Je devais aller chercher ce soir-là quelqu'un qui rentrait tard. La jauge assoiffée commençait à voir rouge. Quelque part, très loin, ailleurs, le soleil virait à l'orange. J'ai fait un crochet jusqu'à la station. C'était une soirée d'été très ordinaire, les parfums dans l'air, les derniers retardataires ou peut-être quelques premiers fêtards. L'endroit grouillait tel un insecte saoul qui ne sait plus trop comment faire, se servir à
la pompe, acheter des cigarettes, se payer de quoi boire un dernier verre. Sur les visages se lisait une fatigue huileuse, les corps paraissaient devoir lutter pour se mouvoir.
Il y avait quelque chose de terriblement banal dans cet endroit auquel par essence on n'accorde aucune attention, où l'on s'arrête et on repart, tant de fois, anonyme, sans rien voir, dans l'urgence de combler le vide et de faire le plein. Mais les stations-service, comme les gens, changent d'apparence quand ils échappent aux habitudes. Ce soir-là, tout se montrait sous un autre éclairage : Un homme lent et ridé regagnait sa voiture vaguement cabossée sur les côtés. On aurait dit qu'il allait retrouver un animal familier. A la caisse, une femme courbée se hâtait d'emporter un bocal pour des pâtes vite avalées. Un garçon prenait le temps d'hésiter entre deux marques de bière. Un père de famille harassé par sa journée, absent, écrasé, se faisait secouer par les soupirs de ceux qui piétinaient derrière.
La vie se dévoilait, insignifiante au possible, et pourtant incroyablement noble, dans son indéniable vérité. Ça sentait le quotidien, et la peur souterraine, et la solitude pleine, le travail accompli, le travail subi, et les divers soucis, et le besoin de retrouver son abri. On aurait voulu leur poser une main sur l'épaule. On aurait voulu leur dire je comprends, moi aussi. C'était une fraction d'été comment il y en a tant. Rien de spécial, vraiment, juste un de ces moments à contre-temps où se révèle ce qui nous est commun.
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