Image tirée du film
Le film Nomadland est inspiré d'une longue enquête éponyme menée par la journaliste Jessica Bruder auprès d'Étasuniens d'âge mûr impactés par la crise financière de 2008 et qui se sont retrouvés à la rue après avoir perdu leur travail, leurs ressources et leur maison. Ils sont devenus des travailleurs précaires, des nomades modernes, vivant dans leur camping-car et se réunissant au sein de communautés solidaires au hasard des emplois provisoires qu'ils parviennent à dénicher. Le livre, sous-titré "Surviving America in the Twenty-First Century" (Survivre en Amérique au vingt et unième siècle), un condensé de 273 pages, a été publié pour la première fois aux Etats-Unis en septembre 2017. Il est le résultat de trois années d'investigation, 15'000 miles de conduite d'un océan à l'autre, et de la frontière mexicaine jusqu'au Canada.
La cinéaste Chloé Zhao, née en Chine, a choisi d'adapter au cinéma cette investigation fouillée. En plus du tournage, elle en a également assuré le montage, aboutissant à un long-métrage d'environ deux heures. Elle a travaillé sur ce projet avec le soutien de l'actrice Frances McDormand, qui tient le rôle principal, celui de Fern, une veuve sexagénaire migrant sur les routes après avoir laissé derrière elle tous ses points d'ancrage. Par ailleurs, pour cette œuvre qui tient beaucoup plus du documentaire que de la fiction, elle a essentiellement fait appel à des comédiens non professionnels amenés à jouer leur propre personnage.
Dans Nomadland, il y a les yeux clairs, délavés de Fern. Elle les pose sur ses compagnons de route, sur les paysages qu'elle est amenée à traverser, sur un chien, un bébé ou sur l'immensité des dépôts d'Amazon où elle décroche un job momentané. Elle conduit son van à travers les vastes contrées nord-américaines, observe, se montre présente aux autres, attentive à tout ce qui lui arrive. Frances McDormand, n'assume pas un rôle où l'expression verbale est primordiale. Elle n'a pas de répliques notables. C'est davantage à travers les regards, les postures, les gestuelles, les manières d'occuper l'espace qu'elle donne corps à son personnage. Quand Fern parle, c'est pour demander un boulot à une conseillère pour l'emploi : " J'aime travailler. Je veux travailler. Je ne veux pas de retraite anticipée." Quand elle parle, c'est pour expliquer à un mécanicien que son van vaut beaucoup plus que les 5'000 dollars qu'il lui propose, son van, elle l'a aménagé et bichonné avec tout le soin possible, c'est son chez-soi, c'est sa vie, sa protection, sa bouée.
Dans Nomadland, alors qu'on pourrait s'attendre à des scènes misérabilistes, à des moments de violence et de déchéance, alors qu'on pourrait craindre constamment de voir le pire arriver, c'est tout le contraire qui apparaît : un déroulé d'images splendides, des moments d'intense humanité, des passages de grande dignité, des leçons de vie et de solidarité.
Dans Nomadland, il y a une ode à la nature monumentale et incontaminée, montagnes, plaines, rivières, une révérence aux grands espaces et à toutes les consolations qu'ils peuvent apporter. Il y a l'immensité du ciel, les étoiles, le soleil et ses merveilleux couchers.
Dans Nomadland, il y a aussi les seaux dans lesquels on est amené à se vider les entrailles. Il y a l'importance des ouvre-boîtes et des soupes Campbell qu'on se réchauffe en guise de dîner. Il y a la crasse dont on se sépare sous des douches qu'on peut enfin trouver. Il y a les coupes de cheveux qu'on se fait tant bien que mal dans les toilettes des stations service.
Dans Nomadland, il y a au début et à la fin les élans lyriques d'Oltremare, musique douce et sentimentale de Ludovico Einaudi, qui pourrait paraître un peu mièvre, eu égard au sujet, mais qui se présente comme le reflet du regard ébloui de Fern sur le monde qui l'entoure.
Dans Nomadland, et c'est sans doute la grande leçon du film, on est amené à réaliser que le déclassement et la perte de statut peuvent toucher tout un chacun, de manière impromptue, avant même qu'on puisse le réaliser et sans que l'on puisse s'en défendre. Personne n'est à l'abri d'une chute, d'un dérapage. Il suffit d'un événement, divorce, deuil, maladie. Fern, comme ses compagnons de voyage, a connu l'insertion sociale, la stabilité. Elle a eu un mari, un emploi, une maison. La perte successive du premier, puis du second, puis de la troisième l'ont amenée à sillonner les routes et à entreprendre une autre vie. Une vie qu'elle a fini par se choisir et assumer entièrement, car cette héroïne n'a rien d'une victime : elle est la véritable protagoniste de sa trajectoire.
Un road movie rédempteur en quelque sorte ?
RépondreSupprimerRédempteur ? Je ne pense pas. Je ne m'y connais pas beaucoup en rédemption, mais... ne doit-il pas y avoir une faute ? et un désir de rachat moral ?
SupprimerBelle et lumineuse journée.
Rédempteur, au sens habituel, généralement religieux, est assimilé à vaincre le péché et gagner un salut, « en Jésus-Christ », le rédempteur, dira le chrétien.
SupprimerMais ici je l'utilise en son sens d'adjectif qualificatif, c'est-à-dire qui apporte à la personne une régénération qui la sauve de quelque chose qui n'est pas nécessairement « le péché, la faute ou le rachat moral », une sorte de rénovation bienfaisante qui se fait par quelque chose/quelqu'un d'autre que soi-même auquel on prête volontairement son concours.
D'une certaine manière on pourrait dire que l'amour choisi et vécu est rédempteur et libérateur de vie.
Merci pour ces explications éclairantes. Eh bien, je ne suis pas sure qu'il s'agissse d'un road movie rédempteur. Fern est un personnage qu'on pourrait qualifier de solaire. Elle vit au présent, et semble avoir toujours vécu ainsi, en prenant ce que la vie pouvait lui donner de bon et de beau. Elle a perdu, mais ce n'est pas une perdante. Dans son chemin, elle fait des rencontres qui montrent une humanité lumineuse. En fait, ce film échappe à tous les genres (ce qui nous change de pas mal de films américains plutôt portés sur le manichéisme et la violence). Merci encore et très douce soirée à toi.
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