mardi 15 mai 2018

Vivre : la traversée de l'hiver / 24


Les héros grecs tirant au sort les captifs faits à Troie (détail) / Paulin Duqueylard / Musée Granet / Aix-en-Provence


On l’a accompagnée ado dans ses douleurs de femme désorientée. On l’a accompagnée dans ses tristesses de personne isolée. On l’a accompagnée quand elle avait besoin d’une oreille à qui se confier. On l’a soutenue, on l’a conseillée, on l’a appuyée. On l’a entendue dire et répéter que sa vie avait été dure et que personne n’avait eu moins de chance qu’elle dans cette vallée endeuillée. On a vu son regard plein de reproches se poser tant de fois sur soi. On a compris qu’on ne comprendrait jamais tout ce qu’elle avait donné, tout ce qu’elle avait dû supporter. On restait là, on était là au fil des années. On l’a suivie d’hôpital en hôpital et de plainte en gémissement. Et puis, l’autre dimanche, tandis que les fleuristes faisaient de sacrées affaires, face à son regard qui regardait ailleurs, encore une fois, tandis qu’on était là à lui parler, face à son sourire qui souriait à d’autres, qui se perdait au hasard, on s’est dit : c’est bon, elle est entre de bonnes mains, elle peut terminer sa vie et nous rendre la nôtre. On a ressenti une vague d’épuisement, et puis une vague de soulagement, et puis un peu de nausée en pensant maman.

2 commentaires:

  1. Coucou Dad. Un texte qui me fait un peu froid dans le dos. Il y a des personnes qui ne seront jamais heureuses, ou qui ne sauront jamais saisir les plaisirs simples de la vie. Certes, chacune et chacun d'entre nous souffrent de ceci et de cela, d'une vie de couple calamiteuse, d'un travail sans joie, d'un environnement triste, d'une famille malsaine. Mais être conscient qu'il y a, malgré tout cela, de belles choses, n'est pas donné à tout le monde.
    Je connaissais une dame qui n'arrêtait pas de se plaindre, de s'angoisser pour tout, de voir toujours le verre à moitié vide au lieu du verre à moitié plein. Chaque fois que l'on se voyait, elle me pompait toute mon énergie et je ressortais de nos rencontres encore plus dépitée. J'ai fini par mettre un terme à notre relation d'amitié. Non sans mal et sans culpabilité.
    Quand il s'agit de quelqu'un de notre famille, c'est bien plus douloureux, encore plus quand c'est une Maman. Ce que je lui souhaite, c'est de trouver quelques petites bonheurs. Ce que je te souhaite, c'est de moins souffrir. Plus facile à dire qu'à faire.

    Bises alpines de plaine.

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  2. Je te remercie, chère Dédé, pour ce commentaire sensible. "Chaque fois que l'on se voyait, elle me pompait toute mon énergie et je ressortais de nos rencontres encore plus dépitée". C'est tout à fait ça : sortir épuisée, avec un sentiment d'impuissance à combler le vide et les attentes. Curieusement, quand je vais en Méditerranée, je n'ai jamais le mal de mer! :-) Belle après-midi, lumineuse personne!

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