vendredi 23 décembre 2022

Lire : la fillette qui voulait tout recoller

 


Il n'est pas nécessaire de comprendre à fond la vie, mais il est indispensable de rencontrer la tendresse. Elle vous pénètre et vous traverse, vous fait vous mouvoir, vous guide. Comme dans le jeu du Mikado, un individu en sauve un autre. Un par un. Un par un. Et nous ne nous retournons pas sur les personnes que nous avons sauvées, car, c'est bien connu, cela porte malheur. Nous regardons toujours vers l'avant, vers la prochaine. [p.172]
 
Avec ce livre, la poétesse Alba Donati a-t-elle voulu écrire un récit autobiographique ou un roman ? Difficile de savoir, de distinguer ce qu'elle raconte de ce qui a véritablement été. Les noms sont véridiques, véridiques les titres cités, et véridiques les faits (ouverture d'une librairie de campagne dans les collines du Nord de la Toscane en pleine période de Covid et de confinement), mais les dates, comme l'indique l'autrice en exergue, sont inexactes et il y a du romanesque dans la manière dont les différents chapitres sont déroulés.
Un jour de décembre 2019, après trois décennies consacrées à travailler dans le monde de l'édition, Alba a décidé de réaliser un vieux rêve : ouvrir un lieu consacré aux livres qu'elle aime et qu'elle entend faire aimer depuis son village d'origine, Lucignana (un petit bled au nord de Lucques comptant quelques 180 habitants et dont plusieurs maisons commencent à être rachetées par des étrangers aisés).
La thématique du bouquin porterait naturellement à rêver : qui ne souhaiterait changer de vie et de métier, partager ses passions et se réconcilier avec son passé ? En entamant la lecture on craint de tomber sur le énième livre feel good traitant de libraires téméraires et passionnés ayant réussi leur virage à 180 degrés. Mais...
C'est compter sans le pouvoir de fascination de l'autrice, sa capacité à dérouler un récit avec poésie, son aptitude à porter des projets, son extraordinaire potentiel de connexion et sa faculté de relier non seulement les êtres avec les livres qui leur sont destinés, mais aussi de les rassembler entre eux par affinités.
Alba parle d'elle, de ses chagrins d'enfance (qui lui ont valu douze années de divan), de sa famille de sang et de sa famille de cœur. Elle sait évoquer sans décrire, exprimer des souffrances fondamentales tout en respectant son entourage, utiliser des métaphores (comme la maison de son enfance) pour évoquer ses détresses de fillette abandonnée. Elle a été une petite fille pauvre, élevée à la campagne dans un cadre fracturé, qui a dû se faire une place au soleil à force de travail, d'obstination et de créativité. A n'en pas douter, sous des dehors doux, presque angéliques, c'est une bosseuse tenace et une solide communicatrice.
Il ne faut pas se leurrer : Alba Donati n'est pas partie comme une bleue dans son aventure de libraire. Elle avait auparavant ouvert avec son compagnon à Florence (le chef-lieu de la Toscane, la grande ville située à 100 kilomètres de là, autant dire : l'autre bout de la terre!) Fenisya, un centre de formation à la traduction et à la rédaction littéraire. Elle bénéficie d'un carnet d'adresses bien fourni, constitué d'écrivains et d'éditeurs confirmés et de tous les liens personnels tissés dans sa région natale. De plus, elle use avec dextérité des réseaux sociaux et connaît bien les ficelles de l'événementiel.
Le livre est construit comme un journal. Il démarre au début de l'alerte pandémique, peu après l'inauguration de la minuscule librairie. Chaque jour apporte son lot de contrariétés, mais aussi de souvenirs et de satisfactions. A la fin de la journée, l'autrice énumère les commandes reçues et certains titres inconnus peuvent être très inspirants (d'autres par contre semblent rappeler trop souvent des noms d'auteurs amis jusqu'à en devenir un peu lassants). On apprend une infinité de choses en faisant des recherches à propos de certains écrivains (précisons : surtout des écrivaines).
La narration n'est jamais linéaire. Certaines phrases laissent planer un mystère sur le passé, sur la famille. Elles seront éclairées quelques pages plus loin, sous une autre focale. Tout le charme de l'écriture tient dans cette faculté de passer du présent au passé, de l'intime au social et de l'émotionnel au factuel. Une lecture très accessible, un vrai bouquin à déguster par un jour de pluie en sirotant une tasse de thé. Mais il ne faut pas confondre facile et futile. Ce petit ouvrage met en relief le rôle primordial des livres dans notre vie : en nous permettant de nous comprendre, ils nous tendent la main et peuvent nous sauver en nous reliant par-delà les territoires et les âges à la grande chaîne de l'humanité. 
La librairie sur la colline vient rappeler une vérité dont nous avons grand besoin : la vie n'est pas rose, les caves y sont anxiogènes et les escaliers durs à monter, rien n'est donné, mais on peut s'en sortir grâce aux efforts que l'on déploie et à une croyance forte dans les trésors de la solidarité.

Pour avoir une idée de l'esprit des lieux, on trouvera des photographies suggestives sur le blog diariodiunlettoresquattrinato : ICI.
La librairie sur la colline, Alba Donati,  édité en français chez Globe, 2022
 

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