jeudi 15 septembre 2016

Vivre : la bonne conduite



J'y tiens énormément. Je la lui avais confiée pour un check up. En fin de journée, je n'ai pas le temps d'arriver qu'il me déverse un torrent de diagnostics plus préoccupants les uns que les autres et me dit qu'elle est bonne pour le rebut IMMEDIATEMENT. Quelle folie que de dépenser une somme pour la remettre en état!

(le sempiternel discours qu'on nous tient sur les choses, et malheureusement aussi de plus en plus souvent sur les gens, le sempiternel discours  kleenex qui fait frémir, quand on y pense, la logique de la consommation effrénée, des changements incessants, conjoints, objets, modes, et tutti quanti)

R. était à mes côtés et m'a dit que j'ai pâli. Fortement. Il est vrai qu'entendre m'annoncer tout de go qu'elle, ma princesse, ma compagne de tant de routes, ma fiable, ma belle, n'avait d'autre chemin à prendre que celui de la casse, ça m'a porté un coup.

J'en ai mal dormi. Ils l'avaient laissée de côté, avaient fouillé dans la boîte à gants, laissé les papiers épars dans l'habitacle, c'était comme une violation, un mépris commercial pour toute chose considérée non rentable.

Alors, ce matin, je l'ai conduite doucement et on est allées voir Doc Bon Sens qui va tenter de trouver les pièces pour la remettre à niveau. Et qui, lui, m'a laissée repartir pour quelques mois, sans problème.

Les choses ne sont pas seulement des choses, elles portent des traces humaines, elles nous prolongent. Nos objets de longue compagnie ne sont pas moins fidèles, à leur façon modeste et loyale, que les animaux ou les plantes qui nous entourent. Chacun a une histoire et une signification mêlées à celle des personnes qui les ont utilisés et aimés. Ils forment ensemble, objets et personnes, une sorte d’unité qui ne peut se désolidariser sans peine. J’errais dans la maison irrésolue, accablée, impuissante.


Lydia Flem, Comment j’ai vidé la maison de mes parents, 2004


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire