Arbre et maisons / 1953 / Nicolas de Staël
N.
vivait dans une maison superbe, une maison de ville conçue par un
architecte de ses amis, dont la colonne centrale abritait les espaces
réservés aux sanitaires, au rez comme au premier étage, et toutes les
pièces tournaient autour de cet axe, réservoir de lumière et de
distributeur d'espaces. Mon amie M. arrivée en visite de Catalogne,
s'était exclamée en parcourant les locaux : mais vous habitez dans des maisons incroyables! La
maison de N. lui ressemblait : intelligemment conçue, ouverte, vaste,
capable de dérouler toutes sortes de possibles et de s'adapter à toutes
sortes de demandes. Mais N. nous avait annoncé ce jour-là qu'elle
entendait la vendre : la maison ne lui convenait plus. Construite dans
un complexe de huit habitats, pour des gens qui sans être forcément des
amis, avaient les mêmes valeurs et les mêmes besoins, elle était
dotée d'une terrasse commune sur le toit et tous les balcons donnaient sur un
grand jardin à partager. L'ensemble avait, au fil des années, des divorces et des
déplacements professionnels, changé de propriétaires ou été confié à des
locataires et le voisinage s'était insensiblement modifié à chaque mouvement. Il avait perdu ses
couleurs, ses bruits et son harmonie.
La
maison que N. s'était choisie dix ans plus tôt venait lui dire que plus
rien autour d'elle n'était comme avant. Elle devait changer
d'environnement. N. était quelqu'un de formidablement doué, mais qu'elle
avait besoin d'un milieu ami auquel se relier. Au risque de se perdre
et de s'anémier. Il lui fallait partir vivre ailleurs avant de se déliter.
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