Il
y avait de la magie dans l'air, ce matin-là. On éprouvait un
je-ne-sais-quoi, un va-savoir-quoi qui emportait toutes les probables
sources de tension ou d'hésitation. Durant les heures magiques, on
respire autrement, on marche autrement, on accomplit tous les gestes
avec plus d'assurance. Tout devient évident.
J'avais
emmené le chien le long d'étroites ruelles jonchées de vélos et
d'affiches décollées. Je l'avais longuement cajolé tandis que nous
attendions que R. sorte d'un petit musée. Il faisait encore frais. Sur
la place, une chienne noire courait furieusement après sa
balle corail. Le rouge et le noir s'emballaient dans la poussière estivale. Il soufflait un vent doux, presque timoré qui effleurait les
cheveux et les vêtements légers.
Un
saxophoniste très blond est venu s'installer sous les murs du Palais.
Il s'est mis à jouer. De son corps émanait un souffle puissant. Il y avait dans son jazz quelque chose d'envoûtant. Il est rare qu'un corps et un
instrument s'expriment de concert aussi harmonieusement. Quand R. nous a
rejoints, midi sonnait. On a décidé de s'attabler devant le
musicien pour mieux savourer. Les passants défilaient. Ils marquaient
presque tous un arrêt. Les piécettes carillonnaient.
L'homme et son instrument jouaient comme s'ils avaient tout leur
temps. On ne
parlait pas. Ou très peu. On écoutait. On regardait. On était dans un mélange de grâce et d'émerveillement. Une fille un peu ronde s'est
approchée du chien en demandant si elle pouvait le caresser. Le chien a
approuvé. C'était une fille timide, ça se voyait que la demande lui
avait coûté. Puis, elle s'est relevée, soulagée d'avoir osé. La musique
continuait de nous bercer. Elle nous a bercés longtemps. L'ombre
tremblait. Le soleil grignotait. Il a mordu notre table juste au moment
où le musicien a rangé son instrument. Alors on s'est levés, comblés.
Ils
sont somme toute assez rares, les moments où la vie se soulève comme un ballon d'enfant, où l'on voudrait suspendre le temps, parce que ce n'est pas vrai qu'on ne reconnait le bonheur qu'au bruit qu'il fait en partant. Alors, en
rentrant, je lui ai offert ce minuscule coffret pour qu'il y glisse un
mot, un seul, en guise de symbole. Pour plus tard. Pour quand ce serait
nécessaire. Pour garder quelque part un peu de cette plénitude avec tout ce qu'elle recelait de mystère.
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