jeudi 17 septembre 2020

Voyager : suivant la Francigena



Sur le marché de Buonconvento, petite ville-étape de la voie francigène aux relents d'ennui compassé,  nous nous sommes retrouvés les seuls étrangers. Les étals présentaient toutes sortes de produits provenant de champs voisins, des montagnes de pêches aussi grosses que des ballons, de petites poires dodues et de tomates fraîchement cueillies, encore vertes mais ne demandant qu'à s'empourprer. J'ai fait patiemment la queue parmi une flopée de mammas que leurs masques n'empêchaient nullement de babiller et finalement obtenu le droit de me choisir un pécorino bien affiné, lequel serait accompagné de confiture d'oignons rouges et de compote courge/gingembre. Un petit producteur m'a cédé un kilo et demi de ce miel de châtaigner qui a la couleur de l'or et le goût du paradis (trop bon avec des figues et du yogourt à 200% de matière grasse). 
J'ai déniché un pot à lait pour un euro et une boîte en fer destinée à l'huile d'olive bio que Francesco allait me procurer. Juste à côté, deux grand-mères demandaient conseil à un vendeur pour leurs culottes taille XXL. Le mec, un gros macho tatoué, n'hésitait pas à écouter leurs exigences et déployait avec une délicatesse rare devant elles les derniers modèles reçus pour la rentrée. Un peu plus loin, une vieille dame discutait longuement avec la vendeuse à propos de chemises de jour : le modèle avec col en V était-il adapté ? ou bien lui fallait-il la version à col rond (légèrement plus échancrée) ? Elle hésitait, elle s’interrogeait et la vendeuse prenait tout son temps, ignorant la file qui s'était formée, lui proposait de lui apporter la semaine suivante d'autres arrivages qui devaient lui être livrés.
Ici, on était très loin des centres commerciaux, de ces grandes surfaces où les employés sollicités vous indiquent vaguement du menton la direction de ce que vous recherchez. Les vendeurs étaient là pour vous écouter, ils acquiesçaient quand vous exprimiez vos besoins, ils semblaient les prendre extrêmement au sérieux. Ils vous fixaient, avec attention, avec empathie, ils tenaient absolument à bien faire leur métier. Et leur métier consistait vous satisfaire, à vous fidéliser. Ils paraissaient semblables à des curés : alors que ceux-ci s'occupent des besoins des âmes, eux se montraient prêts à considérer avec la plus grande gravité vos besoins matériels et à les soulager.
Plus loin, attablés, des randonneurs (ou pèlerins, qui sait?) terminaient de grands verres d'eau. Leurs préoccupations étaient tout autres : ils ne cherchaient qu'à s'alléger. S'étant procuré d'indispensables informations, leur sac à leurs pieds, ils s'apprêtaient vaillamment à reprendre la route. Venus d'on ne sait où, sur cette voie qui part de Canterbury, ils se dirigeaient droit vers le Sud. Rome les attirait comme un aimant. Sur leur chemin, ils feraient l'expérience de très probables cloques et d'époustouflants décors. Ils s'arrêteraient plusieurs fois devant un paysage blond et cuivré. Ils se sentiraient alors envahis d'une joie pure et d'une implacable humilité, éprouveraient des ondées de reconnaissance face à toutes ces beautés, offertes en toute gratuité.



6 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas l'existence de la voix Francigène ; j'ignorais tout du Pecorino ; ni que les vendeurs de ce marché étaient semblables à des curés ! Avec toi les voyages sont aussi instructifs que surprenants ! (*. Sourire *)
    Plus sérieusement, j'aime beaucoup ton texte très couleur locale. On s'y croirait et tu nous mets l'eau à la bouche. Avec toutes ces gourmandises on comprend que ces dames recherchent des culottes de taille XXL…

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    1. La voie Francigène traverse une bonne partie de l'Est français (je me demande si elle est beaucoup fréquentée sur ce tronçon). Quand elle parcourt la Toscane, elle est de toute beauté. Le Pecorino (merci de l'avoir correctement orthographié) est avec le Parmesan le roi des fromages italiens.
      Ah! ces vendeurs de marché! je rêverais de les fréquenter toutes les semaines! Choisir ses slips avec un macho tatoué pourrait devenir un fantasme :))) (précisons que, malgré le miel et le Pecorino, la taille XXL n'est pas encore d'actualité!) Oui, je fréquente assidument les marchés, où que j'aille : ils disent tout d'un pays, d'une région, des modes de vie, des mentalités. La grande distribution est inhumaine et triste à pleurer. On nous bassine toujours avec la question des prix. C'est faux (dans une majorité de lieux). Donner aux gens le droit de manger de la merde est le slogan de certains qui se veulent bienpensants. C'est ce qu'on raconte pour justifier que des gens continuent à acheter et manger de la m... produite sans amour, loin, dans des conditions inhumaines par des gens exploités. Toute belle journée à toi.

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    2. C'est mon moteur de recherche ( qui n'est pas glouglou) qui a rectifié l'orthographe de lui-même, comme j'aurais dû rectifier en me relisant « voix/voie » ! Et je jure que je n'insinuais pas que la taille XXL te concernait !!! :-)
      Après ces bêtises, je confirme pour les marchés. Mon intérêt était plus l'œil photographique que j'essayais de cultiver. J'en parle un peu au passé car mes limites physiques d'aujourd'hui raréfient cette possibilité.
      Cela dit tu as parfaitement raison pour ce qui est de la m… vendue dans les grandes surfaces. D'ailleurs dans ce genre d'endroit ça sent toujours le désinfectant à chiottes.

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    3. Je ne me formalise plus des fautes d'orthographe (ayant été, enfant, première de classe dans cette matière, je m'en suis assez vite désintéressée par la suite ). Le plus souvent les fautes sont dues à une inattention ou à la vitesse. Les gens qui s'en formalisent me font toujours un peu sourire, je ne sais pourquoi (j'en connais qui sont tout prêts à pleurer pour un accord du participe passé.... c'est désolant, vraiment, surtout en temps de Covid...). J'aurais tendance à me concentrert sur le contenu d'un message. Naturellement, si le contenant et le contenu sont en accord : tant mieux. Sinon, le sens à ma préférence. Bref, quand le sage Alain montre la lune, Dad s'efforce de porter attention à la lune...
      (Il y a même des fautes tellement logiques : écrire "évènement" me semble tellement plus juste, puisque c'est ainsi que l'on prononce; écrire "autant pour moi" me paraît la plus pure évidence; etc etc. )
      Dans ce que tu dis, ce qui m'importe c'est cette ambiance désagréable, voire détestable des hypermarchés. Je pense réellement qu'il faudrait instaurer des cours de sens civique et de culture alimentaire dans les écoles. Apprendre à vivre en société et à manger correctement me semble être une priorité. On les considère comme des problèmes annexes, voire secondaires, mais ils sont tellement plus importants que... l'orthographe, par exemple. Respecter son prochain, se respecter soi-même, savourer ce qu'on mange et ne pas avaler n'importe quoi sont des choses tellement plus importantes que... des accords de participe (dé)passé, non ?
      Pour terminer, suis désolée de te lire à propos des limitations physiques qui te touchent. Il me semble... il me semble que ce que l'on perd dans un champ, on le gagne dans d'autres. N'aurais-tu pas gagné en sensibilité et en capacité d'analyse ? en aptitude à comprendre l'humain ? Belle soirée.

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  2. Je n’avais jamais entendu parler de la via Francigena, jusqu’au jour, un jour d’été et de départ en vacances, où j'ai vu un panneau à côté d’un restoroute dans le Val d’Aoste indiquant que la route francigène passait par là. Je connaissais seulement le pèlerinage vers Saint Jacques de Compostelle, route que j’avais faite à vélo, quelques années auparavant. Beaucoup plus tard, durant la même année, dans le Latium à Viterbo, je me suis à nouveau trouvé face aux indications pour les marcheurs et pèlerins. Ils attendaient sagement l’ouverture de l'Office du tourisme. Ce qui m’a frappé, c’est la manière d’officialiser et de baliser la route, avec des arrêts officiels pour tamponner son petit carnet et prouver que l’on a bien fait la route, à l’identique de ce qui se fait sur le chemin de St Jacques. Dommage. La découverte individuelle, la liberté se perd. C’est comme s’il fallait acquérir des notes, ou passer des examens pour obtenir un papier valable dans le monde des marcheurs.

    Gaspard

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    1. Oui, cette voie n'est pas forcément connue, mais gagnerait à l'être. D'autant plus que le chemin peut très bien ne pas s'achever à Rome, mais se poursuivre, par exemple sur la voie Appia, jusqu'en Apulie, par l'ancienne route romaine qui a été défrichée et remise en valeur ces dernières années.
      Les carnets, les tampons ? Un passage obligé pour certifier qu'on "l'a fait". Pour certains, c'est important de pouvoir les montrer. Pour d'autres, c'est une démarche purement annexe. L'expérience, ce sont les marcheurs qui la font, chacun à leur manière, chacun en retire ce qu'il y a investi. Plus j'en parle, et plus l'envie de me mettre en route me taraude... peut-être l'an prochain, qui sait ?
      Merci pour le commentaire. Très douce soirée, Gaspard.

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