Sculpture : Une dame. Emilie Marie Rosving, née Raaschou / Vilhelm Bissen
Peinture : Ane Edvig Brondum, mère de l'artiste / Anna Archer / SMK / Copenhague
La temporalité des musées donne lieu à pas mal d'élasticité. On voit parfois à travers les salles des gens passer au pas de charge : il faut avoir tout vu, tout fait, tout coché. On peut aussi en voir d'autres prendre leur temps, autant de temps que nécessaire pour se laisser bercer, tête légèrement penchée, se laisser séduire, coudes caressés, se laisser aller à rêver, menton doucement effleuré. Survoler ou creuser : deux manières de regarder (peut-être deux manières de mener sa vie et d'exister).
Ainsi une œuvre, même de petite taille, peut-elle offrir matière à de longs moments d'observation, sous divers angles et avec d'infinies interrogations. Prenons un tableau. Il constitue un tout : avec son sujet, son cadre, son titre, son décor. Il arrive aussi qu'il contienne ces menus détails qu'on prend pour des ornements : les tableaux dans les tableaux. Wermeer ou Van Eyck (poussant l'originalité jusqu'à raconter une histoire dans un miroir), pour ne citer qu'eux, s'en sont donnés à cœur joie.
Durant ces dernières visites à Ordrupgaard et au SMK, mon attention a été attirée par les petits tableaux que Vilhelm Hammershøi a suspendu dans ses intérieurs. Ce fut un délice de s'approcher, puis de s'éloigner pour tenter de percevoir, pour deviner. Pour trouver la bonne distance susceptible de fournir des indices.
Intérieur / Vilhelm Hammershøi / Ordrupgaard
Dans l'univers d'Hammershøi, tout est suggestion et esquisse. Un femme,
tournant le dos au spectateur, lit une missive. Elle se tient près d'un
piano carré, dont elle vient sans doute de jouer, ou s'apprête à le faire, car une partition
semble à peine ouverte. La lumière provient d'une fenêtre sur la gauche,
tandis qu'une bibliothèque, à demi représentée sur le bord droit de la
toile confirme qu'on se trouve dans un milieu cultivé et bourgeois. Au-dessus du piano, deux petits cadres accrochés contiennent probablement des gravures ou des dessins. Mais de quelles représentations s'agit-il ?
Sacrée énigme pour les yeux. Sacré appel au pouvoir d'association du spectateur. Sur la gauche, une jeune personne en robe blanche dans un salon. A côté, une bibliothèque avec ses livres bien rangés et une table devant parviennent à être identifiés. S'approchant pour déceler, on en vient à être complètement désarçonnée. Plus le tableau est petit et moins il convient de le regarder de près. Comme pour l'ensemble de ses œuvres, le peintre lâche des indices. A nous de nous débrouiller, de scruter, d'imaginer. Appel au rêve et à la mémoire. Immersion dans un monde d'évocations.
Se mouvoir, afin de trouver le juste point afin d'apprécier une œuvre, avancer, reculer pour en considérer les divers éléments, c'est tout un art. Le peintre nous laisse libres face à ses peintures et à ses personnages
absorbés et solitaires. Il nous appartient de leur attribuer une
histoire, des pensées, des identités. Il nous laisse aussi libres de
trouver des sujets et des récits qui donnent du sens à ce que nous
voyons, y compris dans des détails qui pourraient sembler insignifiants.
Interior with a young Man reading / SMK / Copenhaguen
On en vient à se dire qu'Hammershøi fait de nous des créateurs. Il nous sollicite pour compléter ses toiles. Devant celles-ci, on en conclut plus que
jamais que l'art, comme la vie, exige de toujours chercher, entre survol
et approfondissement, la meilleure manière d'appréhender.
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