samedi 12 mai 2018

Voir : percer les forteresses


Eldorado est constitué de deux sujets, qui pourraient chacun faire l'objet d'un film en soi, mais qui, s'entrelaçant tout le long du film, s'enrichissent et se complètent.
Eldorado, c'est une camera qui suit le parcours des migrants sauvés par la  marine italienne dans le cadre de l'opération Mare nostrum. Elle les accompagne à travers les centres d'accueil froids et les ghettos mafieux, remonte la Péninsule, assiste à leur expulsion des trains aux frontières helvétiques, et à leur envol final, quand ceux - fort peu nombreux - qui on réussi à passer à travers la muraille, se voient renvoyés chez eux munis d'un petit pécule en guise de dédommagement.
Eldorado, c'est aussi l'histoire d'une amitié profonde avec une petite Italienne accueillie pendant la deuxième guerre mondiale par la famille Imhoof dans le cadre d'une opération de la Croix-Rouge. Giovanna, qui est décédée prématurément en 1956, est évoquée avec sensibilité au travers de dialogues réinventés, de lettres échangées (on s'écrivait, car on n'était pas supposé tisser des liens, les séjours en Suisse des enfants étaient sévèrement limités dans la durée. Après la guerre, les étrangers du Sud autorisés à entrer en Suisse étaient les travailleurs, les bras destinés à la construction ou l'agriculture, censés arriver seuls.)
Le cinéaste réussit ici ce que le documentaire peut faire de mieux : apporter des témoignages sur des destins personnels en les présentant dans le cadre plus large des déplacements géopolitiques. Des trajectoires se dessinent sous nos yeux en quelques mots, en quelques soupirs, en quelques larmes. Sa caméra réussit à capter des mouvements, des regards et des paroles.  Elle sait se faire discrète quand il le faut (elle n'y parvient pas toujours, doit faire face à des menaces et risque à bien des reprises la fracture ou l'interdiction.)
On pressent que Markus Imhoof a dû faire un travail de titan pour obtenir des autorisations, parvenir à forcer des barrages, créer des relations de confiance. Sur son chemin, il a rencontré de belles personnes et d'autres moins belles. Le film s'achève sur des constats non pas désespérés, mais amers.
On sort de la salle chavirés, le cœur lourd, habités par une question essentielle : que faire ? Que faire face à toutes ces histoires, qui constituent l'Histoire, qui font aussi partie de notre histoire, puisque tout est relié, puisque nous sommes tous concernés ? Que faire pour ne pas nous sentir impuissants?

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    J’ai aussi vu ce film, que je ne peux que conseiller et j’aime votre post à ce sujet.
    C’est effectivement un gros coup de poing dans le ventre : « je suis allé voir des choses que je ne voulais pas voir » nous dit Markus Imhoof. Il dit beaucoup d’autres choses sur les relations nord – sud, souligne l’absurdité de certaines relations commerciales, l’exploitation des migrants dans le sud de l'Italie, et leur expulsion de Suisse. Une image, entre autres, qui m’a frappé, c’est le renvoi de cette migrante de Suisse qui travaillait dans un EMS. Avant la notification de son renvoi, on la voit dans un jardin pousser un vieillard dans son fauteuil roulant ce qu’elle ne pourra plus faire… La voix off nous dit, que pendant ce temps, on développe des robots pour s’occuper des personnes âgées, l’avenir n’est-il pas merveilleux dans notre forteresse vieillissante ?

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  2. OUi, merci cher PF, de compléter le billet avec vos remarques pertinentes : en effet, le film apporte des explications très claires sur les rapports Nord / Sud. Moi aussi, j'ai été frappée par cette belle personne africaine, Rahel, qui évoque avec pudeur ses horribles expériences et qui est condamnée à repartir alors qu'elle est un puits de ressources et d'humanité.
    Nous sommes une forteresse vieillissante, oui, oh oui!

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