Galleria de l'Accademia / Modèle en plâtre d'un cheval du quadrige de Saint-Marc
Je me souviens l'hiver dernier, traversant les salles du rez de l'Accademia, je m'étais arrêtée un long moment devant ce modèle en plâtre, une copie réalisée en 1817 à partir d'un des chevaux qui surplombent l'entrée principale de la Basilique de Saint-Marc.
Si l'on expose dans les Gallerie un moulage en plâtre, ce sont également des copies que les visiteurs de la place ont communément sous les yeux. En effet, depuis 1982, les originaux ont été mis à l'abri de la pollution et des intempéries au Musée de Saint-Marc, aménagé au premier étage de la basilique. Ces chevaux ont eu une histoire tourmentée et les chercheurs se sont longuement interrogés à propos de leur origine.
vue depuis la terrasse
Après moult recherches, il est apparu que la réalisation de ces sculptures majestueuses remonte à l'époque romaine, entre le IIe et le IIIe siècle apr. J.-C. Il est très probable qu'ils proviennent de l'île de Chios et qu'on les ait destinés à orner le grand hippodrome de Constantinople sous le règne de Theodose II.
C'est au cours de la quatrième croisade, après la défaite des Byzantins, que ces chevaux furent amenés en tant que butin de guerre à Venise où on les plaça dès 1254 sur la terrasse qui surmonte le portail curviligne de la basilique.
Ils y restèrent jusqu'à ce que Napoléon, lors de son occupation de la Vénétie en 1797, les trouve à son goût et décide de faire main-basse sur ces merveilles. Il les fit expédier à Paris, les destinant à parachever son Arc de Triomphe du Carrousel. Mais le Traité de Vienne mis fin au pillage et le quadrige retrouva son emplacement vénitien en décembre 1815.
Au cours du XXe siècle, durant les deux guerres mondiales, on les retira une nouvelle fois pour les préserver de possibles dommages.
Il est difficile de percevoir les subtilités artistiques et le réalisme stupéfiant de ces œuvres classiques quand on les voit depuis la place, en contre-plongée, au milieu des milliers de détails ornant la façade. C'est pourquoi cette imitation, dans sa pâle version muséale, m'a fascinée. Je restai longuement absorbée dans un dialogue silencieux tant cet animal semblait avoir de choses à exprimer.
Le sculpteur anonyme avait non seulement su rendre les muscles et les tendons, les oreilles dressées, les veines saillant sur le museau, le frémissement des naseaux, la bouche semi-ouverte comme s'il était sur le point de parler. Il avait aussi et surtout donné à son regard une profondeur peu commune. A quoi pensait donc ce fier animal ? Qu'était-il censé contempler ? Il serait difficile de croire la bête intéressée par des questions de fourrage ou d'étriers. C'est une statue triomphale et altière. Mais par-delà sa fonction première, le cheval semble avoir des pensées profondes, chargées d'humanité, des réflexions sur la vie, son sens et sa durée. Il apparaît sur le point de s'exprimer, avec dans ses yeux une forte compassion, mêlée à une certaine gravité non dénuée de tristesse. On peut ainsi passer des heures devant l'art statuaire.
En sortant, il ne me restait plus qu'à traverser le pont en bois de l'Accademia et diriger mes pas vers la Piazza pour y poursuivre l'échange avec le bel animal et ses congénères, méditant sur leur créateur, leurs vicissitudes et tous leurs mystères.
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