dimanche 27 juin 2021

Vivre : rencontres

 

Je lui avais adressé un e-mail pour lui commander un album et elle m'avait répondu qu'il serait disponible dès le vendredi suivant. Mais quand je suis entrée, elle était dans tous ses états : ce jour-là tous les livres avaient été reçus en bonne et due forme sauf... le mien pour lequel manifestement le préposé aux expéditions avait fait une bourde é-nor-me. Elle avait alors appelé son collègue de Florence, Francesco, qui s'apprêtait à partir à la mer, en lui demandant (lui intimant l'ordre ?) de faire un détour par Sienne et de s'arrêter avec sa voiture à telle station d'essence proche de la porta San Marco où elle se rendrait elle-même en vespa pour récupérer le livre en question. J'étais gênée ("tant pis, ce n'est pas grave", "mais non! ne le dérangez pas!"). Elle aurait pu se dire désolée (dans le fond, elle n'était en rien responsable) mais elle en faisait une affaire personnelle. Elle houspillait le fameux Francesco dans le combiné et me faisait des signes impérieux de me taire. Si investie qu'au bout du compte, une heure plus tard, je tenais le livre prévu entre mes mains. 
Par la suite, toutes les fois que je passais devant son magasin pour me rendre à la pinacothèque ou au dôme, nous nous faisions de grands signes. Désormais, j'avais trouvé dans la ville ma librair(i)e attitrée.
 
 
L'homme d'âge moyen, vêtu d'un uniforme (un capitaine des carabiniers peut-être ?) est entré dans le bar, un des plus fréquentés de la ville. Il s'est dirigé lentement vers le comptoir et s'est adressé à la serveuse dans un italien châtié : "Bonjour, Madame. Serait-il possible, je vous prie, d'obtenir un café ? " Je crois bien que s'il avait porté un couvre-chef, il l'aurait retiré dans la foulée.
 

Elle s'appelait Gabriella. Mais tout le monde pouvait l'appeler Gabri (nous aussi, naturellement). Elle était mince comme un gressin et vive et alerte et elle menait son monde à la baguette. Une autorité légère et généreuse, mais bien présente : le service était parfaitement coordonné. Elle parlait d'elle, de sa famille, tout en faisant impeccablement son métier. Elle se rappelait de soir en soir nos consommations de la veille et n'a jamais oublié que je me prénommais Dad. C'était une personne qu'on ne remarquerait pas, au coin de la rue, mais que j'aurais de suite adoptée comme sœur ou comme amie de coeur.
 

J'ai connu Amélie (une chieuse de première). Et Achille (lequel entretenait un rapport quasi incestueux avec son maître). Et Pathos (très beau, extrêmement affectueux, d'une élégance rare). Et Gédéon (Géo pour les intimes). J'ai croisé Bip, Tender et Sandro. Mais mon préféré, dans l'absolu, c'était Otto. Otto, un bon mètre vingt au garrot, sublime lévrier anglais, racé, dont sa maîtresse m'assurait qu'il n'était encore qu'un bébé (à peine onze mois) et qu'il allait encore grandir (...) Surprenant de douceur et de grâce, je ne suis pas près de l'oublier...
 

Et puis, dans le Giardino Spoerri, il y avait cet insecte rouge et bleu qui volait de fleur en fleur comme un miracle étincelant et ce long serpent impassible suspendu à une branche et la fillette à qui je l'ai indiqué du doigt, qui a poussé un grand cri quand elle l'a découvert à son tour. Oui. Les vacances, ce sont des lieux et des atmosphères, mais aussi et surtout des rencontres qui se révèlent marquantes, sans en avoir l'air...



4 commentaires:

  1. J'aime l’opiniâtreté généreuse de la libraire comme j’aime l’autorité tout aussi généreuse de Gabriella. Que de belles rencontres humaines pleines de richesse tout autant que les paysages qui vous accompagnent et par là même nous accompagnent.
    Merci pour les photos en partage et pour la rencontre à venir avec Hisham Matar.
    Une question: Dad, est-ce votre vrai prénom?
    Belle fin de journée.

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    1. On n'est peut-être pas toujours conscient/e de l'importance des commerçants dans un lieu, une ville, petite ou grande où nous avons nos habitudes. Mais ce sont eux, au sens large, serveurs, cuisiniers, libraires ou épiciers, qui sont l'âme du lieu et le font vivre. Ils accueillent, ils permettent des rencontres et des communications. Le confinement l'a bien montré : sans ces endroits où se déroulent notre vie et nos échanges ordinaires, nous manquons de qqch d'essentiel. Quand on voyage, on comprend vite cela : la consommation de biens de première nécessité (je ne parle pas de surconsommation) génère du lien. Je réalise que ces rencontres, pour être brèves, n'en sont pas moins instructives et riches pour moi.
      Belle et douce fin de journéed
      Non, dad n'est pas mon prénom :) mais Dad a été pendant bien des années mon login professionnel. Pas si pseudo que ça, en somme!

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  2. Voilà un compte rendu de voyage d'une originalité qui est à souligner…
    j'ai souri à chaque fois et mon intérêt fut soutenu pour ces tranches de vie relationnelle si justes et sympathiques.
    Par contraste, ça m'a rappelé les « soirées diapos » d'antan où on s'ennuyait ferme à voir sur chacune d'elles l'autobus du voyage organisé et par derrière, assez vaguement, le paysage du lieu où il s'était arrêté !
    (Bon d'accord, je force le trait un peu quand même…)

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    1. Ah! ton comm' me rappelle un couple de voisins qui aimaient animer leurs invitations avec des exemplaires choisis de flore et de faune captés dans les Alpes où ils se rendaient chaque année... une fondue et puis après, des gentianes et des marmottes : le bon vieux temps! Sous l'effet du fromage et du vin blanc, j'étais prise de bâillements dès la troisième fleur...
      (cela dit, j'adore profiter des trois in situ. Une marmotte nous a coupé la route sur le col du Gd St Bernard au retour : trop mignonne!) Belle et douce soirée!

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