A G : Le Borgo antico, formant un carré, avec la piazza SS Annunziata au centre / A D : la piazza en premier plan (reproductions fin XVIIe s.)
J'avais réservé une chambre aux abords de la Reggia. Je craignais au départ que les soirées y fussent trop silencieuses, menacées d'une monotonie pesante après la fermeture du palais. J'avais tort.
Vers dix-sept heures, la via Mensa, la longue rue principale appelée à l'origine via Maestra, changeait peu à peu ses couleurs. Tandis que les derniers visiteurs s'éloignaient à pas lents, enivrés de belles images, épuisés par leurs incursions à travers allées et couloirs, les premiers résidents locaux s'attablaient devant leurs Campari aux nombreuses terrasses agglutinées le long des trottoirs. Des enfants vifs comme de jeunes chats piochaient des chips dans les coupelles, puis s'acharnaient en hurlant sur leurs ballons de football, on aurait dit des joueurs se qualifiant pour une finale. Le Borgo s'animait, rassemblait ses habitants, à grands coups de saluts, de cris et d'interjections. Plus question de guides ni de culture, de groupes ni de dépliants. Une activité de quartier, des solidarités quasi villageoises prenaient vie dans l'ancien bourg commandé autour de 1670 par Charles Emmanuel II à son architecte, Amedeo de Castellamonte, afin d'enjoliver l'entrée monumentale de sa résidence.
Curieux contraste en fin de journée : le Borgo assumait une vie de faubourg populaire, loin des lignes et des lignées. Une femme traversait en souriant, qui avait récupéré un colis après une longue journée de labeur. Des artisans se concertaient à propos de bricoles. Les retraités entamaient leur troisième balade de la journée entraînés par leurs chiens délaissés. Les marchands de glaces reprenaient du service pour la soirée. Des Siciliens ridés, alignés sur des chaises en plastique diluaient leur mélancolie avec des mélodies traditionnelles déversées par un vieux transistor. Ils considéraient rêveusement les pavés comme s'ils étaient rappelés à leur terre natale. Leurs yeux hagards retrouvaient peut-être des visions de maigres lopins quittés, des sueurs trouvées au Nord, avec leurs salaires de misère.
Les vitrines exhibaient toutes sortes de chinoiseries, pantalons de strass, sacs en skai, souvenirs et cafetières fleuries. On aurait voulu entrer, chercher, dénicher la moindre pacotille, mais on n'avait aucun besoin de toutes ces bimbeloteries. La place de la Santissima Annunziata, conçue en exèdre, avec deux églises jumelles qui se faisaient face, exhibait de beaux restes, mais personne à cette heure vespérale ne paraissait s'en soucier. C'était touchant, toute cette noble décadence, ces portiques ouverts sur des façades décrépies, ces stores misérables cachant mal le désir de partir s'installer loin de ces vieilleries.
Puis, huit coups sonnaient en carillon. L'heure était venue de laisser la via, sa vitalité à ses occupants très occupés. Nous nous dirigions vers un endroit somptueux, nous prenions de la hauteur pour aller savourer toutes sortes de merveilles face au spectacle bleuté d'une ville qui ne parvient jamais à trouver le sommeil.
Piazza Ss Annunnziata / Tiré du site de la ville de Venaria
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