vendredi 13 mai 2022

Vivre : cadeaux du ciel

 
Arbre Collier / Jean-Michel Othoniel / Château La Coste / Le Puy-Ste-Réparade
 
Pourquoi changer de lieu, pourquoi changer de paysage quand on peut changer d'horaire ? C'est sans doute ce que pense Mister P., le bougre, quand il vient secouer ses puces et ses médailles devant notre porte à l'heure où le coq n'a pas encore entrepris de chanter et, si j'aime faire partie de ceux qui  entendent le gallinacé en premier, ça ne m'empêche pas de bougonner. Cependant, à peine debout, à peine dehors, tandis que je bouscule quelques grappes de glycine encore endormies, mon humeur acquiert vite la roseur candide du ciel qui se déploie et berce le lac somnolent sur lequel quelques pêcheurs ondoient. 
Oui, pourquoi changer de paysage quand un autre paysage est là ? Les aubes ne sont jamais les mêmes, et ces aubes-ci, celles de ce printemps princier, ne seront jamais pareilles à celles de toutes les autres années.
Sur la route, les merles font du rase-motte. Ils jouent avec les pneus, nous défient, ignorent le danger. Nous croisons une voiture,
mal réveillée, puis une seconde, aux manoeuvres saccadées. Deux renards d'une belle robe mordorée nous coupent la priorité. Là-haut, tout semble ouvert, tout semble attendre. L'air embaume les mille parfums de mille herbes coupées. Les champs striés de colza, les longues bandes de feuillus, les parcours tracés, les chemins égarés, tous, oui tous, attendent que le dieu soleil daigne se lever. Au loin, tout au fond, un lac, un autre, plus petit, offre sa face mauve aux dernières étoiles oubliées par la nuit.
Nous marchons lentement, fendant sifflements et cris. Les épaules effleurées par des bourgeons vert vif, nous avançons parmi les brindilles. Nous glissons entre deux touffes nos pieds détrempés. Un papillon pas plus large qu'un pouce vient nous saluer. Un oiseau décrit des arabesques dans l'azur et, à le découvrir si gracile, si déluré, nous nous demandons s'il est le premier oiseau qui sache voler. Quoi de plus beau qu'un oiseau, seul, fendant l'aube épurée ?

Nous hésitons à redescendre, nous savons que la journée sera remplie de menues contrariétés, que des galettes seront trop salées, et des refus opposés, que des tracas viendront, que des mots ne viendront pas, nous savons tout cela, mais nous connaissons la valeur du moment savouré : derrière les sapins, un éclair écarlate, immense, triomphant vient de s'imposer. Ce jour sera une fête et la fête peut commencer. 
 

2 commentaires:

  1. Voilà de quoi alimenter un petit ouvrage :
    « de l'art de bien commencer sa journée »
    Une lecture qui donne envie de tout regarder autrement

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    1. que l'importance soit dans ton regard... passe une belle journée

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