samedi 10 décembre 2022

Vivre : deux hivers

 

 
Il a enfin neigé. Entre ici et là-bas, il existe un fossé, deux manières de penser l'hiver, de le vivre, de l'appréhender. 
 
Là-bas, les flocons détrempés, les flaques mauvaises aux souliers, les parapluies ouverts, les parapluies fermés, l'attention portée à ne pas s'étaler. Et les pauvres vitrines grimées cherchant à racoler, à transformer les passants en badauds, les badauds en clients à plumer. Parmi les êtres transis : ceux qui avaient de quoi se laisser délester - dorures, logos clinquants, effets brillants, prix cassés, immenses sacs baladés - et ceux qui n'avaient que des gamelles à ramasser (ou à éviter de ramasser). Là-bas aussi, d'une rue à l'autre les fossés se creusaient. La neige était cruelle à certains qui râlaient, transportant des paquets, promenant leurs balais. Noël bling-bling, t'as pas l’œil pour admirer, t'as pas envie de te marrer. Coups de klaxon si t'as le malheur de te prendre à rêver dans cet univers tout grisé.
 
Ici, la vie au ralenti, une campagne endormie, les pas nonchalants des promeneurs, des facteurs, des livreurs alanguis. La blancheur adhère et chacun adhère aussi à un autre rythme, tempère ses envies, temporise pour parvenir au soir, heure après heure, petit à petit, aspirant en ce flegmatique vendredi à finir par retrouver son lit (et son week-end aussi). Rien de trop, rien d'exagéré, et pourtant en fin de journée le travail sera fait comme promis. Dans les champs, la neige tient sous les pas des chevreuils et des chiens. Dans les rues, les enfants traînent leurs luges, les gens se saluent en rapportant leur pain. Dans les arbres, les corneilles immobiles restent au aguets, les moineaux habiles décorent les branches épurées. Tout a changé. Rien n'a changé. C'est juste l'hiver qui se fait. C'est juste le paysage qui a blanchi.

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