Fatalement, quand ils ont une actualité, les artistes et intellectuels finissent par être tous invités dans les mêmes émissions : France Inter, France culture, la Grande Librairie, 28 minutes sur Arte. A les voir, à les entendre, souvent à quelques heures, ou quelques jours de distance, on est frappé par les différences entre leurs propos et leur manière d'accompagner leur travail. On en arrive à se demander : Sont-ce bien les mêmes personnes qui se présentent ? Parlent-elles du même livre ? Sont-elles portées par les mêmes idées ?
On peut imaginer que l'espace-temps consacré à l'invité est en bonne partie responsable de ces décalages. Exprime-t-on les mêmes choses quand quelqu'un vous fait face et vous regarde -
vraiment - ou que l'on sent son attention rivée sur un prompteur ou
prise par le temps ? Le professionnalisme du journaliste et sa connaissance du sujet peuvent aussi jouer un rôle dans son aptitude à interviewer. Il n'existe pas de question neutre, bien sûr, et certains plus que d'autres ont besoin que tout soit bien cadré. L'ouverture à la parole de l'autre devient un luxe rarement offert dans un monde qui demande à ce que tout s'affiche comme binaire. Et il y a encore un je ne sais quoi, du stress, de l'empathie, de la timidité, quelque chose qui circule - ou pas - entre deux individus, des choses qui passent, des choses qui ne passent pas.
Hier, c'est l'écrivaine russe Ludmila Oulitskaïa, entendue la veille à 28 minutes, qui paraissait être une autre personne lors de son échange avec Augustin Trappenard. Si différente, si détendue, si disposée à converser, à se confier. Un véritable plaisir de l'entendre se dévoiler. A un certain moment, j'ai tendu l'oreille, car elle disait à propos de la lecture :
A l'époque de ma jeunesse, il n'y avait qu'un seul plaisir, une seule source de joie. C'était le plaisir de la lecture. Je suis une mauvaise lectrice. Et je vais vous expliquer pourquoi : très récemment, j'ai pensé que je lis vraiment rarement les nouveautés qui sortent, je n'aime que relire ce que j'aime déjà. J'aime revenir à Tolstoï, sans cesse, à un Pouchkine, à sa prose en particulier, et à chaque fois je comprends : il y a une lecture qui ne fait que s'enrichir au fur et à mesure des répétitions. Il y a tellement de strates, dans cette littérature-là. Ou peut-être que nous-mêmes nous grandissons, nous évoluons, et donc nous comprenons mieux certaines choses.
Ensuite, à propos de la complexité du travail de l'écrivain : Parfois on sent qu'une phrase n'est pas debout sur ses deux jambes, qu'elle est en train de s'écrouler, de s'effondrer. Et tu regardes cette phrase et tu te dis : "Comment est-ce que je vais la mettre sur pied, comment est-ce que je vais la faire exister dans la réalité ?" Il est très difficile pour moi de l'expliquer, mais mon mari, par exemple, il est artiste. Il est peintre et je vois comment il travaille. Je le vois peindre. Je le vois parfois s'éloigner, et revenir s'approcher pour faire juste une petite touche de pinceau. Je pense que c'est ce type de travail-là.
Certainement parce qu'Augustin est un intervieweur de talent (ce qui devient l'exception), qu'il montre un plaisir manifeste à exercer ce métier avec engagement, lucidité, bienveillance et exigence.
RépondreSupprimerC'est très différent de la clique pédante de 28 minutes… et de l'étalage de ses cuistreries calamiteuses… qui finissent même par désespérer le téléspectateur que je ne suis plus.
Alors une respectable auteure bientôt nonagénaire n'a qu'une hâte là-bas, c'est qu'on en termine.
Je te trouve un brin sévère avec l'émission 28 mn : il y a quelques bonnes interviews, et parfois de pertinentes interventions. Le problème tient sans doute à trois points : le temps très limité (on coupe souvent un invité alors qu'il commence à dire qqch d'intéressant);le besoin de faire entrer les discours dans des cases prédéfinies et manichéennes (sur divers sujets : écologie / féminisme / réfugiés / Europe / etc) ; le besoin de "coller" à l'actualité à tel point qu'on parle même quand rien ne peut être dit.
SupprimerIl m'arrive souvent d'éteindre avant la fin. De plus en plus, du reste. Les "experts" quels qu'ils soient finissent par lasser. J'aime mieux écouter des émissions à rythme plus lent, ou qui font un pas de côté. Si les invités sont contraints au jeu de la promotion, en tant que téléspectateurs ou auditeurs, heureusement, nous sommes libres... libres d'aller les lire ou de relire des auteurs que nous aimons.
PS : n'es-tu pas injuste avec Mme Oulitskaia ? loin d'être une respectable nonagénaire, elle porte ses 79 ans avec brio et une jolie effronterie!
Ben voilà !
SupprimerTon analyse explicite très bien pourquoi cette émission finit par me sortir par les trous de nez ! Je zappe souvent moi aussi. Mais je reconnais avoir forcé le trait !
Quant à Madame Oulitskaia j'ai dû me faire mal comprendre, car j'ai énormément apprécié son passage libéré chez Augustin. Mon propos à son sujet signifiait qu'elle n'a plus l'âge de subir des émissions tellement formatées qu'elles empêchent toute liberté d'expression. C'était plutôt un compliment !
Belle soirée lumineuse !
Oh! oui! il y a un âge et surtout un niveau de compétence où l'on doit être fatigué d'aller faire un minimum de salamalecs pour assurer la promotion de ses écrits. Ces passages obligés doivent lasser ceux qui s'y prêtent autant qu'ils lassent ceux qui regardent. Bon : soyons positifs, peut-être que ce sont des portes d'entrée qui peuvent donner des envies d'approfondissement...
SupprimerBonne journée à toi (ici, il bruine joliment sur les arbres vert vifs, qui déploient leur joie, une journée à lire... ou à relire)
Je n’ai pas entendue L Oulitskaia chez A Trapenard mais je l ai aperçue chez E Quin. J’ai vu une personne tellement fermée, tellement retranchée en elle-même qu’il était vraiment très difficile d’instaurer un véritable dialogue. Qu'il a été difficile pour la journaliste de l’interviewer. Et pourtant, j’apprécie E Quin pour son empathie et sa liberté de ton.
RépondreSupprimerDe même, si j’ai aimé entendre Boris Cyrulnik lors de la Grande Librairie, son passage chez A Trapenard m’a semblé tronqué, tronqué par le temps imparti, par les passages musicaux et autres....
Tout est affaire de concept, de ressenti, etc....
Et puis, je dirais que, même si promos obligent, chacun a le droit et la liberté de refuser telle ou telle émission tout comme tout auditeur ou téléspectateur peut décider de fermer la radio ou le téléviseur.
Certains se ferment comme des huitres, d'autres s'ouvrent et permettent qu'on les découvre... affaire de ressenti ? de professionnalisme ? ou autre chose encore... chi lo sa ? comme disent les Italiens... l'essentiel n'est-il pas de pouvoir accéder à une oeuvre, une pensée, bref : d'être introduits à des savoirs ? Ouverture : chose essentielle... dès lors : permettre l'ouverture de la parole chez l'autre pour pouvoir s'ouvrir à ce qu'il dit... C'est pour cela que j'apprécie entre autres "par les temps qui courent" : 45 minutes pour décortiquer une manière de travailler, de rechercher. "Dites-moi comment vous faites?" demande Marie Richeux. Et les artistes répondent à leur rythme, avec leurs mots.
SupprimerPS : Vous avez trouvé LO fermée à la télé ? Pour ma part, quand je l'ai entendue dire qu'elle venait tout juste de s'exiler à Berlin depuis 15 jours (autre territoire, autre langue, venant d'un pays tourmenté) je me suis demandé comment elle pouvait gérer autant de stress : se retrouver à Paris, voyager, faire face à des interviews, des personnes différentes à chaque fois (à 79 ans, quand même!). Je me suis demandé comment elle parvenait à gérer tout cela. Elle était libre ? A vrai dire, je ne connais pas suffisamment les contrats d'édition et leurs exigences, leurs planifications, mais je trouvais que LO accomplissait une sorte d'exploit. Le lendemain, j'ai apprécié de pouvoir mieux la découvrir... d'où ce billet, dans lequel je lui ai restitué quelques unes de ses phrases.