lundi 5 avril 2021

Vivre : évasions évasions

 
Côte dalmate / Années 1950 / Musée d’ethnographie / Split
 
Par le fait du hasard, je tombe le même jour sur deux informations ayant trait au monde des croisières : l'émission "Les pieds sur terre" diffuse le témoignage d'une femme partie en vacances avec son fils sur un de ces immenses paquebots sillonnant les Caraïbes en mars 2020, et qui a expérimenté les malheurs du confinement au cœur du confinement. Elle décrit la communication opaque de la compagnie, les informations contradictoires, les escales refusées, le personnel malade, les autorités à bord invisibles, l'épidémie diffuse dans ce lieu clos, les scènes de panique, le parcours du combattant pour parvenir à rentrer (et puis les semaines de maladie au retour). Son expérience fait état d'un parcours infernal.
Or, sur le site de Rainews (plateforme d'information de la télévision italienne) j'apprends que le 30 mars 2021, soit juste un an plus tard, un navire de la compagnie MSC a quitté Gênes avec 2'000 personnes à son bord, soit un tiers de sa capacité maximale. Il n'a accepté que des passagers provenant de l'Espace Schengen  (plus des ressortissants de Croatie, de Roumanie et de Bulgarie). 
Une femme, enseignante de 39 ans, partie avec ses deux enfants, témoigne de son irrépressible besoin d'évasion : "Après un an de restrictions, nous avions droit à savourer un peu de liberté". " C'est un choix  fait pour assurer notre santé mentale" a ajouté un père de famille. Le reportage montre bien sûr les tests PCR présentés au départ, les contrôles de température, le personnel dûment masqué, mais aussi les restaurants, les salles de fitness, les boutiques, les gens allongés sans masque au bord de la piscine, par centaines sur les ponts, pour bronzer en rangs d'oignons,  avec le soleil et la mer pour toile de fond. Le tout laisse songeur...  consterné et songeur : alors que toute l'Italie se voit strictement confinée pour la quatrième fois, on a donc laissé partir ce navire en toute légalité... et puis tant d'efforts d'évasion pour se retrouver en fin de compte assignés à résidence en compagnie des autres voyageurs, dans cette cité-paquebot, avec une quarantaine de cinq jours imposée au retour.

Hallucinant ? Incohérent ?  
On ne peut s'empêcher de se demander : entre les deux croisières, que s'est-il passé ? Le Covid est-il entré dans les mœurs, ses conséquences banalisées ? Les gens se sont-ils habitués aux chiffres et aux décès ? Se sentent-ils intouchables, non concernés ? Les hospitalisés, les enterrés, est-ce que ce sont toujours "les autres" ? Et, si ces touristes  ne se sentent pas impliqués par le Covid sur le plan de leur santé, qui, selon eux, va devoir fatalement prendre en charge les retombées sociales et financières de leur comportement ?
Au fond, la crise économique et sanitaire que nous sommes en train de vivre n'est pas seulement le produit des excès chaotiques de la mondialisation. Notre manière d'y répondre est aussi le reflet de tous nos fonctionnements autocentrés, de tous nos égoïsmes et de toutes nos infinies manies d'enfants gâtés.

2 commentaires:

  1. Je crois que vous avez tout dit, notamment, dans la dernière phrase. Que doit-on penser également des fêtes clandestines en milieu clos, des rassemblements prohibés ou des personnes ne remplissant pas les critères pour être vaccinées inscrites sur fausse déclaration d’âge ou de pathologies sur des sites ad hoc.
    Belle fin de journée

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    1. Oui... en effet, la liste serait longue... il y a toujours eu des comportements prohibés, des malins qui cherchent à esquiver, mais ici ce qui m'a frappée, c'est que tout apparaissait légal et affiché. Une fausse déclaration d'âge, ça se contrôle et ça se refuse. Une pathologie, ça se vérifie sur attestation médicale. Mais ici il s'agit de l'attitude "j'en ai besoin, je le veux, j'y ai droit" et peu importe ce qu'il adviendra. En Italie, dont je regarde quotidiennement les statistiques, il y a eu ces deux derniers mois en moyenne 400 à 450 décès par jour. Plus de 110'000 décès depuis le début.Toutes les régions sont impactées.Tout le monde connait des personnes touchées.
      Ce qui m'a frappée aussi, c'est les réactions opposées : le sentiment de claustration vécu au début de la crise, l'an dernier, et à présent, ces gens enfermés à peu près de la même façon, dans des espaces réduits, et qui vivaient ce départ comme une évasion. On pourrait rétorquer : ils sont peut-être enfermés dans des HLM toute l'année, mais je ne pense pas que ce soient les plus mal lotis qui sont en mesure de se permettre ce genre d'escapade. "C'est mon droit et après moi le déluge..."
      Le Covid nous porterait-il à devenir des censeurs, des juges, des moralisateurs ? Peut-être. Je crois qu'il agit comme un révélateur de nos comportements sociaux. Tout devient amplifié, et aussi plus clair, comme dans une photo aux couleurs sursaturées.
      Et puis, comme le disait hier mon fils, des centaines d'enfants meurent actuellement de faim à Madagascar sans que personne ne s'en émeuve... des milliers d'enfants meurent de maladie et de faim... on continue de sous-payer nos matières premières, de laisser certaines entreprises faire des bénéfices colossaux, et de trouver cela normal... c'est si loin... ça devrait nous heurter encore plus que l'épidémie du Covid... mais c'est si loin...
      Cela dit, ce temps extraordinaire de Pâques, cette fête de la nature a été un cadeau du ciel, que je vous souhaite de terminer en beauté.

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