède. Le contexte, on s'en souvient : en 2021, avec la complicité de compagnies aériennes turques peu scrupuleuses, Alexander Lukashenko a orchestré une crise politique et humanitaire sans pareil en attirant à Minsk des milliers de migrants, provenant en majorité d'Afrique et du Moyen-Orient, avec la promesse de les conduire jusqu'à la frontière polonaise et de leur fournir une ouverture vers l'Europe. Un voyage qui commence pour chacun d'eux par un rêve et finit en cauchemar. Le résultat a été violent non seulement sur le plan géopolitique, avec de vives tensions entre les divers pays de l'UE tout comme au sein de la société polonaise, mais surtout pour les êtres humains concernés, enjeux de manipulations cyniques et traités comme du bétail d'un côté à l'autre des barbelés.
Green Border est un docudrame tourné en noir et blanc, dont le propos est d'ouvrir les yeux aux spectateurs, de les confronter aux réalités les plus crues. Le résultat ressemble à un reportage journalistique qui ne concède aucun moment de répit, le pendant réaliste des nouvelles qui déferlent incessamment sur nos écrans au point de finir par tomber dans l'indifférence quasi générale. A vrai dire, c'est passablement éprouvant, au point d'être par moments insoutenable. A travers ce film choral (chacun des nombreux personnages illustrant un point de vue sur la question migratoire), Agnieszka Holland, une cinéaste franco-polonaise âgée de 76 ans, a eu le cran de n'éviter aucune facette, aucune contradiction. Son travail obstiné, sans concessions lui a valu de nombreuses attaques et campagnes d'intimidation.
Ce cinéma engagé a été ovationné et primé à la dernière Mostra de Venise. Il décrit une réalité toujours plus pressante. La situation a très probablement empiré depuis ces trois dernières années. Elle ne concerne pas uniquement la zone géographique décrite, puisqu'elle se poursuit au quotidien sur tout le pourtour méditerranéen et dans les Balkans.
Les dernières images du film évoquent l'accueil réservé par la Pologne aux réfugiés ukrainiens au printemps 2022, soit moins d'une année plus tard. Autre origine, autre religion. Avec une ironie féroce la cinéaste souligne combien les chiens et les canaris ukrainiens ont été davantage pris en compte que les êtres humains à la couleur de peau plus foncée qu'on renvoyait sans égards. De quoi faire réfléchir à la valeur accordée aux personnes, aux différents paliers de la solidarité, selon la provenance et la culture de qui vient frapper à notre porte en quête de sécurité.
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