Quand je pense à toi,
couchée dans ta chambre, allongée dans ton fauteuil, promenée comme dans un landau,
dorlotée, entourée, tes couches changées, tes médicaments administrés, régulièrement
visitée, bordée le soir, toilettée le matin, quand je pense à toi, moi qui
longtemps ai visualisé ta fin de vie avec une appréhension certaine, avec une répulsion
certaine, jamais jamais je n’aurais voulu vivre cela, grands dieux jamais, me
suis-je répété durant de longs mois, eh bien, à présent, je me voici à me demander si cette dernière
étape de vie ne répond pas à tes plus
fondamentales aspirations.
Au fond, toute ton
existence n’a été qu’un long appel au maternage, à la symbiose. Tu ne voulais que
cela : être collée à quelqu’un qui prenne soin de toi. Je sais que ta pauvre mère
a eu sept enfants en l’espace de dix ans. Les deux premiers sont morts dans leur berceau. Tu étais l’avant-dernière. Ton frère est né peu après toi. Le seul
garçon après tant de filles. Tu n’avais pas plus d’importance que cela. Tu le
répétais si souvent : pas plus d'importance que cela.
Je crois qu’enfant, à
la traîne de tes sœurs ainées, dépendante, mal sevrée par cette mère paysanne qui
devait travailler à l'étable, dans les champs, au jardin, nettoyer,
coudre, cuisiner, qui n’avait pas que ça à faire : dorloter, je crois que
tu as manqué du nécessaire amour, de la nécessaire attention, tu n’as pas été suffisamment
couvée. Délaissée, abandonnée. Et tous les coups que tu as par la suite si vertement distribués
n'étaient que des manières de dire cela : je suis seule, affligée, veillez sur moi, je deviens folle de désespoir.
Dès lors, il m’arrive
de penser que, peut-être, cette dernière partie de ta vie, telle que tu la vis,
répond à tes besoins. Oui, il m’arrive de cesser de me tourmenter, de vouloir
changer la réalité, de me révolter, il m’arrive de penser que, tout compte fait,
compte tenu de ce qui a été, tout est bien. Oui, il m'arrive de me dire que tout est bien.
Il y a des situations où l'on ne peut pas faire grand-chose... autant relativiser.
RépondreSupprimerUn texte poignant... bonne soirée Dad !
Merci, chère Julie. En peu de mots, je me sens comprise. Belle soirée à toi aussi.
RépondreSupprimerRelativiser et accepter, mais ce n'est pas évident tout de même...
RépondreSupprimerRien n'est évident quand il s'agit de la fin d'un proche...
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