Aux portes de la vieillesse, quand faut-il s'arrêter ? Tout arrêter. De bouger, de marcher, de faire des rencontres, de rêver le monde. Jusqu'à quand peut-on rire du temps qui passe ? Jusqu'à quel âge peut-on compter sur son corps ? A quel moment arrive ce que certain appellent la raison et d'autres le renoncement ?[T.4, p.9]
Au moment où ici la météo lunatique de ce printemps prenait subitement fin, à savoir quand le temps étonnamment froid a laissé place durant les après-midis à une chaleur quasi caniculaire, j'ai entrepris un voyage littéraire : la lecture de "Longue marche" (approximativement 15'000 kilomètres entre Lyon et la Chine, pour parcourir la route de la Soie sur les traces de Marco le Vénitien et des anciennes caravanes). Il faisait si chaud en fin de journée, pas question de sortir marcher. Dès lors, je me suis faite happer par les quelque 1'250 pages, à raison d'une centaine par jour (remarquons en passant que quand on lit des romans de voyages on finit par compter les pages comme d'autres les kilomètres).
Les écrivains voyageurs, il y en a de toutes sortes : il y a ceux qui sont plus ou moins doués question élégance stylistique et ceux qui sont davantage orientés vers les contacts humains. Il y en aussi qui excellent dans les descriptions géographiques et sociologiques, avec eux on en apprend autant que dans un livre de géopolitique. Certains autres sont extrêmement cultivés, ils savent vous emporter et vous faire rêver. Probablement qu'un bon écrivain de voyage recèle un peu toutes ces qualités. Avec Bernard Ollivier, on est gâtés : il sait écrire, il sait raconter, on le sent doué pour les contacts, bricoleur, futé. Mais surtout, ce qui plait avec lui, c'est que ses récits sont riches et honnêtes. Il ne s'attribue pas le beau rôle, n'hésite pas à évoquer ses états d'âmes, ses bourdes, ses diarrhées et les chausse-trappes dans lesquelles il s'est vu embarqué. C'est un véritable voyageur, c'est-à-dire un anti-héros qui accomplit un exploit héroïque grâce à sa ténacité, ses muscles, son intelligence (et naturellement, une bonne dose de chance).
L'histoire de cette longue aventure, racontée ICI, c'est celle d'un homme qui, après un brutal veuvage traverse une période difficile et se décide à entreprendre de longs départs à pied pour reprendre le sien dans l'existence. Il s'engage dans un premier temps sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, puis se lance à près de 60 ans dans l'aventure en solitaire de la route de la Soie. Il réalise sa performance en effectuant des trajets d'environ 120 jours durant quatre années consécutives. "Traverser l'Anatolie", "Vers Samarcande", "Le Vent des Steppes" sont les livres qui relatent chacune des expériences menant d'Istanbul à Xi'an.
Suite à la publication de ces premiers tomes, entre 2000 et 2003, Bernard Ollivier a connu un grand succès, donné des conférences, fondé l'association SEUIL qui vise à la réinsertion par la marche de jeunes en difficultés. Lui qui fut journaliste dans une première vie a aussi publié divers récits et nouvelles.
Ces trois premiers ouvrages, on peut les recommander à toute
personne aimant les voyages ou désireuse d'entreprendre un projet de
quelque nature que ce soit. La marche en tant qu'expérience de découverte et de prise de risque est une métaphore de la vie. En revanche, dans le quatrième et dernier tome, relatant le voyage à deux suggéré par sa nouvelle compagne, Frédérique, et effectué à quelques quinze ans de distance du premier périple on ne retrouve pas le même... souffle.
Ce livre visant à relater le trajet de Lyon (capitale ouvrière de la soie) à Istanbul, écrit par moments à deux voix, semble moins bien documenté et inspiré. Difficile d'accrocher à ces comptes-rendus factuels, parfois bâclés. On dirait par endroits un livre de commande. Est-ce une question de motivation ? La lassitude et la fatigue physique sont-elles trop présentes (difficile de garder la même énergie à 75 ans passés) ? Le voyage à deux implique-t-il un repli sur soi et par conséquent moins de rencontres, moins d'intérêt et de curiosité de la part des indigènes rencontrés ? Les territoires traversés apportent-ils un moindre dépaysement ? Toujours est-il que le récit est moins captivant, voire lassant.
A quelques reprises, j'ai failli abandonner. Le livre m'a paru plutôt fade en regard des trois premiers, mais quelques passages, de-ci de-là ont retenu mon attention :
Leur odyssée [B.O. parle des migrants rencontrés sur son chemin] relativise la nôtre. Ces dizaines de milliers d'hommes, d'enfants, de femmes portant bébé, ont marché par tous les temps, n'ayant dans leur bagage qu'un pauvre vêtement et un quignon de pain. Ce sont eux les véritables héros de la route. Le pire est d'entendre ces quelques Européens repus, submergés de milliers d'objets de la cave au grenier, qui se mettent à trembler devant ces sans pain, sans chemise et sans chaussures. De quoi donc avons-nous peur ? Qu'ils nous prennent la brioche de la bouche ou qu'ils nous arrachent quelques uns de ces gadgets qui nous encombrent et nous empêchent de penser ? [T.4,p.262-263]
[..] il va falloir bientôt nous détacher de ce détachement, retrouver les nouvelles internationales, le dénombrement des victimes et les publicités débilitantes. Un voyage comme celui-ci fait de vous un adepte de la décroissance. Nous avons redécouvert pour quelques semaines les valeurs de ce monde lointain où la vie a moins de prix que les croyances et où les objets n'obsèdent personne.[T.4, p.241]
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