Là-bas, on n'a jamais vraiment compris qui était qui et qui faisait quoi. Une femme, qui nous a dit s'appeler Amanda, Anglaise de naissance, Australienne d'adoption, arrivant de Barcelone où elle gagnait sa vie en posant aux Beaux-Arts, nous a lancé à notre arrivée : Bienvenue dans ma maison! Nous avons appris qu'elle avait contacté via Facebook "monsieur le comte" et que celui-ci lui avait octroyé une chambre pendant un certain nombre de mois, moyennant deux heures de jardinage par jour (le parc étant immense et très bien entretenu, elle devait être accompagnée d'une armada de jardiniers pour s'acquitter de sa mission).
Le bâtiment qui avait abrité durant des siècles les ateliers de la soie s'effondrait avec une élégante mélancolie. Au XXe siècle, dans l'entre-deux-guerres, l'émergence des fibres synthétiques et le déplacement de la production en Orient avait eu peu à peu raison de ce qui avait été une florissante industrie.
Au piano nobile de la villa, la salle de bal était magnifiquement décorée par des fresques un brin licencieuses et blasphématoires et le samedi soir une star émergente du rap italien était venue y tourner un clip parmi les dieux qui y tenaient festin. C'était un domaine dont la poussière et les courants d'air était apparemment très prisés.
J'aimais les chevaux qui se doraient sur la façade des dépendances au soleil couchant et je me suis prise d'amitié pour une chienne terriblement craintive qui s'appelait Ginger et arrivait de Milan. Tous les soirs une famille espagnole avec deux enfants venait s'asseoir près de notre table au restaurant (jamais la même famille, jamais le même type d'interactions, jamais la même éducation). La patronne était un spécimen rare qui savait étonnamment allier bougonnerie et convivialité (la cuisine servie était à tomber).
Il y avait un je ne sais quoi de fantasque et d'excessif dans cet endroit. Tout paraissait devoir y être surjoué. L'amabilité des serveurs, l'obséquiosité du gérant, la disponibilité invraisemblable des gens. Au point que je me suis surprise, alors que je nourris pour ce genre d'exercice un intérêt très relatif, à écrire un commentaire dithyrambique dans le livre d'or devant la réception (il faut dire qu'on venait de me proposer pour un prix attractif une vaste demeure sicilienne ouverte sur la mer et les îles éoliennes avec quatre chambres à disposition).
Quand on empruntait la nationale pour remonter vers le Nord, la route
sinueuse se faisait attendrissante et nous invitait à considérer au loin la
ville, sa coupole ronde, sa tour oblique, ses longues murailles. On eut dit que les lieux
voulaient nous retenir : restez, mais restez donc encore un peu, vous ne pouvez pas déjà repartir! il y a tant de choses encore à découvrir! Hélas, oui, hélas, nous n'avons pas pu répondre favorablement à cette jolie route et à ses superbes incitations. Nous avons fini par rentrer et depuis, toutes les nuits, nous le regrettons et, pour moins le regretter, nous en rêvons.
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