L'autre monde, me suis-je dit en sortant de la salle, l'autre monde serait, ou sera, un monde un peu plus juste, plus solidaire. Plus sensé. L'autre monde serait un monde où la créativité aurait toute sa place, pas forcément la Créativité avec un grand C, celle des Artistes avec un grand A, non, une créativité qui implique toutes les tâches et tous les niveaux de la vie, une créativité de chaque instant, qui irrigue de sens tout ce que l'on fait : depuis une activité professionnelle valorisée jusqu'aux travaux ménagers, en passant par les rencontres, les engagements et tous les territoires à explorer. L'autre monde serait un monde d'attention douce et profonde à soi, et aussi d'attention à tout ce qui nous entoure, au vivant, à ce qui croît autour de soi. L'autre monde serait la recherche d'équilibre dans les échanges, un monde où le travail de tout un chacun serait partout et à toute échelle correctement reconnu et rémunéré. Oui, l'autre monde ne serait pas juste, équilibré et solidaire dans l'absolu. Il serait en revanche un peu plus juste, un peu plus équilibré, un peu plus solidaire dans les faits.
Le film de Stéphane Brizé est tellement bien construit qu'on ne voit pas le temps passer. Il décrit une nouvelle fois la folie de notre société capitaliste et consumériste et en décrypte les absurdités. Comme dans la "Loi du marché" ou "En guerre", il suit un personnage dans un moment crucial de son existence (ici : le directeur d'une entreprise française rachetée par un groupe américain, qui ne peut plus continuer à dégraisser en faveur d'actionnaires lointains dans un mécanisme dément qui semble ne jamais devoir s'arrêter). Le scénario est d'une grande sobriété. Pas trop de mots, pas trop d'images, et surtout rien d'édulcoré. Les personnages captés de près, souvent de face quand ils sont amenés à la confrontation, de trois quart dos quand ils se retrouvent seuls pour assumer leurs vérités.
Le film de Stéphane Brizé est tellement bien construit qu'on ne voit pas le temps passer. Il décrit une nouvelle fois la folie de notre société capitaliste et consumériste et en décrypte les absurdités. Comme dans la "Loi du marché" ou "En guerre", il suit un personnage dans un moment crucial de son existence (ici : le directeur d'une entreprise française rachetée par un groupe américain, qui ne peut plus continuer à dégraisser en faveur d'actionnaires lointains dans un mécanisme dément qui semble ne jamais devoir s'arrêter). Le scénario est d'une grande sobriété. Pas trop de mots, pas trop d'images, et surtout rien d'édulcoré. Les personnages captés de près, souvent de face quand ils sont amenés à la confrontation, de trois quart dos quand ils se retrouvent seuls pour assumer leurs vérités.
L'histoire commence au moment où le personnage principal, en instance de divorce, est impliqué dans une négociation avec sa femme et leurs avocats. On réalise - peut-être en même temps que lui - le prix qu'il a dû payer pour accéder à la "réussite" sociale et économique, pour avoir voulu grimper les échelons et surtout pour s'être efforcé d'y rester arrimé. On mesure l'étendue des dommages collatéraux, qui finissent par occuper toute la place.
Le film est marqué par la folie de deux discours : celui du fils, étudiant en commerce au seuil de l'âge adulte, qui craque psychiquement et doit être hospitalisé. Son discours de "perdant" reproduit les mots et les raisonnements de la société qui l'entoure. Tout a l'air cohérent et adapté... jusqu'au moment où il aboutit à de l'insensé (il se dit guéri et prêt à sortir parce que Mark Zuckerberg en personne est très intéressé par une postulation qu'il a faite à Facebook depuis le HP). Le deuxième discours est celui d'une "gagnante", à savoir la directrice générale pour la France de la multinationale (impeccablement incarnée par Marie Drucker). Elle tient le langage type des grands managers en campagne, qui pressent leurs équipes pour suivre sans discussion les lignes ordonnées par Wall Street. Son rôle est de faire en sorte que le système continue de fonctionner, comme une toupille qui s'emballe et de veiller à ce que rien, aucune entrave, ne vienne empêcher le tournoiement affolant imposé. Ce discours-là a aussi toutes les apparences de la cohérence, il est parfaitement rodé. Seulement, par le génie du scénario, il se révèle aussi délirant que celui du fils (mais, hélas, avec une toute autre portée).
Face à toutes les débâcles qu'il est en train de vivre, le protagoniste finit par choisir la seule voie réellement sensée, celle du retour sur soi et sur ses propres résolutions.
Le film est marqué par la folie de deux discours : celui du fils, étudiant en commerce au seuil de l'âge adulte, qui craque psychiquement et doit être hospitalisé. Son discours de "perdant" reproduit les mots et les raisonnements de la société qui l'entoure. Tout a l'air cohérent et adapté... jusqu'au moment où il aboutit à de l'insensé (il se dit guéri et prêt à sortir parce que Mark Zuckerberg en personne est très intéressé par une postulation qu'il a faite à Facebook depuis le HP). Le deuxième discours est celui d'une "gagnante", à savoir la directrice générale pour la France de la multinationale (impeccablement incarnée par Marie Drucker). Elle tient le langage type des grands managers en campagne, qui pressent leurs équipes pour suivre sans discussion les lignes ordonnées par Wall Street. Son rôle est de faire en sorte que le système continue de fonctionner, comme une toupille qui s'emballe et de veiller à ce que rien, aucune entrave, ne vienne empêcher le tournoiement affolant imposé. Ce discours-là a aussi toutes les apparences de la cohérence, il est parfaitement rodé. Seulement, par le génie du scénario, il se révèle aussi délirant que celui du fils (mais, hélas, avec une toute autre portée).
Face à toutes les débâcles qu'il est en train de vivre, le protagoniste finit par choisir la seule voie réellement sensée, celle du retour sur soi et sur ses propres résolutions.
Le résultat est une œuvre cinématographique de grande qualité. Un cinéma rigoureux qui prend le relais des informations telles qu'elles nous sont déversées
par les médias et nous permet de faire un
pas de côté. Un cinéma qui, en 90 minutes, donne à voir et à analyser notre réalité socio-économique avec davantage de lucidité.
Ajoutons que la musique de Camille Rocailleux, splendide et épurée, portée par une voix limpide, accompagne magnifiquement l'histoire. Elle vient nous parler sans mots et nous inspirer. Elle vient évoquer un autre monde, si bien qu'en sortant chacun se retrouve en mesure de l'imaginer, cet autre monde, pour notre héros, mais aussi pour soi, pour les autres, pour notre Monde.
Manager
RépondreSupprimerA propos d’Un autre monde, voici quelques extraits, un florilège, du lexique du parfait manager et de sa langue bien particulière : Synergies ; Il faut tout me faire remonter ; C’est une grande opportunité pour vous ; Avec tout le respect ; En toute sincérité ; Performance ; Vous pouvez ainsi challenger votre équipe ; Nous sommes très attentifs à l'épanouissement humain au sein de notre entreprise ; Responsabiliser les collaborateurs ; Marge de progression ; Optimisation ; Economie d’échelle ; La prise de risque ; Le courage managérial.
Bien entendu ce ne sont que quelques exemples, chacun peut rajouter les phrases creuses entendues ou présentées lors des séminaires pour cadres. Phrases, qui proviennent d’ailleurs toutes des mêmes écoles, ou tendances de gestion actuellement à la mode. Mais qui montrent toutes aussi le cynisme à peine voilé qui se cache derrière cette langue à laquelle chacun doit faire semblant de croire, s’il veut rester dans la course.
Gaspard
Oui, le langage est bien rodé. Chacun l'emploie et s'efforce d'y croire (indispensable si l'on ne tient pas à être exclu). C'est probablement quand les gens ne peuvent plus l'entendre, l'employer, y adhérer que les choses disjonctent. Alors, ils partent (s'ils en ont les moyens, s'ils peuvent faire d'autres projets) ou alors ils se font expulser (licenciement, maladie). Je me demande si la maladie n'est pas une manière du corps de dire qu'il n'en peut plus de tant de cynisme ? Le mental se voudrait encore "raisonnable", tandis que le corps dit "stop! fini les absurdités" ? Le mérite du film, c'est qu'à distance ces choses apparaissent tellement clairement!
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