Mme Herbert Duckworth /Julia Margaret Cameron / Musée Jenish / Fondation Cuendet / Vevey
A
cinquante ans passés, elle alterne périodes de dépression et périodes
d'exaltation. Quand elle déprime, elle appelle. Quand elle exulte, elle
décline. Elle passe continuellement d'un mari à un ex, d'un ami à un
amant, qu'elle renvoie, qu'elle reprend, qu'elle encense, qu'elle
descend. Personne ne la comprend. Personne ne la soutient vraiment. Elle
est sans cesse en manque d'argent. Si on l'aimait vraiment, on lui
prêterait, on lui donnerait cet argent. Ce n'est pas sa faute, si le
monde est mal fait, si rien ne convient jamais, si sa vie est tellement dure,
ses employeurs des exploiteurs et ses propriétaires des profiteurs. Et
sa voiture qui vient de la lâcher. Et ce dernier mec qui ne fait
qu'abuser. Elle veut le quitter. Elle se fait traiter comme un paillasson. Elle
doit se trouver un nouvel appartement. Elle a cinquante ans passés et
personne sur qui compter, vraiment. Au moins, ses parents, au moins eux,
savaient
se montrer indulgents. Comme il est loin le temps où ils vivaient
encore, ses parents ! Elle se plaint comme elle se plaignait enfant.
Elle forme avec ses fils un trio bien rodé. Elle les renvoie
régulièrement chez leur père, mais elle insiste rapidement pour les
récupérer. Ne surtout pas tenter de lui parler, il n'est pas question
pour elle d'écouter. Elle veut juste déverser. Et si par malheur vous
aviez, vous, un problème à évoquer elle n'hésiterait pas à vous
abreuver de conseils, impérativement, car pour les autres, la vie est
facile. Évidemment. Elle finit par raccrocher, non sans vous rappeler avec
insistance que dans une semaine c'est son anniversaire : elle va fêter ses
cinquante-trois ans.
J’ai aussi entendu, souvent entendu « la vie est facile pour toi », et peut-être aussi suivi du « tu as tout ce que tu veux ». C’est peut-être la surface que je présente en public, face aux collègues, aux collaborateurs, dans la vie de tous les jours, bref face aux autres, ce profil lisse qui donne le plus envie de dire « c’est plus facile pour toi ». Et pourtant, que c’est lourd de se présenter, quels efforts à fournir pour entretenir les relations publics, les réseaux, pour les médiations, quelle solitude aussi face aux demandes divergentes et contradictoires des uns et des autres. Quelle fatigue encore à supporter le rôle dans lequel j’ai été mis et que je me suis moi-même efforcé de jouer, rôle que l’on attend de moi. Pour finalement rentrer le soir fatigué, usé et ce besoin de solitude pour se reconstruire et de pouvoir profiter d’une relation privée, hors du jeu public et aussi d’un chez-soi.
RépondreSupprimerOui, c’est facile pour les autres. C’est toujours plus facile pour les autres, phrase qui permet de ne pas se remettre en question soi-même. Les autres auraient tout reçu le jour du grand partage ? Cela se serait su, non?
Gaspard
Merci pour ce partage, Gaspard. En effet, il y a ce que nous vivons et il y a l'image que nous donnons aux autres (ou que les autres veulent avoir de nous). Je retiens ce que vous dites : "plus facile pour les autres" permet de ne pas se remettre en question. C'est tellement vrai. ça permet de se poser en victime, et ça neutralise les énergies pour changer. On pourrait dire que se poser en victime est plus facile, parce que cela autorise à ne rien changer et à continuer de se plaindre. Le jour du grand partage, nous n'avons pas reçu tous la même chose (de loin pas) mais ce qui compte, c'est ce que nous en faisons ensuite. C'est cela l'essentiel.
SupprimerMerci encore et très belle (pluvieuse) journée à vous.