Vitrine via Santo Spirito / Florence
Y a-t-il question plus embarrassante, quand on y pense, plus indiscrète, plus normative, plus violente, parfois, que celle qu'on ne cesse de nous poser en ce moment ? "Qu'est-ce que vous faites pour Noël ?" On peut préparer des réponses toutes faites, bien sûr, des DIY prêtes à l'emploi. On peut répondre n'importe quoi. Mais cette simple question bateau renvoie chacun à des couches très profondes en soi. Tout le monde le sait. Tout le monde le comprend confusément. Il y a fort à parier que peu de gens aiment vraiment répondre à ce type d'interrogation qui les ramènent à des réalités tout autres qu'ordinaires.**
Et pourtant la question circule en mode viral, plus invasive que la variante Pirola. Plus les tensions sont fortes, les échanges crispés dans les rues, les espaces publics et les magasins, plus l'inattention à l'Autre gagne du terrain, et plus les questions se font distraites. "Qu'est-ce que vous faites pour Noël ?". Quoi de plus normal ? On se croit poli en tentant de converser ainsi. Et il en va de même pour les vœux. Quelle empathie dans tous ces bonheurs, toutes ces santés, toutes ces prospérités adressées à la chaîne ? En quoi ces mots convenus, chargés de vide ou de trop-plein, tiennent-ils compte de la personne à qui l'on s'adresse ?
L'autre soir, à la librairie Feltrinelli, tandis que la nuit attirait les badauds depuis la piazza della Repubblica, deux personnes se sont approchées de nous, désireuses de nous parler, va savoir pourquoi. Cela nous a valu deux échanges des plus intéressants, brefs, mais très intéressants (il y a parfois des inconnus qu'on aimerait inviter sans façons à prendre un verre pour continuer la discussion).
Au moment de la quitter, j'ai lancé à la femme qui travaillait comme guide culturelle en français : "Que pouvons-nous vous souhaiter pour l'année à venir ?" Elle a hésité pendant un fraction de seconde puis a répondu : La Paix! Elle est partie en répétant de manière affirmée : LA PAIX! Un autre interlocuteur, très élégant, qui venait de nous raconter une bonne partie de ses soucis devant le stand des sciences politiques, nous a lancé : "Un travail sûr pour mes enfants!".
Hélas, après ces dialogues sincères, un seul coup d’œil aux livres de géopolitique exposés bien en vue par les libraires indiquait combien la réalité des faits risquait de s'opposer à ces désirs légitimes et à leurs sympathiques porteurs.
** Sauf les familles avec deux enfants blonds, des cousins et un chien, des grands-parents souriant de toutes leurs dents, habitant dans une belle maison, veillant à manger sain, sans lactose et sans gluten, ouvrant des cadeaux certifiés en bois FSC destinés à les combler.
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